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Date : 20211124


Dossier : IMM‑4312‑20

Référence : 2021 CF 1290

[traduction française]

Toronto (Ontario), le 24 novembre 2021

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

ABUKAR ABDULLAH TAKOW

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité au moyen d’éléments de preuve acceptables et qu’il n’était pas crédible.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La demande est par conséquent rejetée.

I. Contexte

[3] Le demandeur affirme qu’il est un citoyen de la Somalie. Il prétend que le groupe Al Chabaab l’a pris pour cible parce qu’il avait travaillé comme entraîneur de jeunes joueurs de soccer pour le gouvernement fédéral de transition de la Somalie. Il soutient que des membres du groupe Al Chabaab ont contacté sa mère et ont menacé de le tuer, ce qui l’a poussé à fuir en Ouganda en novembre 2011.

[4] Le demandeur est demeuré en Ouganda et y a fréquenté l’université. Il est retourné en Somalie pour une période de trois mois en 2015 afin de rendre visite à sa mère, qui était malade. Il est ensuite parti pour les États‑Unis [les É.‑U.] afin d’épouser la fille d’un ami de la famille qui avait la citoyenneté américaine. Le mariage n’a pas été reconnu comme étant authentique, et le demandeur n’a pas pu régulariser son statut aux É.‑U. au moyen de cette relation. Il est par la suite venu au Canada et a demandé l’asile.

[5] La SPR a conclu que le demandeur [traduction] « n’était pas un témoin crédible ni digne de foi » et a rejeté la demande d’asile au motif qu’il n’avait pas établi son identité personnelle et nationale ni qu’il était une personne à protéger.

[6] En appel, la SAR a confirmé la décision de la SPR. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité au moyen d’éléments de preuve acceptables et qu’il y avait des conclusions défavorables cumulatives quant à sa crédibilité.

[7] La SAR a conclu que le passeport et la carte d’identité nationale du demandeur n’étaient pas suffisants pour étayer son identité puisqu’ils n’avaient pas été délivrés conformément au processus qui est décrit dans la réponse à une demande d’information [la RDI] figurant dans le cartable national de documentation [le CND] sur la Somalie. En ce qui concerne les autres documents secondaires qui ont été présentés, la SAR a conclu que certaines des conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité contenaient des erreurs, mais n’en a pas moins estimé que les documents n’étaient pas suffisants pour établir l’identité nationale du demandeur puisqu’ils se rapportaient à la période de résidence du demandeur à l’extérieur de la Somalie, que leur provenance n’était pas clairement établie ou qu’ils fournissaient des renseignements insuffisants ou non étayés.

[8] De plus, la SAR a conclu que la SPR avait eu raison de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité au sujet de la tentative effectuée par le demandeur de tromper les autorités américaines par un mariage qui n’était pas authentique et qu’en passant trois mois en Somalie, le demandeur s’était de nouveau réclamé de la protection de ce pays, ce qui minait la crédibilité de sa crainte subjective de persécution.

[9] La SAR a conclu que l’omission du demandeur d’établir son identité au moyen d’éléments de preuve acceptables était déterminante pour l’issue de sa demande d’asile. Elle a toutefois estimé que, même si le demandeur avait établi son identité, il ne pouvait pas surmonter l’incidence défavorable cumulative des conclusions quant à la crédibilité qui ont été tirées.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[10] La présente demande soulève les questions suivantes :

  • a) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant les documents présentés par le demandeur à l’appui de son identité?

  • b) Le cas échéant, la SAR a‑t‑elle aussi commis une erreur dans sa conclusion générale quant à la crédibilité?

[11] La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25). En appliquant cette norme, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, aux para 85‑86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] aux para 2, 31).

[12] En contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne peut pas simplement apprécier à nouveau la preuve et tirer ses propres conclusions (Vavilov, au para 125). Elle doit plutôt faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation effectuée par la SAR et ne se prononcer que sur la question de savoir si la décision de la SAR est raisonnable à la lumière du dossier de preuve et de la trame factuelle. Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise, n’en a pas tenu compte ou s’est livré à un raisonnement incohérent dans l’appréciation de la preuve (Vavilov, aux para 102‑107, 125‑126). Une décision raisonnable, quand elle est lue dans son ensemble et qu’elle tient compte du contexte administratif, possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (Vavilov, aux para 85, 91‑95, 99‑100).

III. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant les documents présentés par le demandeur pour étayer son identité?

[13] L’identité est un élément préliminaire et primordial pour établir une demande d’asile (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kabunda, 2015 CF 1213 au para 18; Hassan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 459 [Hassan] au para 27). Selon l’article 106 de la LIPR, la SPR doit prendre en compte, dans le cadre de son appréciation de la crédibilité, le fait que le demandeur d’asile est muni de documents acceptables pour établir son identité, ou, sinon, s’il peut raisonnablement en justifier la raison ou s’il a pris les mesures voulues pour s’en procurer (voir aussi l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256).

[14] En l’espèce, je conclus que la SAR a donné des motifs transparents, intelligibles et suffisants pour expliquer les raisons pour lesquelles les documents présentés par le demandeur n’étaient pas suffisants pour établir son identité nationale.

[15] Le demandeur soutient que ses documents principaux (passeport et carte d’identité nationale) ont été délivrés par le gouvernement et devraient être présumés valides jusqu’à preuve du contraire. Il affirme que la décision de la SAR invoque une conclusion d’invraisemblance sans suffisamment de preuve ou de transparence.

[16] Le défendeur prétend que ces documents ont fait l’objet d’un examen minutieux, mais que, puisqu’ils n’avaient pas été délivrés selon la procédure décrite dans la RDI, la SAR a eu raison d’estimer qu’ils étaient insuffisants, et que les motifs donnés par la SAR à ce sujet sont suffisants. C’est aussi mon avis. Il était raisonnable de prendre en compte les éléments de preuve sur la situation dans le pays (Myle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1073 au para 12) et d’en arriver à la conclusion qu’a tirée la SAR.

[17] Tant le passeport que la carte d’identité nationale du demandeur ont été délivrés en Ouganda à la même date. Comme l’a souligné la SAR, la RDI mentionne qu’il faut avoir la carte d’identité nationale pour obtenir un passeport biométrique délivré par le gouvernement de la Somalie après décembre 2013. Le demandeur a affirmé qu’il avait présenté son certificat de naissance et une carte d’identité régionale à l’appui de sa demande de passeport, mais qu’il n’avait obtenu une carte d’identité nationale qu’à la même date à laquelle son passeport avait été délivré. À la lumière de ces éléments de preuve, la SAR a eu raison de conclure que les affirmations du demandeur allaient à l’encontre de la procédure décrite dans la RDI. De plus, elle a eu raison de remettre en cause la façon dont le passeport pouvait être lié à la carte d’identité nationale puisque les deux documents avaient été délivrés à la même date.

[18] De même, la SAR a examiné l’argument avancé par le demandeur selon lequel la RDI ne contient pas de renseignements sur les exigences relatives à l’obtention d’un passeport somalien en Ouganda, et elle a eu raison de conclure qu’il n’était pas suffisant pour supplanter l’information présentée dans la RDI. Comme l’a souligné la SAR, la RDI mentionne qu’il est uniquement possible, en Somalie, de demander en personne la délivrance d’un passeport et d’une carte d’identité nationale par le gouvernement de ce pays. La RDI ne mentionne aucune autre méthode pour obtenir un passeport.

[19] En dépit du fait que le demandeur affirme que la RDI ne porte que sur la procédure relative à l’obtention d’un passeport en Somalie, je ne perçois pas la RDI comme étant aussi restrictive. La RDI s’intitule « Information sur les documents d’identité, y compris les cartes d’identité nationale, les passeports, les permis de conduire et tout autre document requis pour avoir accès aux services publics; les organismes de délivrance et les exigences imposées pour obtenir ces documents (2013‑juillet 2015) ».

[20] Vu les divergences relevées par rapport à la RDI, et conformément aux conclusions tirées dans la décision Hassan au paragraphe 28, j’estime que la SAR a eu raison de conclure que le passeport du demandeur ne suffisait pas pour établir son identité.

[21] De plus, bien que le demandeur soutienne que la SAR a adopté une approche trop critique à l’égard du reste de ses documents (en invoquant les décisions Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1164 aux para 9‑10; Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2016 CF 462 au para 25), j’estime que la SAR a, de façon raisonnable, examiné chacun des documents, a reconnu que la SPR avait commis des erreurs et a donné des motifs transparents et intelligibles quant aux raisons pour lesquelles les autres documents ne pouvaient pas étayer l’identité du demandeur. En fait, la SAR souligne que le demandeur a avancé le même argument quant aux motifs donnés par la SPR – c.‑à‑d. que la SPR [traduction] « a[vait] manifesté une intention de trouver à redire sur ce qui avait été présenté plutôt que de jeter un regard juste et raisonnable sur les documents présentés ». La SAR a examiné les motifs donnés par la SPR en tenant compte de cet argument.

[22] La SAR a conclu que la SPR avait eu tort de relever des défectuosités au sujet de la carte d’identité d’étudiant et du permis de conduire du demandeur et que les deux documents étaient authentiques. Elle a toutefois conclu, de façon raisonnable, qu’aucun des deux documents ne permettait d’établir l’identité nationale du demandeur parce que les deux avaient été délivrés en Ouganda et montraient seulement que le demandeur résidait dans ce pays.

[23] La SAR a examiné minutieusement le témoignage du demandeur au sujet de son certificat de fin d’études, mais elle a, de façon raisonnable, conclu selon le témoignage du demandeur et le fait qu’il ne s’agissait pas de l’original que la provenance du document n’avait pas été établie de manière suffisamment probante pour fonder une conclusion générale selon laquelle un original du certificat existait. Par conséquent, le document ne pouvait pas étayer l’identité nationale du demandeur.

[24] De plus, j’estime que la SAR a eu raison de se demander pourquoi le demandeur avait fourni l’original de certains des documents, mais pas d’autres, et de souligner que celui‑ci semblait être en mesure d’obtenir les documents originaux par l’entremise de son oncle. Le demandeur soutient que la SAR a eu tort de tirer une inférence défavorable du fait qu’il n’avait pas joint son certificat de naissance à sa demande, mais ce n’est pas ainsi que j’interprète les commentaires formulés par la SAR à ce sujet. La SAR mentionne le certificat de naissance uniquement pour donner des exemples du type de documents que le demandeur avait pu obtenir par l’entremise de son oncle en Somalie. Le commentaire suit la conclusion tirée par la SAR quant au certificat de fin d’études et quant à son incapacité d’accepter le document parce qu’elle n’était pas convaincue qu’un original existait. Je ne crois pas que ces commentaires portent préjudice au demandeur parce qu’ils découlent de l’examen du témoignage qui a été donné et de l’examen de l’article 106 de la LIPR.

[25] De plus, je conclus que la SAR a fourni une justification suffisante pour ne pas avoir accordé beaucoup de poids à l’affidavit de l’oncle du demandeur et aux déclarations sous serment de son beau‑père et de sa mère. La SAR a formulé ses commentaires dans deux rubriques distinctes de la décision mais, lorsqu’ils sont lus ensemble, les commentaires expliquent les raisons pour lesquelles les documents n’ont pas été pris en compte.

[26] Comme l’a conclu la SAR de façon raisonnable, l’oncle était disposé à aider le demandeur à obtenir la reconnaissance d’un statut par le gouvernement des É.‑U. au moyen d’un mariage qui n’était pas authentique. Il n’était donc pas un témoin crédible, et la SAR a eu raison de conclure que son témoignage n’était pas fiable ni digne de foi.

[27] La SAR a convenu que les éléments de preuve du beau‑père et de la mère du demandeur ne devaient pas être rejetés en raison d’un manque de crédibilité, mais qu’ils devaient être évalués individuellement. Elle a toutefois conclu que ces déclarations étaient peu utiles. Bien que je convienne que rien n’exige qu’une pièce d’identité soit jointe à une déclaration sous serment (Ouya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 55 au para 17) et qu’une déclaration sous serment bénéficie de la présomption de véracité (Dirieh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 939 au para 28; Maldonado c Canada (Emploi et Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) au para 5), il était loisible à la SAR d’apprécier le poids des éléments de preuve. J’estime que la SAR n’a pas eu tort de conclure que l’information fournie dans les affidavits n’était pas suffisante et que des photographies ou des précisions auraient été nécessaires pour établir les racines familiales et l’identité nationale du demandeur. Je ne relève aucune erreur dans la justification générale fournie par la SAR selon laquelle aucune de ces déclarations ne contenait suffisamment d’information en soi pour établir l’identité nationale et ne permet de corroborer les autres documents qui ont été présentés.

[28] Comme l’a fait remarquer la SAR, la question de l’identité est déterminante pour l’issue de la demande. Pour cette raison, je n’ai pas à me prononcer sur les autres arguments quant à la crédibilité. Comme le demandeur n’a pas établi qu’il y avait une erreur dans l’examen de son identité effectué par la SAR, la demande est rejetée.

IV. Conclusion

[29] Par conséquent, la demande est rejetée.

[30] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4312‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4312‑20

 

INTITULÉ :

ABUKAR ABDULLAH TAKOW c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par VIDéOCONFéRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 15 septembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

le 24 NOVembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Lina Anani

 

pour le demandeur

 

Suzanne M. Bruce

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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