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                                         T-1444-97

                 Dans l"affaire du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, tel que modifié,
                 ET dans l"affaire d"un ordre de paiement émis le 3 avril 1997 à Magdi Sayegh, 105, rue de la Source, Saint-Nicholas (Québec) G7A 2S7, administrateur de Aviation Leclerc Inc., en vertu du paragraphe 251.1(1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, tel que modifié et concernant M. Ronald Bissonnette,
                 ET dans l"affaire du dépôt à la Cour fédérale dudit ordre de paiement en vertu du paragraphe 251.15(1) du Code canadien du travail,
                 ÉLIZABETH DEUX, par la grâce de Dieu, Reine du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE NADON:

     Le 2 octobre 1997, j'entendais à Québec une requête présentée par le requérant visant à obtenir la rétractation d'un jugement de cette Cour. À la fin de l'audition, j'ai rejeté la requête et j'ai avisé les procureurs que des motifs seraient rendus sous peu.

     Les faits pertinents se résument comme suit. Le requérant était administrateur d"Aviation Leclerc Inc. Cette compagnie a fait cession de ses biens le 17 mars 1997. À la suite d'une plainte déposée par Ronald Bissonnette, un ancien employé de la compagnie, Jean-Marc Juteau, un inspecteur au service de Développement des ressources humaines du Canada ("Ressources Humaines Canada"), écrivait à la compagnie le 21 mars 1997 afin de l'informer de la plainte et de lui fournir les détails de la réclamation. Par sa lettre, M. Juteau accordait à la compagnie jusqu"au 4 avril 1997 pour lui faire parvenir sa réponse concernant la plainte de M. Bissonnette. La lettre de M. Juteau se termine comme suit:

         J"aimerais vous souligner que le défaut de répondre de votre part peut entraîner l"émission d"un ordre de paiement basé sur la réclamation du plaignant ainsi que la procédure qui s"ensuit. Vous trouverez ci-joint notre feuillet d"information à cet égard.                         

     La compagnie n"ayant pas répondu dans le délai imparti, un ordre de paiement à un administrateur de l"employeur fut émis par M. Juteau le 3 avril 1997. L"ordre de paiement fut signifié au requérant le 25 avril 1997. Le texte de l"ordre de paiement se lit comme suit:

         ATTENDU QUE l"employeur AVIATION LECLERC INC., AÉROPORT INTERNATIONAL JEAN-LESAGE, 710 - 7 IÈME AVE - HANGAR # 7, STE-FOY, QUÉBEC, ci-après désigné "employeur", a omis de verser [sic ] M. Ronald Bissonnette, le salaire ou autre indemnité auquel l"employé a droit sous le régime de la partie III du Code canadien du travail pour un montant de 4819,77$;                         
         ATTENDU QUE le recouvrement de cette créance auprès de l"employeur est impossible ou peu probable;                         
         ATTENDU QUE vous avez occupé le poste d"aministrateur chez cet employeur pendant la période où le montant de la réclamation spécifié ci-dessus a pris naissance; et                         
         ATTENDU QUE l"article 251.18 du Code canadien du travail stipule que:                         
             "Les administrateurs d"une personne morale sont, jusqu"à concurrence d"une somme équivalant à six mois de salaire solidairement responsables du salaire et des autres indemnités auxquels l"employé a droit sous le régime de la présent partie, dans la mesure où la créance de l"employé a pris naissance au cours de leur mandat et à la condition que le recouvrement de la créance auprès de la personne morale soit impossible ou peu probable."                         
         VOUS ÊTES TENU de payer sans délai, par chèque visé ou mandat postal, le montant de 4819,77$ au Receveur général du Canada. Ce paiement doit être livré en personne ou expédié par la poste à l"inspecteur soussigné.                         
         Si vous désirez interjeter appel de cet ordre de paiement, vous devez le faire par écrit, auprès du ministre du Travail, dans les quinze (15) jours suivant signification. Pour être entendue, votre requête en appel doit être accompagnée d"un chèque visé ou d"un mandat postal à l"ordre du Receveur général du Canada, au montant indiqué dans l"ordre de paiement. Cette somme sera gardée dans un compte en fiducie jusqu"à ce que l"appel soit réglé par un arbitre indépendant. Votre requête en appel doit être adressée au ministre du Travail, a/s Directeur régional, DRHC - Travail, 1441, rue Saint-Urbain, 8 ième Étage, Montréal. (Québec), H2X 2M6.                         

     Le requérant n"a pas interjeté appel de l"ordre du paiement dans les 15 jours de la signification, tel que prescrit par le paragraphe 251.11(1) du Code canadien du travail (le "Code"). Le 3 juillet 1997, l"ordre de paiement rendu sous le paragraphe 251.1(1) du Code fut déposé au greffe de cette Cour par un représentant de Ressources Humaines Canada, pour le Ministre du Travail, aux fins d"enregistrement. En vertu du paragraphe 251.15(3) du Code, l"enregistrement de l"ordre de paiement par la Cour fédérale confère à cet ordre la valeur d"un jugement de la Cour. L"article 251.15 se lit comme suit:

         251.15      (1) [Exécution des ordres de paiement et des ordonnances] Toute personne concernée par un ordre de paiement donné en vertu du paragraphe 251.1(1) ou une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 251.12(4), ou le ministre sur demande d"une telle personne, peut, après l"expiration d"un délai de quinze jours suivant la date de l"ordre ou de l"ordonnance, ou la date d"exécution qui y est fixée si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie de l"ordre de paiement ou du dispositif de l"ordonnance.                         
         (2) [Idem] Le directeur régional peut déposer à la Cour fédérale une copie de l"ordre de versement donné aux débiteurs de l"employeur, après l"expiration du délai de quinze jours qui y est mentionné.                         
         (3) [Enregistrement] La Cour fédérale procède à l"enregistrement de l"ordre de paiement, de l"ordonnance ou de l"ordre de versement dès leur dépôt; l"enregistrement leur confère valeur de jugement de ce tribunal et, dès lors, toutes les procédures d"exécution applicables à un tel jugement peuvent être engagées à leur égard.                         

     Le requérant, invoquant la règle 5 des Règles de cette Cour1, demande la rétractation du jugement en vertu de l"article 482 du Code de procédure civile du Québec ("C.P.C."). À mon avis, cette requête ne peut réussir.

     L"article 482 du C.P.C. se lit:

         482.      La partie condamnée par défaut de comparaître ou de plaider peut, si elle a été empêchée de produire sa défense, par surprise, par fraude ou par quelque autre cause jugée suffisante, demander que le jugement soit rétracté, et la poursuite rejetée.                         
             La requête, adressée au tribunal où le jugement a été rendu, doit contenir non seulement les motifs qui justifient la rétractation, mais aussi les moyens de défense à l"action.                         

     Cet article permet à une partie, poursuivie devant les tribunaux du Québec, condamnée par défaut de comparaître ou de plaider, de demander que le jugement soit rétracté. En l"instance, il n"est pas nécessaire, à mon avis, d"invoquer la règle 5 puisque la règle 439(3) des règles de cette Cour permet à la Cour de rescinder tout jugement obtenu par défaut contre une partie. La règle 439(3) se lit comme suit:

         439(3).      La Cour pourra, aux conditions qui semblent justes, annuler ou modifier un jugement rendu en vertu des règles 432 à 438.                         

     Pour les fins des présentes, il n"y a pas lieu, de toute façon, de distinguer entre l"article 482 C.P.C. et la règle 439(3).

     Au soutien de sa requête, le requérant invoque deux motifs. Premièrement, il explique pourquoi il n"a pas donné suite à l"ordre de paiement émis contre lui. Le requérant affirme que lorsqu"il a reçu l"ordre de paiement, il l"a transmis au syndic "croyant sincèrement que c"était à lui que cette réclamation devait être transmise et qu"il lui appartenait de la traiter puisque dans l"hypothèse où un ex-employé de la compagnie avait une réclamation de salaire valable, il y avait suffisamment d"actif dans la faillite pour payer entièrement sa réclamation". Deuxièmement, le requérant affirme qu"il a une bonne défense à faire valoir relativement à la plainte de M. Bissonnette. Le requérant déclare que M. Bissonnette a quitté la compagnie volontairement le 2 novembre 1996 et qu"en conséquence il n"a pas droit à un délai de congé. Le requérant soumet que l"inspecteur aurait du rejeter la réclamation de M. Bissonnette en vertu du paragraphe 251.1(2) du Code.

     Il appert clairement des motifs du requérant qu"il conteste vigoureusement le bien-fondé de la réclamation de M. Bissonnette. Il appert aussi clairement qu"il veut obtenir la rétractation du jugement afin qu"il puisse contester cette réclamation devant la Cour fédérale. À mon avis, cela n"est pas possible puisque cette Cour n"a pas compétence en ce qui concerne la validité de la réclamation de M. Bissonnette. L"article 251.1 du Code attribue cette compétence à un inspecteur qui doit décider si la plainte déposée par un employé est bien fondée. Les paragraphes 251.1(1) et (2) du Code prévoient ce qui suit:

         251.1(1)      [Ordre de paiement] L'inspecteur qui constate que l'employeur n'a pas versé à l'employé le salaire ou une autre indemnité auxquels celui-ci a droit sous le régime de la présente partie peut ordonner par écrit à l'employeur ou, sous réserve de l'article 251.18, à un administrateur d'une personne morale visé à cet article de verser le salaire ou l'indemnité en question; il est alors tenu de faire parvenir une copie de l'ordre de paiement à l'employé à la dernière adresse connue de celui-ci.                         
         251.1(2)      [ Plainte non-fondée] L'inspecteur qui conclut à l'absence de fondement d'une plainte portant que l'employeur n'a pas versé à l'employé le salaire ou une autre indemnité auxquels celui-ci a droit sous le régime de la présente partie avise le plaignant par écrit de sa conclusion.                         

     Le paragraphe 251.11(1) du Code, quant à lui, prévoit que toute personne concernée par un ordre de paiement peut interjeter appel de la décision de l"inspecteur, auprès du Ministre, dans les 15 jours suivant la signification de l"ordre du paiement. Dès lors, le Ministre, sous le paragraphe 251.12(1), doit désigner un arbitre pour entendre l"appel. Le paragraphe 251.11(6) prévoit que la décision de l"arbitre est définitive et non susceptible de recours judiciaire. Le paragraphe 251.11(7) énonce que les recours extraordinaires sont interdits.

     Il appert donc clairement des dispositions pertinentes du Code qu"il n"y a pas d"appel d"une décision d"un arbitre. De plus, il n"est pas certain que la décision de l"arbitre puisse être contestée par voie de contrôle judiciaire. De toute façon, il est incontestable que cette Cour n"a pas compétence quant au bien-fondé de la réclamation d"un employé.

     Il me semble évident que le jugement dont le requérant veut la rétractation, à savoir l"enregistrement de l"ordre de paiement sous le paragraphe 251.15(3) du Code qui confère à l"ordre de paiement valeur de jugement de cette Cour, ne peut être rétracté pour les motifs invoqués par le requérant. Dans la mesure où le processus prévu au Code concernant les ordres de paiements a été suivi, à savoir la signification à la partie concernée, et l"expiration du délai prévu au paragraphe 251.11(1), soit 15 jours suivant la signification de l"ordre de paiement et qu"aucun appel n"a été interjeté de cet ordre de paiement, l"enregistrement conférant valeur de jugement à l"ordre de paiement ne peut être rétracté.

     Le but de l"enregistrement de l"ordre de paiement est d'en permettre l"exécution. Malheureusement pour le requérant, le délai d"appel étant expiré, il ne peut obtenir de prorogation de délai d'appel puisque le Code ne permet pas la prorogation. Le procureur du requérant a plaidé que son client serait victime d"une injustice si la requête en rétractation n"était pas accordée, puisqu"il n"avait pas eu l"occasion de se faire entendre. À mon avis, cet argument est mal fondé puisque le requérant a reçu copie de l"ordre de paiement émis contre lui et a été avisé qu"il avait 15 jours pour interjeter appel de cet ordre. Il ne l"a pas fait. Voilà pourquoi le requérant se retrouve devant un ordre de paiement qui est devenu exécutoire contre lui. Vu les dispositions claires du Code, je ne peux accorder la rétractation que demande le requérant.

     Pour ces motifs, la requête a été rejetée.

     (Sgd.) "Marc Nadon"

     Juge

Vancouver, British Columbia

le 16 octobre 1997.

NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      T-1444-97

INTITULÉ DE LA CAUSE:      Dans l'affaire du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, tel que modifié
                     ET dans l'affaire d'un ordre de paiement émis le 3 avril 1997 à Magdi Sayegh, 105, rue de la Source, Saint-Nicholas (Québec) G7A 2S7, administrateur de Aviation Leclerc Inc., en vertu du paragraphe 251.1(1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, tel que modifié et concernant M. Ronald Bissonnette,
                     ET dans l'affaire du dépôt à la Cour fédérale dudit ordre de paiement en vertu du paragraphe 251.15(1) du Code canadien du travail,
                     ÉLIZABETH DEUX, par la grâce de Dieu, Reine du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi

LIEU DE L'AUDIENCE:          Québec (Québec)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DE LA COUR PAR:          le Juge Nadon

EN DATE DU:              le 16 Octobre 1997

ONT COMPARU:

     Me. Ronald Bissonnette      pour la partie requérante

     Me. Louis M. Lavoie      pour la partie intimée

     Me. Raymond Piché      pour la partie intervenante

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     Me. Ronald Bissonnette

     1489 rue Buffon

     Ste-Foy (Québec)

     G2E 4B2              pour la partie requérante

     Me. Louis M. Lavoie

     19, rue Louis-Hébert

     Loretteville (Québec)

     G2A 2T3              pour la partie intimée

     Ministère Fédérale de la Justice

     Complexe Guy-Favreau

     200 ouest, boul. René-Lévesque

     Tour est, 9e étage

     Montréal (Québec)

     H2Z 1X4              pour la partie intervenante     

__________________

1 La règle 5 se lit comme suit:
     Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance générale de la Cour (hormis la présente Règle), la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instructions, soit après la survenance de l'événement si aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et la procédure à suivre pour cette question par analogie          a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou          b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des procédures,      selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en l'espèce.

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