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Date : 20211126


Dossier : IMM-2800-20

Référence : 2021 CF 1311

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

PRINCESS MMESOMA ONUOHA

ANGEL RHEMA ONUOHA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un agent des visas [l’agent des visas] a annulé les visas de résident permanent des demanderesses. Les demanderesses ont déposé des demandes de contrôle judiciaire distinctes (Angel Rhema Onuoha dans le dossier IMM-2798-20 et Princess Mmesoma Onuoha dans le dossier IMM-2800-20), mais ont par la suite demandé que les dossiers soient réunis et instruits conjointement. Dans une ordonnance du 26 octobre 2021, les affaires ont été réunies dans une seule demande, IMM-2800-20, dont l’intitulé a été modifié afin d’inclure les deux demanderesses.

Contexte

[2] Les demanderesses, Angel Rhema Onuoha et Princess Mmesoma Onuoha, sont des sœurs mineures, âgées respectivement de 8 et de 12 ans, et sont des citoyennes du Nigéria.

[3] Leur mère, Irene Onuoha, a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Dans sa demande, elle a indiqué que ses filles étaient des personnes à charge l’accompagnant. À cet égard, elle a produit pour chacune de ses filles un formulaire intitulé « Déclaration pour parent/tuteur légal qui n’accompagne pas un enfant mineur immigrant au Canada », que son ancien époux, le père des enfants, Chamberlin Onuoha, aurait signé.

[4] Mme Onuoha est devenue résidente permanente du Canada le 13 juillet 2019. Le 19 octobre 2019, elle est entrée au Canada avec ses deux filles, qui s’étaient vues attribuer un visa de résident permanent et étaient en attente de la confirmation de leur statut de résident permanent au moment de l’établissement. À leur arrivée, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’agent de l’ASFC] a informé Mme Onuoha qu’il y avait une alerte dans les dossiers de l’ASFC indiquant que dans une lettre transmise au bureau d’Abuja le 25 octobre 2018, son ancien époux avait signalé la possibilité qu’elle tente de faire sortir les enfants du Nigéria sans son consentement. Mme Onuoha a affirmé qu’elle ignorait que son ancien époux avait changé d’avis. Elle lui aurait téléphoné pendant son entrevue avec l’agent de l’ASFC, puis a informé l’agent que son ancien époux se rendrait à l’ambassade du Canada afin de remédier à la situation et de permettre à ses enfants d’obtenir le droit d’établissement.

[5] L’agent de l’ASFC a fixé la poursuite de l’interrogatoire au 7 novembre 2019 [traduction] « ou plus tôt si le bureau des visas transmet une réponse ». L’agent de l’ASFC a également envoyé un courriel au bureau des visas pour demander des instructions.

[6] Le ou vers le 4 novembre 2019, l’agent des visas a envoyé un courriel à l’agent de l’ASFC pour l’informer qu’en raison des renseignements contradictoires concernant le consentement du père quant à l’immigration des enfants, les visas de résident permanent des enfants avaient été annulés [traduction] « pour permettre à l’ASFC de prendre les mesures appropriées ».

[7] Bien que cela ne soit pas précisé dans les notes versées au Système mondial de gestion des cas [SMGC], il n’est pas contesté que Mme Onuoha s’est rendue sur place avec ses enfants pour la suite de l’interrogatoire le 7 novembre 2019, comme prévu. Elle a alors appris que les visas de résident permanent de ses enfants avaient été annulés et qu’elle devait revenir le 25 novembre 2019.

[8] Le 25 novembre 2019, l’agent de l’ASFC a informé Mme Onuoha qu’un rapport d’interdiction de territoire [rapport visé au paragraphe 44(1)] avait été préparé pour chacun de ses enfants en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR]. Le même jour, en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, le délégué du ministre a déféré les rapports visés au paragraphe 44(1) pour enquête.

[9] Le 20 décembre 2019, l’ASFC a communiqué des renseignements concernant les enquêtes, y compris les notes de l’agent de l’ASFC mentionnant un courriel du 4 novembre 2019, dans lequel l’agent des visas avait indiqué que les visas de résident permanent des enfants avaient été annulés.

[10] Le 23 juin 2020, les demanderesses ont déposé leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent des visas avait annulé leurs visas. Il s’agit de la décision faisant l’objet du contrôle.

[11] Cependant, il convient de mentionner l’historique des procédures connexes postérieures à la décision.

[12] Premièrement, l’enquête a eu lieu le 14 juillet 2020, après avoir été reportée quatre fois. Le même jour, des mesures de renvoi ont été prises contre chacune des demanderesses, en vertu de l’alinéa 45d) de la LIPR, au motif qu’elles sont visées à l’article 41 et à l’alinéa 20(1)a) de la LIPR; c’est-à-dire qu’elles ont été jugées interdites de territoire, car elles n’étaient pas titulaires de visas valides. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contestant les mesures de renvoi a été déposée le 19 novembre 2020 (dossier IMM-6006-20). Cependant, comme cette demande n’était pas mise en état, la Cour l’a rejetée le 14 juillet 2021.

[13] Au début de l’année 2020, le père des enfants a intenté une action en justice devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Il a entre autres déposé une requête visant à exiger le retour des enfants au Nigéria. Dans sa décision (Onuoha v Onuoha, 2020 ONSC 6849), la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que les enfants avaient été enlevés au sens du paragraphe 22(3) de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, LRO 1990, c C.12, et que leur père n’avait pas consenti à ce qu’ils soient emmenés au Canada. Elle a également conclu que le père n’avait pas donné son acquiescement ou n’a pas trop tardé à introduire une procédure juridique en vue du retour des enfants. La Cour supérieure de justice de l’Ontario n’a pas reconnu l’authenticité d’un document de consentement au voyage que le père aurait signé le 14 février 2019. Le 10 novembre 2020, la Cour a ordonné que la mère assure le retour des enfants au Nigéria dans un délai de 30 jours.

[14] Mme Onuoha a interjeté appel de cette ordonnance. La Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté son appel le 2 mars 2021 (2021 ONSC 1592) et a publié ses motifs le 19 mars 2021 (2021 ONSC 2228). Le 6 mai 2021, la Cour divisionnaire a rendu une autre ordonnance permettant aux forces de l’ordre de faire exécuter l’ordonnance obligeant le retour des enfants, y compris de prendre toutes les mesures raisonnablement nécessaires pour faire en sorte que les enfants prennent un avion à l’aéroport Pearson pour se rendre au Nigéria (2021 ONSC 3391). Le défendeur indique que les enfants ont été renvoyés au Nigéria en mai 2021.

Décision faisant l’objet du contrôle

[15] La trousse de communication de l’enquête comprend un document daté du 25 novembre 2019 produit par un agent d’immigration de l’ASFC. En voici un extrait :

[traduction]

LE MESSAGE SUIVANT A ÉTÉ REÇU LE 4 NOVEMBRE 2019 OU VERS CETTE DATE :

Salutations de la part de l’équipe du CTD-O,

Comme il a déjà été souligné, l’ancien époux de la demandeure principale, qui est aussi le père des deux personnes à charge inscrites au dossier, a transmis des documents comprenant des déclarations qui contredisent les documents fournis précédemment par la demandeure principale.

Compte tenu des renseignements contradictoires au dossier, les visas de résident permanent des demandeures ONUOHA, PRINCESS MMESOMA (1118661286) et ONUOHA, ANGEL RHEMA (1118661288) ont été annulés pour permettre à l’ASFC de prendre les mesures appropriées.

[16] Bien que le courriel en soi ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal, son contenu a été reproduit et versé dans le SMGC.

Questions en litige et norme de contrôle

[17] À mon avis, les questions en litige peuvent être formulées en ces termes :

  1. L’agent des visas a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demanderesses?

  2. La décision de l’agent des visas était-elle raisonnable?

  3. S’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou si la décision était déraisonnable, quelle est la réparation appropriée?

[18] Les questions d’équité procédurale font l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 [Khela] au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa] au para 43). La Cour, qui n’est pas tenue de faire preuve de déférence envers le décideur, doit se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56). Si la Cour est convaincue que la procédure n’était pas équitable, la demande doit être accueillie.

[19] En ce qui concerne la deuxième question en litige, lorsqu’une cour de justice contrôle une décision administrative au fond, la norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable. En l’espèce, aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ou ne s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 25). Lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour « doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov au para 99).

L’agent des visas a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demanderesses?

Position des demanderesses

[20] Les demanderesses font valoir que l’agent des visas a manqué à son obligation d’équité procédurale envers elles en ne leur offrant pas la possibilité de répondre à une [traduction] « lettre de dénonciation ». La décision par laquelle l’agent des visas a annulé leurs visas de résident permanent était fondée sur une lettre envoyée par leur père, qui comprenait des renseignements contradictoires à ceux fournis dans les documents de Mme Onuoha. Les demanderesses font valoir qu’elles n’ont pas obtenu ces renseignements contradictoires, mais que les notes de l’agent de l’ASFC communiquées relativement aux enquêtes renvoient à une alerte d’information selon laquelle le bureau d’Abuja a reçu une lettre de dénonciation le 25 octobre 2018 et qu’elle aurait été écrite par le père des demanderesses pour exprimer sa crainte que son ancienne épouse quitte le Nigéria avec les enfants sans son consentement. Les demanderesses soutiennent que la décision de ne pas leur communiquer cet élément de preuve extrinsèque et de ne pas leur permettre d’y répondre constitue un manquement à l’équité procédurale. Il n’y avait aucune raison de ne pas leur communiquer la lettre du 25 octobre 2018 afin qu’elles puissent y répondre avant l’annulation de leurs visas, particulièrement compte tenu du long délai qui s’est écoulé entre la réception de la lettre et l’annulation des visas.

Position du défendeur

[21] Le défendeur reconnaît que Mme Onuoha n’a pas obtenu la correspondance que son ancien époux a transmise aux autorités canadiennes. Cependant, il soutient qu’elle a été informée, le 18 octobre 2019, au point d’entrée, de la réception d’une lettre indiquant que le père des enfants n’avait pas consenti à ce que les enfants immigrent au Canada. Le défendeur soutient qu’il n’est pas nécessaire de communiquer les renseignements fournis par une personne externe si la personne concernée est informée de la teneur des allégations. Il ajoute qu’entre le 19 octobre et le 4 novembre 2019, date à laquelle les visas ont été annulés, Mme Onuoha n’a pas fourni de nouveaux documents pour confirmer que le père des enfants avait consenti à ce que ceux-ci immigrent au Canada.

Analyse

[22] Les demanderesses invoquent la décision Sapojnikov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 964 [Sapojnikov], dans laquelle la juge McTavish a tiré la conclusion suivante :

[20] Il y a manquement à l’équité procédurale lorsque l’argent omet de divulguer une preuve extrinsèque, comme une lettre de renonciation, sur laquelle il s’est fondé par la suite pour rendre sa décision : Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1081, au paragraphe 28, [2010] 4 RCF 256.

[23] En l’espèce, le dossier certifié du tribunal ne comprend aucune correspondance provenant du père des demanderesses. Des notes saisies dans le SMGC le 24 octobre 2018 par le Centre de traitement des demandes – Ottawa (CTD-O) indiquent que l’Unité d’évaluation des risques (UER) du CTD-O a reçu (la date n’est pas indiquée) une [traduction] « lettre de dénonciation », et qu’un courriel portant sur les renseignements reçus a été transmis au Bureau de réception centralisée des demandes – Sydney (la date n’est pas indiquée). Le contenu de cette lettre semble avoir été versé dans les notes du SMGC. Comme il s’agit du seul document en provenance du père des demanderesses mentionné dans le dossier (le dossier certifié du tribunal comprend une lettre du 23 octobre 2018 abondant dans le même sens, que les avocats du père des enfants ont transmise au Haut-commissariat du Canada au Nigéria, mais la date de réception de cette lettre ou son mode de transmission ne sont pas indiqués clairement), il semble que l’agent des visas se soit appuyé uniquement sur la lettre du père des enfants (et peut-être sur la lettre de ses avocats) – qui aurait été envoyée le 24 octobre 2018 ou vers cette date [la lettre du mois d’octobre] – pour annuler les visas de résident permanent des demanderesses. Cependant, à la différence de l’affaire Sapojnikov, l’existence de cette lettre a été révélée avant que l’agent des visas prenne une décision.

[24] En outre, même si le décideur s’appuie sur des éléments de preuve extrinsèques pour prendre une décision, cela ne signifie pas nécessairement que ces éléments de preuve doivent être fournis au demandeur. Dans certains cas, il peut être suffisant de présenter les allégations au demandeur si, après en avoir été informé, il a eu la possibilité d’y répondre (Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1081 aux para 29-31).

[25] À cet égard, le défendeur invoque la décision Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 812 [Wang]. Dans cette affaire, au cours d’une entrevue, l’agente des visas a mentionné qu’elle avait reçu une lettre anonyme contenant des allégations selon lesquelles le mariage de la demanderesse n’était pas authentique. Le juge Mosley a conclu que rien dans les motifs de la SAI ne laissait croire qu’elle se soit fondée sur la lettre de dénonciation anonyme pour parvenir à sa conclusion quant à l’authenticité du mariage.

[13] De plus, la prétention de la demanderesse voulant que l’omission de lui communiquer, ou de communiquer à son époux, la lettre ou les détails de celle-ci constituait un manquement à l’équité procédurale est sans fondement. Il a été conclu qu’une « lettre malicieuse anonyme » n’a pas nécessairement à être communiquée à un demandeur, tant et aussi longtemps qu’on porte à sa connaissance les allégations contenues dans la lettre : D’Souza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 57, 321 F.T.R. 315, au paragraphe 14. C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Au cours de l’entrevue de l’époux de la demanderesse, l’agente des visas a explicitement mentionné que Citoyenneté et Immigration Canada avait reçu une lettre anonyme et lui a donné la possibilité de répondre à ses préoccupations : voir la décision de l’agente des visas, dossier de la demande, pages 50-52. L’on ne peut affirmer qu’il y a eu des manquements à la justice naturelle.

[26] En l’espèce, les notes de l’agent de l’ASFC renvoient à [traduction] « l’alerte d’information » qui se trouve dans les dossiers de l’ASFC, indiquant que l’ancien époux de Mme Onuoha n’a pas donné son consentement à l’immigration des enfants au Canada. Selon les notes, l’alerte d’information est formulée en ces termes : [traduction] « Le bureau d’Abuja a reçu, le 25 octobre 2018, une lettre de dénonciation qui aurait été écrite par le père de la personne en objet pour exprimer sa crainte que son ancienne épouse sorte du Nigéria avec ses deux enfants (y compris la personne en objet) sans son consentement. La lettre anonyme de dénonciation a été téléversée dans les correspondances reçues. »

[27] Les notes comprennent ensuite le passage suivant :

[traduction]

LA MÈRE A AFFIRMÉ QUE SON ANCIEN ÉPOUX EXIGEAIT D’AVOIR DES RAPPORTS SEXUELS AVEC LA PERSONNE EN OBJET, ET LORSQU’ELLE A FINI PAR REFUSER, IL A AFFIRMÉ QU’IL « S’OCCUPERAIT D’ELLE ». LA MÈRE IGNORAIT L’EXISTENCE DE CETTE LETTRE ET NE SAVAIT PAS QUE SON ANCIEN ÉPOUX AVAIT SOUDAINEMENT CHANGÉ D’AVIS QUANT À L’IMMIGRATION DES ENFANTS AU CANADA.

LA MÈRE A TÉLÉPHONÉ À SON ANCIEN ÉPOUX PENDANT QU’ELLE ME PARLAIT ET A AFFIRMÉ QU’IL SE PRÉSENTERAIT À L’AMBASSADE POUR REMÉDIER À LA SITUATION. ELLE M’A DIT QU’IL ÉTAIT PRÊT À SE RÉTRACTER ET À PERMETTRE À SES ENFANTS DE S’ÉTABLIR ET DE VOYAGER LIBREMENT AVEC ELLE. (IMPOSSIBLE DE VÉRIFIER SI ELLE PARLAIT RÉELLEMENT À SON ANCIEN ÉPOUX.)

J’AI DEMANDÉ À LA MÈRE DE ME DONNER LE NUMÉRO DE TÉLÉPHONE ET LE NOM DE SON ANCIEN ÉPOUX, ET ELLE M’A DONNÉ LA RÉPONSE SUIVANTE : CHAMBERLAIN ONUOHA [...]

L’INTERROGATOIRE SE POURSUIVRA LE 7 NOVEMBRE 2019 À 10 H À L’AÉROPORT INTERNATIONAL PEARSON DE TORONTO, TERMINAL 1, IMMIGRATION, OU PLUS TÔT SI LE BUREAU DES VISAS TRANSMET UNE RÉPONSE.

[...]

[28] Compte tenu de la réaction de Mme Onuoha pendant son entrevue avec l’agent de l’ASFC, et du fait qu’elle aurait téléphoné à son ancien époux et affirmé qu’il avait accepté de remédier à la situation et d’autoriser l’immigration des enfants, il ne fait guère de doute qu’elle connaissait la teneur des allégations, à savoir que son ancien époux n’avait pas consenti à ce que les enfants immigrent au Canada. En outre, dans l’affidavit qu’elle a produit à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, elle affirme que l’agent de l’ASFC l’a informée que son ancien époux avait envoyé une lettre indiquant qu’elle n’avait pas obtenu son consentement au sujet du déménagement des enfants au Canada. Elle soutient qu’elle a dit à l’agent de l’ASFC que son ancien époux avait donné son consentement véritable sur le formulaire et ne l’avait pas informée qu’il avait changé d’avis. Elle déclare également qu’elle a alors téléphoné à son ancien époux, qui lui a confirmé qu’il informerait le Haut-commissariat du Canada qu’il consentait à ce que les enfants déménagent au Canada, ce dont elle a informé l’agent de l’ASFC.

[29] Par conséquent, comme Mme Onuoha connaissait clairement la nature des allégations, il s’agit en l’espèce de savoir si elle a eu la possibilité d’y répondre. La question de savoir en quoi consiste une véritable possibilité de répondre aux allégations varie en fonction du contexte factuel. L’agent des visas a annulé les visas des demanderesses le ou vers le 4 novembre 2019, soit trois jours avant la date à laquelle la poursuite de l’interrogatoire était prévue, et 16 jours après leur arrivée au Canada. Bien que le défendeur soutienne qu’au cours de cet intervalle de 16 jours, Mme Onuoha n’a pas fourni de nouveaux documents pour confirmer que le père des enfants avait consenti à l’immigration de ceux-ci, le défendeur ne renvoie à aucun élément de preuve indiquant que Mme Onuoha a été informée de la possibilité que la décision d’annuler les visas des enfants soit prise sans préavis avant la poursuite de l’interrogatoire prévue. Elle n’a pas reçu de lettre relative à l’équité procédurale et n’a aucunement été informée qu’elle devait répondre aux allégations dans un délai précis. À mon avis, dans ces circonstances, Mme Onuoha pouvait raisonnablement s’attendre à avoir la possibilité de répondre aux allégations relatives à l’absence de consentement au cours de la poursuite de l’interrogatoire.

[30] Le défendeur renvoie à l’affidavit de Mme Onuoha, dans lequel celle-ci affirme, entre autres, qu’en réponse aux allégations, elle a eu la possibilité de dire qu’elle pouvait répondre aux préoccupations et demander plus de temps pour régler la question de la garde des enfants. Le défendeur, qui renvoie à la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, soutient que la question de la garde a été réglée de façon définitive. Cela est vrai, mais cette décision a été prise plus d’un an après que l’agent des visas a annulé les visas, et elle n’a pas été portée à la connaissance de l’agent des visas en question. Par conséquent, lorsque l’agent des visas a pris sa décision, il disposait uniquement de renseignements contradictoires et des renseignements fournis par l’agent de l’ASFC, à savoir que Mme Onuoha effectuait un suivi auprès de son ancien époux.

[31] À mon avis, dans ces circonstances particulières, il y a eu manquement à l’équité procédurale, car Mme Onuoha, agissant au nom des demanderesses mineures, n’a pas eu une possibilité véritable ou équitable de répondre aux allégations.

[32] Cela ne signifie pas que la décision rendue ultérieurement par la Cour supérieure de justice de l’Ontario relativement à la garde n’est pas importante ou qu’il est possible d’en faire abstraction. Cette décision revêt une grande importance et il en sera question dans la section portant sur la réparation à laquelle les demanderesses pourraient avoir droit.

La décision de l’agent des visas était-elle raisonnable?

Position des demanderesses

[33] Les demanderesses font valoir que la décision de l’agent des visas manque de transparence et ne fait pas état d’une analyse rationnelle (Vavilov au para 103). Bien que les visas aient été annulés [traduction] « pour permettre à l’ASFC de prendre les mesures appropriées », rien n’indique en quoi pourraient consister ces mesures ni pourquoi il convenait d’annuler les visas pour prendre les mesures appropriées. Si les mesures appropriées consistaient à examiner les renseignements contradictoires pour déterminer si l’ancien époux de Mme Onuoha avait donné son consentement, l’agent de l’ASFC aurait pu continuer de repousser l’entrevue d’établissement jusqu’à ce que les choses soient tirées au clair. Il n’était pas nécessaire d’annuler les visas pour continuer l’enquête.

Position du défendeur

[34] Le défendeur soutient que les agents des visas ont implicitement le pouvoir de révoquer ou d’annuler un visa s’il est établi ultérieurement qu’il a été utilisé à mauvais escient, et qu’ils conservent le pouvoir résiduel de rouvrir les demandes de visas dans des circonstances exceptionnelles s’il est dans l’intérêt de la justice de la faire. Le défendeur fait valoir que l’annulation des visas dans ces circonstances était raisonnable, juste et nécessaire compte tenu des graves allégations d’enlèvement d’enfants.

Analyse

[35] Dans la décision Sanif c Canada, 2010 CF 115 [Sanif], le juge Mosley a examiné la jurisprudence concernant le pouvoir des agents des visas de révoquer un visa. Il a précisé qu’il existe une présomption voulant que, une fois délivré, un visa demeure valide pendant toute la durée de la période pour laquelle il est accordé. Cependant, la seule exception à ce principe général est celle où le visa est révoqué ou annulé par un agent des visas (Sanif au para 27, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hundal, [1995] 3 CF 32, [1995] ACF no 918, (1re inst) au para 19). Il a apporté les précisions suivantes :

[31] Dans Hundal, le juge Rothstein a établi que le pouvoir de révocation est conféré par voie de conséquence nécessaire, en partie parce que la loi en vigueur à l’époque exigeait que la personne cherchant à être admise possède un « visa d’immigrant valide ». Il a conclu, au paragraphe 19, que lorsqu’un agent des visas annule un visa, ce dernier n’est plus « valide », invoquant Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Rogelio Astudillo Gudino, [1982] 2 C.F. 40 (C.A.F.). Bien que la loi en vigueur ne mentionne pas la validité, je pense que l’obligation énoncée à l’alinéa 20(1)a) de la LIPR implique que tout étranger souhaitant entrer au Canada afin d’en devenir résident permanent doit établir qu’il est titulaire du visa exigé par règlement. Je pense aussi que la notion de validité est implicite étant donné l’obligation, prévue à l’article 6 du Règlement, faite à tout étranger de se procurer un visa de résident permanent avant d’entrer au Canada pour demeurer en permanence. La révocation ou annulation du visa suppose que l’agent des visas en prend la décision. Dès qu’une décision de révoquer ou d’annuler un visa est prise, ce visa n’est plus valide.

[32] Dans Hundal, on a établi que le visa était valide au départ, comme en l’espèce, et que le haut-commissariat avait seulement l’intention de mener une enquête (Hundal, paragraphe 21). Souhaitant enquêter sur l’offre d’emploi suspecte, le haut-commissariat a convoqué Mme Sanif en entrevue. C’est seulement en constatant que Mme Sanif ne s’était pas présentée à l’entrevue tenue dans ce but que le haut-commissariat a annulé les visas à la lumière des circonstances, notamment les difficultés rencontrées quand on a tenté de téléphoner à Mme Sanif le 1er décembre 2008.

[33] En l’occurrence, l’agent a agi raisonnablement à partir de l’information dont il disposait. La validité de l’offre d’emploi avait été mise en doute et la demandeure principale ne s’était pas présentée à l’entrevue prévue pour examiner cette validité. L’agent avait compétence pour annuler ou révoquer les visas le 1er décembre 2008 s’il n’était pas convaincu que les demandeurs n’étaient pas interdits de territoire. Une fois annulés par l’agent Chong, les visas n’étaient plus valides et ne pouvaient servir à entrer au Canada.

[34] L’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale en procédant comme il l’a fait. Mme Sanif a été informée qu’il y avait un problème avec les visas et on lui a donné la possibilité d’en discuter lors d’une entrevue avec l’agent d’immigration. L’agent, par l’intermédiaire de son adjointe, a tenu compte de l’horaire chargé de Mme Sanif et a reporté l’entrevue au lundi suivant.

[35] Mme Sanif ne peut se plaindre maintenant en alléguant qu’on ne lui a pas permis d’être entendue avant de prendre une décision : Mugu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 384, [2009] A.C.F. no 457, paragraphe 64; La nation Wayzhushk Onigum c. Kakeway, 2001 CFPI 819, [2001] A.C.F. no 1167; Begum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 164, [2006] A.C.F. no 196, paragraphe 32.

[36] Dans l’affaire Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 710 [Ali], la juge McTavish a jugé que la conclusion selon laquelle les demandeurs satisfaisaient aux conditions de la catégorie de personnes de pays d’accueil n’était que l’une des étapes du processus pouvant mener à la délivrance d’un visa de résident permanent. À cet égard, elle a établi que les décisions intermédiaires rendues au cours du processus d’examen ne sont pas des « décisions définitives » aux fins du principe du dessaisissement, et qu’un agent des visas peut infirmer une conclusion initiale ou préliminaire tirée dans le contexte d’une demande de visa de résident permanent. Elle a ajouté ceci :

[31] En outre, même si j’étais convaincue que l’agente Sauvé avait rendu une décision définitive (et je ne le suis pas), je conclurais que les agents des visas conservent le pouvoir discrétionnaire de rouvrir une demande de visa dans des circonstances exceptionnelles s’il est dans l’intérêt de la justice de la faire : voir, par exemple, Kheiri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 193 F.T.R. 112, 8 Imm. L.R. (3d) 265, au paragraphe 8; Moumivand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 157, [2011] A.C.F. no 354 (QL), au paragraphe 17; Grigaliunas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 87, [2012] A.C.F. no 87 (QL).

[32] Les agents des visas doivent conserver leur pouvoir discrétionnaire d’examiner les décisions antérieures afin de faire en sorte qu’on ne permette pas à des immigrants d’entrer illégalement au Canada : Lo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1155, 229 F.T.R. 145, au paragraphe 33. Cette préoccupation générale existe également dans le contexte des réfugiés où l’identité de l’un des demandeurs est en cause.

[...]

[36] D’ailleurs, dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 3 C.F. 349, 114 F.T.R. 247, la Cour a reconnu, au paragraphe 28, que de nouveaux éléments de preuve démontrant qu’un demandeur est interdit de territoire peuvent légitimement exiger que sa demande de visa soit réexaminée, même si le visa a été délivré.

[37] En conséquence, je suis convaincue que l’agent Mjanes n’a pas commis une erreur de droit en réexaminant la question de savoir si les demandeurs satisfaisaient à la définition de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[37] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ces circonstances sont inhabituelles. Les visas de résident permanent des demanderesses semblent avoir été délivrés sur la foi des déclarations, soit les documents fournis par Mme Onuoha indiquant que le père des enfants avait consenti à ce que ceux-ci immigrent au Canada. J’ignore tout à fait pourquoi le bureau des visas a délivré les visas de résident permanent sans réaliser une enquête plus approfondie. En effet, les agents d’immigration canadiens avaient déjà reçu la lettre du père des enfants le 24 octobre 2018, dans laquelle le père exprimait ses craintes que son ancienne épouse tente de quitter le Nigéria avec les enfants, précisait qu’il n’avait pas consenti à ce voyage et les informait que si elle fournissait un document indiquant le contraire, ce document serait frauduleux. Au vu du dossier dont je dispose, le bureau des visas n’a manifestement pas été à la hauteur. Cela a entraîné une conséquence très importante, soit la délivrance des visas de résident permanent des demanderesses.

[38] Cependant, lorsque les demanderesses sont arrivées au Canada, l’agent de l’ASFC était au fait de [traduction] « l’alerte d’information ». Selon les notes du SMGC, le 19 octobre 2019, l’agent de l’ASFC a demandé des instructions au bureau des visas pour savoir comment traiter les établissements. La note précise que la mère des enfants aurait parlé avec leur père pendant qu’elle se trouvait dans le bureau de l’agent de l’ASFC et qu’elle aurait affirmé que le père communiquerait avec l’ambassade pour se rétracter. Les notes du SMGC précisent que l’agent des visas a répondu le 5 novembre 2019. Elles indiquent que le père a envoyé une correspondance (vraisemblablement la lettre du mois d’octobre, car c’est la seule correspondance mentionnée dans les notes du SMGC), dont le contenu contredisait des documents fournis précédemment (selon le dossier, il s’agirait des déclarations que Mme Onuoha a fournies par la suite), et qu’en raison des renseignements contradictoires, les visas ont été annulés.

[39] Si l’on examine le dossier dans son ensemble, il est évident que les visas ont été annulés parce que le bureau des visas n’aurait pas dû les délivrer tant qu’il n’avait pas fait la lumière sur les renseignements contradictoires à sa disposition au sujet du consentement du père. Par conséquent, le courriel du bureau des visas indiquant que les visas avaient été annulés [traduction] « pour permettre à l’ASFC de prendre les mesures appropriées » est, au mieux, simpliste. Il n’est pas transparent. J’ai aussi de la difficulté à comprendre pourquoi, comme les enfants se trouvaient déjà au Canada, mais n’avaient pas obtenu le droit d’établissement – c’est‐à-dire que leur statut de résident permanent n’avait pas été confirmé –, il était nécessaire d’annuler immédiatement les visas avant d’offrir à Mme Onuoha la possibilité de répondre aux préoccupations au cours de l’interrogatoire, qui devait se poursuivre le 7 novembre 2019. Je reconnais que l’agent des visas avait le pouvoir d’annuler les visas, mais dans la situation qui prévalait alors, l’annulation des visas était à la fois déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural.

[40] Le défendeur souligne que la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que Mme Onuoha avait enlevé les enfants et avait utilisé un document de voyage frauduleux pour commettre cet enlèvement.

[41] Je souligne que l’enlèvement d’un enfant par le père ou la mère est un geste haineux qui doit être condamné dans toutes les circonstances.

[42] Cependant, là encore, la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a été rendue le 10 novembre 2020, soit près d’un an après la date à laquelle l’agent des visas a pris la décision d’annuler les visas des demanderesses, à savoir le 4 novembre 2019. Ainsi, bien que cette décision règle clairement la question du consentement parental et de la garde, elle a été prise à la suite d’une audience et de l’examen de la preuve. Le point que je veux faire valoir c’est que l’issue de cette procédure ne peut pas servir à justifier la décision initiale de l’agent des visas ni le manquement à l’équité procédurale.

[43] Cependant, j’estime que la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario joue un rôle très important dans la réparation à laquelle les demanderesses pourraient avoir droit en l’espèce.

S’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou si la décision était déraisonnable, quelle est la réparation appropriée?

Position des demanderesses

[44] Les demanderesses cherchent à obtenir une ordonnance prévoyant que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l’agent des visas soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

Position du défendeur

[45] Le défendeur soutient que même s’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale, les demanderesses n’ont pas prouvé qu’une réparation devrait être accordée. Les réparations prévues au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, sont discrétionnaires, et les manquements à l’équité procédurale ne donnent pas tous droit à réparation. Dans la présente affaire, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que les demanderesses ont été enlevées, et par conséquent, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Pour soutenir sa position, le défendeur s’appuie sur les arrêts Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 [Mobil Oil]; Stevens c Parti conservateur du Canada, 2005 CAF 383 [Stevens]; et Maple Lodge Farms Ltd c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45.

Analyse

[46] Le paragraphe 18.1(3) est ainsi libellé :

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

[47] L’utilisation du terme « peut » au paragraphe 18.1(3) et du terme « si » au paragraphe 18.1(4) confirme la nature discrétionnaire traditionnelle du contrôle judiciaire. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Khosa :

[36] Selon moi, l’art. 18.1 énonce en termes généraux les motifs qui autorisent la Cour à prendre une mesure, sans lui en imposer l’obligation. La question de savoir si la cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation dépendra de son appréciation des rôles respectifs des cours de justice et des organismes administratifs ainsi que des « circonstances de chaque cas » : voir Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, p. 575. De plus, [TRADUCTION] « [e]n un sens, des considérations relatives à la prépondérance des inconvénients jouent chaque fois que la cour exerce son pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder réparation » (D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 3‐99). Ce pouvoir discrétionnaire doit bien sûr être exercé judiciairement, mais les principes généraux de contrôle judiciaire traités dans Dunsmuir fournissent des éléments du fondement judiciaire approprié de l’exercice de ce pouvoir.

[48] Et dans l’arrêt Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, la Cour suprême du Canada a tiré la conclusion suivante :

[37] Le contrôle judiciaire effectué au moyen des anciens brefs de prérogative a toujours été considéré comme étant discrétionnaire. Cela signifie que, même si le demandeur établit le bien-fondé de sa demande de contrôle judiciaire, la cour de révision dispose du pouvoir discrétionnaire prépondérant de refuser d’accorder la réparation demandée : voir, p. ex., D. J. Mullan, « The Discretionary Nature of Judicial Review », dans R. J. Sharpe et K. Roach, dir., Les recours et les mesures de redressement : une affaire sérieuse – 2009 (2010), 420, p. 421; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, p. 575; D. P. Jones et A. S. de Villars, Principles of Administrative Law (6e éd. 2014), p. 686-687; Brown et Evans, thème 3:1100. Les déclarations de droit, qu’elles soient sollicitées au moyen d’une demande de contrôle judiciaire ou d’une action, sont également des réparations discrétionnaires : [traduction] « . . . les tribunaux ont la plus grande discrétion pour décider s’il s’agit d’une affaire où le jugement déclaratoire demandé devrait être accordé » (le juge en chef Dickson dans Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49, p. 90, citant S. A. de Smith, Judicial Review of Administrative Action (4e éd. 1980), p. 513).

[38] La nature discrétionnaire du contrôle judiciaire et du jugement déclaratoire est maintenue par les dispositions de la Loi en matière de contrôle judiciaire. Cela ressort autant de la mention à l’art. 18 des brefs de prérogative traditionnels et autres recours de droit administratif, lesquels ont toujours été qualifiés de discrétionnaires, que du libellé permissif plutôt qu’impératif employé quant aux circonstances dans lesquelles la réparation demandée peut être accordée. Le paragraphe 18.1(3) dispose que « [s]ur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut » rendre certaines ordonnances de la nature visée par ces réparations traditionnelles. Ce libellé « conserve la nature discrétionnaire traditionnelle du contrôle judiciaire. En conséquence, les juges de la [. . .] Cour fédérale [. . .] jouissent d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il y a lieu à contrôle judiciaire » : Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, par. 31; TeleZone, par. 56.

(Voir aussi l’arrêt Mines Alerte Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2 aux para 51‐52.)

[49] En outre, dans l’arrêt Mobil Oil, la Cour suprême du Canada a conclu que Mobil Oil aurait normalement droit à un redressement pour les manquements à l’équité et à la justice naturelle. Cependant, les redressements que demande Mobil Oil dans le pourvoi lui-même sont peu réalistes, étant donné que, suivant le résultat du pourvoi incident, le décideur administratif serait juridiquement tenu de rejeter cette demande :

Le résultat de ce pourvoi est donc exceptionnel puisque, habituellement, la futilité apparente d’un redressement ne constituera pas une fin de non‐recevoir : Cardinal, précité. Cependant, il est parfois arrivé que notre Cour examine les circonstances dans lesquelles aucun redressement ne sera accordé face à la violation de principes de droit administratif : voir, par exemple, Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. Comme je l’ai affirmé dans le contexte de la question soulevée dans le pourvoi incident, les circonstances de la présente affaire soulèvent un type particulier de question de droit, savoir une question pour laquelle il existe une réponse inéluctable.

[50] En l’espèce, la décision subséquente de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a une importance considérable quant à la question de la réparation. Dans cette décision, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a tiré les conclusions suivantes : une ordonnance de divorce rendue au Nigéria officialisait une entente entre Mme Onuoha et son ancien époux, selon laquelle ils auraient la garde conjointe ou partagée des enfants; il s’agissait d’une ordonnance interprovinciale qui devait être reconnue et appliquée, et qui l’a été; Mme Onuoha a enlevé les enfants et le père de ceux-ci n’avait pas consenti à ce qu’ils immigrent au Canada; un document de consentement au voyage qui aurait été signé par le père des enfants était frauduleux; comme l’ordonnance de divorce était reconnue, la Cour supérieure de justice de l’Ontario devait ordonner le retour des enfants, ce qu’elle a fait. La Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé cette décision.

[51] Le défendeur m’informe que les enfants sont retournés au Nigéria, comme l’a confirmé l’avocat des demanderesses lorsqu’il a comparu devant moi.

[52] Dans ces circonstances, si notre Cour annule la décision par laquelle l’agent des visas a annulé les visas et renvoie l’affaire pour nouvel examen, le résultat est inévitable. Il est tout simplement impossible de faire abstraction de la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario relativement à la garde des enfants. Cette décision est subséquente à celle de l’agent des visas, mais la lumière a finalement été faite – quoique dans un autre tribunal – sur les renseignements contradictoires concernant le consentement du père quant à l’immigration des enfants au Canada dont disposait l’agent des visas lorsque les visas de résident permanent des demanderesses ont été délivrés. Si un nouvel examen était effectué, les visas de résident permanent des demanderesses devraient encore être annulés compte tenu des circonstances. Autrement dit, dans les circonstances, le nouvel examen serait futile.

[53] Lorsqu’elles ont comparu devant moi, les demanderesses ont fait valoir que si l’affaire était renvoyée pour nouvel examen, elles auraient la possibilité de retirer leur demande de résidence permanente. Cela permettrait de veiller à ce que l’annulation de leur visa, qu’elles devront déclarer ultérieurement si elles souhaitent voyager au Canada, ne leur porte pas préjudice (renvoyant à Mandivenga c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2019 CF 1631 aux para 12‐14, et à Khaniche c Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2020 CF 559). Selon moi, cela est sans fondement.

[54] Premièrement, il n’est pas du tout évident pour moi qu’il est possible de retirer les demandes. Au vu du dossier dont je dispose, il n’y a qu’une seule demande de résidence permanente, présentée par Mme Onuoha, qui a indiqué que ses enfants étaient des personnes à charge l’accompagnant. Sa demande a été accueillie, et conformément aux déclarations probablement frauduleuses, les enfants ont obtenu les visas qui ont par la suite été annulés.

[55] Deuxièmement, les demanderesses ont été jugées interdites de territoire et des mesures de renvoi ont été prises contre elles. Bien que les demanderesses aient déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de prendre les mesures de renvoi, cette demande n’a pas été mise en état et a par conséquent été rejetée. Même si les demanderesses arrivaient à retirer leur demande de résidence permanente, les mesures de renvoi demeurent au dossier. Tout préjudice éventuel allégué est inévitable.

[56] Troisièmement, je ne suis pas convaincue qu’il existe une quelconque possibilité de préjudice. Les demanderesses sont des enfants. Elles n’ont pas participé à la préparation de la demande de résidence permanente et il est impossible de les tenir responsables des actions de Mme Onuoha ou de leur reprocher quoi que ce soit à cet égard. En fait, elles ont été victimes d’un enlèvement parental. La prétention selon laquelle l’annulation des visas leur porterait préjudice si leur père consentait ultérieurement à ce qu’elles se rendent au Canada ou si elles voulaient se rendre au Canada à l’âge adulte relève de la conjoncture. Si elles demandaient de nouveaux visas, il serait possible d’expliquer les circonstances entourant l’annulation des visas et de fournir des éléments de preuve à l’appui.

[57] Enfin, je tiens à ajouter que je suis préoccupée par le fait que c’est en réalité Mme Onuoha qui cherche à obtenir cette réparation, prétendument dans l’intérêt des enfants. À mon avis, elle a des motifs douteux de tenter d’obtenir l’autorisation de retirer la demande pour éviter que l’annulation des visas des enfants figure au dossier.

[58] Par conséquent, bien que la décision de l’agent des visas d’annuler les visas ait été rendue de manière inéquitable sur le plan procédural et était déraisonnable, vu les circonstances inhabituelles et exceptionnelles, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et je refuse d’accorder la réparation demandée. Ainsi, je refuse d’ordonner que la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2800-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. Cependant, compte tenu des circonstances très inhabituelles et exceptionnelles de la présente affaire, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales et je refuse d’accorder aux demanderesses la réparation qu’elles demandent. La décision par laquelle l’agent des visas a annulé leurs visas de résident permanent ne sera pas annulée et ne sera pas renvoyée pour nouvel examen. Le résultat d’un tel examen est désormais inévitable compte tenu de la décision relative à la garde rendue par les tribunaux de l’Ontario;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés;

  4. Aucune question de portée générale n’a été proposée pour certification, et cette affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2800-20

 

INTITULÉ :

PRINCESS MMESOMA ONUOHA, ANGEL RHEMA ONUOHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Luke McRae

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Kareena Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Bondy Immigration Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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