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Date : 20060616

Dossier : IMM-4993-05

Référence : 2006 CF 770

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 JUIN 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

ENTRE :

OLSI KULE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Olsi Kule (le demandeur), un ressortissant de l'Albanie, réclame, par la présente demande de contrôle judiciaire, l'annulation de la décision du 18 juillet 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a rejeté sa demande d'asile fondée sur l'article 96 et sa demande de protection fondée sur l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

 

[2]               Le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas crédible en raison des contradictions relevées entre le récit circonstancié de son FRP, ses déclarations faites au point d'entrée et son témoignage.  

 

[3]        Le demandeur fonde sa demande d'asile et sa demande de protection sur sa crainte d'être persécuté par des partisans du Parti socialiste (PS) qui, en 1997, a formé le gouvernement de l'Albanie. En particulier, le demandeur craint un certain M. Ferro et ses amis qui, au début de 1997, ont cherché à extorquer de l'argent à son père, un homme d'affaires, qui a refusé d'obtempérer et qui a rejoint sa famille en Grèce. M. Ferro aurait eu des liens avec la mafia albanaise et aurait également été un sympathisant du PS, ce qui lui aurait valu d'être nommé au sein d'une administration régionale en guise de faveurs politiques. 

 

[4]        Les opinions politiques que l'on impute au demandeur découlent des activités de son père en tant que partisan bien connu du Parti démocratique, lequel a défait le régime communiste en 1992 mais qui, comme on l'a signalé, a perdu le pouvoir en 1997. 

 

[5]        Le demandeur affirme également qu'il a besoin de la protection du Canada parce qu'il craint d'être soumis à la torture et d'être exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités de la part de la police albanaise, laquelle a des liens avec M. Ferro et avec les accointances de ce dernier avec la mafia albanaise.

 

[6]        L'avocat du demandeur invoque deux moyens pour réclamer l'annulation de la décision du tribunal.

 

[7]        Premièrement, il soutient que la conduite du tribunal suscite une crainte raisonnable de partialité en ce concerne sa connaissance spécialisée de la situation en Grèce et, en particulier la façon dont les gens d'origine albanaise sont traités en Grèce, notamment lorsqu'ils cherchent à obtenir un statut temporaire en Grèce, et la question de l'expulsion de ces personnes de la Grèce.

 

[8]        En second lieu, il affirme que la conclusion que le tribunal a tirée au sujet de la crédibilité est viciée.

 

[9]       À mon avis, le demandeur doit obtenir gain de cause. Il est évident selon moi que le tribunal a commis une erreur sur la question de la crédibilité en dégageant la conclusion essentiellement contradictoire à laquelle il est arrivé de la manière suivante.

 

[10]      Le tribunal a amorcé son analyse en mettant en contraste la déclaration écrite faite par le demandeur au point d'entrée avec son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[11]      Dans sa déclaration au point d'entrée, le demandeur écrit ce qui suit en grec après avoir expliqué en quoi consistait l'entreprise d'exportation de fruits en Albanie exploitée par son père en Grèce. Cet extrait se trouve au volume 1, à la page 123 du Dossier certifié du Tribunal :

[traduction] Au bout d'un certain temps, quelques individus se sont présentés (de soi-disant amis) en lui offrant de l'aider à étendre ses activités commerciales à d'autres régions de l'Albanie comme [...] En réalité, ils ne faisaient que lui vendre leur « protection ». Ils exigeaient entre 1,5 million et deux millions de drachmes avec versements aux quatre ou cinq mois. Le nom de ces « amis protecteurs » étaient [...] et Edmond Ferro [...]

 

Les menaces dont mon père a fait l'objet portaient surtout sur des enlèvements (moi ou mon frère). En revanche, notre âge nous empêchait de quitter la Grèce sans nos parents.

 

Cette situation a perduré pendant plusieurs années [...]

 

 

[12]    Pour ce qui est de son FRP, le tribunal a estimé que [traduction] « le demandeur a ajouté un nouvel aspect "politique" à sa demande d'asile ». Le tribunal écrit ce qui suit :

[traduction] Il affirme que son père était un partisan du P.D. et que les individus qui le ciblaient étaient membres du Parti socialiste. Il explique que l'associé de son père était son frère Kostantin Kule, qui avait également fait l'objet de menaces. Il déclare que le fils de Kostantin Kule a été tué par les responsables du racket de la protection en 1997. Il ajoute que les auteurs de ces exactions ont été nommés à des postes élevés au sein du gouvernement socialiste et qu'ils continuent à proférer des menaces à l'endroit du père et de la famille du demandeur. Le demandeur a été confronté à ces différentes versions. Il a répondu qu'au point d'entrée, on lui avait demandé d'écrire « un bref récit » et que c'était la raison pour laquelle il n'était pas entré dans les détails au sujet des aspects politiques de son histoire. Cette explication ne m'apparaît pas raisonnable. À cet égard, je conclus que le récit circonstancié du demandeur n'est pas crédible pour les motifs précités. J'estime que le premier récit circonstancié du demandeur est plus exact, pour ce qui est des faits relatifs au demandeur, et j'y ajoute foi. Ainsi que le juge Martineau l'a fait remarquer à titre incident dans le jugement Lubana : « Le premier récit que fait une personne est généralement le plus fidèle et, de ce fait, celui auquel il faut ajouter le plus de foi. »

 

                                    [Non souligné dans l'original.]

 

 

[13]     Après avoir examiné les éléments de preuve documentaires relatifs à l'Albanie et aux opinions politiques imputées au demandeur et après avoir examiné la crainte de persécution que le demandeur affirme éprouver du fait de son appartenance à un groupe social, en l'occurrence son appartenance à une famille anti-communiste, le tribunal a rejeté la demande d'asile au motif qu'il ne disposait d'aucun élément de preuve convaincant ou crédible pour appuyer les deux moyens invoqués par le demandeur.     

 

[14]      Le tribunal a poursuivi en se demandant si M. Kule était une personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

 

[15]      Le tribunal a précisé que le demandeur [traduction] « a allégué que M. Ferro et ses amis de la mafia lui feraient du tort en raison de la richesse qu'ils attribuaient à son père ». Le tribunal a dit ce qui suit :

[traduction] Compte tenu de mes conclusions au sujet de la crédibilité et de leurs conséquences sur la crédibilité et la fiabilité générales de la preuve du demandeur, j'estime que je ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour pouvoir conclure que le demandeur est personnellement exposé à un risque en Albanie.

 

 

 

[16]    Le tribunal a poursuivi en refusant d'accorder au demandeur la qualité de personne à protéger en vertu des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi.

 

[17]      Il est évident que les conclusions que le tribunal a tirées au sujet de la crédibilité ne sont pas cohérentes. D'une part, le tribunal a jugé crédible la déclaration écrite que le demandeur avait faite au point d'entrée et il y a ajouté foi. Dans cette déclaration, le demandeur désignait M. Ferro comme étant la personne à l'origine du racket de la protection et des menaces dont il continuait à faire l'objet. D'autre part, le tribunal a estimé que M. Kule n'était pas crédible pour ce qui était de sa demande fondée sur l'article 97. 

 

[18]      Pour ces motifs, la décision du tribunal doit être annulée.

 

[19]      Il n'est pas nécessaire que j'examine le moyen subsidiaire que l'avocat du demandeur invoque au sujet de la crainte raisonnable de partialité. Il n'est pas non plus nécessaire que j'examine ce qui constituait peut-être le vice fondamental dont étaient entachées les directives que l'interprète a données au demandeur pour l'aider à rédiger son récit dans sa déclaration au point d'entrée. 

 

[20]      À la page 430 du DCT, l'avocat du demandeur explique ce qui suit au sujet de l'interprète qui se trouvait au point d'entrée : [TRADUCTION[ « la Commission connaît cet interprète et est consciente de son incompétence. Le président de l'audience est au courant de ce fait. »

     

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE : La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et les demandes présentées par le demandeur en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sont renvoyées devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour être examinée par un tribunal différemment constitué. La présente affaire ne soulève aucune question à certifier puisque la décision de la Cour est une décision d'espèce.

 

« François Lemieux »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4993-05

 

INTITULÉ :                                                               OLSI KULE c. MCI

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 17 MAI 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                               LE 16 JUIN 2006      

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey Goldman

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Alison Engel-Yan

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey Goldman

Avocat

POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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