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Date : 20211119


Dossier : T‐513‐20

Référence : 2021 CF 1255

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

MARTIN DUHAMEL

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] M. Duhamel [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7, d’une décision datée du 15 avril 2020 par laquelle le directeur exécutif par intérim du Conseil canadien de la magistrature [le CCM] a rejeté sa plainte contre monsieur le juge G. Bruce Butler [le juge Butler]. Au moment de la plainte, le juge Butler était juge à la Cour suprême de la Colombie‐Britannique [CSCB], mais il siège maintenant à la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique.

[2] Le demandeur soutient que le directeur exécutif du CCM n’avait pas le pouvoir de trancher la plainte et, subsidiairement, que la décision est déraisonnable. Il sollicite une ordonnance de certiorari afin que sa plainte soit examinée ou réexaminée par le CCM. Le procureur général du Canada [le défendeur] affirme quant à lui que le directeur exécutif avait le pouvoir de rejeter la plainte et que la décision est raisonnable.

[3] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[4] Le demandeur est membre de la coopérative de crédit Coast Capital Savings Credit Union [Coast Capital]. Il a déposé deux demandes de contrôle judiciaire à la CSCB concernant les étapes suivies par Coast Capital pour devenir une coopérative de crédit sous réglementation fédérale. Le demandeur a désigné Coast Capital et la Commission des institutions financières à titre de défenderesses dans ses demandes. Il n’était pas représenté par un avocat. Le juge Butler a instruit les demandes en 2018 et les a rejetées toutes les deux (2018 BCSC 1309 (S‐179553) et 2018 BCSC 1476 (S‐177966)), et a adjugé des dépens contre le demandeur. Ce dernier n’a pas interjeté appel des décisions du juge Butler.

[5] Le 18 février 2020, le demandeur a présenté sa plainte au CCM en ligne. Cette plainte concernait le traitement des demandes par le juge Butler et les décisions rendues :

[traduction]
Le juge Butler a manqué de respect envers moi, le demandeur, parce qu’il a rendu des décisions qui me sont défavorables sans me fournir d’explications. Il est raisonnable de trouver, lorsqu’on lit les décisions, que le juge Butler avait un parti pris contre moi. En fait, la preuve montre qu’il était conscient de cette partialité. Son comportement constitue une inconduite.

[6] La plainte énonçait six allégations précises concernant le juge Butler, toutes liées à une partialité contre le demandeur ou à un défaut de fournir les motifs des décisions rendues au cours de l’audition des demandes. Plus particulièrement, comme le défendeur l’a résumé, le demandeur a allégué que le juge Butler :

[traduction]
a. N’a pas fourni de motifs pour justifier :

i. ce que le demandeur appelle un [traduction] « ordre de bâillon à vie » rendu contre lui;

ii. le calendrier de gestion d’instance;

iii. toutes les décisions d’exclure des éléments de preuve durant la gestion de l’instance;

iv. la décision de ne pas donner un avis des demandes aux parties qui, selon le demandeur, auraient été touchées par l’issue;

v. la conclusion selon laquelle les allégations contenues dans les demandes concernaient les actes de Coast Capital plutôt que ceux de [la Commission des institutions financières].

b. A fait preuve de partialité envers le demandeur, notamment en ne fournissant pas ses motifs comme il a été allégué précédemment, et en examinant, puis en refusant de trancher, la question de la qualité pour agir du demandeur.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[7] Par une lettre datée du 15 avril 2020, le directeur exécutif par intérim du CCM [le directeur exécutif] a expliqué qu’il avait examiné la plainte dans le cadre du processus d’examen préalable, conformément aux Procédures du Conseil canadien de la magistrature pour l’examen de plaintes ou d’allégations au sujet de juges de nomination fédérale [les Procédures d’examen]. Il a conclu que la plainte ne justifiait pas un examen par le CCM, parce qu’elle ne soulevait pas de question de déontologie concernant le juge Butler.

[8] Dans sa lettre, le directeur exécutif a expliqué que le mandat du CCM, dans le cadre des affaires liées à la conduite d’un juge, est de décider, en fonction des motifs établis dans la Loi sur les juges, LRC 1985, c J‐1, et après une enquête officielle, s’il doit recommander au ministre de la Justice que le Parlement procède à la révocation un juge. Il a également expliqué que le CCM [traduction] « n’est pas un tribunal et n’a pas le pouvoir de contrôler la décision d’un juge afin d’établir si celle‐ci est compatible avec le droit ou la preuve ». Le directeur exécutif a par ailleurs ajouté que les allégations de partialité et d’insuffisance des motifs doivent être plaidées devant les tribunaux, puisqu’il s’agit de questions de nature judiciaire et non de questions de déontologie.

[9] Par conséquent, le directeur exécutif a rejeté la plainte, parce qu’elle [traduction] « ne soulevait pas de question de déontologie concernant le juge Butler ». En ce qui a trait à l’allégation de partialité, il a noté qu’il [traduction] « appartenait [au demandeur] de demander la récusation du juge au moment approprié ou d’interjeter appel » et que [traduction] « rien dans la plainte [du demandeur] ne soulève un problème d’inconduite de la part du juge Butler ». Quant à l’allégation d’absence de motif, il a indiqué que [traduction] « la question de savoir si le juge Butler a fourni des motifs suffisants ou adéquats est une question de nature judiciaire ».

IV. Historique procédural

[10] Au cours de la présente instance, et avant de déposer son dossier, le demandeur a présenté une requête afin d’obtenir une décision préliminaire en sa faveur ou, subsidiairement, une ordonnance obligeant le défendeur à déposer un affidavit [la requête visant à obtenir une décision]. L’essence de cette demande concernait le fait que le défendeur n’avait pas déposé d’affidavit dans la présente instance. Par une ordonnance datée du 14 août 2020, la juge McVeigh a rejeté dans son intégralité la requête visant à obtenir une décision et a adjugé des dépens de 500 $ payables immédiatement au défendeur.

[11] Le demandeur a également interjeté appel des ordonnances rendues par la protonotaire Ring le 30 novembre 2020 [l’ordonnance de réexamen] et le 4 novembre 2020, à laquelle est liée la requête en réexamen. Dans l’ordonnance du 4 novembre 2020, la protonotaire Ring a rejeté la requête visant à obtenir une ordonnance radiant les Procédures d’examen du recueil de jurisprudence et de doctrine du défendeur ainsi qu’une ordonnance radiant les déclarations contenues dans le mémoire des arguments du défendeur qui sont fondées sur ce document.

[12] Par une ordonnance datée du 12 janvier 2021, le juge Diner a rejeté les appels et adjugé des dépens de 500 $ payables immédiatement au défendeur. Il a mentionné que dans ses motifs, la protonotaire Ring a précisé que les Procédures d’examen auraient dû être déposées dans le dossier de réponse du défendeur plutôt que dans son recueil de jurisprudence et de doctrine. Elle a néanmoins correctement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 55 des Règles des Cours fédérales afin d’accepter le dépôt irrégulier des Procédures d’examen, parce que cela ne portait pas préjudice au demandeur, que le document était pertinent dans le cadre de la demande et qu’il était mentionné dans la décision du CCM. Le juge Diner a conclu que les Procédures d’examen faisaient déjà partie du dossier du tribunal. Le demandeur n’a pas interjeté appel de l’ordonnance du juge Diner.

V. Questions en litige

[13] La demande soulève les questions suivantes :

  1. Le directeur exécutif avait‐il le pouvoir de rejeter la plainte?

  2. La décision est‐elle raisonnable?

VI. Norme de contrôle

[14] Les décisions du CCM sont susceptibles de contrôle judiciaire. Dans la décision Cosentino c Procureur général du Canada, 2020 CF 884 aux para 32 à 36 [Cosentino], la Cour a jugé que la décision du directeur exécutif de rejeter une plainte est assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Les deux parties s’entendent sur le fait que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[15] La norme de contrôle de la décision raisonnable est une forme de contrôle fondée sur la déférence qui vise à faire en sorte que « les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 13 [Vavilov]). Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et être justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles pertinentes (Vavilov au para 101). La cour de révision doit établir si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99).

[16] Le défendeur soutient qu’il faut « faire preuve d’une grande retenue » lorsqu’il s’agit de réviser les décisions des conseils de la magistrature. Dans l’arrêt Moreau‐Bérubé c Nouveau‐Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, la juge Arbour a déclaré que « [l]es conseils de la magistrature peuvent être considérés comme uniques non seulement parmi les tribunaux administratifs, mais même parmi les organismes disciplinaires professionnels » (au para 44).

VII. Analyse

A. Le directeur exécutif avait‐il le pouvoir de rejeter la plainte?

(1) Les observations du demandeur

[17] Le demandeur, dont les observations sont fondées sur l’ordonnance de certiorari et sur l’article 317 des Règles des Cours fédérales, conteste la nature et la portée du dossier présenté à la Cour. Il soutient que ce dossier n’inclut pas sa plainte ni le pouvoir sur lequel le directeur exécutif se fonde pour prendre la décision contestée.

[18] Le demandeur fait valoir que le directeur exécutif, en tant que [traduction] « membre du personnel », n’avait pas le pouvoir de trancher la plainte parce que les plaintes doivent être examinées par les juges. Il affirme également que le CCM n’avait pas le droit de subdéléguer le pouvoir que lui confère la loi de trancher sa plainte.

[19] Le demandeur prétend que, lorsque le législateur a créé le CCM, il a délégué le pouvoir d’enquêter sur des plaintes formulées contre tout juge d’une juridiction supérieure à un organisme administratif possédant des qualifications spéciales (c.‐à‐d. un groupe de juges en chef). Il affirme que la Loi sur les juges limite le pouvoir de subdélégation du CCM à la tenue des enquêtes, ce qui laisse entendre que le pouvoir de trancher une plainte ne peut être subdélégué au moyen d’un règlement administratif. Il ajoute que le Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (2015), DORS/2015‐203 [le Règlement administratif du CCM], prévoit que le président ou vice‐président a l’obligation de trancher les plaintes qui ne sont pas suffisamment graves (art. 2(1), 2(5)). En outre, il allègue que le [traduction] « Conseil a refusé d’inclure la possibilité qu’un membre du personnel procède à l’examen préliminaire d’une plainte ».

[20] Le demandeur soutient que l’article 62 de la Loi sur les juges [traduction] « confère sans aucun doute le pouvoir de déléguer les tâches quotidiennes, mais c’est tout ». Il affirme que les mots « pour l’assister [le CCM] » [traduction] « indiquent que le Conseil peut embaucher des avocats pour les tâches juridiques quotidiennes, mais qu’il ne peut pas déléguer sa responsabilité la plus importante au titre de l’article 63, soit de rendre une décision finale relativement à une plainte ».

(2) Les observations du défendeur

[21] Le défendeur soutient que, selon le cadre législatif et la jurisprudence, il n’y a pas lieu de l’obliger à prouver que le directeur exécutif a le pouvoir de prendre une décision. L’article 317 des Règles prévoit que « [t]oute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande [...] ». Le demandeur était déjà en possession de la plainte. L’ordonnance rendue par le juge Diner le 12 janvier 2021 abordait aussi les problèmes relatifs au dossier du tribunal. Par conséquent, la Cour a tout ce dont elle a besoin pour trancher l’affaire.

[22] En ce qui concerne le bien‐fondé de la demande, le défendeur soutient que le directeur exécutif a le pouvoir de rejeter les plaintes présentées au CCM au terme d’un examen préliminaire. Au paragraphe 26 de la décision Best c Canada (Procureur général), 2017 CF 1145 [Best], la Cour a conclu qu’il est légal et constitutionnel pour le CCM de déléguer son pouvoir de procéder à un examen préliminaire des plaintes relatives à des allégations d’inconduite de la part d’un juge. En outre, au paragraphe 2 de la décision Cosentino, la Cour a jugé que « [l]e directeur exécutif du CCM a le pouvoir d’écarter des plaintes, notamment celles qui sont vexatoires ou sans fondement, celles qui sont faites dans un but inapproprié et celles qui constituent un abus de la procédure ».

[23] Le défendeur soutient que la Loi sur les juges contient un « libellé hautement permissif et discrétionnaire » en ce qui concerne l’exécution du mandat que la Loi confère au CCM (Best au para 26). Le paragraphe 61(2) de la Loi sur les juges permet au CCM de déterminer la conduite de ses travaux et d’employer le personnel nécessaire à l’exécution de sa mission (art. 62, 63(2)). La Loi sur les juges prévoit également que le CCM a le pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu d’enquêter sur une plainte relative à un juge (art. 63(2); Best au para 21).

[24] Le défendeur ajoute que les Procédures d’examen du CCM, établies en vertu de ces dispositions législatives, permettent au directeur exécutif de rejeter des plaintes au terme d’un examen préliminaire et que ces procédures constituent une délégation constitutionnelle et légale du pouvoir du CCM (Best aux para 22‐23, 26).

[25] Étant donné ce qui précède, le défendeur soutient que rien ne laisse entendre que l’examen préliminaire des plaintes doit être effectué par un juge.

(3) Analyse

[26] Je suis d’avis que l’ordonnance rendue par le juge Diner le 12 janvier 2021 répond aux préoccupations du demandeur concernant le contenu du dossier présenté à la Cour. Au paragraphe 10, le juge Diner indique ceci :

[traduction]
En effet, bien que des documents supplémentaires aient été demandés au CCM, il semble que ce document n’a pas été demandé afin d’être ajouté au dossier certifié du tribunal en vertu de l’article 317 des Règles. Il aurait toutefois dû l’être. Ainsi, son inclusion aurait pu entraîner un préjudice, mais c’est plutôt son absence qui risque d’entraîner une insuffisance de la preuve lors du contrôle judiciaire. Dans la jurisprudence récente, il a été jugé que ce document faisait partie de l’appareil législatif du CCM : voir Cosentino c Canada, 2020 CF 884 aux para 52, 57‐58, et Bestcv Canada (PG), 2017 CF 1145 au para 34.

[27] Par conséquent, je juge que la Cour a déjà réglé les problèmes soulevés par le demandeur concernant le dossier. La Cour a tout ce dont elle a besoin pour trancher l’affaire dont elle est saisie.

[28] Je me tourne maintenant vers le bien‐fondé de la demande. Je ne souscris pas à l’affirmation du demandeur selon laquelle l’article 62 de la Loi sur les juges ne permet pas au CCM de déléguer au directeur exécutif la responsabilité qui lui incombe au titre de l’article 63, soit de rendre une décision relativement à une plainte. Je conclus que le régime législatif et la jurisprudence prévoient clairement que le directeur exécutif a le pouvoir d’examiner les plaintes. Les dispositions applicables de la Loi sur les juges prévoient ce qui suit :

61(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Conseil détermine la conduite de ses travaux.

[...]

62 Le Conseil peut employer le personnel nécessaire à l’exécution de sa mission et engager des conseillers juridiques pour l’assister dans la tenue des enquêtes visées à l’article 63.

[...]

(2) Le Conseil peut en outre enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure.

[Je souligne.]

[29] L’article 62 et le paragraphe 63(2) indiquent expressément que le CCM peut recourir aux services d’un avocat pour l’assister dans la tenue d’une enquête sur une plainte ou une allégation concernant un juge d’une juridiction supérieure. Les Procédures d’examen du CCM permettent aussi au directeur exécutif d’examiner les plaintes. Dans la décision Best, la Cour a déclaré que ces procédures constituaient une délégation légale des pouvoirs du CCM :

[22] En quatrième et dernier lieu, j’estime que les Procédures d’examen du CCM qui attribuent dans leur version actuelle l’examen préalable des plaintes au directeur exécutif sont loin de constituer une délégation illicite ou inopportune des pouvoirs par le CCM. Une formulation fondatrice d’une autorité sous‐entendue de délégation de pouvoirs se trouve dans La Reine c Harrison, [1977] 1 RCS 238, 8 NR 47 [Harrison], dans laquelle la Cour suprême du Canada a affirmé que : « Bien qu’il existe une règle générale d’interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnellement le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delegatus non potest delegare) elle peut être modifiée par les termes, la portée ou le but d’un programme administratif donné. Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d’agir » (au paragraphe 13).

[23] La jurisprudence depuis Harrison indique que les tribunaux autorisent généralement la sous‐délégation des fonctions administratives, contrairement à la délégation des fonctions législatives, judiciaires ou quasi judiciaires. Or, l’examen préalable des plaintes constitue une fonction administrative (voir par exemple, Peralta v Ontario, [1985] OJ no 2304, au paragraphe 70, 29 ACWS (2d) 415; Nation dénée c La Reine, [1984] 2 CF 942, au paragraphe 18, 25 ACWS (2d) 406; Joncas c La Reine, [1993] ACF no 973, au paragraphe 15, 75 FTR 277; et Connolly v Law Society (Newfoundland & Labrador), 2011 NLTD(G) 152, au paragraphe 12, 315 Nfld & PEIR 281). Dans l’arrêt Harrison v LSBC, 2015 BCSC 211, 252 ACWS (3d) 160, la Cour suprême de la Colombie‐Britannique avait qualifié la procédure d’examen préalable des plaintes du Barreau de la Colombie‐Britannique de [traduction] « fonction de filtrage administratif discrétionnaire ne déterminant aucun droit, devoir ou obligation légal » (au paragraphe 51). À mon avis, il en va de même pour les procédures d’examen préalable prévues dans les Procédures d’examen du CCM.

[...]

[26] Vu le libellé hautement permissif et discrétionnaire de l’extrait précité de la Loi sur les juges, il était (et il demeure) manifestement loisible au CCM de déléguer sa responsabilité administrative de mener l’examen préalable des plaintes à son directeur exécutif. Tout comme dans l’arrêt Gill, l’autorité conférée au CCM par l’article 62 de la Loi sur les juges de recourir aux services de toutes les personnes qu’il estime nécessaires pour réaliser ses objectifs et s’acquitter de ses attributions doit recevoir la plus vaste interprétation possible. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[30] Le demandeur veut que la Cour s’écarte de la décision rendue par le juge Boswell dans l’affaire Best, parce qu’il n’a pas examiné la question de la subdélégation d’une responsabilité administrative dans le contexte d’un organisme administratif ayant des qualifications spéciales lorsque la loi ne confère pas explicitement de pouvoir de subdélégation. L’argument du demandeur ne parvient pas à me convaincre. Comme je l’ai mentionné, la Loi sur les juges confère expressément au CCM le pouvoir de subdéléguer ses responsabilités pour l’assister dans la tenue des enquêtes visées à l’article 63. L’affaire Best a également confirmé que l’examen préliminaire par le directeur exécutif est « loin de constituer une délégation illicite ou inopportune des pouvoirs par le CCM » (au para 22). L’observation du demandeur sur ce point ne peut pas être retenue.

B. La décision est‐elle raisonnable?

(1) Les observations du demandeur

[31] Le demandeur soutient que le directeur exécutif a commis deux erreurs de droit qui rendent la décision déraisonnable. Premièrement, il allègue que le directeur exécutif a conclu à tort que la partialité est une question de nature judiciaire qui doit être plaidée devant les tribunaux plutôt qu’une question de déontologie qui peut être présentée au CCM. Deuxièmement, il prétend que le directeur exécutif a commis une erreur en se concentrant sur les décisions du juge Butler isolément au lieu d’analyser son comportement, notamment son défaut d’examiner les éléments de preuve pertinents.

(2) Les observations du défendeur

[32] Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et que le directeur exécutif a conclu avec raison que la plainte ne soulevait pas de question de déontologie pouvant nécessiter une enquête du CCM. Il allègue que la décision est justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appelle un niveau élevé de retenue.

(3) Analyse

[33] Comme il a été mentionné précédemment, le rôle de la Cour est de trancher la question de savoir si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

[34] En toute déférence, je ne peux retenir les arguments du demandeur pour deux raisons. Premièrement, comme le directeur exécutif l’a mentionné dans sa décision, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il existait une présomption d’intégrité et d’impartialité judiciaires (c.‐à‐d. que les juges sont impartiaux). La partie qui souhaite réfuter cette présomption doit présenter des éléments de preuve probants (Cojocaru c British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30 au para 18). Je suis d’avis que le demandeur n’a pas réussi à prouver que le juge Butler avait fait preuve de partialité.

[35] L’allégation de partialité formulée par le demandeur est fondée sur son opinion selon laquelle le juge Butler [traduction] « a rendu des décisions qui lui sont défavorables sans lui fournir d’explication ». Dans sa plainte, le demandeur mentionne que le juge doit [traduction] « se comporter correctement lorsqu’il communique avec les parties dans le cadre de l’instance », et qu’il doit notamment [traduction] « fournir une explication adéquate pour justifier ses actes, d’une manière proportionnelle aux circonstances ». Le caractère suffisant ou adéquat des motifs est une question de nature judiciaire et le CCM n’a pas le pouvoir de contrôler la décision d’un juge. Le directeur exécutif l’a expliqué clairement dans sa décision. Je conclus que la décision du directeur exécutif selon laquelle les allégations ou les craintes de partialité sont des questions de nature judiciaire qui doivent être plaidées devant les tribunaux était raisonnable.

[36] Deuxièmement, je conclus que le directeur exécutif ne s’est pas seulement concentré sur les décisions isolément. En fait, relativement à l’allégation du demandeur, le directeur exécutif a mentionné plusieurs fois le manque de respect, le comportement ou la conduite allégué dans la décision. Cela montre qu’il a examiné le comportement allégué du juge Butler pour parvenir à une décision.

[37] En conséquence, je conclus que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable.

VIII. Conclusion

[38] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et elle est justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Elle est justifiée, transparente et intelligible.

[39] Les dépens sont adjugés au défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‐513‐20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens sont adjugés au défendeur.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‐513‐20

 

INTITULÉ :

MARTIN DUHAMEL c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MAI 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Martin Duhamel

Pour son propre compte

 

Shaun Ramdin

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‐Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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