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Date : 20211117


Dossier : IMM-7897-19

Référence : 2021 CF 1257

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2021

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

FLAVIO MONTE-TAVARES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le 21 novembre 2019, le demandeur, M. Monte-Tavares, a été informé qu’il serait renvoyé du Canada le 3 janvier 2020. Il a demandé à un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’agent d’exécution de la loi) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de reporter son renvoi, en invoquant l’intérêt supérieur des enfants touchés par son départ, une demande de parrainage de conjoint en suspens et la possibilité de porter sa déclaration de culpabilité en appel. L’agent d’exécution de la loi a rejeté la demande de report le 31 décembre 2019. La Cour est maintenant saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de rejeter la demande présentée par M. Monte-Tavares pour faire reporter son renvoi du Canada.

[2] M. Monte-Tavares a demandé à la Cour de surseoir à son renvoi en attendant la conclusion du présent contrôle judiciaire. Le 3 janvier 2020, le juge Ahmed a accueilli la requête et a sursis à la mesure de renvoi de M. Monte-Tavares jusqu’à ce que la présente demande de contrôle judiciaire soit tranchée.

[3] Pour les motifs que j’expliquerai en détail ci-après, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conclus que dans son évaluation de l’intérêt supérieur à court terme des enfants, l’agent d’exécution de la loi n’a pas bien compris les difficultés liées aux soins des enfants que devra surmonter la famille.

II. Contexte factuel

[4] M. Monte-Tavares est un citoyen du Portugal. Il est arrivé au Canada en juillet 2015 avec un visa de visiteur. Depuis 2017, il est marié à une citoyenne canadienne qui a trois enfants, eux-mêmes citoyens canadiens. M. Monte-Tavares est donc le beau-père des trois enfants de sa femme, qui étaient respectivement en première, troisième et quatrième années au moment de la demande de report. Le père biologique des enfants n’est pas présent dans leur vie. Ces dernières années, notamment durant l’examen de la demande de report, M. Monte-Tavares s’occupait au quotidien des enfants pendant que sa femme, leur mère, travaillait.

[5] En juin 2018, M. Monte-Tavares a été déclaré coupable d’avoir agressé sa femme et d’avoir proféré des menaces à l’endroit de cette dernière. À la suite de ces condamnations, il a été déclaré interdit de territoire au Canada pour criminalité, en application de l’alinéa 36(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). M. MonteTavares a affirmé, dans sa demande de report, que son ancien avocat ne l’avait pas prévenu des conséquences qu’aurait sur son dossier d’immigration le fait de plaider coupable à l’égard des infractions susmentionnées. Dans son affidavit, sa femme a aussi déclaré que son mari avait été mal conseillé au sujet du plaidoyer de culpabilité et qu’il n’avait fait de mal ni à elle ni à ses enfants.

[6] La demande de report était en partie fondée sur le fait qu’il voulait avoir la possibilité de poursuivre l’appel de sa condamnation au criminel. À l’audience, le nouvel avocat du demandeur a indiqué que la condamnation n’avait pas été portée en appel et qu’il n’utiliserait pas cet argument à l’appui de la demande de contrôle judiciaire.

[7] M. Monte-Tavares et sa femme ont déposé une demande de parrainage de conjoint en octobre 2019. Elle était toujours en instance au moment où la demande de report était analysée.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[8] La question déterminante en l’espèce concerne la manière dont l’agent d’exécution de la loi a traité l’intérêt supérieur à court terme des trois enfants directement touchés par le renvoi du demandeur du Canada. Pour étayer sa contestation du rejet, le demandeur a invoqué un problème lié au fait que l’agent d’exécution de la loi avait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Or, il n’a avancé aucun argument précis pour démontrer que l’agent avait effectivement entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire au moment d’examiner la question de l’intérêt supérieur à court terme des enfants. Ses arguments concernent plutôt le fait que l’agent n’aurait pas dûment tenu compte de l’intérêt supérieur à court terme des enfants au regard des faits en l’espèce. Puisque les arguments ont ainsi été présentés dans la demande, j’estime que la question soulevée n’en est pas une d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[9] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], a confirmé que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui s’applique par présomption lorsqu’une décision administrative est examinée sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de déroger à cette présomption.

IV. Analyse

[10] Selon le paragraphe 48(2) de la LIPR, les mesures de renvoi exécutoires qui visent des étrangers doivent être « exécutée[s] dès que possible ». Cette disposition a été interprétée comme signifiant que les agents d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’ASFC qui sont responsables d’organiser le renvoi des personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire disposent d’un pouvoir discrétionnaire limité de reporter ce renvoi (Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 au para 51; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 au para 54 [Lewis]).

[11] Dans l’arrêt Lewis, la Cour d’appel fédérale a confirmé que, dans les limites de ce pouvoir discrétionnaire restreint dont ils disposent, les agents chargés du renvoi peuvent tenir compte de l’intérêt supérieur à court terme de l’enfant si cette question a été soulevée dans la demande visant à reporter le renvoi. Il n’est pas nécessaire que l’intérêt supérieur des enfants fasse l’objet d’une véritable appréciation (Lewis, au para 82). Parmi les facteurs ayant déjà été reconnus par le passé aux fins de l’analyse de l’intérêt supérieur à court terme des enfants, mentionnons la possibilité de terminer l’année scolaire, les dispositions qui devront être prises pour qu’ils reçoivent des soins adéquats s’ils demeurent au Canada ou la nécessité d’assurer le bien-être des enfants qui exigent des soins médicaux continus au Canada (Lewis, au para 83; Toney c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1018 au para 50).

[12] En l’espèce, les documents dont disposait l’agent d’exécution de la loi indiquaient que le demandeur, qui n’avait pas les autorisations nécessaires en matière d’immigration pour pouvoir travailler au Canada, était le parent qui veillait aux besoins quotidiens des enfants. Il les conduisait à l’école le matin, s’en occupait au retour à la maison et veillait sur eux quand ils étaient malades et s’absentaient de l’école.

[13] L’agent d’exécution de la loi a reconnu que le renvoi de M. Monte‑Tavares entraînerait une [traduction] « période d’ajustement » pour les enfants et qu’il s’agirait pour eux d’une [traduction] « situation émotive ». Il a également fait remarquer qu’étant citoyens du Canada, les enfants et leur mère avaient accès aux [traduction] « programmes sociaux canadiens », notamment [traduction] « à de l’assistance sociale, à des soins de santé et à une éducation ». Il a par ailleurs souligné qu’il était [traduction] « important de noter que Mme Monte Tavares a[vait] présenté une demande pour parrainer son conjoint, M. Monte‑Tavares », et que [traduction] « si cette demande [étai]t approuvée, alors M. Monte‑Tavares pourr[ait] revenir au Canada ».

[14] Les conclusions de l’agent d’exécution de la loi sur la capacité de la famille à poursuivre la demande de parrainage pendant que le demandeur serait à l’extérieur du Canada s’opposent peut-être à sa déclaration selon laquelle la femme de celui-ci pourrait s’occuper toute seule des enfants, pendant une courte période, si elle bénéficiait d’assistance sociale. En effet, l’alinéa 133(1)k) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002-227, a pour effet d’exclure les demandes de parrainage présentées par un répondant qui est bénéficiaire d’assistance sociale pour un motif autre que l’invalidité.

[15] Comme l’a souligné la Cour d’appel dans l’arrêt Lewis, « même en ce qui concerne l’intérêt de l’enfant à court terme, l’agente d’exécution devait être réceptive, attentive et sensible à ces questions et était tenue de leur consacrer une brève considération raisonnable » (au para 88). En l’espèce, je ne suis pas convaincue que l’agent d’exécution de la loi en l’espèce ait tenu compte de cette contrainte juridique à l’égard des demandes de parrainage de conjoint, ni de ses conséquences sur les dispositions que devrait prendre la famille pour répondre aux besoins à court terme des enfants une fois le demandeur renvoyé. Puisqu’elle ne traite pas de cette question, la décision de l’agent ne tient pas compte de la situation à laquelle la famille ferait face à court terme, à savoir qu’elle devrait demeurer admissible au parrainage, continuer d’assurer sa subsistance et prendre sans délai des dispositions pour que quelqu’un s’occupe des enfants. À l’instar de la juge McDonald dans l’affaire Ismail c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 845, je ne crois pas en l’espèce que l’agent d’exécution de la loi se soit rendu compte de la réalité à laquelle la famille serait confrontée immédiatement après le renvoi du demandeur du Canada (au para 15). L’évaluation qu’a faite l’agent d’exécution de la loi des dispositions que devrait prendre la famille au lendemain du renvoi de M. Monte-Tavares pour que quelqu’un prenne soin des enfants n’était pas réaliste ni raisonnable compte tenu des circonstances (Lewis, au para 92).

[16] Par conséquent, je suis d’avis que la décision de l’agent d’exécution de la loi n’était pas raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la demande de report du renvoi est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

[17] Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7897-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision;

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


INTITULÉ :

FLAVIO MONTE-TAVARES c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 17 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

John W. Grice

 

Pour le demandeur

Samina Essajee

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John W. Grice

Grice & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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