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Date : 20211123


Dossier : IMM‑2012‑20

Référence : 2021 CF 1283

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

JENO RACZ

MATILD HUMENSZKI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie de la décision issue d’un nouvel examen la Section de la protection des réfugiés [la SPR] après que les demandeurs eurent eu gain de cause dans leur demande de contrôle judiciaire de la décision initiale par laquelle la SPR rejetait leur demande d’asile. Les demandeurs étaient représentés par un nouveau conseil, puisque leur ancien avait été sanctionné par le Barreau en raison de la manière dont il avait pris en charge les dossiers de demandeurs roms.

[2] Les demandeurs prétendent que la SPR a commis une erreur dans son analyse de la persécution par opposition à la discrimination et dans son examen des questions de la protection de l’État et de la possibilité de refuge intérieur [la PRI]. Ils soutiennent que la SPR a fait abstraction des éléments de preuve à l’appui contradictoires.

[3] Le défendeur fait valoir que la SPR n’a pas fait fi de la preuve des demandeurs, mais que cette preuve ne suffisait pas pour établir que la décision était déraisonnable.

II. Contexte

[4] Le demandeur principal et son épouse sont citoyens hongrois. Ils fondent leurs demandes d’immigration sur leur appartenance ethnique rom et sur leur crainte d’être maltraités par les membres d’une bande à qui M. Racz avait emprunté de l’argent. Ce dernier a déclaré que les malfaiteurs avaient continué de l’extorquer, même après le remboursement de la dette, et qu’ils l’avaient roué de coups après qu’il eut refusé d’obtempérer. Il a aussi affirmé que la police n’aurait rien fait pour le secourir.

[5] Dans la deuxième décision de la SPR, le Tribunal a conclu que les demandeurs avaient probablement subi de la discrimination et du harcèlement en Hongrie et que l’exposé circonstancié de M. Racz à propos de l’extorsion commise par la bande était crédible. Par contre, il a jugé que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État, parce qu’ils n’avaient pas signalé les incidents discriminatoires à la police. Elle a également jugé que le lieu proposé à titre de PRI était raisonnable.

[6] La SPR a reconnu qu’en Hongrie, les Roms, et les demandeurs en particulier, ont subi de la discrimination et que celle‑ci est endémique dans ce pays, mais qu’en soi, être Rom n’établit pas plus qu’une possibilité de persécution.

[7] La SPR a analysé les domaines bien précis dans lesquels la persécution contre les demandeurs pouvait se manifester : l’emploi, le logement, la scolarité et les soins de santé. Elle n’en a pas décelé ou alors n’a trouvé que de la discrimination.

[8] La SPR a conclu que, même si la protection de l’État n’est pas parfaite et qu’elle s’applique parfois de façon discriminatoire, les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle cette protection existe. Elle a également jugé que, compte tenu de la situation particulière des demandeurs, la police et les organismes apparentés pourraient leur offrir une protection adéquate. La SPR a renvoyé à des précédents judiciaires, dont un arrêt de la Cour suprême hongroise, où des agents de police étaient tenus responsables lorsqu’ils agissaient de façon discriminatoire contre les Roms. Elle a fait remarquer que la police intente des poursuites lorsque des actes criminels sont commis et qu’il existe des voies de recours bien établies si la réponse des forces de l’ordre n’est pas satisfaisante.

[9] La SPR a conclu que la Hongrie demeure un État démocratique, même si on y constate que la démocratie est en déclin.

[10] Quant à la PRI, la SPR a jugé que les demandeurs ne sont pas le type de personnes qui seraient suceptibles d’être prises pour cibles par une organisation criminelle ayant une portée et une influence internationales ou même nationales et donc qu’elles pouvaient raisonnablement déménager à Debrecen.

III. Analyse

[11] Les parties conviennent que la norme de contrôle est celle de la « décision raisonnable » comme l’a exposé l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. La Cour doit procéder à un contrôle rigoureux, mais empreint de retenue. Elle doit contrôler le raisonnement, le processus et le résultat, tout en se gardant de trancher la question elle‑même. (Je souligne.)

A. La persécution par opposition à la discrimination

[12] Bien que les considérations relatives à la protection de l’État et à la PRI puissent être dissociées de la question de la discrimination par opposition à la persécution, ce dernier élément teinte l’analyse des deux premiers points en l’espèce. Cependant, le défaut des demandeurs de communiquer avec les agences chargées de l’application de la loi, dans une situation où la preuve ne permet pas d’établir qu’une telle prise de contact serait dangereuse, impossible ou futile, constitue une faille déterminante dans leur dossier.

[13] Il n’est pas exact de prétendre que la SPR a fait fi de la dimension ethnique dans l’activité criminelle. Elle gardait en tête le profil ethnique — les problèmes des Roms — tout au long de son analyse, autant pour chaque élément individuel que pour ceux‑ci dans leur ensemble.

[14] Les demandeurs remettent en cause la pondération de la preuve faite par la SPR et, de fait, demandent à la Cour de substituer sa conclusion à celle de la SPR. Si un contrôle empreint de retenue doit signifier quelque chose, il doit tolérer la différence dans les conclusions, tant que le processus et les conclusions sont raisonnables.

[15] Au vu du dossier, il était loisible à la SPR de tirer sa conclusion sur la discrimination par opposition à la persécution.

B. La protection de l’État

[16] Les demandeurs admettent, avec raison, que la SPR a retenu le critère adéquat en ce qui a trait à la protection de l’État, mais contestent son examen de la preuve, surtout quant à l’efficacité de la protection de l’État. La Cour a constamment jugé qu’il ne suffit pas qu’un État dispose des mécanismes de protection. Ceux‑ci doivent comporter une réalité opérationnelle et être efficaces : Orgona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1438 au para 11.

[17] Or, en l’espèce, les demandeurs n’ont pas établi que les mécanismes sont inefficaces ni d’inefficacité réelle. Au vu du dossier, la preuve ne permet pas de conclure de manière raisonnable que la protection de l’État n’existe pas pour les Roms au point où toute tentative de solliciter la protection de l’État serait probablement futile.

[18] L’absence d’effort déployé par les demandeurs pour communiquer avec les organismes de protection de l’État est aussi importante.

[19] Au paragraphe 10 de la décision Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 421, le juge Zinn a déclaré avec justesse qu’un demandeur d’asile n’est pas tenu par la loi de chercher à obtenir la protection de l’État pour que l’asile lui soit accordé. La question est celle de savoir si le demandeur d’asile a fourni une preuve « claire et convaincante » nécessaire pour réfuter la présomption de protection de l’État. Cela soulève aussi la question du caractère raisonnable de la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté, à savoir l’authenticité de sa crainte d’un point de vue subjectif ou objectif.

[20] Je ne décèle rien de déraisonnable dans le raisonnement de la SPR ou dans ses conclusions. Elle a abordé les problèmes de la protection de l’État en Hongrie et la preuve contradictoire dont elle disposait. Il lui était loisible de tirer cette conclusion.

C. La PRI

[21] Quoiqu’il soit injuste de demander à un demandeur d’asile d’établir qu’une bande de malfaiteurs agirait d’une manière rationnelle, il doit exister un fondement quelconque à la conclusion selon laquelle la bande en question se mettrait probablement aux trousses des demandeurs pour les extorquer, sans compter que le montant extorqué et l’importance relative de celui‑ci n’ont pas été établis. Les demandeurs n’ont donné aucune explication pour éclaircir pourquoi ils seraient poursuivis à travers tout le pays pour se faire soutirer de l’argent quand la population est abondante et que d’autres Roms pourraient se trouver dans la ligne de mire.

[22] En outre, la SPR a reconnu que les demandeurs pourraient être victimes de discrimination dans le lieu proposé à titre de PRI, mais que cette discrimination n’équivaudrait pas à de la persécution. Compte tenu de la conclusion de la SPR quant à la question de la discrimination par opposition à la persécution, rien n’explique pourquoi ce qui ne constitue pas de la persécution dans ville de résidence constituerait de la persécution dans une nouvelle région.

[23] Je ne décèle rien de déraisonnable dans la conclusion de la SPR quant à l’existence de la PRI.

IV. Conclusion

[24] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25] Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2012‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2012‑20

 

INTITULÉ :

JENO RACZ, MATILD HUMENSZKI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 NovembRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 novembRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Amedeo Clivio

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clivio Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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