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Date : 20211117


Dossier : IMM‑3363‑20

Référence : 2021 CF 1251

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

ABDILLE HASSAN AHMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a refusé une demande pour considérations d’ordre humanitaire. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée, car la décision de l’agent est raisonnable.

II. Contexte

[2] Le demandeur a présenté une première demande d’asile fondée sur son allégation selon laquelle il avait été enlevé et torturé par Al Chabaab pour avoir exploité une école musulmane soufie en Somalie.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile au motif que le demandeur manquait de crédibilité. Selon la SPR, le demandeur avait, de fait, menti dans sa demande et n’avait pas réussi à réfuter la preuve du ministre, selon laquelle le demandeur avait affiché sur Facebook des images de lui en voyage un peu partout en Afrique, et ce, à l’époque où il prétend avoir été détenu par Al Chabaab.

[4] Ayant été débouté en appel devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR), le demandeur a présenté une demande pour considérations d’ordre humanitaire.

[5] Sa demande pour considérations d’ordre humanitaire était fondée sur deux motifs : l’établissement au Canada, ainsi que les risques et les conditions défavorables dans le pays du demandeur ayant trait à Al Chabaab. L’agent a conclu que, selon l’évaluation générale des facteurs proposés, liés aux considérations d’ordre humanitaire, une dispense pour de telles considérations n’était pas justifiée dans les circonstances.

[6] Lorsqu’il a examiné les risques et les conditions défavorables dans le pays du demandeur, l’agent a accordé une importance considérable à la décision de la SPR en fonction de l’expertise relative du tribunal et de la possibilité qu’ont eue les membres de ce dernier de procéder à un examen plus approfondi concernant le demandeur durant l’audience. Il convient de noter que le demandeur n’a ni réfuté les conclusions défavorables de la SPR ni établi que les membres de sa famille en Somalie éprouvaient des difficultés liées aux conditions dans le pays ou aux activités d’Al Chabaab.

[7] En ce qui concerne l’établissement au Canada, l’agent n’a accordé que peu d’importance à la preuve présentée par le demandeur et a conclu qu’il n’était pas rare que les personnes résidant au Canada exercent un emploi, suivent des cours, participent à des activités religieuses ou s’intègrent en quelque sorte à leur communauté.

III. Analyse

[8] Il ne fait aucun doute que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, en vertu du cadre établi par l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy].

[9] La décision quant à une demande pour considérations d’ordre humanitaire présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 est hautement discrétionnaire. Le fardeau de démontrer que l’exercice du pouvoir discrétionnaire est déraisonnable incombe au demandeur. Comme il a été conclu dans la décision Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 848 :

[9] Les parties conviennent, tout comme moi, que le contrôle de la décision d’un agent d’immigration quant à des considérations d’ordre humanitaire commande la norme de la décision raisonnable : Vavilov au para 25. Il incombe au demandeur de prouver que la décision est déraisonnable. Le demandeur doit établir que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence, ou que la décision est indéfendable compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle : Vavilov aux para 100 à 103.

[10] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir discrétionnaire d’octroyer le statut de résident permanent à un étranger s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient. La disposition n’énonce toutefois pas les considérations particulières à prendre en compte, sinon que le ministre doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[11] Les Lignes directrices ministérielles énumèrent un certain nombre de facteurs à prendre en compte dans les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, dont l’établissement au Canada, les liens avec le Canada, les conditions défavorables dans le pays d’origine du demandeur, et des facteurs relatifs à la santé. Les facteurs énumérés dans les Lignes directrices ne sont toutefois pas restrictifs : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 27 et 31 [Kanthasamy].

[13] Les considérations d’ordre humanitaire ne doivent pas être examinées séparément; il faut procéder à une évaluation globale de tous les facteurs pertinents : Kanthasamy au para 28. Les agents appelés à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doivent véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à leur connaissance et leur accorder du poids : Kanthasamy au para 25.

[10] Une décision relative aux considérations d’ordre humanitaire dépend de l’évaluation individuelle de facteurs non exhaustifs en fonction des circonstances particulières d’une affaire donnée. Une telle décision sert à déterminer si un demandeur serait exposé à des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées » qui dépassent le seuil minimal de difficultés associées au fait de devoir quitter le Canada.

A. Risques et conditions défavorables dans le pays

[11] Le demandeur a peu traité la question du risque ou des conditions défavorables dans son pays d’origine, et n’a pas tenté de réfuter ou d’améliorer les conclusions de la SPR à cet égard. Il était raisonnable que l’agent se fie à la SPR, car cette dernière disposait de l’expertise et de tous les renseignements et était la mieux placée pour évaluer les faits et la crédibilité du demandeur. Il aurait été purement et simplement déraisonnable de la part de l’agent de ne pas tenir compte des constatations de la SPR.

[12] Le demandeur n’est pas parvenu à affaiblir la décision de la SPR : sous réserve d’une certaine adaptation à son retour en Somalie, le demandeur n’a donc aucun motif pour contester la conclusion de l’agent sur cette question. Par conséquent, il ne restait plus au demandeur que son argument selon lequel la décision de l’agent sur la question de « l’établissement au Canada » était déraisonnable.

B. Établissement

[13] Tel qu’il a été conclu dans l’arrêt Kanthasamy, les lignes directrices ministérielles relatives aux demandes pour considérations d’ordre humanitaire dressent la liste non exhaustive des facteurs à prendre en considération, y compris l’établissement au Canada. L’analyse de demandes pour considérations d’ordre humanitaire est une évaluation globale de l’ensemble des facteurs pertinents; aucun facteur en particulier n’est nécessairement prioritaire, et aucun facteur n’a à être « exceptionnel ». Ce qui est exceptionnel, c’est la dispense. Les critères, cependant, sont les « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ».

[14] Le demandeur invoque des décisions telles que Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336, où la Cour a conclu qu’il n’était pas adéquat qu’un agent analyse le degré d’établissement d’un demandeur au Canada pour déterminer si ce dernier pourrait exercer les mêmes activités dans son pays d’origine. La présente affaire se distingue de cette dernière, car l’agent n’a pas conclu que le facteur de l’établissement au Canada du demandeur était déterminant. Il était raisonnable que l’agent tienne compte du fait qu’il n’est pas rare de trouver un emploi et d’établir des liens communautaires. Il est raisonnable de s’attendre à voir de telles interactions sociales.

[15] L’agent a tenu compte de l’emploi et des études du demandeur, et des lettres de soutien fournies par des proches, une mosquée et des centres communautaires. Or, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que la cessation de ces activités et de ces interactions n’occasionnerait pas de difficultés démesurées. Cela semble particulièrement vrai étant donné que l’épouse, les enfants, la mère, ainsi que les frères et sœurs du demandeur demeurent toujours en Somalie.

[16] L’agent ne s’est pas fié à leurs commentaires au sujet de la capacité du demandeur à se réadapter à la culture somalie pour affaiblir les allégations relatives à l’établissement au pays de ce dernier. Ces questions, comme le soutient le demandeur, sont pertinentes pour traiter les questions liées au risque à son retour au pays et aux conditions dans ce pays.

[17] Rien ne justifie de modifier les conclusions de l’agent en ce qui concerne l’établissement au Canada.

IV. Conclusion

[18] Par conséquent, dans son ensemble, la décision est raisonnable : les conclusions ayant trait aux facteurs propres aux considérations d’ordre humanitaire étaient raisonnables. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19] Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3363‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3363‑20

 

INTITULÉ :

ABDILLE HASSAN AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Alp Debreli

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alp Debreli

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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