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Date : 20060714

Dossier : T-1453-05

Référence : 2006 CF 881

OTTAWA (Ontario), le 14 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

PRO-WEST TRANSPORT LTD. et

TEAM TRANSPORT SERVICES LTD.

demanderesses

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 4 août 2005 et prise conformément à l’article 47 de la Loi sur les transports au Canada, L.R.C. 1996, ch. 10 (la LTC), par laquelle le gouverneur en conseil a pris un décret modifiant le Décret autorisant des négociations pour la résolution du conflit causant la perturbation extraordinaire du réseau national des transports en ce qui concerne les mouvements des conteneurs arrivant à certains ports de la Colombie‑Britannique ou les quittant (le décret modifié).

[2]               Les demanderesses s’occupent du transport de conteneurs arrivant au port de Vancouver (le port), et en partant, lequel est exploité par la défenderesse, l’Administration portuaire de Vancouver (l’APV).

 

[3]               Les demanderesses font partie d’un certain nombre d’entreprises de camionnage qui ont conclu des contrats individuels avec des chauffeurs de camions qui sont propriétaires de leurs propres camions (les camionneurs) en vue du transport de conteneurs à partir ou à destination du port.

 

[4]               Le 24 juin 2005 ou vers cette date, un groupe de camionneurs ont cessé de fournir leurs services à plusieurs entreprises de camionnage, notamment aux demanderesses, et ont établi des lignes de piquetage au port.

 

[5]               En interrompant les services, les camionneurs cherchaient à exercer des pressions sur les entreprises de camionnage, dont les demanderesses, pour qu’elles fixent avec eux un tarif de transport dans l’ensemble de l’industrie.

 

[6]               Le 30 juin 2005, le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie‑Britannique ont conjointement désigné M. Vince Ready à titre de facilitateur pour qu’il apporte son aide dans le règlement de l’affaire.

 

[7]               Le 29 juillet 2005, M. Ready a présenté son rapport, dans lequel il recommandait aux parties de conclure un protocole d’entente. Ces recommandations n’ont pas été acceptées par toutes les parties.

 

[8]               Le 29 juillet 2005, le gouverneur en conseil a pris le décret 2005‑1356 (le décret initial) conformément à l’article 47 de la LTC.

 

[9]               Le 4 août 2005, le gouverneur en conseil a modifié le décret initial. Le décret modifié renfermait une directive à l’intention de l’APV au sujet de l’établissement d’un système de délivrance de permis pour l’accès au port. Le décret modifié exigeait que toutes les entreprises de camionnage signent un protocole d’entente comme condition d’obtention d’un permis. En l’absence de pareil permis, les entreprises de camionnage, dont les demanderesses, se verraient refuser l’accès au port.

 

[10]           Le 8 août 2005, les demanderesses ont signé un protocole d’entente; elles avaient donc droit à un permis leur accordant l’accès au port.

 

[11]           Le 11 août 2005, les demanderesses ont présenté des demandes en vue d’obtenir les permis nécessaires leur assurant l’accès, permis qui leur ont été délivrés.

 

[12]           Avant d’examiner le fond de l’affaire, il importe de trancher, à titre préliminaire, la question de savoir laquelle des décisions susmentionnées doit faire l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[13]           La défenderesse affirme qu’il ne s’agit pas du contrôle judiciaire d’une mesure administrative qu’elle a prise et elle attire l’attention de la Cour sur certains passages d’une lettre adressée au procureur général, le 21 septembre 2005, dans laquelle l’avocat des demanderesses a dit ce qui suit : [Traduction] « L’avis de demande vise essentiellement à obtenir une seule ordonnance, une ordonnance portant que le décret modifié n’est pas valide. Le reste de la réparation découle de cette déclaration ». Dans une lettre adressée à l’avocat de la défenderesse, le 23 septembre 2005, l’avocat des demanderesses a déclaré que les motifs sur lesquels il entendait se fonder étaient les suivants : [Traduction] « [L]a convention de délivrance de permis est nulle du fait que le décret modifié est nul ».

 

[14]           La défenderesse fait en outre valoir que la seule réparation qui peut être accordée aux demanderesses est un jugement déclaratoire portant que le décret modifié est nul et que le système de délivrance de permis ainsi que les protocoles d’entente sont donc nuls. Elle soutient que si les demanderesses sollicitaient le contrôle judiciaire d’une décision de l’APV de mettre sur pied un système de délivrance de permis, et leur avocat semble confirmer dans les lettres qu’il a envoyées les 21 et 23 septembre 2005 qu’elles ne sollicitent pas un tel contrôle, elles auraient dû désigner à titre de défendeurs tous les titulaires de permis conformément à l’article 303 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) qui prévoit ce qui suit :

303.(1) Défendeurs – Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

 

a) toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande;

 

b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande

 

(2) Défendeurs – demande de contrôle judiciaire – Dans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n’est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procureur général du Canada à ce titre.

 

(3) Remplaçant du procureur général – La Cour peut, sur requête du procureur général du Canada, si elle est convaincue que celui-ci est incapable d’agir à titre de défendeur ou n’est pas disposé à le faire après avoir été ainsi désigné conformément au paragraphe (2), désigner en remplacement une autre personne ou entité, y compris l’office fédéral visé par la demande.

303.(1) Respondents – Subject to subsection (2), an applicant shall name as a respondent every person

 

(a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or

(b) required to be named as a party under an Act of Parliament pursuant to which the application is brought.

 

 

 

(2) Application for judicial review – Where in an application for judicial review there are no persons that can be named under subsection (1), the applicant shall name the Attorney General of Canada as a respondent.

 

 

(3) Substitution for Attorney General – On a motion by the Attorney General of Canada, where the Court is satisfied that the Attorney General is unable or unwilling to act as a respondent after having been named under subsection (2), the Court may substitute another person or body, including the tribunal in respect of which the application is made, as a respondent in the place of the Attorney General of Canada.

 

[15]           Le défendeur, le procureur général, convient, mais pour des motifs différents, que la présente demande ne vise pas l’examen de la décision de l’APV de mettre sur pied un système de délivrance de permis.

 

[16]           Le procureur général soutient que les demanderesses semblent confondre le pouvoir de l’APV de mettre sur pied un système de délivrance de permis et le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre le décret modifié, en ce sens qu’elles présentent les deux décisions comme si elles étaient visées par la LTC. Les demanderesses font comme s’il n’était pas possible que l’APV soit autorisée à accorder des permis en vertu de la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10 (la LMC).

 

[17]           À mon avis, la question de savoir si l’APV était autorisée à mettre sur pied un système de délivrance de permis n’est pas essentielle aux fins du présent contrôle judiciaire. La présente demande concerne principalement la compétence du gouverneur en conseil de prendre le décret modifié. En cherchant à contester également la compétence de l’APV, les demanderesses cherchent à contester la validité d’une décision prise conformément au décret modifié. Toutefois, la validité du décret modifié ne dépend pas de la question de savoir si l’APV était autorisée à mettre sur pied le système de délivrance de permis, mais plutôt de la question de savoir si le décret modifié relevait de la compétence du gouverneur en conseil, conformément à l’article 47 de la LTC.

 

[18]           En outre, en vertu de l’article 302 des Règles, sauf ordonnance contraire, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision :

302. Limites – Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302. Limited to single order – Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

 

[19]           Par conséquent, étant donné que les demandes de contrôle judiciaire sont limitées à une seule décision et, en outre, que les demanderesses contestent principalement la décision du gouverneur en conseil de prendre le décret modifié, la demande de redressement par laquelle les demanderesses sollicitent des jugements déclaratoires à l’encontre de la décision de l’APV d’établir un système de délivrance de permis excède la portée de la présente demande et la Cour n’en est pas régulièrement saisie.

 

[20]           L’article 47 de la LTC prévoit ce qui suit :

Perturbations extraordinaires

 

Mesures d’urgence prises par le gouverneur en conseil

 

47. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, sur recommandation du ministre et du ministre responsable du Bureau de la politique de concurrence, prendre les mesures qu’il estime essentielles à la stabilisation du réseau national des transports ou ordonner à l’Office de prendre de telles mesures et, notamment, imposer des restrictions relativement à la capacité et aux prix s’il estime :

 

a) qu’une perturbation extraordinaire de la bonne exploitation continuelle du réseau des transports — autre qu’en conflit de travail — existe ou est imminente;

 

b) que le fait de ne pas prendre un tel décret serait contraire aux intérêts des exploitants et des usagers du réseau national des transports;

 

c) qu’aucune autre disposition de la présente loi ou d’une autre loi fédérale ne permettrait de corriger la situation et de remédier à des dommages ou en prévenir.

 

[...]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mesure temporaire

 

(3) Le décret pris aux termes du présent article ne vaut que pour une période de quatre-vingt-dix jours.

 

[...]

 

Loi sur la concurrence

 

(7) Malgré le paragraphe 4(2), le présent article et les mesures prises sous son régime l’emportent sur la Loi sur la concurrence.

 

[...]

Extraordinary Disruptions

 

Governor in Council may prevent disruptions

 

47. (1) Where the Governor in Council is of the opinion that

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) an extraordinary disruption to the effective continued operation of the national transportation system exists or is imminent, other than a labour disruption,

 

(b) failure to act under this section would be contrary to the interests of users and operators of the national transportation system, and

 

(c) there are no other provisions in this Act or in any other Act of Parliament that are sufficient and appropriate to remedy the situation and counter the actual or anticipated damage caused by the disruption,

 

the Governor in Council may, on the recommendation of the Minister and the minister responsible for the Bureau of Competition Policy, by order, take any steps, or direct the Agency to take any steps, that the Governor in Council considers essential to stabilize the national transportation system, including the imposition of capacity and pricing restraints.

 

[...]

 

Order is temporary

 

(3) An order made under this section shall have effect for no more than ninety days after the order is made.

 

[...]

 

Competition Act

 

(7) Notwithstanding subsection 4(2), this section and anything done under the authority of this section prevail over the Competition Act.

 

[...]

 

 

[21]           Dans l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. c. Canada, [1983] 1 R.C.S. 106, les demanderesses contestaient la validité d’un décret. Le juge Dickson, au nom de la Cour, a fait les remarques suivantes au sujet des motifs restreints d’examen d’un décret :

La simple attribution par la loi d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son exercice échappe au contrôle judiciaire : Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 748. Je n'ai pas le moindre doute sur le droit des cours d'intervenir dans les cas où il y a non-respect des conditions prescrites par la loi et, par conséquent, défaut de compétence fatal. Le droit et la compétence sont susceptibles d'examen judiciaire et les cours ont le pouvoir de veiller à ce que les procédures prévues par la loi soient suivies à la lettre : R. v. National Fish Co., [1931] R.C. de l'É. 75; Minister of Health v. The King (on the Prosecution of Yaffe), [1931] A.C. 494, à la p. 533. Les décisions prises par le gouverneur en conseil sur des questions de commodité publique et de politique générale sont sans appel et ne peuvent être examinées par voie de procédures judiciaires. Comme je l'ai déjà indiqué, bien qu'un décret du conseil puisse être annulé pour incompétence ou pour tout autre motif péremptoire, seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure. Tel n'est pas le cas ici.

 

[22]           Par conséquent, sauf si je conclus que le gouverneur en conseil a agi d’une façon ultra vires ou a outrepassé les limites de la compétence qui lui est conférée par l’article 47, en l’absence de motifs péremptoires, sa décision de prendre le décret modifié n’est pas susceptible de contrôle. Aucune des parties ne semble contester la chose.

 

[23]           Chacune des parties offre sa propre formulation de la question, mais elles s’entendent pour dire que la seule question dont la Cour est saisie est celle de savoir si, en prenant le décret modifié, le gouverneur en conseil a outrepassé la compétence qui lui est conférée par l’article 47 de la LTC.

 

[24]           Avant de procéder à l’analyse, je dois tout d’abord déterminer la norme de contrôle applicable en utilisant l’approche pragmatique et fonctionnelle, qui comporte l’examen de quatre facteurs contextuels : (1) la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi; (2) l’expertise du tribunal par rapport à celle de la cour de révision quant à la question qui se pose; (3) l’objet de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause; et (4) la nature de la question : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982..

 

[25]           Dans l’arrêt Voice Construction Ltd. c. Construction and General Workers’ Union, Local 92, 2004 CSC 23, [2004] 1 R.C.S. 609, la Cour suprême du Canada a cité en les approuvant les remarques suivantes que le juge Bastarache a faites au paragraphe 28 dans l’arrêt Pushpanathan, précité :

Bien que la terminologie et la méthode de la question « préalable », « accessoire » ou « de compétence » aient été remplacées par cette analyse pragmatique et fonctionnelle, l’accent est tout de même mis sur la disposition particulière invoquée et interprétée par le tribunal. Certaines dispositions d’une même loi peuvent exiger plus de retenue que d’autres, selon les [quatre] facteurs qui seront exposés plus en détail plus loin. Voilà pourquoi il convient toujours, et il est utile, de parler des « questions de compétence » que le tribunal doit trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence. Mais il faut bien comprendre qu’une question qui « touche la compétence » s’entend simplement d’une disposition à l’égard de laquelle la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte, en fonction du résultat de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Autrement dit, une « erreur de compétence » est simplement une erreur portant sur une question à l’égard de laquelle, selon le résultat de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, le tribunal doit arriver à une interprétation correcte et à l’égard de laquelle il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue. [Je souligne.]

 

[26]           Les parties conviennent toutes que les questions soulevées en l’espèce sont des questions de compétence et que la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte, mais il ressort de la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada que la caractérisation d’une question comme étant une question « de compétence » ne permet plus de « sauter [une] étape de l’analyse pragmatique et fonctionnelle » pour conclure simplement que la norme à appliquer est celle de la décision correcte : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 21. Il faut plutôt dans chaque cas déterminer, à l’aide l’approche pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle qui s’applique à une décision administrative.

 

[27]           Je ne suis au courant d’aucune analyse pragmatique et fonctionnelle qui ait été effectuée antérieurement à l’égard des décisions prises par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 47 de la LTC. Habituellement, les appels fondés sur la LTC résultent de l’article 41, qui prévoit qu’une décision de l’Office des transports du Canada est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence. En l’espèce, comme il en a déjà été fait mention, la Cour est saisie du contrôle judiciaire d’une décision du gouverneur en conseil de prendre un décret en vertu de l’article 47 de la LTC.

 

[28]           Si nous examinons le premier facteur, à savoir la présence ou l’absence d’une clause privative, les décisions prises en vertu de l’article 47 ne sont pas protégées par une clause privative. En revanche, contrairement aux décisions fondées sur l’article 41, les décisions prises en vertu de l’article 47 ne sont pas susceptibles d’appel. Cela indique un degré de retenue allant de moyen à élevé.

 

[29]           Le deuxième facteur, à savoir l’expertise relative, est étroitement lié au quatrième facteur, c’est‑à‑dire à la nature du problème (Pushpanathan, précité, paragraphes 32 à 34). Les questions qui se posent en l’espèce ne sont pas techniques. La Cour doit déterminer en l’espèce si la loi autorise le gouverneur en conseil à prendre le type de décret qu’il a pris. Étant donné que la nature du problème est liée à la compétence et à l’interprétation de l’article 47, on ne peut pas dire que l’expertise du procureur général est supérieure à celle des tribunaux judiciaires. Ce facteur commande un degré de retenue moins élevé : Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des transports), 2003 CAF 271, [2003] 4 C.F. 558, au paragraphe 18.

 

[30]           Quant au troisième facteur, la législation vise l’application de certains règlements concernant les transports nationaux afin de réaliser les objectifs expressément énumérés à l’article 5 de la LTC :

POLITIQUE NATIONALE DES TRANSPORTS

 

Déclaration

 

5. Il est déclaré que, d’une part, la mise en place d’un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, accessibles aux personnes ayant une déficience, utilisant au mieux et aux moindres frais globaux tous les modes de transport existants, est essentielle à la satisfaction des besoins des expéditeurs et des voyageurs — y compris des personnes ayant une déficience — en matière de transports comme à la prospérité et à la croissance économique du Canada et de ses régions, et, d’autre part, que ces objectifs sont plus susceptibles de se réaliser en situation de concurrence de tous les transporteurs, à l’intérieur des divers modes de transport ou entre eux, à condition que, compte dûment tenu de la politique nationale, des avantages liés à l’harmonisation de la réglementation fédérale et provinciale et du contexte juridique et constitutionnel :

 

a) le réseau national des transports soit conforme aux normes de sécurité les plus élevées possible dans la pratique;

 

b) la concurrence et les forces du marché soient, chaque fois que la chose est possible, les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces;

 

c) la réglementation économique des transporteurs et des modes de transport se limite aux services et aux régions à propos desquels elle s’impose dans l’intérêt des expéditeurs et des voyageurs, sans pour autant restreindre abusivement la libre concurrence entre transporteurs et entre modes de transport;

 

 

d) les transports soient reconnus comme un facteur primordial du développement économique régional et que soit maintenu un équilibre entre les objectifs de rentabilité des liaisons de transport et ceux de développement économique régional en vue de la réalisation du potentiel économique de chaque région;

 

e) chaque transporteur ou mode de transport supporte, dans la mesure du possible, une juste part du coût réel des ressources, installations et services mis à sa disposition sur les fonds publics;

 

 

f) chaque transporteur ou mode de transport soit, dans la mesure du possible, indemnisé, de façon juste et raisonnable, du coût des ressources, installations et services qu’il est tenu de mettre à la disposition du public;

 

g) les liaisons assurées en provenance ou à destination d’un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s’effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas :

 

(i) un désavantage injuste pour les autres liaisons de ce genre, mis à part le désavantage inhérent aux lieux desservis, à l’importance du trafic, à l’ampleur des activités connexes ou à la nature du trafic ou du service en cause,

 

(ii) un obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience,

 

(iii) un obstacle abusif à l’échange des marchandises à l’intérieur du Canada,

 

 

(iv) un empêchement excessif au développement des secteurs primaire ou secondaire, aux exportations du Canada ou de ses régions, ou au mouvement des marchandises par les ports canadiens;

 

h) les modes de transport demeurent rentables.

 

Il est en outre déclaré que la présente loi vise la réalisation de ceux de ces objectifs qui portent sur les questions relevant de la compétence législative du Parlement en matière de transports.

NATIONAL TRANSPORTATION POLICY

 

Declaration

 

5. It is hereby declared that a safe, economic, efficient and adequate network of viable and effective transportation services accessible to persons with disabilities and that makes the best use of all available modes of transportation at the lowest total cost is essential to serve the transportation needs of shippers and travellers, including persons with disabilities, and to maintain the economic well-being and growth of Canada and its regions and that those objectives are most likely to be achieved when all carriers are able to compete, both within and among the various modes of transportation, under conditions ensuring that, having due regard to national policy, to the advantages of harmonized federal and provincial regulatory approaches and to legal and constitutional requirements,

 

 

 

(a) the national transportation system meets the highest practicable safety standards,

 

(b) competition and market forces are, whenever possible, the prime agents in providing viable and effective transportation services,

 

 

 

(c) economic regulation of carriers and modes of transportation occurs only in respect of those services and regions where regulation is necessary to serve the transportation needs of shippers and travellers and that such regulation will not unfairly limit the ability of any carrier or mode of transportation to compete freely with any other carrier or mode of transportation,

 

(d) transportation is recognized as a key to regional economic development and that commercial viability of transportation links is balanced with regional economic development objectives so that the potential economic strengths of each region may be realized,

 

 

(e) each carrier or mode of transportation, as far as is practicable, bears a fair proportion of the real costs of the resources, facilities and services provided to that carrier or mode of transportation at public expense,

 

 

(f) each carrier or mode of transportation, as far as is practicable, receives fair and reasonable compensation for the resources, facilities and services that it is required to provide as an imposed public duty,

 

(g) each carrier or mode of transportation, as far as is practicable, carries traffic to or from any point in Canada under fares, rates and conditions that do not constitute

 

 

(i) an unfair disadvantage in respect of any such traffic beyond the disadvantage inherent in the location or volume of the traffic, the scale of operation connected with the traffic or the type of traffic or service involved,

 

 

(ii) an undue obstacle to the mobility of persons, including persons with disabilities,

 

(iii) an undue obstacle to the interchange of commodities between points in Canada, or

 

(iv) an unreasonable discouragement to the development of primary or secondary industries, to export trade in or from any region of Canada or to the movement of commodities through Canadian ports, and

 

(h) each mode of transportation is economically viable,

 

and this Act is enacted in accordance with and for the attainment of those objectives to the extent that they fall within the purview of subject-matters under the legislative authority of Parliament relating to transportation.

 

[31]           Quant à l’objet de la disposition en cause, l’article 47 comporte à mon avis des considérations polycentriques se rapportant à la pondération des divers intérêts et à la prise de mesures visant « la stabilisation du réseau national des transports ». Il est question à l’alinéa 47(1)a) de la « bonne exploitation continuelle du réseau des transports » et à l’alinéa b) des « intérêts des exploitants et des usagers du réseau national des transports ». Il est clair que cela ne soulève pas de controverse entre les deux parties. En fait, je crois qu’il serait plutôt rare que le gouverneur en conseil prenne un décret fondé sur des droits individuels qui ne soit pas polycentrique. Ce facteur milite en faveur d’une norme de contrôle exigeant une plus grande retenue : Pushpanathan, précité, au paragraphe 36.

 

[32]           Enfin, quant à la nature de la question, comme il en a déjà été fait mention, la Cour est saisie d’une question de compétence. Cela étant, il n’est pas nécessaire de faire preuve de retenue envers le décideur. En ce sens, la Cour doit s’assurer que le tribunal a exercé sa compétence correctement. Les tribunaux administratifs sont une émanation de la loi et ils sont tenus de déterminer correctement la portée de leur mandat : Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28, 2004 1 R.C.S. 727, au paragraphe 18.

 

[33]           Compte tenu de tous ces facteurs, je conclus que la norme applicable est celle de la décision correcte.

 

Pouvoir de l’APV de mettre sur pied des systèmes de délivrance de permis

[34]           Au cas où je me tromperais au sujet de la question préliminaire et où la Cour aurait en fait été régulièrement saisie des demandes qui sont faites contre l’APV, ce qui, comme je l’ai dit, n’est pas le cas selon moi, voici mon analyse de ces demandes. Je souligne également qu’il est important d’examiner cette question au cas où je conclurais que le gouverneur en conseil a outrepassé sa compétence en prenant le décret modifié étant donné que les défendeurs affirment que l’APV est autorisée à imposer le même système de délivrance de permis, en l’absence d’un décret, en vertu de la LMC et de ses lettres patentes. Par conséquent, les défendeurs affirment que si je décidais que le décret modifié n’est pas valide, la présente décision n’aurait pas pour effet de rendre nuls les conventions de délivrance de permis et les protocoles d’entente.

 

[35]           Les demanderesses affirment que le décret modifié vise à autoriser l’APV à imposer un système de délivrance de permis non autorisé en vertu de sa loi constitutive. Elles affirment que la LMC ne permet pas expressément à l’APV de mettre sur pied un système de délivrance de permis ou de fixer une rémunération équitable. Lorsque le législateur veut accorder le pouvoir de fixer une « rémunération équitable », il le fait expressément. Or, ni le libellé de la loi ni l’objet de la LMC ou de l’APV ne fournissent de fondement permettant de conclure que le législateur voulait que l’APV possède pareil pouvoir.

 

[36]           Les demanderesses font également remarquer que l’attribution de certains pouvoirs doit être clairement prévue dans la loi constitutive et que les pouvoirs qui limitent ou qui suppriment les droits reconnus à un individu en common law doivent être expressément conférés. À cet égard, les demanderesses invoquent les arrêts Morguard Properties Ltd. et al. c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, paragraphe 13; Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342; et R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650.

 

[37]           Pour leur part, les défendeurs soutiennent que la Cour a déjà examiné l’étendue du pouvoir de l’APV et qu’elle a conclu que l’APV possède effectivement le pouvoir de mettre sur pied un système de délivrance de permis. Dans la décision PRTI Transport Inc. c. Administration portuaire de Vancouver (1999), 179 F.T.R. 310 (1re inst.), PRTI a demandé une injonction interdisant à l’APV de refuser à ses camionneurs l’accès à ses terminaux. La demande résultait de l’interruption des services, laquelle limitait l’accès au port et paralysait le camionnage. L’APV a donc mis sur pied un système de délivrance de permis qui obligeait notamment les entreprises de camionnage à verser à leurs chauffeurs une « rémunération équitable » pour le travail effectué au port. PRTI a soutenu que l’APV avait la responsabilité de gérer le port, mais qu’elle n’avait pas le pouvoir de réglementer le taux de la rémunération versée par les transporteurs à leurs entrepreneurs. La demande a été rejetée. Le juge Paul Rouleau a statué qu’en vertu de l’article 28 de la LMC et des lettres patentes de l’APV, l’APV était de fait autorisée à accorder des permis à ceux qui voulaient avoir accès au port. Au paragraphe 30, il a conclu ce qui suit :

[...] Il est certain que l’administration portuaire a l’obligation de veiller à la manutention correcte des marchandises dans le port, ainsi qu’à la poursuite de ses activités commerciales permanentes. Je suis convaincu qu’elle a le pouvoir d’octroyer des permis aux personnes qui doivent avoir accès au port; le fait qu’elle ait suggéré que les camionneurs reçoivent une rémunération équitable pour la période d’attente n’est qu’accessoire à l’objectif général de règlementer le camionnage et le déplacement des marchandises dans le port.

 

[38]           L’APV soutient que cette conclusion est fondée compte tenu du libellé clair de sa loi habilitante, qui lui confère des pouvoirs généraux lui permettant de gérer l’accès et l’utilisation de ses immeubles et de conclure des contrats à cet égard. L’article 4 de la LMC énonce comme suit les objectifs de la LMC :

POLITIQUE MARITIME NATIONALE

 

Politique maritime nationale

 

4. Il est déclaré que l’objectif de la présente loi est de :

 

a) mettre en œuvre une politique maritime nationale qui vise à assurer la mise en place de l’infrastructure maritime qui est nécessaire au Canada et qui constitue un outil de soutien efficace pour la réalisation des objectifs socioéconomiques locaux, régionaux et nationaux, et qui permettra de promouvoir et préserver la compétitivité du Canada et ses objectifs commerciaux;

 

b) fonder l’infrastructure maritime et les services sur des pratiques internationales et des approches compatibles avec celles de ses principaux partenaires commerciaux dans le but de promouvoir l’harmonisation des normes qu’appliquent les différentes autorités;

 

c) veiller à ce que les services de transport maritime soient organisés de façon à satisfaire les besoins des utilisateurs et leur soient offerts à un coût raisonnable;

 

d) fournir un niveau élevé de sécurité et de protection de l’environnement;

 

e) offrir un niveau élevé d’autonomie aux administrations locales ou régionales des composantes du réseau des services et installations portuaires et prendre en compte les priorités et les besoins locaux;

 

 

f) gérer l’infrastructure maritime et les services d’une façon commerciale qui favorise et prend en compte l’apport des utilisateurs et de la collectivité où un port ou havre est situé;

 

 

g) prévoir la cession, notamment par voie de transfert, de certains ports et installations portuaires;

 

h) favoriser la coordination des activités maritimes avec les réseaux de transport aérien et terrestre.

NATIONAL MARINE POLICY

 

National Marine Policy

 

 

4. It is hereby declared that the objective of this Act is to

 

(a) implement a National Marine Policy that provides Canada with the marine infrastructure that it needs and that offers effective support for the achievement of local, regional and national social and economic objectives and will promote and safeguard Canada’s competitiveness and trade objectives;

 

 

 

(b) base the marine infrastructure and services on international practices and approaches that are consistent with those of Canada’s major trading partners in order to foster harmonization of standards among jurisdictions;

 

 

(c) ensure that marine transportation services are organized to satisfy the needs of users and are available at a reasonable cost to the users;

 

 

(d) provide for a high level of safety and environmental protection;

 

(e) provide a high degree of autonomy for local or regional management of components of the system of services and facilities and be responsive to local needs and priorities;

 

 

 

(f) manage the marine infrastructure and services in a commercial manner that encourages, and takes into account, input from users and the community in which a port or harbour is located;

 

(g) provide for the disposition, by transfer or otherwise, of certain ports and port facilities; and

 

(h) coordinate with other marine activities and surface and air transportation systems.

 

[39]           De plus, le paragraphe 28(1) de la LMC, qui est intitulé « Capacité et pouvoirs », prévoit qu’une administration portuaire est constituée pour l’exploitation du port visé par ses lettres patentes et qu’elle a la capacité d’une personne physique. Le paragraphe 45(3), intitulé « Baux et permis », prévoit qu’une « administration portuaire peut, pour l’exploitation du port, louer les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux qu’elle gère ou octroyer des permis à leur égard, sous réserve des limites, précisées dans les lettres patentes, quant à son pouvoir de contracter à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada [...] ».

 

[40]           En outre, et ce qui est encore plus important, l’alinéa 46(1)a) de la LMC prévoit que l’APV ne peut aliéner les immeubles fédéraux dont la gestion lui est confiée, mais qu’elle peut toutefois consentir des permis pour des droits d’accès.

 

[41]           L’article 7.1 des lettres patentes prévoit que l’APV peut notamment élaborer, appliquer, contrôler l’application et modifier les règles, ordonnances, règlements administratifs, pratiques et procédures, qu’elle peut délivrer et administrer les permis concernant l’utilisation, l’occupation ou l’exploitation du port et qu’elle peut contrôler l’application des règlements ou prendre des règlements conformément au paragraphe 63(2) de la LMC. L’article 7.1 confère en outre à l’APV le pouvoir d’octroyer des emprises routières, des servitudes, des permis pour des droits de passage ou d’accès pour des services publics, visant ses immeubles et de fournir des services ou d’exécuter des activités dans le périmètre du port aux utilisateurs ou pour ceux‑ci, relativement à des services de transport et de l’accès dans le périmètre du port, à destination ou en provenance du port et de ses installations.

 

[42]           Il est possible de faire une distinction à l’égard des décisions sur lesquelles les demanderesses cherchent à se fonder à l’appui de la thèse selon laquelle les pouvoirs qui limitent ou suppriment les droits reconnus à un individu en vertu de la common law doivent être expressément conférés au motif qu’en l’espèce, l’APV ne limite pas ou ne supprime pas les droits des demanderesses étant donné qu’il n’existe aucun droit d’accès aux immeubles de l’APV. L’APV délivre des permis donnant accès à ses immeubles en fixant des conditions à cet égard. Un tel accès est un privilège plutôt qu’un droit reconnu par la common law.

 

[43]           En conclusion, ainsi que l’a également statué mon collègue le juge Rouleau dans la décision PRTI Transport, précitée, l’APV, comme de nombreuses autres administrations publiques, peut exercer son pouvoir d’accorder des permis assortis de conditions relativement à l’utilisation de ses biens et à l’accès à ceux‑ci. En agissant ainsi, elle n’outrepasse pas sa compétence. En l’espèce, le système particulier de délivrance de permis a été mis sur pied parce que le gouverneur en conseil l’avait ordonné dans le décret modifié, mais la compétence que possède l’APV d’établir le système de délivrance de permis et d’y incorporer le protocole d’entente est indépendante de la directive donnée dans le décret modifié (quoique je convienne avec le procureur général que le décret modifié fournit à l’APV une protection additionnelle en vertu du paragraphe 47(7) de la LTC à l’égard de la responsabilité qui lui incombe en vertu de la Loi sur la concurrence). Par conséquent, même en l’absence d’un tel décret, l’APV aurait le pouvoir général de délivrer de tels permis relativement à l’utilisation de ses immeubles et à l’accès à ceux‑ci, et, notamment, d’imposer comme condition aux demanderesses la signature du protocole d’entente.

 

Pouvoir du gouverneur en conseil de prendre le décret modifié

[44]           En vertu de l’article 47 de la LTC, le gouverneur en conseil a pris le décret modifié, dont l’article 3.1 prévoit ce qui suit :

APPLICATION AU PORT DE VANCOUVER

3.1 (1) L'Administration portuaire de Vancouver est tenue à l'égard du territoire relevant de sa compétence et de son autorité :

a) d'établir un système de délivrance de permis donnant accès au port de Vancouver aux camions et à tout autre matériel de transport routier pour la livraison, le ramassage ou le déplacement de conteneurs arrivant à ce port ou le quittant;

b) de prévoir comme deux des conditions d'un permis délivré en vertu de l'alinéa a) que le demandeur, à la fois :

(i) soit signataire du Protocole d'entente du 29 juillet 2005 entre les Compagnies de camionnage (propriétaires/ courtiers) et la Vancouver Container Truckers' Association, et se conforme entièrement à ce protocole,

(ii) accepte le processus d'arbitrage prévu à l'article 10 du Protocole dans le but d'en arriver à une solution définitive et exécutoire de tout conflit relatif à l'interprétation ou à l'application du permis;

[...]

 

[45]           Le décret modifié autorise l’APV à exiger que les demanderesses signent le protocole d’entente comme condition d’obtention du permis. La durée du protocole d’entente est de deux ans.

 

[46]           Les demanderesses soutiennent que le décret modifié est nul au motif qu’en prenant le décret modifié qui est réputé valoir au‑delà de la période de 90 jours autorisée dans le décret, le gouverneur en conseil a outrepassé le pouvoir qui lui est conféré par l’article 47 de la LTC.

 

[47]           Selon les demanderesses, le système de délivrance de permis et l’exigence concernant la signature du protocole d’entente ne peuvent être maintenus au‑delà de la période d’autorisation de 90 jours du décret modifié qu’au moyen de lois expresses du Parlement augmentant le pouvoir accordé à l’APV et créant une exemption de l’application de la Loi sur la concurrence.

 

[48]           Les demanderesses font valoir que le système de délivrance de permis est donc nul parce qu’il a été mis sur pied sur le fondement du décret modifié, qui, selon elles, est nul et inopérant.

 

[49]           Les défendeurs soutiennent qu’une interprétation simple et littérale du décret modifié et de l’article 47 de la LTC montre clairement que ce n’est pas le cas.

 

[50]           Les défendeurs font valoir que le système de délivrance de permis et l’exigence concernant la signature du protocole d’entente peuvent être maintenus au‑delà de la période d’autorisation de 90 jours du décret modifié sans que le Parlement édicte expressément une loi. Selon les défendeurs, la période de 90 jours prévue au paragraphe (3) s’applique uniquement à la période dont disposent les parties liées par le décret pour « prendre les mesures [que le gouverneur en conseil] estime essentielles à la stabilisation du réseau national des transports [...] et, notamment, imposer des restrictions relativement à la capacité et aux prix ». La période de 90 jours ne s’applique pas aux conditions précises dont sont assorties les mesures prises conformément à ce décret.

 

[51]           Les défendeurs soutiennent en outre que le paragraphe 47(7) de la LTC confirme que tout ce qui est fait en vertu du décret l’emporte sur la Loi sur la concurrence. La protection n’est pas limitée à la période prévue au paragraphe 47(3) pendant laquelle le décret a effet. Le fait qu’aucune période n’est prévue au paragraphe 47(7) renforce cet argument. Le législateur a intentionnellement séparé le paragraphe 47(7), qui offre une protection à l’encontre de la Loi sur la concurrence, et le paragraphe 47(3), qui impose la période de 90 jours. S’il avait voulu que la période de 90 jours s’applique à la protection fournie à l’encontre de la Loi sur la concurrence, le législateur aurait renvoyé à l’autre paragraphe dans le libellé de chaque paragraphe (comme il le fait souvent dans la LTC) ou il aurait combiné les deux paragraphes en un seul. Or, il ne l’a pas fait.

 

[52]           Enfin, les défendeurs soutiennent que si les parties liées par le décret modifié n’étaient pas autorisées à prendre des mesures ou à conclure des ententes durant plus de 90 jours, cela irait à l’encontre de l’objet de l’article 47. Selon le paragraphe 47(1), les décrets sont pris lorsqu’« une perturbation extraordinaire de la bonne exploitation continuelle du réseau des transports existe ou est imminente ». Si la période de 90 jours s’appliquait à toute entente conclue conformément au décret, la « perturbation extraordinaire » demeurerait imminente parce qu’elle se produirait à tous les 90 jours après l’expiration des ententes.

 

[53]           Je suis d’accord avec les défendeurs. Le paragraphe 47(1) vise « la stabilisation du réseau national des transports » et non simplement à retarder, ou à suspendre temporairement, les menaces réelles ou imminentes dont fait l’objet le réseau national des transports. Il serait fort difficile d’assurer la stabilité si les décrets ne pouvaient pas faciliter une solution plus durable. En outre, si une entente conclue conformément à un décret pris en vertu de l’article 47 nécessitait plus de 90 jours pour être efficace, et si la période de 90 jours s’appliquait à l’entente, il en résulterait une inefficacité sérieuse sur le plan administratif parce que le gouverneur en conseil se verrait obligé de prendre sans cesse le même décret tous les 90 jours tant que l’objectif de l’entente ne serait pas atteint. Selon moi, telle n’était pas l’intention du législateur lorsqu’il a édicté l’article 47. À mon avis, la période de 90 jours s’applique à la période pendant laquelle les parties qui sont liées par un décret doivent prendre des mesures en vertu du décret, et non aux ententes qui résultent de telles mesures.

 

[54]           Pour tirer cette conclusion, je m’appuie sur les décisions concernant les Lignes aériennes Canadien. Pour les besoins de la présente demande, il n’est pas nécessaire de se lancer dans une analyse détaillée des événements complexes qui ont donné lieu à ce litige très médiatisé. Essentiellement, les Lignes aériennes Canadien, qui faisaient face à des difficultés financières, étaient sur le point d’être acquises par Air Canada, ce qui suscitait diverses questions commerciales dont plusieurs tribunaux ont été saisis un peu partout au pays. En examinant ces questions, les tribunaux ont noté le décret pris en vertu de l’article 47 à l’égard de l’industrie du transport aérien.

 

[55]           Dans la décision Canadian Airlines Corp. (Re), 2000 ABQB 442, [2000] 10 W.W.R. 269, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a signalé un décret pris en vertu de l’article 47 en vue de [Traduction] « faciliter la restructuration de l’industrie du transport aérien » en [Traduction] « atténuant certaines règles établies en vertu de la Loi sur la concurrence ». On avait demandé à la Cour du Banc de la Reine d’approuver une entente de restructuration déposée en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies visant la fusion effective d’Air Canada et de Lignes aériennes Canadien, destinée à résoudre le problème de l’insolvabilité financière de Lignes aériennes Canadien. La Cour a reconnu que l’entente résultait d’un processus qui comportait en partie une conduite autorisée par un décret fondé sur l’article 47. En particulier, elle a souligné que le gouvernement fédéral avait pris le décret afin de donner à Lignes aériennes Canadien la possibilité [Traduction] « de communiquer avec d’autres entités pour voir s’il était possible de trouver une solution permanente » (paragraphe 177).

 

[56]           Dans la décision Airline Industry Revitalization Co. c. Air Canada (1999), 45 O.R. (3d) 370 (C. sup. de just. de l’Ont.), la Cour supérieure de justice de l’Ontario a dit que le décret pris par le cabinet en vertu de l’article 47 avait pour but [Traduction] « de créer un processus spécial destiné à faciliter la restructuration de l’industrie canadienne du transport aérien ». Au paragraphe 9, la Cour a dit ce qui suit :

[Traduction] [...] Le décret pris en vertu de l’article 47 vise à autoriser Canadien, Air Canada et d’autres (et notamment des représentants de la Couronne) à négocier et à conclure des ententes conditionnelles pendant la période de 90 jours sans être assujetties aux restrictions qui seraient par ailleurs imposées par la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C‑34, à l’égard de telles négociations, et en vue d’élaborer des propositions concernant la propriété, la réorganisation, la restructuration ou le financement de toute grande compagnie aérienne canadienne [...]

 

[57]           De même, dans la décision Air Canada c. Airline Industry Revitalization Co., [1999] Q.J. no 4880 (C.S.), la Cour supérieure du Québec, Division civile, a également décrit le décret comme suit aux paragraphes 4 et 5 :

 

[Traduction] L’ordonnance fondée sur l’article 47 levait, pour une période de 90 jours, les restrictions de la Loi sur la concurrence afin d’autoriser quiconque voulait faire une proposition au sujet de la propriété, de la réorganisation, de la restructuration ou du financement de tout gros transporteur aérien :

 

$ à élaborer, évaluer et étudier la proposition et ses incidences, notamment les incidences pour la concurrence sur le marché desservi par la compagnie désignée,

 

$ à négocier et à conclure une entente conditionnelle [...]

 

L’ordonnance fondée sur l’article 47 permettait donc à Onex, le 23 août, par l’entremise d’une société, AirCo, de conclure une série d’ententes avec les Lignes aériennes Canadien et l’un de ses actionnaires, American Airlines.

 

[58]           Dans chacune de ces décisions, le tribunal précise que le décret pris en vertu de l’article 47 a pour objet de faciliter la restructuration de l’industrie canadienne du transport aérien. Ces décisions ne font pas expressément mention de la permanence ou de la durée de l’entente de restructuration, mais il est clair que sa durée n’était pas limitée à 90 jours étant donné qu’il n’aurait pas été possible de procéder à la restructuration si les ententes conclues avaient expiré dans un délai de 90 jours.

 

[59]           Pour revenir à la présente espèce, il est tout simplement logique que l’effet du décret modifié – à savoir les ententes de délivrance de permis et les protocoles d’entente – soit ressenti au‑delà de la durée du décret modifié. Un tel effet continu d’un décret pris en vertu de l’article 47 relève de la compétence conférée par cette disposition; de plus, à mon avis, c’est ce qui était envisagé par cette disposition. Le décret ne peut pas s’appliquer au‑delà de la période de 90 jours, mais toute initiative ou mesure prise conformément au décret peut s’étendre au‑delà de cette période.

 

[60]           Un tel effet continu des décrets temporaires est également dicté par la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21. Le décret est un « texte » (voir, à l’article 2, où la définition du mot « texte » précise qu’il comprend un « règlement » et celle du mot « règlement » qu’il comprend un décret), et la cessation d’effet d’un texte vaut abrogation (voir le paragraphe 2(2), qui prévoit ce qui suit : « Pour l’application de la présente loi, le remplacement emporte son abrogation; vaut aussi abrogation du texte sa cessation d’effet par caducité ou autrement ». La Loi d’interprétation définit l’effet pertinent d’une telle abrogation aux alinéas 43b) et c), qui prévoient :

Effet de l’abrogation

 

43. L’abrogation, en tout ou en partie, n’a pas pour conséquence :

 

 

[...]

 

b) de porter atteinte à l’application antérieure du texte abrogé ou aux mesures régulièrement prises sous son régime;

 

c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

Effect of repeal

 

43. Where an enactment is repealed in whole or in part, the repeal does not

 

[...]

 

(b) affect the previous operation of the enactment so repealed or anything duly done or suffered thereunder,

 

 

(c) affect any right, privilege, obligation or liability acquired, accrued, accruing or incurred under the enactment so repealed,

 

[61]           Conformément à l’alinéa 43b) de la Loi d’interprétation, le système de délivrance de permis obligeant les demanderesses à obtenir les permis et à signer les protocoles d’entente pendant la durée du décret modifié continue à être une autorisation légale valide à l’égard de tels actes même après l’expiration du décret.

 

[62]           Les droits, avantages, obligations et responsabilités de l’APV et d’autres résultant de la délivrance des permis et de la signature des protocoles d’entente sont maintenus par suite de l’alinéa 43c) de la Loi d’interprétation, et ce, même après l’expiration du décret. Par conséquent, les permis existants et les protocoles d’entente qui ont été signés continuent d’avoir force exécutoire.

 

[63]           Enfin, l’article 4 du décret modifié prévoit clairement que le décret expire 90 jours après son entrée en vigueur, comme l’exige le paragraphe 47(3) de la LTC. Par conséquent, le gouverneur en conseil n’a pas outrepassé sa compétence. Je ferai également remarquer que le décret modifié n’exige pas lui‑même que le système de délivrance de permis s’applique au‑delà de la durée du décret. C’était l’APV qui avait en fin de compte fixé la durée des permis à deux ans, une décision qui ne peut avoir d’incidence sur la validité du décret modifié.

 

JUGEMENT

 

            Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, les dépens étant adjugés au procureur général du Canada et à l’Administration portuaire de Vancouver.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-1453-05

 

INTITULÉ :                                                   PRO-WEST TRANSPORT LTD. et

TEAM TRANSPORT SERVICES LTD.

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 27 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 JUILLET 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donald J. Jordan, c.r.

POUR LES DEMANDERESSES

 

Lorne Lachance

Cindy Mah

 

Howard L.A. Ehrlich

Taryn Mackie

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Taylor, Jordan, Chafetz

Avocats

POUR LES DEMANDERESSES

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Bull, Housser et Tupper, LLP

Avocats

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

 

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