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Date : 20211122


Dossier : IMM‑7573‑19

Référence : 2021 CF 1276

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

CHIEDU JOSEPHINE IRIEKPEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] À l’appui de sa demande de permis d’études, Chiedu Josephine Iriekpen a fourni des éléments de preuve des avoirs de son mari sous la forme de relevés bancaires. Un agent des visas a soulevé des doutes non précisés concernant l’authenticité des documents et a demandé des relevés « MyBank » portant sur une période d’un an, en ajoutant qu’aucune autre réponse ne serait acceptée. Mme Iriekpen a fourni des relevés bancaires portant sur une année ainsi que des lettres de confirmation provenant des banques de son mari, mais n’a pas fourni les relevés MyBank demandés. Un autre agent des visas qui a examiné la demande [l’agent examinateur] a conclu que Mme Iriekpen ne s’était pas conformée à son obligation au titre de l’article 16 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] de donner « tous éléments de preuve pertinents et [de] présenter les […] documents requis » et qu’elle n’avait donc pas été sincère dans sa demande. La demande de permis d’études dont il est question en l’espèce a été refusée dans une lettre datée du 3 septembre 2019.

[2] L’agent examinateur n’a apparemment pas pu établir le fondement du doute original soulevé au sujet d’une fraude. Quoi qu’il en soit, l’agent examinateur n’a pas évalué les documents présentés et n’a donné aucune raison pour laquelle leur présentation permettait de douter de la sincérité de Mme Iriekpen.

[3] Je suis d’accord avec Mme Iriekpen pour dire que la décision de l’agent des visas était déraisonnable. Je ne suis pas en mesure, à la lumière des motifs et du dossier, d’évaluer le caractère raisonnable de la demande de présentation des relevés MyBank. En outre, il est impossible de comprendre à partir du raisonnement de l’agent examinateur s’il a considéré que les relevés MyBank étaient nécessaires, s’il avait des doutes au sujet des documents fournis ni les raisons pour lesquelles le fait de ne pas présenter les documents demandés indiquait que Mme Iriekpen n’était pas sincère.

[4] Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire et la demande de permis d’études de Mme Iriekpen est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

II. Question en litige et norme de contrôle

[5] La demande de contrôle judiciaire de Mme Iriekpen soulève une seule question : le refus par l’agent des visas de la demande de permis d’études en cause était‑il déraisonnable?

[6] Il ne fait pas de doute que la décision de l’agent des visas de refuser un permis d’études est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17, 23–25 [Vavilov]; Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 au para 8. Une décision raisonnable est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles, est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et tient compte des observations des parties : Vavilov, aux para 15, 85, 95, 127–128. Le caractère raisonnable d’une décision doit être évalué dans le contexte, en étant attentif au cadre administratif dans lequel elle est rendue : Vavilov, aux para 67, 89–96.

[7] Le « contexte administratif » de la décision de l’agent des visas compte notamment comme élément les quantités énormes de demandes de visa et de permis que doivent traiter les bureaux de visas des missions canadiennes : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khan, 2001 CAF 345 au para 32; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 aux paras 15, 17. En raison du contexte susmentionné et de la nature de la demande de visa et du refus, la Cour reconnaît que les exigences de l’équité et la nécessité de fournir des motifs se situent habituellement à l’extrémité inférieure du continuum : Khan, aux para 31‑32; Yuzer, aux para 16, 20; Touré c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 932 au para 11.

[8] Les motifs des décisions des agents des visas peuvent être concis, mais ils doivent être suffisants pour permettre de comprendre pourquoi une demande a été refusée : Yuzer au para 9; Patel, aux para 15–17; Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245 au para 13. Les agents des visas peuvent notamment utiliser des gabarits, des cases à cocher ou des lettres types pour motiver leurs décisions, à condition qu’ils y apportent « les modifications nécessaires ou rend[ent] des motifs qui révéleraient leur raisonnement de manière intelligible, et ils devraient traiter des éléments de preuve pouvant contredire d’importantes conclusions factuelles » : Ekpenyong, au para 23.

[9] Dans ses observations écrites, Mme Iriekpen a également soulevé des allégations de partialité de la part de l’agent des visas. Toutefois, ces observations se résumaient à des affirmations non étayées selon lesquelles la décision de l’agent des visas était [traduction] « entachée de partialité » et que l’agent a [traduction] « manifestement fait preuve de partialité ». L’argument de la partialité n’a pas été retenu à l’audience. Le dossier ne révèle aucune preuve à l’appui d’une conclusion de partialité ni même d’une allégation de partialité de la part de l’agent.

III. Analyse

A. La demande de permis d’études et la lettre relative à l’équité procédurale

[10] Mme Iriekpen, une ressortissante nigériane, a été acceptée dans le programme de travail social du Sheridan College en août 2018. Ses études devaient commencer en janvier 2019. Mme Iriekpen a d’abord présenté une demande de permis d’études au Canada le 26 septembre 2018, mais sa demande a été refusée le 15 octobre 2018. Mme Iriekpen a déposé une demande de contrôle judiciaire du refus, qui a été abandonnée en janvier 2019 lorsque le ministre a consenti à un nouvel examen de la demande.

[11] À l’appui de sa demande de réexamen, Mme Iriekpen a présenté des documents montrant son admission au programme du Sheridan College, ses antécédents scolaires, ses antécédents de voyage, ses liens financiers et familiaux avec le Canada et le Nigéria, et les raisons pour lesquelles elle voulait étudier en travail social. En ce qui concerne sa situation financière, elle a déposé un reçu du paiement de ses droits de scolarité, une lettre de parrainage de son mari et des relevés bancaires des comptes bancaires de son mari auprès de la Guaranty Trust Bank Ltd et de l’Access Bank, ainsi qu’une lettre de recommandation émise par la GT Bank à l’égard de son mari.

[12] Le 21 février 2019, un agent des visas du Haut‑Commissariat du Canada au Kenya, à Nairobi, a envoyé à Mme Iriekpen une « lettre relative à l’équité procédurale » faisant part de ses doutes concernant sa demande et lui donnant l’occasion d’y répondre. La lettre relative à l’équité disait essentiellement ce qui suit :

[traduction]

Plus précisément, j’ai des raisons de croire que les relevés bancaires (GT Bank et Access Bank) qui accompagnent votre demande sont frauduleux. Afin de dissiper mes doutes, vous devez fournir des relevés MyBank. Aucune autre réponse ne sera acceptée. Vous pouvez vous rendre dans votre succursale bancaire ou utiliser votre compte bancaire en ligne pour demander « une attestation MyBank » en précisant qu’elle est destinée à « l’Ambassade du Canada ». La période visée doit correspondre à la dernière année à partir de la date de la présente demande.

[…]

Vous devez répondre à la présente demande par courriel dans les 7 jours en fournissant une copie PDF de votre « attestation MyBank » qui contient l’identifiant de l’attestation et le code d’accès correspondant. Si la demande est effectuée en ligne, vous pouvez envoyer le fichier PDF original. Si vous vous rendez dans votre succursale, vous devrez numériser la copie papier de votre « attestation MyBank » en format PDF. Rappelez‑vous de préciser votre numéro de dossier dans votre message de réponse.

[Non souligné dans l’original.]

[13] Mme Iriekpen a répondu rapidement en présentant des relevés bancaires d’une période d’un an, signés par un agent de banque, et des lettres de recommandation des banques émettrices des relevés. Elle a également présenté une lettre de M. Iriekpen dans laquelle celui‑ci exprime son étonnement et sa consternation au sujet de l’allégation de fraude, fait référence à son poste de rédacteur en chef dans la principale société de publication de journaux du Nigéria et invite l’agent à confirmer l’authenticité des relevés au moyen d’une vérification auprès de la banque. Mme Iriekpen n’a pas justifié le format des relevés fournis, format qui n’était pas celui d’un relevé MyBank. Bien que Mme Iriekpen ait déposé un affidavit supplémentaire d’explications devant notre Cour, les renseignements n’étaient pas à la disposition de l’agent des visas et doivent être exclus de l’évaluation du caractère raisonnable de la décision lors du contrôle judiciaire : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 18–20.

[14] J’ouvre ici une parenthèse pour signaler qu’aucune des parties n’a déposé de preuve de ce qu’est un « relevé MyBank ». Il n’y a rien non plus dans le dossier certifié du tribunal qui explique ce dont il s’agit ou son utilisation par les bureaux des visas. En se fondant sur la référence qui y est faite dans la lettre relative à l’équité procédurale et les déclarations des avocats, la Cour en déduit qu’il s’agit d’un système de confirmation électronique des données au moyen duquel les relevés bancaires sont transmis au bureau des visas.

B. La décision de refus

[15] Le 5 mars 2019, un agent a examiné la réponse de Mme Iriekpen à la lettre relative à l’équité procédurale [la lettre EP] et a consigné la note suivante dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) :

[traduction]

La demanderesse a répondu à la lettre EP, déclare que ses relevés bancaires ne sont pas frauduleux et demande une vérification exhaustive. La demanderesse a fourni des relevés et des lettres de recommandation bancaires au lieu de l’état de compte MyBank. Dossier remis à l’agent pour examen.

[16] Pendant des mois, Mme Iriekpen n’a rien reçu. Elle s’est renseigné sur sa demande en mai et a appris que sa demande était toujours en cours d’examen. Le 27 août et le 3 septembre 2019, elle a reçu des lettres concernant ses données biométriques. Toutefois, entre‑temps, sa demande avait été évaluée le 6 août 2019 et une lettre de refus a été envoyée le 3 septembre 2019. Mme Iriekpen n’a pas reçu la lettre jusqu’à ce qu’elle soit envoyée à son avocat le 16 décembre 2019 à la suite des communications de suivi que celui‑ci avait effectuées d’octobre à décembre 2019.

[17] La lettre de décision datée du 3 septembre 2019 énonce les motifs du refus à l’aide d’une lettre type qui comporte des cases à cocher. La lettre fait référence de manière générale aux facteurs dont l’agent tient compte pour évaluer une demande de visa de résident temporaire. Elle contient ensuite diverses cases de raisons possibles d’un refus. Les seules cases cochées dans le cas de Mme Iriekpen comportaient le texte suivant :

[traduction]

Vous ne m’avez pas convaincu/convaincue que vous quitteriez le Canada à la fin de votre séjour à titre de résident temporaire. Pour en arriver à la présente décision, j’ai tenu compte de plusieurs facteurs, notamment :

Vos biens personnels et votre situation financière

Vous avez un objectif légitime concernant des activités commerciales au Canada

[18] Les notes du SMGC entrées le 6 août 2019 fournissent des renseignements supplémentaires sur les motifs du refus. Elles sont ainsi rédigées :

[traduction]

La demanderesse principale [la DP] n’a pas fourni les renseignements MyBank comme demandé par l’agent des visas [l’AV]. L’AV n’a pas explicité les éléments du relevé bancaire qui l’ont amené à croire que le document était frauduleux. Je ne suis donc pas convaincu que le DP a fait une fausse déclaration. En même temps, la DP est tenue de fournir les renseignements demandés par l’AV et ne l’a pas fait. Je ne suis pas convaincu que la DP a été sincère dans sa demande. Demande refusée.

[Non souligné dans l’original.]

[19] Bien que la case « Vous avez un objectif légitime concernant des activités commerciales au Canada » soit cochée dans la lettre de décision, la demande de Mme Iriekpen n’avait pas un but commercial, et les notes ne mentionnent aucun doute quant à ses études prévues. L’avocat du ministre a admis qu’il ne savait pas pourquoi la case était cochée. Bien que l’élément qui précède soulève un doute quant à la transparence de la décision, la question fondamentale, à mon avis, est de savoir si le doute concernant les « biens personnels et la situation financière » de Mme Iriekpen et en particulier quant à sa sincérité, fondé sur l’absence de relevés MyBank, était raisonnable.

C. La décision de refus était déraisonnable

[20] Le paragraphe 16(1) de la LIPR énonce ce qui suit :

Obligation du demandeur

Obligation — answer truthfully

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[21] L’obligation énoncée à l’article 16 concerne les renseignements et tous éléments de preuve « pertinents » qui sont « requis », ce qui constitue une restriction du pouvoir discrétionnaire autrefois absolu dont disposaient les agents pour demander des documents : Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1230 au para 9. Notre Cour a évalué dans diverses affaires la pertinence et le caractère raisonnable d’une demande de documents : Lan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 770 aux para 12–15; Zhou, aux para 15–22; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ndayinase, 2016 CF 694, aux para 27‑28; Paddayuman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 287 aux paras 28‑32; San Juan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 434 aux paras 10‑17.

[22] En l’espèce, vu l’absence d’éléments de preuve et les motifs limités de l’agent des visas, il est difficile d’évaluer le caractère raisonnable de la demande de relevés MyBank de la part du premier agent et son refus d’accepter toute autre réponse. Rien n’indique la nature des doutes de l’agent concernant l’authenticité des relevés originaux. En effet, l’agent examinateur ne connaissait apparemment pas la nature de ces doutes, se contentant de noter que le précédent [traduction] « agent des visas n’a pas explicité les éléments du relevé bancaire qui l’ont amené à croire que le document était frauduleux ». En outre, le dossier ne fournit aucun renseignement sur les relevés MyBank : rien sur leur nature ni sur une quelconque politique du bureau des visas selon laquelle il convient d’exiger ces relevés à l’exclusion de toute autre preuve.

[23] L’agent examinateur n’a signalé aucun problème quant aux documents fournis, si ce n’est qu’il a noté qu’il ne s’agissait pas de relevés MyBank.

[24] Le ministre soutient que l’auteur d’une demande doit obligatoirement fournir les documents demandés au titre de l’article 16, de sorte que si les documents demandés ne sont pas fournis, l’agent des visas n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’examiner tout autre document fourni en vue d’établir l’admissibilité d’un demandeur à un visa ou de dissiper des doutes. Je ne peux pas accepter l’affirmation qui précède. Bien que l’article 16 prévoit qu’un demandeur doit produire « tous éléments de preuve pertinents et présenter les […] documents requis », il n’a pas pour objet de supprimer le pouvoir discrétionnaire de l’agent examinateur d’apprécier les éléments de preuve dont il dispose. En effet, notre Cour a cité l’article 16 comme étant une « disposition discrétionnaire » : Mescallado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 462 au para 22; Muthui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 105 au para 32.

[25] Dans la décision Paddayuman, l’agent a demandé divers documents liés aux accusations criminelles portées contre le demandeur aux Philippines, notamment des témoignages, des affidavits, des ordonnances judiciaires et des documents de règlement. Le demandeur a fourni certains renseignements, notamment des certificats de décharge, mais n’a pas produit tous les documents demandés. L’agent a expressément examiné si les renseignements fournis étaient suffisants, et a conclu qu’ils ne l’étaient pas : Paddayuman aux para 8‑10. Le juge Manson a conclu que même si la demande de documents était raisonnable au moment où elle a été faite, il était déraisonnable pour l’agent de refuser la demande au motif que le demandeur n’avait pas fourni les documents demandés :

L’agent a commis une erreur en rejetant la demande au motif que la demanderesse n’avait pas produit d’élément de preuve pertinent. Bien qu’il ait été raisonnable pour lui de demander les documents énumérés aux points cinq et six de la lettre du 17 mai 2018, après avoir reçu les éléments de preuve de la demanderesse, l’agent a déraisonnablement omis d’évaluer la demande sur le fondement des documents fournis. En l’espèce, il y a omission d’examiner raisonnablement la preuve fournie en tenant compte du contexte.

[…]

Bien que la demanderesse n’ait pas produit les ordonnances judiciaires rejetant chacune des accusations comme l’a demandé l’agent, elle a produit le certificat de bonne conduite de 2018 ainsi que deux certificats antérieurs qui indiquent la date des ordonnances judiciaires et le nom du juge qui a rendu chacune des ordonnances et qui contiennent un extrait du dispositif de l’ordonnance de 1993.

L’agent n’a pas remis en question l’authenticité des documents soumis par la demanderesse. Si l’agent a accepté les éléments de preuve de M. Paddayuman comme il semble l’avoir fait, il n’y a qu’une seule conclusion raisonnable : M. Paddayuman n’a pas commis d’actes qui emporteraient interdiction de territoire au Canada pour criminalité au sens des alinéas 36(1)c) et 36(2)c) de la LIPR.

[Non souligné dans l’original; Paddayuman aux para 28–32.]

[26] L’agent qui a examiné la demande de Mme Iriekpen n’a pas non plus donné son évaluation des documents présentés, même s’il n’a apparemment pas mis en doute leur authenticité.

[27] Le ministre s’appuie sur la décision Zhou dans laquelle le juge Zinn a confirmé le rejet d’une demande fondée sur le paragraphe 16(1) de la LIPR. Toutefois, dans la décision Zhou, le refus de l’agent ne découlait pas simplement du fait que les documents demandés n’avaient pas été fournis. L’agent a plutôt écrit qu’il ne pouvait effectuer une évaluation adéquate de l’admissibilité du demandeur en raison du défaut de celui‑ci de fournir les documents demandés : Zhou, au para 5. le juge Zinn a conclu que la contestation du demandeur équivalait à un désaccord avec l’évaluation du poids accordé aux renseignements qu’il avait fournis et a estimé que la décision de l’agente était raisonnable compte tenu du peu de renseignements fournis par le demandeur : Zhou, au para 22.

[28] En l’espèce, l’agent des visas n’a donné aucun motif de refus autre que le fait que les relevés MyBank ont été demandés, mais n’ont pas été fournis. Contrairement à ce que soutient le ministre, je ne peux pas interpréter les motifs de l’agent des visas comme une manière de dire que les éléments de preuve fournis étaient insuffisants. Aucune évaluation n’a été faite de la suffisance ou de l’authenticité des relevés bancaires fournis ni des lettres de confirmation émises par les banques. Il n’y a pas non plus d’explication à la conclusion selon laquelle le fait de fournir les relevés bancaires et les lettres de confirmation plutôt que les relevés MyBank aurait une incidence sur l’évaluation de la sincérité de Mme Iriekpen.

[29] La situation en l’espèce est différente de celle de Zhou, où le demandeur « souhaitait réellement que l’agente accepte sa parole » : Zhou, au para 22. Mme Iriekpen a fourni des renseignements censés provenir des banques, sur du papier à en‑tête de la banque, avec les noms, titres et numéros de téléphone de personnes, et a invité l’agent à les vérifier. Je suis d’accord avec le ministre pour dire que rien n’oblige un agent à entreprendre une vérification indépendante. Toutefois, comme le juge Russell l’a signalé dans la décision Paxi, à première vue, les éléments « ne sont pas […] les signes d’un faux document » : Paxi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 905 au para 52. En l’espèce, l’agent n’a pris aucune décision quant à l’authenticité des relevés et n’a procédé à aucune évaluation de ceux‑ci dans le contexte de la demande.

[30] Il n’est pas question ici de prétendre qu’il est nécessairement déraisonnable pour un agent de demander des relevés MyBank à l’exclusion de toute autre preuve ni qu’un agent faisant une telle demande doive nécessairement expliquer en détail les raisons pour lesquelles il soupçonne une fraude. En l’espèce, la Cour ne dispose simplement d’aucun élément dans le dossier qui lui permette de déterminer le motif de la demande du premier agent ou le caractère raisonnable de celle‑ci. L’agent examinateur n’a pas non plus évalué les documents qui ont été fournis ni la nécessité d’un relevé MyBank. L’absence de renseignements qui en résulte complique également l’évaluation ou l’acceptation de l’argument de Mme Iriekpen selon lequel un relevé MyBank n’est pas en fait un document différent, mais plutôt le même document transmis par un moyen différent.

[31] Je me demande certainement pourquoi Mme Iriekpen n’a pas expliqué dans sa réponse à la lettre relative à l’équité pourquoi elle n’a pas présenté les documents MyBank demandés avec insistance par le premier agent. Une telle explication de la raison pour laquelle les documents n’avaient pas été présentés a été donnée dans Zhou et a été particulièrement centrale dans la décision de la Cour dans San Juan : Zhou, aux para 18, 22; San Juan aux para 15–17. Toutefois, bien que l’absence d’explication de la part de Mme Iriekpen puisse raisonnablement être pertinente dans l’évaluation qu’a faite l’agent des visas des documents déposés, à mon avis, elle ne supprime pas la nécessité d’entreprendre une telle évaluation.

[32] Même à la lumière de l’obligation minimale de donner des motifs, je conclus que la décision de l’agent des visas ne respecte pas les exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification attendues d’une décision raisonnable.

IV. Conclusion

[33] Par conséquent, il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire et la demande de permis d’études de Mme Iriekpen est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[34] Aucune partie n’a proposé de question à certifier. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑7573‑19

LA COUR STATUE :

  1. Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire. Le refus du 3 septembre 2019 de la demande de permis d’études qu’a présenté Chiedu Josephine Iriekpen est annulé et la demande de celle‑ci est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7573‑19

 

INTITULÉ :

CHIEDU JOSEPHINE IRIEKPEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 22 novEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Edomwonyi Omorotionmwan

Emmanual Omorotionmwan

Yemi Bankole‑Odole

 

Pour la demanderesse

 

Galina M. Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EO Law

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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