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Date : 20211115


Dossier : IMM‐1696‐20

Référence : 2021 CF 1236

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2021

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

XIAOQI YU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Yu, conteste la décision par laquelle sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée. À la date de la décision, Mme Yu vivait au Canada depuis près de dix ans, soit depuis ses 17 ans. Elle est mariée à un résident permanent du Canada, qui est le père de sa fille d’un an née au Canada. Il a été conclu que Mme Yu avait fait une présentation erronée dans une demande de permis de travail antérieure, et par conséquent, elle faisait l’objet d’une mesure d’exclusion. Pour cette raison, suivant son renvoi du Canada, elle ne pourrait revenir au pays sans autorisation ministérielle spéciale, et ce, pendant cinq ans.

[2] Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, Mme Yu soutient que son établissement au Canada et l’intérêt supérieur de son enfant d’un an ont été appréciés de façon déraisonnable par l’agent principal (l’agent). Je suis d’accord. Dans un cas comme dans l’autre, je conclus que le raisonnement de l’agent présentait des lacunes considérables au regard du dossier, et il s’ensuit que la décision était dans l’ensemble déraisonnable. Dans son appréciation de l’établissement de Mme Yu, l’agent n’a pas tenu compte des observations de cette dernière ni de la preuve au dossier. Dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’importance des besoins de l’enfant a été minimisée, et, en définitive, l’agent n’a pas démontré qu’il était réceptif, attentif et sensible aux besoins de l’enfant, comme il devait l’être.

[3] Pour les motifs exposés ci‐dessous, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte factuel

[4] Mme Yu est une citoyenne de la Chine. Elle est venue au Canada alors qu’elle était mineure, à 17 ans, pour y effectuer la dernière année de ses études secondaires. Après ses études secondaires, elle a été acceptée dans une université d’Ottawa où elle a poursuivi ses études pendant un certain temps, mais elle n’a terminé aucun programme.

[5] Mme Yu a épousé un résident permanent du Canada en mars 2018 et a donné naissance à leur fille en septembre 2018. En janvier 2019, elle a déposé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[6] En avril 2019, une mesure d’exclusion a été prise par la Section de l’immigration contre Mme Yu au motif qu’elle avait faussement déclaré avoir terminé son programme de baccalauréat dans une demande de permis de travail postdiplôme. Elle a également été accusée au criminel pour fausses déclarations (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, art 127a) [la LIPR]) et pour défaut de répondre véridiquement à des questions posées (LIPR, art 16(1)). L’accusation de fausses déclarations a été rejetée à la demande de la Couronne. Mme Yu a plaidé coupable à l’accusation criminelle de défaut de répondre véridiquement à des questions posées et a obtenu une absolution conditionnelle, assortie d’une période de probation de 12 mois.

[7] Mme Yu a déposé une nouvelle version de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire après la prise de la mesure d’exclusion. Cette mesure faisait en sorte qu’elle serait interdite de territoire au Canada pendant cinq ans à compter de son renvoi du Canada (LIPR, art 40(2)). Elle a demandé à l’agent de prendre en considération le fait que, si sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’était pas approuvée, elle serait probablement séparée de son mari et que sa fille, qu’elle allaitait à ce moment‐là, serait probablement séparée de son père – le mari de Mme Yu – pendant au moins cinq ans.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[8] Mme Yu a soulevé deux questions dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire :

  1. L’appréciation faite par l’agent quant à son établissement était‐elle raisonnable?

  2. L’appréciation faite par l’agent quant à l’intérêt supérieur de sa fille était‐elle raisonnable?

[9] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle que je devrais appliquer dans l’évaluation de la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer lorsqu’il s’agit d’examiner des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

[10] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a décrit la norme de la décision raisonnable comme une forme de contrôle empreinte de déférence, mais néanmoins « rigoureuse », et dont l’analyse a pour point de départ les motifs du décideur (au para 13). Les motifs écrits du décideur sont interprétés « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov au para 103).

[11] Selon la description de la Cour, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Les décideurs administratifs, dans l’exercice du pouvoir public, doivent veiller à ce que leurs décisions soient « justifié[es], intelligible[s] et transparent[es] non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov au para 95).

IV. Analyse

A. Les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire

[12] L’étranger qui demande le statut de résident permanent au Canada peut demander au ministre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire afin de le dispenser des obligations prévues dans la LIPR pour des motifs d’ordre humanitaire, dont l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché (LIPR, art 25(1)). Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351, la Cour suprême du Canada a confirmé que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs d’ordre humanitaire est d’« offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » (au para 21).

[13] Étant donné que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs d’ordre humanitaire est « de mitiger la sévérité de la loi selon le cas », il n’y a pas d’ensemble limité et prescrit de facteurs justifiant une dispense (Kanthasamy au para 19). Ceux‐ci varieront selon les circonstances, mais « l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids » (Kanthasamy au para 25; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74‐75 [Baker]).

B. Les faits et les facteurs pertinents soulevés dans la demande

[14] Essentiellement, la demande de Mme Yu visait à inciter l’agent à prendre en considération le fait que, si une dispense ne lui était pas accordée, elle devrait élever sa fille comme si elle était une mère célibataire, séparée de son mari qui est le père de sa fille, et ce, pendant au moins cinq ans. Elle demandait également à l’agent de prendre en considération le fait qu’elle avait vécu pendant neuf années consécutives au Canada, soit toute sa vie d’adulte jusque‐là, et qu’au cours de ces années, elle avait noué des relations au Canada. De plus, elle a aussi fait part de son inquiétude concernant l’accès aux services en Chine pour sa fille et de sa crainte de ne pouvoir y pratiquer sa foi chrétienne.

[15] Comme il a été mentionné ci‐dessus, j’examinerai la présente décision selon la norme de contrôle de la décision raisonnable. J’évaluerai les motifs selon cette norme en gardant à l’esprit que les intérêts en jeu pour Mme Yu et pour sa famille au Canada sont élevés. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a expliqué que les répercussions d’une décision sur une personne peuvent être un élément contextuel pertinent à considérer dans l’évaluation du caractère raisonnable des motifs d’un décideur : « Lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux » (Vavilov au para 133). Dans l’arrêt Baker, qui porte sur une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire concernant une mère ayant des enfants mineurs, la Cour suprême du Canada a conclu que les intérêts en jeu avaient « une importance exceptionnelle sur la vie des personnes concernées – [la] demander[esse d’asile] et les membres de sa famille proche » (au para 31). De même, en l’espèce, je juge que la décision quant à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est d’une importance considérable dans la vie de Mme Yu, de son mari et de leur fille mineure.

C. Le traitement de la question de l’établissement de la demanderesse au Canada

[16] Dans son appréciation de l’établissement de Mme Yu, l’agent n’a pas tenu compte des observations de cette dernière ni de la preuve contenue dans la demande. En particulier, je juge troublante l’évaluation faite par l’agent des liens familiaux de Mme Yu au Canada par rapport à ceux qu’elle a en Chine.

[17] L’agent a conclu que Mme Yu n’avait pas établi que ses [traduction] « ses liens familiaux au Canada [étaient] plus forts que ceux qu’elle [avait] en Chine ». Cette conclusion n’est ni étayée par le dossier ni adéquatement expliquée.

[18] Abstraction faite de la mention de l’existence des parents de la demanderesse qui vivent toujours en Chine, l’agent n’explique pas comment il est parvenu à la conclusion que les liens entre la demanderesse et ses parents étaient plus forts que ceux entre elle et son mari et son enfant au Canada, avec lesquels elle vit.

[19] Le dossier ne contient rien au sujet de la nature de la relation entre Mme Yu et ses parents, qui ne vivent pas dans le même pays qu’elle depuis neuf ans. En revanche, le dossier contenait le témoignage du mari de Mme Yu à propos de la nature de sa relation avec sa femme et leur enfant, et des répercussions d’une séparation. Mme Yu a aussi décrit ses liens avec son mari et leur enfant. Aucune conclusion défavorable n’a été tirée concernant la nature ou l’authenticité de la relation entre Mme Yu et son mari. La conclusion de l’agent concernant la comparaison des liens familiaux ne cadre pas avec la demande de dispense de Mme Yu, qui est essentiellement fondée sur sa relation avec son mari et leur enfant au Canada.

[20] Le défendeur a soutenu qu’il était loisible à l’agent de parvenir à cette conclusion en matière d’établissement, [traduction] « pourvu la décision appartienne aux issues raisonnables ». Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser au résultat, mais également au raisonnement suivi (Vavilov au para 83). Les problèmes relevés ne se rapportent pas à une nouvelle appréciation de la preuve, comme l’a soutenu le défendeur; il s’agit de caractéristiques d’une décision déraisonnable : des éléments importants des observations de Mme Yu n’ont pas été valablement traités (Vavilov au para 127); des conclusions cruciales ne sont pas étayées par la preuve (Vavilov au para 126), et des conclusions importantes ont été tirées sans fournir d’explications (Vavilov au para 103).

D. Le traitement de la question de l’intérêt supérieur de l’enfant

[21] Je juge que, dans son appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a minimisé l’intérêt de l’enfant en ne prenant pas assez sérieusement en considération les répercussions de la séparation d’un enfant en bas âge d’avec son père pendant cinq ans. Comme je l’expliquerai ci‐dessous, je ne souscris pas au point de vue du défendeur selon lequel l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant faite par l’agent était [traduction] « convaincante » ou qu’elle témoignait d’une [traduction] « sensibilité à l’égard du contexte particulier » de la situation de l’enfant.

[22] Mme Yu, son mari et leur fille mineure forment une cellule familiale et vivent ensemble au Canada. L’agent reconnaît que l’enfant mineure née au Canada accompagnera Mme Yu en Chine, car elle est encore allaitée. Il reconnaît aussi que le père de la fille mineure demeurera au Canada et que, puisque la mesure d’exclusion courra pour cinq ans, les membres de la famille seront probablement séparés pendant au moins cinq ans.

[23] Le paragraphe 25(1) de la LIPR exige que l’agent qui examine une demande fondée sur des motifs humanitaires tienne compte de « l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ». Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a pris en considération l’exigence relative à l’intérêt supérieur de l’enfant prévue au paragraphe 25(1), puis elle a conclu que « [l]orsque, comme en l’espèce, la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant “directement touché”, cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse » (Kanthasamy au para 40).

[24] La Cour suprême du Canada a réitéré sa conclusion dans l’arrêt Baker : « quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable » (Kanthasamy au para 38, citant Baker, au para 74). La Cour a aussi réitéré que, dans une appréciation raisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant, cet intérêt doit être « “bien identifié et défini”, puis examiné “avec beaucoup d’attention” eu égard à l’ensemble de la preuve » (Kanthasamy au para 39, citant Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 CF 358 (CA) aux para 12, 31; Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 323 FTR 181 aux para 9‐12).

[25] L’agent n’a fait qu’un examen minimal de la question de la séparation de l’enfant d’avec son père. Il a conclu que, bien qu’elle puisse engendrer des difficultés émotionnelles, il n’était pas convaincu que la séparation de l’enfant en bas âge d’avec son père [traduction] « aurait pour effet de rompre les liens qui ont été établis ». Il a jugé que les liens avec le père de la fille mineure pouvaient être maintenus depuis l’étranger [traduction] « par l’intermédiaire de lettres ou, avec Internet, par des moyens facilement accessibles comme les courriels, les messages instantanés ou Facebook ».

[26] Un raisonnement de ce genre ne témoigne pas d’une sérieuse prise en considération par l’agent des répercussions d’une longue séparation d’un enfant d’avec l’un de ses parents. Comme l’a mentionné la Cour à l’égard de plusieurs affaires, il existe un « principe découlant du bon sens selon lequel l’intérêt supérieur d’un enfant est d’être élevé par ses deux parents » (Nagamany c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 187 au para 41; Sivalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1185 au para 7; Lopez Cobo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 349 au para 8). Je ne peux conclure que l’agent a suffisamment tenu compte de ce principe dans son appréciation. En axant celle‐ci sur la question de savoir si la séparation romprait les liens entre l’enfant et son père, l’agent n’a pas pris en compte les conséquences d’une longue séparation d’avec l’un des parents et de l’éloignement géographique.

[27] La demanderesse n’a pas présenté le préjudice potentiel comme étant la rupture du lien parent‐enfant : selon elle, le préjudice pour l’enfant consistait plutôt dans les répercussions d’une séparation des membres de la cellule familiale pendant cinq ans. On n’atténue pas un tel préjudice causé à un enfant en bas âge par la possibilité d’utiliser Facebook ou d’écrire des lettres. Sans compter que, quoi qu’il en soit, on voit mal comment un enfant en bas âge pourrait ne serait‐ce que prendre part aux échanges, vu les moyens de communication suggérés.

[28] L’utilisation par l’agent d’une formule identique dans l’analyse des répercussions pour la mère de l’enfant, Mme Yu, du fait de devoir quitter ses amis au Canada met davantage en évidence le problème : [traduction] « Bien que je reconnaisse que la demanderesse a noué de nombreuses relations d’amitié au Canada, je ne suis pas convaincu qu’un retour en Chine aura pour effet de rompre ces relations. Je ne suis pas convaincu qu’il lui serait impossible de maintenir ces relations depuis l’étranger par l’intermédiaire de lettres ou, avec Internet, par des moyens facilement accessibles comme les courriels, les messages instantanés ou Facebook. »

[29] Le juge Grammond s’est penché sur l’utilisation de formules types dans le contexte d’un « fort volume de dossiers » et a souligné que rien n’interdit cette pratique, car les décideurs ne sont pas tenus d’être originaux (Boukhanfra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 4 au para 9). Le problème n’est pas l’utilisation de formules types en elle‐même. La question est plutôt de savoir si les motifs sont intelligibles et adaptés au contexte juridique et factuel particulier que soulève la demande. Comme l’a expliqué le juge Grammond, « [s]i la conclusion ne découle pas des prémisses ou si le recours à une formule type laisse planer le doute quant au fait que le décideur a dûment pris en considération les faits particuliers de l’affaire, il se peut bien que la décision soit déraisonnable » (au para 9).

[30] En ce qui concerne le fait que Mme Yu sera séparée de ses amis vivant au Canada, les intérêts en jeu pour Mme Yu ne sont pas de la même nature ni de la même importance que ceux en jeu concernant la séparation d’un enfant d’avec l’un de ses parents. Malgré cela, l’agent traite du préjudice et de la stratégie d’atténuation suggérée correspondante de façon identique. Je conclus que l’utilisation par l’agent d’une même formule dans l’analyse de la perte d’amitiés pour une adulte et dans celle de la perte de la relation quotidienne avec l’un de ses parents pour un enfant démontre qu’il a manqué de diligence et de sensibilité à l’égard des intérêts de cet enfant. L’utilisation d’une formule type pour traiter de l’atténuation de la rupture des liens par divers moyens de communication ne cadre pas avec les enjeux particuliers et réels auxquels l’enfant est confrontée en l’espèce, à savoir une longue séparation d’avec son père.

[31] Le défendeur a cité la conclusion de l’agent selon laquelle [traduction] « la preuve présentée est insuffisante pour [convaincre ce dernier] que [la] jeune enfant [de la demanderesse] subirait un préjudice sur les plans émotionnel, psychologique et éducatif si la demanderesse devait présenter une demande en suivant la procédure normale depuis l’étranger ». Il s’agit également d’une formule type qui pourrait être appropriée dans certaines circonstances, mais, en l’espèce, il est difficile de savoir à quel genre de preuve l’agent s’attendait concernant les répercussions émotionnelles et psychologiques de la séparation d’un enfant d’un an d’avec l’un de ses parents pendant cinq ans.

[32] Dans la décision Magonza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 14 [Magonza], la Cour a expliqué que, « [q]uand nous révisons une conclusion selon laquelle la preuve était insuffisante, il est utile de se demander quels autres éléments de preuve auraient raisonnablement pu être produits » (au para 58). Dans la décision Sarker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 154, concernant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la Cour, citant la décision Magonza, a souligné que « [b]ien que le concept de suffisance de la preuve soit une question qui suscitera beaucoup de déférence de la part de la cour de révision (Vavilov, au par. 125), il faut justifier ces conclusions d’insuffisance de la preuve [...] » (au para 11).

[33] La simple déclaration que la preuve était insuffisante ne cadre pas avec les faits de l’espèce. Les parents ont fourni des déclarations au sujet de leur rôle dans la vie de l’enfant et de la séparation des membres d’une cellule familiale. De plus, comme il est souligné ci‐dessus, il existe un principe découlant du bon sens selon lequel il est dans l’intérêt d’un enfant de vivre avec ses deux parents. Je juge qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure, et ce, sans fournir davantage d’explications, que la preuve présentée dans ce contexte était insuffisante.

[34] Dans l’ensemble, je juge que l’analyse est bien loin de témoigner que l’agent s’est acquitté de son obligation d’examiner les intérêts de l’enfant directement touché « avec beaucoup d’attention ». Sa démarche ne montre pas davantage qu’il a pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant en adoptant le point de vue de cette dernière (Etienne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 937 au para 9). Son défaut de dûment tenir compte de l’intérêt de l’enfant rend la décision déraisonnable.

V. Conclusion

[35] En raison des lacunes relevées dans ses motifs concernant l’établissement de la demanderesse et dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

[36] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‐1696‐20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision;

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐1696‐20

 

INTITULÉ :

XIAOQI YU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Araujo

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Wazana

Wazana Law

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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