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Date : 20041202

Dossier : IMM-7771-03

Référence : 2004 CF 1692

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 2 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                          ALICE ZHI HONG FAN

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse, Alice Zhi Hong Fan, est une citoyenne chinoise. Elle est arrivée au Canada en mai 2001 et elle a présenté une demande d'asile en septembre 2001. Peu après son arrivée au Canada, la demanderesse a commencé à participer à des séances hebdomadaires de Falun Gong (le FG). À cause de son appartenance à la religion du FG, la demanderesse allègue qu'elle serait exposée au risque d'être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait en Chine.

[2]                La demande d'asile présentée par la demanderesse a été entendue en novembre 2002 et rejetée en décembre 2002.

[3]                La demanderesse a demandé la tenue d'un examen des risques avant renvoi (ERAR) le 31 juillet 2003. Dans une décision en date du 10 septembre 2003, un agent d'ERAR a conclu que la demanderesse n'était pas exposée aux risques visés à l'article 96 ou 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

QUESTIONS EN LITIGE

[4]                La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

1.          L'agent d'ERAR a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte d'éléments de preuve pertinents?

2.          L'agent d'ERAR a-t-il commis une erreur en imposant une norme de preuve trop exigeante au regard de l'article 97 de la LIPR?

3.          L'agent d'ERAR a-t-il commis une erreur en appliquant incorrectement la loi touchant la liberté de religion?

4.          L'agent d'ERAR a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant?

[5]                Toutefois, je suis d'avis que la première question à laquelle il faut répondre en l'espèce, qui est aussi une question déterminante, est celle de savoir si la décision de l'agent d'ERAR était manifestement déraisonnable du fait qu'elle était fondée sur des considérations non pertinentes.

ANALYSE

[6]                La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la décision de l'agent d'ERAR est la norme de la décision manifestement déraisonnable (Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1904). D'une façon générale, cela signifie que la décision doit être maintenue à moins qu'elle ne soit pas du tout étayée par la preuve. Cependant, il est également possible qu'une décision soit manifestement déraisonnable si l'agent a tenu compte d'éléments non pertinents ou a omis d'apprécier correctement les éléments de preuve dont il disposait.


[7]                L'agent d'ERAR était très conscient des risques de persécution auxquels sont exposés les adeptes du FG. Il a mentionné que les membres et les adeptes du FG avaient été persécutés dans le passé et que l'on pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'ils soient exposés au risque de persécution, de torture, à des menaces à leur vie et à des traitements ou peines cruels et inusités en Chine dans l'avenir, et que des personnes dont l'appartenance au FG était connue mais qui n'avaient jamais participé à des manifestations publiques avaient été persécutées par les autorités chinoises. En effet, les dangers sont décrits en des termes tellement graves qu'après avoir lu la décision, j'ai nettement l'impression que l'agent d'ERAR aurait reconnu à la demanderesse la qualité de personne à protéger s'il n'était pas parvenu aux deux conclusions clés suivantes :

1.         la demanderesse aurait pu cacher ses activités liées au FG aux autorités;

2.         la demanderesse n'aurait eu à dissimuler ses croyances religieuses devant les autorités que pendant la courte période nécessaire pour que son mari canadien puisse remplir les formalités de parrainage.

[8]                La conclusion selon laquelle il aurait été difficile pour la demanderesse de dissimuler ses activités liées au FG pendant une période dépassant celle qui était nécessaire pour remplir les formalités relatives à la demande de parrainage ressort implicitement de cette analyse. Ceci soulève logiquement la question de savoir si la demanderesse sera une personne à protéger dans l'éventualité où sa demande de parrainage n'est pas traitée et accueillie rapidement.


[9]                En ce qui concerne la conclusion selon laquelle il n'était pas nécessaire de porter les croyances de la demanderesse à l'attention des autorités, je suis convaincue qu'il était loisible à l'agent d'ERAR de la tirer compte tenu de la preuve dont il disposait. Les décisions invoquées aussi bien par la demanderesse que par le défendeur relativement à la liberté de religion (Fosu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 90 F.T.R. 182; Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47; (2004), 241 D.L.R. (4th) 1) sont étroitement liées à la situation particulière et aux croyances personnelles des personnes touchées. Même si la demanderesse a pratiqué le FG dans un endroit public à Vancouver, elle n'a pas dit que ce rassemblement public constituait une partie importante de ses croyances. La demanderesse a mentionné qu'elle pratiquait le FG à la maison et dans un parc public. Son ancien avocat, dans les observations qu'il a soumises pour le compte de la demanderesse à l'agent d'ERAR, a reconnu qu'elle pouvait pratiquer sa religion dans le privé. Compte tenu des faits propres à cette affaire qui ont été présentés par la demanderesse, l'agent pouvait raisonnablement conclure que le fait de pratiquer sa religion dans le privé ne constituait pas une grave atteinte à la capacité de la demanderesse de pratiquer le FG.

[10]            Le deuxième élément que l'agent d'ERAR a pris en considération - le fait que la demanderesse ne serait en danger que pendant une courte période de temps - est beaucoup plus troublant. Comment l'agent d'ERAR a-t-il pu être si sûr que la demande de parrainage présentée par le mari de la demanderesse allait être accueillie? Qu'est-ce qui garantit que la demanderesse passera tous les contrôles de sécurité et les vérifications médicales nécessaires? Cette conclusion n'était tout simplement pas fondée sur des considérations qui peuvent s'appuyer sur la preuve qui a été mise à la disposition de l'agent. De plus, elle n'était pas pertinente dans l'optique de la décision de l'agent d'ERAR. Elle était manifestement déraisonnable.

[11]            Comme je l'ai mentionné plus haut, la décision semble établir un lien entre ces deux conclusions. Dans les circonstances, il m'est difficile de déterminer si une seule de ces conclusions ou les deux à la fois ont constitué un facteur décisif pour l'agent d'ERAR. Par conséquent, j'estime que l'erreur relevée porte un coup fatal à l'ensemble de la décision.


[12]            Je conclus que la décision ne peut être maintenue, et ce, même si l'on applique la norme de contrôle assortie du plus haut degré de retenue.

[13]            Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenue, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur les questions soulevées par la demanderesse.

[14]            Les parties ne m'ont soumis aucune question aux fins de certification. Aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est accueillie, et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'ERAR pour nouvel examen.

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

    _ Judith A. Snider _    

    Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-7771-03

INTITULÉ :                                       ALICE ZHI HONG FAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 30 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                     LE 2 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS:

Antya Schrack                                     POUR LA DEMANDERESSE

Peter Bell                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Antya Schrack                                     POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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