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Date : 20211129


Dossier : T-1399-19

Référence : 2021 CF 1316

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

CHARLES DENGEDZA

demandeur

et

LA BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE (CIBC)

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre, rendue en application de l’article 242 de la section XIV de la partie III du Code canadien du travail, LRC (1985), c L‐2, concernant la plainte du demandeur Charles Dengedza, selon laquelle il avait été injustement congédié par la défenderesse, la Banque Canadienne Impériale de Commerce [CIBC]. L’arbitre a déterminé les dommages‐intérêts devant être accordés au demandeur.

Contexte

[2] Le demandeur a été employé par la CIBC pendant environ 9 ans et demi. Son emploi a pris fin le 17 novembre 2016. À l’époque, il était âgé de 66 ans et, pendant environ un an, il a occupé le poste d’enquêteur principal au sein du groupe d’enquête de la CIBC sur la lutte contre le blanchiment d’argent. À ce poste, il recevait un salaire annuel de 60 400 $, et avait la possibilité de recevoir une prime de 8 500 $, de bénéficier d’avantages sociaux pour des soins de santé et des soins dentaires ainsi que de participer au régime d’achat d’actions des employés de la CIBC. Au moment du licenciement, la CIBC a versé au demandeur une somme forfaitaire brute, sous toutes réserves et à titre gratuit, de 21 000 $.

[3] Avant son congédiement, le demandeur avait été autorisé par la CIBC à travailler comme chauffeur pour UBER en dehors des heures de bureau, ce qu’il faisait pendant quelques heures après le travail. Après son congédiement, le demandeur a travaillé comme chauffeur pour UBER de 10 à 12 heures par jour, soit environ 60 heures par semaine. Selon son témoignage, il gagnait environ de 10 $ à 11 $ l’heure, soit une somme hebdomadaire nette d’environ 600 $ après dépenses.

[4] Le 23 novembre 2016, le demandeur a déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail et l’arbitre a été nommé pour instruire la plainte. En réponse à la plainte, la CIBC a fait valoir qu’elle avait un motif valable de congédier le demandeur, en raison de son rendement et de son comportement, comme il est indiqué dans sa lettre de congédiement du 17 novembre 2016. La position du demandeur était que le congédiement était injuste et, à titre de réparation, il a demandé à être réintégré dans son poste avec une indemnisation complète.

[5] Toutefois, le 30 mai 2018, les avocats des parties ont déposé auprès de l’arbitre un accord de procédure, dont voici le texte :

[traduction]

Charles Dengedza c CIBC

Objet : Plainte pour congédiement injuste

Accord de procédure

Les parties concluent l’accord de procédure suivant :

1. M. Dengedza ne demandera pas la réintégration comme réparation dans la présente plainte.

2. En échange du fait que M. Dengedza ne demande pas sa réintégration, la CIBC ne maintiendra pas sa position dans la présente plainte selon laquelle M. Dengedza a été congédié pour un motif valable. Aucune conclusion défavorable sur la question de la réparation ne doit être tirée du fait que la CIBC ne soutient plus dans le cadre de la présente plainte que M. Dengedza a été congédié pour un motif valable.

3. M. Dengedza retirera en conséquence sa plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne déposée devant la Commission canadienne des droits de la personne. M. Dengedza s’est engagé à ne pas soutenir que ses droits en vertu de la LCDP ont été violés en ce qui concerne son emploi à la CIBC ou la cessation de cet emploi.

4. Les parties se réservent le droit de présenter des éléments de preuve et de formuler des observations quant à la réparation appropriée dans la présente procédure devant l’arbitre George Monteith, reconnaissant que M. Dengedza ne cherche plus à obtenir la réintégration comme réparation. Tous les éléments de preuve ont déjà été dûment présentés à l’arbitre Monteith dans le cadre de la présente procédure et il peut les examiner.

5. Dans la mesure où ils n’ont pas déjà été présentés en preuve comme pièces, tous les documents versés au recueil des documents de la CIBC doivent être admis en preuve dans la présente instance.

Daté du 29e jour de mai 2018

[6] En conséquence, la question du congédiement justifié n’était plus en litige et l’arbitre a procédé à l’évaluation des dommages‐intérêts dus au demandeur en guise et lieu de préavis raisonnable et à d’autres égards.

La décision de l’arbitre

[7] L’arbitre a exposé les positions respectives des parties et les éléments de preuve que chacune d’entre elles avait présentés. Il s’agissait notamment du témoignage oral du demandeur et de Mme Lynda Therrien, directrice principale de la CIBC, chef de l’unité des enquêtes spéciales et des relations avec la collectivité. L’arbitre a noté que, comme il ressortait des observations des avocats, les questions en litige ne concernaient que la détermination du montant approprié des dommages-intérêts compensatoires tenant lieu de préavis et des revenus atténuant les pertes et le droit à des dommages-intérêts exemplaires et aux dépens.

[8] En ce qui concerne les dommages‐intérêts compensatoires, l’arbitre a tenu compte de l’âge du demandeur et du fait qu’il comptait environ 9,5 ans de service au moment de son congédiement. De plus, toute son expérience professionnelle et ses compétences étaient étroites et limitées au secteur financier. L’arbitre a pris note du témoignage du demandeur décrivant les difficultés qu’il a rencontrées lorsqu’il a essayé de trouver un autre poste dans une autre banque, compte tenu de son statut d’ancien employé de banque qui avait été congédié pour un motif valable et n’avait pas de lettre de recommandation. L’arbitre a conclu qu’en dépit de sa formation, de son expérience et de ses qualifications, il semblait peu probable que le demandeur puisse un jour trouver un autre poste dans une banque ou auprès d’un autre employeur du secteur financier. En outre, il a estimé que même si le demandeur n’était pas un employé de longue date, son âge et la difficulté pour lui de trouver un emploi de remplacement étaient également des facteurs à prendre en considération. L’arbitre a jugé qu’il était justifié dans les circonstances que le préavis raisonnable se situe dans la limite supérieure des préavis devant être donnés et que, pour que l’employeur soit quitte envers le demandeur, un préavis de 14 mois, ou une indemnité en tenant lieu, était raisonnable et approprié.

[9] L’arbitre a refusé d’accorder une indemnité pour la valeur de la perte des avantages sociaux. En effet, le demandeur avait refusé d’adhérer au régime parce qu’il était couvert par le régime de son épouse. Le demandeur n’avait donc pas établi qu’il avait perdu des avantages sociaux.

[10] L’arbitre a également refusé d’ajouter la prime aux dommages‐intérêts auxquels le demandeur avait droit. L’arbitre a estimé que la preuve indiquait clairement que l’octroi d’une prime est un droit discrétionnaire que l’on peut exercer pour les employés dont le rendement professionnel dépasse ou atteint les attentes. L’arbitre a jugé qu’il n’existait pas de droit contractuel à la prime, mais qu’il s’agissait plutôt d’un droit conditionnel lié au rendement. Et, compte tenu du témoignage de Mme Therrien, il était très probable, sinon certain, que, si le demandeur était demeuré à son poste, on aurait considéré qu’il ne répondait pas aux attentes et il se serait vu refuser la prime pour cette année en particulier.

[11] L’arbitre a examiné la question de savoir si l’augmentation des revenus du demandeur provenant d’UBER après le congédiement devait être considérée comme une atténuation raisonnable de sa perte, et donc déduite de l’indemnité à verser. L’arbitre a rejeté l’argument du demandeur selon lequel aucune déduction ne devrait être faite à l’égard de ses revenus provenant de son emploi auprès d’UBER parce que ce travail était d’une nature différente de celle de son travail à la CIBC et que ces revenus étaient minimes et constituaient, de par leur nature, un salaire d’appoint. L’arbitre a noté que, dans l’arrêt Brake c PJ‐M2R Restaurant Inc., 2017 ONCA 402 [Brake], la Cour n’a pas répondu à la question de savoir qu’est qui fait qu’un salaire d’appoint atteint le niveau d’un salaire en remplacement des sommes qui auraient été gagnées auprès de l’employeur initial (en l’occurrence CIBC) et doit être considéré, en tout ou en partie, comme un salaire d’appoint déductible. L’arbitre a constaté que la rémunération nette que le demandeur recevait de son emploi auprès d’UBER avant le congédiement était minime, mais qu’après le congédiement, elle avait augmenté de manière substantielle. L’arbitre a estimé qu’[traduction] « il ne s’agit pas d’une somme minime, insignifiante ou sans conséquence » et que cela indique qu’une partie importante de la rémunération que le demandeur recevait de son emploi auprès d’UBER après son congédiement a été gagnée en remplacement de sa rémunération à la CIBC. Par conséquent, et indépendamment de la nature du travail, la rémunération perçue auprès d’UBER après le renvoi était suffisamment importante pour être qualifiée de [traduction] « revenus atténuant les pertes » (arrêt Brake). L’arbitre a estimé qu’ils étaient donc déductibles de l’indemnité que devait payer la CIBC.

[12] En ce qui concerne le montant à déduire au titre des revenus atténuant les pertes, l’arbitre a exclu les gains du demandeur pendant la période de préavis d’un mois prévue par la loi. Étant donné la rémunération nette tirée de l’emploi auprès d’UBER de 600 $ par semaine pendant 30,42 semaines (18 252 $), moins le salaire d’appoint que le demandeur aurait gagné en travaillant après les heures de travail chez UBER s’il était resté à son poste à la CIBC (10 heures par semaine à 10 $ l’heure, revenu net de 100 $ par semaine x 30,42 semaines, soit 3 042 $), l’arbitre a conclu que le montant net du salaire tiré de son emploi auprès d’UBER devant être déduit était de 15 210 $.

[13] L’arbitre a refusé d’accorder au demandeur des dommages-intérêts exemplaires – ou punitifs et majorés. Il a conclu que le demandeur tentait de passer outre à l’accord de procédure, au détriment de la CIBC, en inférant du fait qu’il avait été congédié que la CIBC avait commis une faute en continuant à faire valoir jusqu’à la date de l’accord qu’il s’agissait d’un congédiement justifié. L’arbitre a conclu qu’on ne l’avait pas saisi de la question des dommages-intérêts exemplaires au regard des modalités de l’accord. Et, quoi qu’il en soit, d’après la preuve, le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une faute indépendante donnant ouverture à un droit d’action, ni d’une conduite flagrante, abusive ou scandaleuse de la part de la CIBC, susceptible de justifier l’octroi exceptionnel de dommages-intérêts punitifs.

[14] L’arbitre a également conclu que la manière dont la CIBC s’est comportée pendant le processus de congédiement ne justifiait pas l’octroi de dommages-intérêts compensatoires supplémentaires. Contrairement aux prétentions du demandeur selon lesquelles il n’avait pas vu venir son congédiement et il avait été piégé, le témoignage de Mme Therrien et les documents déposés par les parties ont révélé que le demandeur avait été mis au courant des préoccupations de la CIBC concernant son rendement et qu’on lui avait donné la possibilité de corriger ses lacunes et d’améliorer son rendement. L’arbitre a conclu que la décision de congédier le demandeur et la manière dont elle a été appliquée ne révélaient pas un comportement dur, vindicatif ou de mauvaise foi et que la preuve était [traduction] « loin d’établir, selon la prépondérance des probabilités, un droit à des dommages-intérêts compensatoires supplémentaires ». Il a refusé d’accorder une somme quelconque pour des dommages exemplaires de quelque nature que ce soit.

[15] Vu ses conclusions, l’arbitre a résumé les dommages-intérêts et les sommes dus au demandeur comme suit :

[traduction]

Dommages-intérêts compensatoires : 72 776,17 $

Moins la somme reçue : 21 000 $ (paiement effectué à titre gratuit par la CIBC au moment du congédiement)

Moins les revenus atténuant les pertes : 15 210 $

Solde : 36 566,17 $

Dépens : 7 500 $

[16] En conséquence, il a ordonné à la CIBC de verser au demandeur des dommages-intérêts de 36 566,17 $, moins les retenues prévues par la loi applicables, ainsi que des dépens de 7 500 $.

Dispositions législatives pertinentes

Code canadien du travail

Décision du Conseil

242(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), le Conseil, une fois saisi d’une plainte :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

[...]

Cas de congédiement injuste

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

Questions en litige et norme de contrôle

[17] À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question, celle de savoir si la décision de l’arbitre était raisonnable.

[18] D’après les observations des parties, cette question soulève elle-même trois sous‐questions :

  1. La décision de l’arbitre de ne pas accorder de dommages-intérêts exemplaires était-elle raisonnable?
  2. L’arbitre a-t-il raisonnablement refusé d’accorder des dommages-intérêts au titre d’une prime de rendement?
  3. La décision de l’arbitre de traiter l’augmentation des revenus perçus auprès d’UBER comme des revenus atténuant les pertes était-elle raisonnable?

[19] En ce qui concerne la norme de contrôle, la Cour suprême du Canada a conclu, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], qu’il existe une présomption selon laquelle le contrôle judiciaire du bien-fondé d’une décision administrative doit se faire selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 23, 48; voir également Mudjatik Thyssen Mining Coentreprise c Billette, 2020 CF 255 [Billette] aux para 37, 57, 59‐60).

[20] Le demandeur n’a présenté aucune observation sur la norme de contrôle; la CIBC soutient que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord. En l’espèce, aucune circonstance ne permet de réfuter la présomption.

[21] Lorsqu’elle contrôle une décision au regard de son caractère raisonnable, la Cour doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99).

La décision de l’arbitre de ne pas accorder de dommages-intérêts exemplaires était-elle raisonnable?

Position du demandeur

[22] Le demandeur soutient que ses allégations de mauvaise foi étaient suffisantes en droit pour fonder une demande de dommages-intérêts exemplaires, et ce, parce qu’un manquement à la bonne foi contractuelle peut constituer une faute donnant lieu à une demande de dommages-intérêts punitifs (voir Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19 aux para 130‐132 [Atlantic Lottery]). Il ajoute qu’il n’avait pas, en concluant l’accord de procédure, retiré sa demande de dommages-intérêts exemplaires.

Position de la défenderesse

[23] La défenderesse prétend que l’arbitre a raisonnablement interprété l’accord de procédure comme excluant une demande de dommages-intérêts exemplaires. Elle ajoute que l’arbitre a correctement exposé le droit relatif aux dommages-intérêts punitifs et majorés et a conclu que la preuve ne soutenait manifestement pas une telle demande. La défenderesse soutient que l’application par l’arbitre de la doctrine de la common law aux questions relatives à la réparation doit faire l’objet de retenue, car les questions de réparation sont au cœur de l’expertise spécialisée des arbitres en matière d’emploi et de travail.

Analyse

[24] À titre préliminaire, je note que, dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur ne conteste pas les dommages-intérêts compensatoires accordés par l’arbitre, ni la décision de celui-ci de ne pas accorder de dommages-intérêts pour la perte d’avantages sociaux, ni son adjudication des dépens.

[25] Le demandeur ne remet pas non plus en cause les conclusions factuelles de l’arbitre. Le dossier du demandeur ne comprenait aucun des éléments de preuve documentaires présentés à l’arbitre. Les observations écrites du demandeur ne font pas état d’erreurs de fait et il n’y affirme pas que des éléments de preuve pertinents ont été négligés. Par ailleurs, lors de sa comparution devant moi, l’avocat du demandeur a confirmé que son client s’en remettait aux conclusions de fait de l’arbitre.

[26] Dans ses motifs, l’arbitre a noté qu’il n’y avait aucun différend entre les parties concernant la compétence des arbitres en matière de réparation. Néanmoins, il a noté qu’en vertu de l’alinéa 242(4)a) et b) du Code canadien du travail, lorsqu’un arbitre décide, aux termes du paragraphe 242(3), qu’une personne a été injustement congédiée, l’arbitre peut enjoindre à l’employeur de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié et de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

[27] Si je comprends bien l’argument du demandeur concernant les dommages-intérêts exemplaires, l’arbitre a commis une erreur en excluant la possibilité d’accorder des dommages-intérêts exemplaires sur le fondement de son interprétation de l’accord de procédure. Le demandeur prétend qu’il n’a pas retiré sa demande de dommages-intérêts exemplaires. Il a retiré uniquement sa demande de réintégration et sa plainte contre la CIBC déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne [la LCDP]. Il affirme que [traduction] « [n]e pas être maltraité en raison de sa race ne signifie pas pour autant qu’il n’a pas été maltraité du tout ».

[28] L’arbitre a conclu que l’entente de base entre les parties était que, en échange de la renonciation à la demande de réintégration du demandeur, la CIBC acceptait de ne plus soutenir que le demandeur avait été congédié pour un motif valable. Et, dans le cadre de cette entente, les parties ont convenu qu’[traduction] « [a]ucune conclusion défavorable sur la question de la réparation ne doit être tirée du fait que la CIBC ne soutient plus dans le cadre de la présente plainte que M. Dengedza a été congédié pour un motif valable ». Après un résumé de la preuve du demandeur, l’arbitre a déclaré que celui-ci avait exprimé son opinion fermement arrêtée selon laquelle son congédiement était injuste à la fois en ce qui a trait aux motifs donnés et en ce qui a trait à la procédure suivie pour procéder au congédiement. Toutefois, l’arbitre a déclaré qu’il n’était plus saisi de la question du caractère juste du congédiement. L’arbitre a conclu qu’en fait, le demandeur tentait de passer outre à l’accord de procédure, au détriment de la CIBC, en inférant du fait qu’il avait été congédié que la CIBC avait commis une faute en continuant à faire valoir jusqu’à la date de l’accord qu’il s’agissait d’un congédiement justifié. L’arbitre a estimé que les parties n’avaient pas l’intention de réexaminer toutes les circonstances du congédiement et a rendu sa décision selon la procédure convenue, dont le but était de limiter les questions à une évaluation des dommages-intérêts pour congédiement sans motif valable.

[29] Le demandeur affirme maintenant devant moi que la question de ses droits de réparation en ce qui concerne son accord de ne pas solliciter sa réintégration et l’accord de la CIBC de ne plus soutenir que le demandeur a été congédié de façon justifiée est liée à la plainte fondée sur la LCDP, mais je ne vois pas le lien.

[30] Et, même si l’arbitre a commis une erreur en concluant que la demande de dommages-intérêts exemplaires du demandeur était exclue par les termes de l’accord de procédure – et je ne tire aucune conclusion à cet égard – l’erreur ne serait pas importante. En effet, malgré sa conclusion sur l’interprétation et l’effet de l’accord de procédure, l’arbitre a ensuite examiné la question de savoir si le demandeur avait établi qu’il avait droit à des dommages-intérêts exemplaires.

[31] Précédemment dans ses motifs, l’arbitre avait déclaré que les dommages-intérêts punitifs ne sont pas compensatoires par nature et sont [traduction] « limités aux actes illicites manifestes qui sont si malveillants et scandaleux qu’ils méritent une punition en soi ». Ils ne devraient être utilisés que dans des [traduction] « cas exceptionnels ». Il a jouté que l’un des facteurs à prendre en compte dans l’analyse qui doit être menée est la question de savoir si la preuve étaye l’existence d’une faute indépendante donnant ouverture à un droit d’action.

[32] L’arbitre a noté que les tribunaux ont également reconnu un droit à des dommages-intérêts majorés pour des préjudices qui ne sont pas liés au congédiement lui-même, mais qui découlent plutôt de la manière dont le congédiement a été effectué lorsqu’un employeur adopte un comportement injuste ou agit de mauvaise foi. L’arbitre a déclaré que les dommages-intérêts majorés ne sont pas des dommages-intérêts punitifs, mais sont plutôt considérés comme un type de dommages-intérêts compensatoires qui sont recouvrables lorsqu’il est prouvé que l’employeur a eu une conduite de mauvaise foi qui a causé un préjudice, y compris une souffrance morale.

[33] Après avoir examiné tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, l’arbitre a conclu que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une faute indépendante donnant ouverture à un droit d’action ni que la conduite de la CIBC avait été à tel point flagrante, abusive ou scandaleuse qu’elle justifiait l’octroi exceptionnel de dommages-intérêts punitifs.

[34] À l’appui de son argument selon lequel une violation de l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi peut constituer une faute susceptible de fonder une demande de dommages-intérêts punitifs, le demandeur invoque l’arrêt Société des loteries de l’Atlantique. La Cour suprême y a déclaré ce qui suit :

[129] Les demandeurs ont en outre plaidé un fondement suffisant au soutien d’une demande de dommages‐intérêts punitifs : leurs allégations de conduite répréhensible et de tromperie dans l’exécution d’un contrat ont mis en cause l’obligation d’exécution honnête.

[130] Les dommages‐intérêts punitifs ont pour objet de punir le défendeur, plutôt que d’indemniser le demandeur (Whiten, par. 36). Il y a lieu de les accorder lorsque la conduite du défendeur est « si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité de la cour » (Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196). Fait crucial, les dommages-intérêts punitifs se rattachent à la conduite répréhensible du défendeur, et non à la perte du demandeur (Whiten, par. 73), et il n’est pas nécessaire que le demandeur ait subi un préjudice pour que des dommages‐intérêts punitifs soient accordés (H. D. Pitch et R. M. Snyder, Damages for Breach of Contract (feuilles mobiles), p. 4‐1 à 4‐2).

[131] L’inconduite en cause doit « être d’une nature propre à provoquer davantage que la réprobation entourant l’inexécution d’un contrat », et on ne doit avoir recours aux dommages‐intérêts punitifs que dans des « cas exceptionnels » (Fidler, par. 62). Outre cette exigence que la conduite soit exceptionnelle, la conduite du défendeur qui donne lieu à la demande doit elle‐même être une faute indépendante donnant ouverture à action (Whiten, par. 78; Fidler, par. 63).

[132] Dans l’arrêt Whiten, la Cour a confirmé qu’une faute indépendante donnant ouverture à action n’exige pas un délit indépendant, et a conclu qu’un manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi peut constituer une « faute donnant ouverture à action » susceptible de fonder une demande de dommages‐intérêts punitifs (par. 79). Je souligne que depuis le dépôt en 2012 des actes de procédure en l’espèce, la Cour, dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, a reconnu l’existence d’une obligation d’exécution honnête applicable à tous les contrats à titre de « doctrine générale du droit des contrats » (par. 74‐75 et 93) : les parties « ne doivent pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat » (par. 73). L’affaire Bhasin a été tranchée sur le fondement d’un manquement à cette seule obligation.

[35] Le demandeur soutient que ses allégations de mauvaise foi étaient « suffisantes en droit » pour fonder une demande de dommages-intérêts exemplaires. Bien que je sois d’accord avec le demandeur sur le fait qu’une violation de l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi peut être suffisante pour fonder une demande de dommages-intérêts punitifs, cela ne lui est d’aucun secours, étant donné les conclusions de fait tirées par l’arbitre qui sont fondées sur les éléments de preuve dont il disposait.

[36] L’arbitre a noté que, bien que le demandeur ait pris ombrage de la lettre que la CIBC a envoyée au ministère au cours du processus de plainte, cela ne constituait pas une preuve de faute. Il s’agissait plutôt d’une simple réponse de la CIBC à une demande visant à connaître sa position, qui pourrait être comparée à un acte de procédure dans une affaire civile.

[37] L’arbitre a également conclu que la manière dont la CIBC s’est comportée pendant le processus de congédiement ne justifiait pas l’octroi de dommages-intérêts compensatoires supplémentaires. L’arbitre a conclu que, contrairement au témoignage du demandeur selon lequel il n’a pas vu venir son congédiement et qu’il s’était senti pris au piège, le témoignage de la CIBC et les documents déposés par les parties ont révélé que le demandeur avait été mis au courant des préoccupations de la CIBC concernant son rendement et qu’on lui avait donné la possibilité de corriger ses lacunes et d’améliorer son rendement. L’arbitre a constaté que le demandeur avait été encadré, avait reçu une rétroaction ainsi que des conseils sur son rendement et ses comportements, et avait été averti verbalement des éventuelles conséquences sur son emploi, et, dans ces circonstances, a conclu que le demandeur ne pouvait pas raisonnablement croire que son travail était satisfaisant et que son poste était garanti.

[38] En outre, la décision de la CIBC de congédier le demandeur et la manière dont elle a été prise ne révèlent aucun comportement dur, vindicatif ou de mauvaise foi. Cette décision a plutôt été prise après que la CIBC eut envisagé un transfert, et la façon dont le congédiement avait été fait démontrait qu’elle se préoccupait des sentiments du demandeur et cherchait à éviter, autant que possible, tout sentiment d’humiliation pour lui au lieu de travail. Le paiement de 21 000 $ au moment du licenciement remet également en question l’allégation selon laquelle la CIBC a agi de mauvaise foi.

[39] L’arbitre a conclu qu’il incombait au demandeur de prouver que des dommages-intérêts compensatoires majorés ou supplémentaires étaient justifiés et qu’il avait subi un préjudice en conséquence du comportement répréhensible. Or, il n’y avait aucune preuve de préjudice résultant de la manière dont le congédiement avait été effectué. L’arbitre a affirmé ceci : [TRADUCTION] « je ne doute pas que le demandeur éprouve des sentiments honnêtes et sincères à l’égard des circonstances de son congédiement, qui l’ont perturbé et causé chez lui de la détresse, mais la preuve est loin d’établir selon la prépondérance des probabilités un droit à des dommages-intérêts compensatoires supplémentaires ». Pour ce motif, l’arbitre a refusé d’accorder une somme quelconque pour des dommages exemplaires de quelque nature que ce soit.

[40] Devant moi, le demandeur n’a pas contesté les conclusions relatives à la preuve tirées par l’arbitre, et ces conclusions de fait ne permettaient tout simplement pas – comme l’arbitre l’a jugé – de conclure que la CIBC avait violé l’obligation contractuelle de faire preuve de bonne foi. Les motifs de l’arbitre étaient transparents, intelligibles et justifiaient sa décision. Je ne constate aucune erreur dans le raisonnement de l’arbitre qui justifie une intervention.

L’arbitre a-t-il raisonnablement refusé d’accorder des dommages-intérêts au titre d’une prime de rendement?

Position du demandeur

[41] Le demandeur prétend que l’arbitre a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas répondu pas aux attentes de son emploi et, par conséquent, qu’il n’aurait pas reçu la prime discrétionnaire de 8 500 $. Selon le demandeur, le critère juridique en quatre volets permettant de déterminer s’il convient d’accorder une prime discrétionnaire calculée au prorata de la période de préavis raisonnable a été établi dans la décision Gillies v Goldman Sachs, 2000 BCSC 355 [Gillies], et l’arbitre ne l’a pas appliqué. De plus, la prime faisait partie intégrante de sa rémunération.

Position de la défenderesse

[42] La défenderesse n’est pas d’accord avec le point de vue du demandeur selon lequel des dommages-intérêts pour une prime sont payables si cette prime fait partie intégrante de la rémunération de l’employé. La défenderesse fait valoir que la Cour suprême du Canada a établi, dans l’arrêt Matthews c Ocean Nutrition Canada Ltd., 2020 CSC 26 [Matthews], un cadre permettant de déterminer si une prime est payable dans le cas d’une indemnité tenant lieu de préavis. En d’autres termes, le demandeur aurait-il eu droit à la prime dans le cadre de sa rémunération pendant la période de préavis raisonnable et, dans l’affirmative, les modalités de son contrat de travail ou de son régime de primes ont-elles pour effet de supprimer ou de limiter ce droit que confère la common law (Matthews, au para 55)? La défenderesse prétend que l’arbitre n’a pas commis d’erreur dans sa conclusion factuelle, qui était fondée sur des éléments de preuve non contestés, à savoir que la prime discrétionnaire n’aurait pas été versée au demandeur s’il était resté à son poste parce qu’on aurait jugé qu’il n’avait pas répondu aux attentes de l’emploi. La défenderesse soutient que la décision de l’arbitre était conforme aux principes énoncés dans l’arrêt Matthews et, quoi qu’il en soit, qu’elle est raisonnable à la lumière du large pouvoir discrétionnaire de réparation accordé aux arbitres sous le régime du Code canadien du travail.

Analyse

[43] Dans l’arrêt Matthews, il s’agissait de savoir si un employé congédié de façon déguisée avait droit à une indemnité pour les primes qu’il aurait gagnées si son employeur n’avait pas violé le contrat de travail. À cet égard, l’appelant dans cette affaire avait participé au régime d’intéressement à long terme [le RILT] de son employeur. En vertu du RILT, un événement déclencheur entraînerait le versement de paiements aux employés admissibles aux termes du régime. Après le congédiement du demandeur, la société a été vendue, ce qui a déclenché l’application du RILT. La Cour suprême a conclu ce qui suit :

[49] Dans la mesure où M. Matthews a fait l’objet d’un congédiement déguisé sans préavis, il avait droit à des dommages‐intérêts correspondant au salaire, y compris les primes, qu’il aurait touché durant la période de préavis de 15 mois (Wallace, par. 65‐67). Il en est ainsi parce que la réparation en cas de manquement à l’obligation tacite de donner un préavis raisonnable consiste à accorder des dommages‐intérêts fondés sur la période du préavis qui aurait dû être donné, dommages‐intérêts correspondant « au montant que l’employé aurait gagné pendant cette période » (par. 115). La question de savoir si les sommes à verser au titre d’un régime d’intéressement, tel le RILT en l’espèce, doivent être incluses dans les dommages‐intérêts est une question courante et récurrente dans le domaine du droit applicable au congédiement injustifié. Pour répondre à cette question, le juge de première instance s’est appuyé sur les arrêts Paquette et Lin de la Cour d’appel de l’Ontario. J’estime qu’il a choisi la bonne approche.

[44] Après avoir examiné l’arrêt Paquette c Terago Networks Inc., 2016 ONCA 618 [Paquette]), la Cour suprême a déclaré :

[55] Les tribunaux devraient en conséquence se poser deux questions lorsqu’ils sont appelés à décider si le montant des dommages‐intérêts qu’il convient d’accorder pour manquement à l’obligation tacite de donner un préavis raisonnable doit inclure les primes et certains autres avantages. L’employé aurait‐il eu droit à la prime ou à l’avantage dans le cadre de ses conditions de rémunération pendant la période de préavis raisonnable? Dans l’affirmative, les modalités du contrat de travail ou du régime de primes ont‐elles pour effet de supprimer ou de limiter clairement ce droit que confère la common law?

[Non souligné dans l’original.]

[45] Dans l’arrêt Matthews, le demandeur a fait valoir que, puisque l’événement déclencheur s’était produit pendant la période de préavis raisonnable de 15 mois, le montant de la prime prévue par le RILT devait être inclus dans les dommages-intérêts qui lui étaient accordés en vertu de la common law. L’employeur a fait valoir que le demandeur ne pouvait pas satisfaire à la première étape de l’analyse mentionnée ci-dessus, car le RILT ne faisait pas partie intégrante de son régime de rémunération. La Cour suprême a rejeté la prétention de l’employeur, estimant que :

[58] Le juge de première instance s’est arrêté à cet argument et a conclu qu’Ocean cherchait à introduire dans l’analyse une exigence supplémentaire qui n’est pas étayée par la jurisprudence (par. 387). Je suis d’accord. Le critère qui consiste à déterminer si un avantage ou une prime fait « partie intégrante » de la rémunération d’un employé aide à répondre à la question de savoir ce qui aurait été payé à cet employé pendant la période de préavis raisonnable (voir, p. ex., Brock c. Matthews Group Ltd. (1988), 20 C.C.E.L. 110 (H.C.J. Ont.), p. 123, conf. par (1991), 34 C.C.E.L. 50 (C.A.); Paquette, par. 17). Ainsi, dans les arrêts Paquette et Singer, où les primes en litige étaient discrétionnaires, la Cour d’appel de l’Ontario a pris en compte ce critère, dit de la « partie intégrante », car un doute subsistait quant à la question de savoir si l’employé aurait touché ces primes discrétionnaires pendant la période de préavis raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[46] La Cour suprême a conclu que la situation dans l’affaire Matthews était différente, car il n’était pas contesté que l’événement déclencheur s’était produit pendant la période de préavis et que, n’eût été le congédiement du demandeur, ce dernier aurait reçu un paiement au titre du RILT pendant cette période. Dans cette circonstance, il n’y avait pas lieu de se demander si le paiement au titre du RILT faisait « partie intégrante » de sa rémunération.

[47] En l’espèce, l’arbitre a estimé que la preuve indiquait clairement que l’octroi d’une prime est un droit discrétionnaire que l’on peut exercer pour les employés dont le rendement professionnel dépasse ou atteint les attentes. L’arbitre a conclu qu’il n’y avait pas de droit contractuel à la prime. Il s’agissait d’un droit conditionnel lié au rendement. Et, compte tenu du témoignage de Mme Therrien, il était très probable, sinon certain, que, si le demandeur était demeuré à son poste, on aurait considéré qu’il ne répondait pas aux attentes et il se serait vu refuser la prime pour cette année en particulier.

[48] Le demandeur soutient que l’arbitre a commis une erreur de fait en concluant qu’il n’aurait pas reçu sa prime discrétionnaire parce qu’il ne répondait pas aux attentes, mais il n’invoque aucun élément pour démontrer que cette conclusion – qui était fondée sur le témoignage de Mme Therrien – était erronée. En outre, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le demandeur a accepté les conclusions factuelles de l’arbitre.

[49] Le demandeur affirme que l’arbitre a commis une erreur en omettant de tenir compte des quatre facteurs énumérés dans l’arrêt Gillies pour déterminer si la prime faisait partie intégrante de sa rémunération, mais, dans l’arrêt Matthews, la Cour suprême a conclu que l’arrêt Paquette énonçait l’approche correcte à adopter en ce qui concerne les primes discrétionnaires. Dans l’arrêt Paquette, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que :

[traduction]

[16] Le principe de base de l’octroi de dommages-intérêts pour congédiement injustifié est que l’employé congédié a droit à une indemnité pour toutes les pertes découlant de la violation du contrat par l’employeur parce qu’il n’a pas donné un préavis approprié. Les dommages-intérêts accordés devraient placer l’employé dans la même situation financière que celle dans laquelle il se serait trouvé si le préavis avait été donné : Sylvester c Colombie-Britannique, [1997] 2 RCS 315 au para 1. En d’autres termes, pour déterminer les dommages-intérêts en cas de congédiement injustifié, la cour inclura généralement la totalité de la rémunération et des avantages sociaux dont l’employé aurait bénéficié pendant la période de préavis : Davidson c Allelix Inc. (1991), 7 O.R. (3d) 581 (C.A.) au para 21.

[17] Les dommages-intérêts pour congédiement injustifié peuvent inclure un montant correspondant à une prime que l’employé aurait reçue s’il avait continué à travailler pendant la période de préavis, ou des dommages-intérêts pour la perte de la possibilité de gagner une prime. C’est généralement le cas lorsque la prime fait partie intégrante du régime de rémunération de l’employé : voir Brock c Matthews Group Limited (1988), 20 CCEL 110 au para 44 (H.C.J. Ont.), conf. par (1991), 34 CCEL 50 aux para 6-7 (C.A. Ont.) (appel accueilli en partie pour d’autres motifs); Bernier au para 44 (C.S. Ont.), conf, au para 5 (C.A. Ont.). Cela peut être le cas même lorsqu’une prime est décrite comme étant « discrétionnaire » : voir Brock c Matthews Group au para 44 (H.C.J. Ont.), conf, aux para 6-7 (C.A. Ont.).

[18] Lorsqu’un régime de primes existe, ses conditions seront souvent importantes, dans le cadre d’un jugement en dommages-intérêts pour congédiement injustifié, pour la détermination de la composante « prime ». Le régime peut contenir des critères d’admissibilité et établir une formule pour le calcul de la prime. Et, comme en l’espèce, le régime peut prévoir des limitations ou des conditions pour le versement de la prime. Dans la mesure où il existe des limitations, la question peut se poser de savoir si elles ont été portées à l’attention des employés concernés et si elles faisaient partie de leur contrat de travail.

[...]

[30] La première étape consiste à examiner les droits de l’appelant en vertu de la common law. Dans des circonstances où, comme en l’espèce, il a été conclu que la prime faisait partie intégrante de la rémunération de l’employé congédié, M. Paquette aurait eu le droit de recevoir une prime en février 2015 et 2016, s’il avait continué à être employé pendant la période de préavis de 17 mois.

[31] La deuxième étape consiste à déterminer s’il existe un élément dans le régime de primes qui supprimerait expressément le droit de l’appelant en vertu de la common law. La question n’est pas de savoir si le contrat ou le régime est ambigu, mais si le libellé du régime modifie ou supprime sans ambiguïté les droits de l’appelant en vertu de la common law : Taggart, aux para 12, 19‐22.

[50] Comme il est indiqué dans Paquette, le point de départ de l’analyse qui doit être menée est la prémisse selon laquelle le droit du demandeur en vertu de la common law à des dommages-intérêts pour violation du contrat de travail était fondé sur l’ensemble de sa rémunération, y compris toute prime qu’il aurait reçue si son emploi s’était poursuivi pendant la période de préavis raisonnable. Il faut ensuite examiner la question de savoir si le régime de primes limitait ou restreignait expressément ce droit (au para 24).

[51] L’arbitre a conclu que l’accord de rémunération du demandeur incluait la possibilité de toucher une prime de 8 500 $. De plus, selon le témoignage de la CIBC, l’octroi d’une prime est un droit discrétionnaire que l’on peut exercer pour les employés dont le rendement professionnel dépasse ou atteint les attentes. Il n’y avait pas de droit contractuel à la prime, mais il s’agissait plutôt d’un droit conditionnel lié au rendement. Et, compte tenu du témoignage de la CIBC, l’arbitre a conclu qu’il était très probable, sinon certain, que, si le demandeur était demeuré à son poste, on aurait considéré qu’il ne répondait pas aux attentes et il se serait vu refuser la prime pour cette année en particulier.

[52] En substance, par ces conclusions, l’arbitre a appliqué les arrêts Matthews et Paquette, en ce sens qu’il a finalement conclu que, indépendamment de la question de savoir si le demandeur avait, en vertu de la common law, un droit à des dommages-intérêts pour la prime, il n’aurait pas eu droit à la prime dans le cadre de son régime de rémunération pendant la période de préavis raisonnable. En effet, les modalités de la politique de primes étaient liées au rendement, et le demandeur ne remplissait pas les conditions d’admissibilité.

[53] Ainsi, le fait que la prime fasse ou non partie intégrante de la rémunération du demandeur n’était pas déterminant. L’arbitre n’a pas commis d’erreur en n’abordant pas explicitement ce point.

La décision de l’arbitre de considérer l’augmentation du salaire perçu auprès d’UBER comme des revenus atténuant les pertes était-elle raisonnable?

Position du demandeur

[54] Le demandeur prétend que l’arbitre a commis une erreur en déduisant de l’évaluation des dommages-intérêts son salaire perçu auprès d’UBER après son congédiement. Il fait valoir que ces gains ne sont pas des revenus atténuant les pertes parce que le travail auprès d’UBER n’était pas un emploi comparable. Le demandeur renvoie à des affaires qui ont suivi les motifs concordants de la juge Feldman dans l’arrêt Brake, qui a déclaré que les revenus atténuant les pertes qui proviennent d’un emploi nettement inférieur ne devraient pas être déduits des dommages-intérêts pour congédiement injustifié d’un employé. Le demandeur prétend que l’arbitre a commis une erreur en ne suivant pas cette jurisprudence.

Position de la défenderesse

[55] La défenderesse fait valoir que l’arbitre a tenu compte du jugement majoritaire dans l’arrêt Brake et que la question pertinente est de savoir si les gains tirés de l’emploi auprès d’UBER après le congédiement remplacent le revenu que le demandeur a reçu de la CIBC. La défenderesse prétend que l’arbitre a raisonnablement conclu que les revenus du demandeur tirés de son emploi auprès d’UBER, qui excédaient ceux qu’il avait gagnés en tant que chauffeur UBER avant son congédiement de la CIBC, n’étaient pas minimes ou ne constituaient pas un salaire d’appoint, et qu’ils ont été gagnés en remplacement de son ancien revenu à la CIBC. En d’autres termes, les revenus accrus du demandeur tirés de son emploi auprès d’UBER ont remplacé ses revenus auprès de la CIBC et, à ce titre, ont été qualifiés à juste titre de revenus atténuant les pertes.

Analyse

[56] Comme il est indiqué dans l’arrêt Brake, un employé qui est congédié sans préavis raisonnable a droit à des dommages-intérêts pour violation de contrat fondés sur le revenu d’emploi que l’employé aurait gagné pendant la période de préavis raisonnable, moins tout montant reçu pour atténuer la perte pendant la période de préavis (Brake, au para 96, citant Sylvester c Colombie-Britannique, 1997 CanLII 353 (CSC), [1997] 2 RCS 315 aux para 14-17).

[57] En l’espèce, nul ne conteste que le demandeur a raisonnablement atténué ses pertes après son congédiement. La seule question est de savoir dans quelle mesure ses gains postérieurs à l’emploi sont déductibles en tant que revenus atténuant les pertes.

[58] Dans l’arrêt Brake, la demanderesse était une gérante de restaurant âgée de 62 ans, employée par PJ-M2R Restaurant Inc, une société de portefeuille franchisée McDonald’s. Après dix ans d’évaluations du rendement très positives, elle a reçu une évaluation négative. Elle a été transférée dans un magasin en difficulté et s’est vu fixer des objectifs de rendement arbitraires qui, selon le juge de première instance, auraient été très difficiles à atteindre. Réalisant que son emploi était menacé, elle a demandé et obtenu la permission d’occuper un autre emploi à temps partiel chez Sobey’s. En fin de compte, PJ-M2R l’a congédiée. La demanderesse a continué de travailler pour Sobey’s après son congédiement.

[59] Le juge de première instance a refusé de déduire de l’indemnité les revenus de la demanderesse gagnés chez Sobey’s. En appel, la majorité de la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Brake :

[traduction]

[140] Dans le cadre d’une action pour congédiement injustifié, l’employeur a généralement le droit de déduire le revenu que l’employé congédié a tiré d’autres sources pendant la période de préavis prévue par la common law. Toutefois, comme l’a expliqué le juge Rand dans l’arrêt Karas c Rowlett, 1943 CanLII 53 (CSC), [1944] RCS 1, [1943] ACS no 46, à la p 8 du RCS, pour que le revenu gagné par le demandeur après une violation du contrat soit déductible des dommages-intérêts, « le revenu atténuant les pertes et la rémunération prévue ou envisagée aux termes du contrat original doivent s’exclure mutuellement, et le premier est ainsi le substitut de l’autre ». Par conséquent, si un employé s’est engagé à travailler à temps plein auprès d’un employeur, mais que son contrat de travail permet de travailler simultanément pour un autre employeur, et que le premier employeur le congédie sans préavis, tout revenu provenant du second employeur qu’il aurait pu gagner tout en continuant à travailler pour le premier ne peut être déduit de ses dommages-intérêts : voir S.M. Waddams, The Law of Damages, édition en feuilles mobiles (rel. nov. 2016), 2e éd. (Toronto : Canada Law Book, 1991), au para 15.780.

[...]

[144] Ce principe s’applique en l’espèce. Comme Mme Brake avait occupé un deuxième emploi chez Sobey’s tout en travaillant à temps plein pour l’appelante, son travail pour Sobey’s et son travail pour l’appelante ne s’excluaient pas mutuellement. Si Mme Brake était restée à l’emploi de l’appelante, elle aurait pu continuer à compléter ses revenus en travaillant à temps partiel chez Sobey’s. Par conséquent, je ne déduirais pas du montant des dommages-intérêts le revenu qu’elle a reçu de Sobey’s pendant le reste de la période de préavis.

[145] La question de savoir si le revenu de Mme Brake provenant de Sobey’s dépassait un montant qui pouvait raisonnablement être considéré comme étant un « salaire d’appoint » et, par conséquent, ne remplaçait pas son revenu d’emploi, n’a pas été débattue. Selon les faits de l’espèce, les montants reçus de Sobey’s n’atteignent pas un niveau tel que son travail chez Sobey’s peut être considéré comme un substitut de son travail chez PJ-M2R. Je ne réponds pas dans le cadre de la présente affaire à la question de savoir ce qui fait que le revenu d’emploi supplémentaire atteint un niveau tel qu’il (ou une partie de celui-ci) doit être considéré comme un substitut des montants qui auraient été gagnés aux termes du contrat initial et, par conséquent, être considéré comme un revenu atténuant les pertes déductible.

[Non souligné dans l’original.]

[60] Ainsi, la majorité des juges dans l’arrêt Brake a exprimé l’avis que les revenus d’emploi supplémentaires, tels que ceux gagnés par le demandeur auprès d’UBER, pourraient atteindre un niveau tel qu’ils deviendraient, en tout ou en partie, des revenus de substitution et seraient traités comme des revenus atténuant les pertes (Brake, au para 145).

[61] Dans sa décision minoritaire concordante, la juge Feldman était d’avis que le juge de première instance était en droit de conclure que le poste de caissière que l’appelante a accepté après son congédiement était [traduction] « si nettement inférieur » au poste de direction qu’elle avait quitté qu’il ne diminuait pas la perte du premier emploi. La juge Feldman a noté que c’est sur ce fondement que le juge de première instance avait refusé de déduire des dommages-intérêts pour congédiement injustifié le revenu que la plaignante avait gagné pendant la période de préavis. La juge Feldman aurait confirmé cet aspect de la décision du juge de première instance :

[traduction]

[156] Le juge de première instance a conclu que l’intimée a fait de son mieux pour trouver un poste de direction raisonnablement comparable à celui qu’elle occupait chez l’appelante. N’ayant pas pu le faire, l’intimée a accepté un emploi de caissière sans fonctions de gestion à un salaire nettement inférieur, car elle avait besoin de gagner de l’argent. [page 589]

[157] Une employée congédiée illégitimement a le devoir d’essayer d’atténuer les dommages qu’elle subit en faisant de son mieux pour obtenir un poste raisonnablement comparable en salaire et en responsabilités à celui dont lequel elle a été injustement congédiée. Si elle peut obtenir un tel poste, ses revenus sont déduits des dommages-intérêts qui lui sont accordés, étant considérés comme des revenus atténuant les pertes. Si elle refuse un tel poste ou ne fait pas d’efforts raisonnables, le montant qu’elle aurait pu gagner à un poste comparable est également déduit des dommages-intérêts qui lui sont octroyés, en raison du manquement à l’obligation de limiter les dommages. Mais si elle ne peut trouver qu’un poste qui n’est pas comparable en salaire ou en responsabilités, elle a le droit de le refuser et, si elle le fait, le montant qu’elle aurait pu gagner n’est pas déduit des dommages-intérêts qui lui sont accordés.

[158] Il s’ensuit, à mon avis, que lorsqu’une employée injustement congédiée est effectivement contrainte d’accepter un poste nettement inférieur parce qu’aucun poste comparable n’est disponible, le montant qu’elle gagne en occupant ce poste ne constitue pas un revenu au titre de l’atténuation des dommages et ne doit pas être déduit du montant que l’employeur doit payer.

[159] C’est toujours au juge de première instance de déterminer si l’employée a rempli son obligation d’atténuer les pertes. Lorsqu’une employée injustement congédiée accepte un nouvel emploi pendant la période de préavis, la question de savoir s’il faut ou non déduire ces gains dépend de l’évaluation de l’atténuation des dommages par le juge de première instance. Si le juge de première instance estime que le nouvel emploi est comparable à l’ancien, les gains devraient être déduits au titre de l’atténuation des dommages. Si le juge de première instance estime que le nouvel emploi est nettement inférieur à l’ancien, de sorte que l’employée n’aurait pas manqué à son obligation d’atténuer les dommages si elle l’avait refusé, les gains ne devraient pas être déduits.

[160] En d’autres termes, le juge de première instance décide si un emploi qu’une employée accepte, ou refuse, constitue un revenu atténuant les dommages. Comme l’indique mon collègue, au para 98, seules les sommes reçues en atténuation des pertes sont déduites du montant des dommages-intérêts.

[161] En l’espèce, l’employée n’était pas une cadre qui pouvait se permettre de vivre pendant la période de préavis sans salaire. Il était dans son intérêt d’essayer d’obtenir un poste de gestion comparable, mais elle n’y est pas parvenue et, comme elle ne pouvait pas se permettre de ne rien gagner, elle a dû accepter le seul emploi qu’elle a pu trouver. Le juge de première instance a jugé que l’emploi qu’elle a trouvé n’était en aucun cas comparable à son poste de gestion chez l’appelante. [page 590] En conséquence, les revenus qu’elle a eu n’ont pas eu pour effet d’atténuer les dommages qu’elle a subis du fait de son congédiement injustifié par l’employeur appelante et ne doivent pas être déduits.

[62] Dans le contexte de la présente affaire, si l’on suit le raisonnement de la juge Feldman, si le demandeur a été forcé d’accepter plus d’heures de travail, mais dans un emploi de moindre qualité, auprès d’UBER, ces gains ne devraient pas être déduits à titre de revenus atténuant les dommages.

[63] Il ne semble pas que notre Cour ou la Cour d’appel fédérale ait déjà examiné les motifs de la majorité ou de la minorité concordante de l’arrêt Brake. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a suivi les motifs de la majorité dans l’arrêt Brake dans l’arrêt Pakozdi c B et B Civil Construction Ltd., 2018 BCCA 23 [Pakozdi]. Dans cette affaire, l’appelant avait travaillé pour l’employeur pendant environ un an, période au cours de laquelle il avait également eu des revenus à titre d’expert-conseil indépendant au su et avec le consentement de son employeur. Ses revenus d’emploi s’élevaient à 130 000 $ par an (ou 10 833 $ par mois). Il avait également eu des revenus de consultation au cours des cinq mois ayant précédé son congédiement. Le montant variait d’un mois à l’autre, de 17 heures de travail associées à un revenu de 1 750 $, à 96 heures pour un revenu de 9 600 $. Après son congédiement, l’appelant a continué à percevoir des revenus de consultation, mais a augmenté considérablement ses revenus. Pendant cinq de ces six mois, il a travaillé entre 153 et 196 heures et a eu des revenus mensuels de 15 300 $ à 19 600 $.

[64] Se référant aux motifs de la majorité dans l’arrêt Brake, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[45] J’ai insisté sur la précision faite dans l’arrêt Brake que c’est le revenu gagné par l’employé auprès du second employeur après la cessation d’emploi qui aurait pu être gagné s’il avait continué de travailler auprès du premier employeur qui n’est pas déductible des dommages-intérêts accordés, et pas simplement tous les revenus gagnés auprès du second employeur.

[46] À mon avis, le principe énoncé par le juge de première instance est trop catégorique. Ce ne sont pas tous les revenus du second emploi qui sont exclus du calcul des dommages, mais plutôt les revenus du second emploi qui auraient pu être perçus si le premier emploi avait continué. En d’autres termes, la question est de savoir si le nouveau revenu est un revenu de remplacement, quelle que soit la source du revenu, ou une continuation du revenu complémentaire perçu avant le congédiement. Je ne considère pas que l’arrêt Redd’s Roadhouse soit incompatible avec ce principe.

[47] Dans l’arrêt Brake, la Cour d’appel de l’Ontario était consciente de cette distinction, et a souligné que :

[145] La question de savoir si le revenu de Mme Brake provenant de Sobey’s dépassait un montant qui pouvait raisonnablement être considéré comme étant un « salaire d’appoint » et, par conséquent, ne remplaçait pas son revenu d’emploi, n’a pas été débattue. Selon les faits de l’espèce, les montants reçus de Sobey’s n’atteignent pas un niveau tel que son travail chez Sobey’s peut être considéré comme un substitut de son travail chez PJ-M2R. Je ne réponds pas dans le cadre de la présente affaire à la question de savoir ce qui fait que le revenu d’emploi supplémentaire atteint un niveau tel qu’il (ou une partie de celui-ci) doit être considéré comme un substitut des montants qui auraient été gagnés aux termes du contrat initial et, par conséquent, être considéré comme un revenu atténuant les pertes déductible.

[48] B & B fait valoir que la question à laquelle la Cour n’a pas voulu répondre dans l’arrêt Brake se pose clairement en l’espèce. L’argument est que, parce que dans chacun des mois suivant le mois du congédiement M. Pakozdi avait gagné davantage comme expert-conseil que ce qu’il aurait gagné auprès de B & B, il a réussi à éviter la perte résultant du congédiement et n’a pas droit à des dommages-intérêts de la part de B & B.

[49] Cette proposition est également trop catégorique parce qu’elle ne tient pas compte du fait qu’au moins une partie du revenu de consultation gagné après la cessation d’emploi aurait pu être perçue si l’emploi de l’intimé chez B & B avait continué, et ne donc pas être considérée comme un revenu de remplacement.

[50] M. Pakozdi a été congédié à la mi-janvier 2015. Les revenus qu’il a tirés de son travail d’expert-conseil au cours des cinq mois suivants se sont élevés à environ 80 000 $. Il s’agit alors d’évaluer quelle part de ce revenu postérieur à la cessation d’emploi doit être considérée comme un revenu de remplacement ou de substitution, et qui aurait donc été déductible de sa demande de dommages-intérêts, et quelle part doit être considérée comme un revenu supplémentaire qu’il aurait pu gagner si son emploi chez B & B avait continué, et qui n’est donc pas déductible de sa demande de dommages-intérêts.

[Non souligné dans l’original.]

[65] Dans l’arrêt Pakozdi, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que la preuve indiquait que l’appelant avait été en mesure d’effectuer un travail d’expert-conseil pendant pas moins de 96 heures en octobre 2014. Ce travail a généré des revenus de 9 600 $ pour ce mois, en plus de ses revenus d’emploi. Ainsi, il était raisonnable de supposer qu’au cours de la période de préavis de cinq mois, l’appelant aurait pu gagner jusqu’à 50 000 $ dans ce qui pourrait être qualifié de salaire d’appoint. Le solde des revenus de l’appelant pouvait raisonnablement être considéré comme un revenu de remplacement et donc être déduit de sa demande de dommages-intérêts.

[66] En l’espèce, le demandeur renvoie la Cour à deux décisions à l’appui de sa position selon laquelle ses revenus perçus auprès d’UBER ne constituent pas un emploi comparable à son poste à la CIBC et que, par conséquent, ils n’auraient pas dû être déduits des dommages-intérêts pour congédiement injustifié auxquels il a droit. La première décision est McLean c Dynacast Ltd, 2019 ONSC 7146 [McLean] (aux para 87‐88). Dans cette décision, la Cour supérieure de l’Ontario a conclu que la plupart des revenus d’emploi gagnés par le demandeur l’avaient été dans des emplois qui [traduction] « étaient clairement inférieurs » au poste duquel il avait été congédié. Seuls d’autres gains postérieurs à l’emploi ont été à juste titre déduits de l’indemnité de préavis (McLean, aux para 87‐88). La deuxième décision invoquée par le demandeur est Mackenzie c 1785863 Ontario Ltd., 2018 ONSC 3442 [Mackenzie]. Dans cette décision, il a été jugé que l’employé congédié avait été tenu d’accepter des postes inférieurs sur le plan des responsabilités et du salaire après son congédiement et que le revenu ainsi gagné ne devait pas être déduit de l’indemnité de préavis (Mackenzie, aux para 12‐14).

[67] Le plus important toutefois est que, dans les décisions McLean et Mackenzie, la Cour supérieure de l’Ontario n’a fait référence et ne s’est appuyée que sur le jugement minoritaire concordant de la juge Feldman dans l’arrêt Brake, et non sur la décision majoritaire.

[68] Le demandeur renvoie également la Cour à la décision Groves c UTS Consultants Inc., 2019 ONSC 5605 [Groves]. Dans cette décision, la Cour supérieure de l’Ontario a noté que, dans l’arrêt Brake, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le revenu d’emploi gagné pendant la période d’admissibilité prévue par la loi n’est pas déductible à titre de revenu d’emploi (Brake, au para 118) et que la juge Feldman a conclu, dans des motifs concordants, que lorsqu’un employé est congédié injustement et forcé d’accepter un emploi inférieur parce qu’aucun autre poste n’est disponible, le revenu gagné ne constitue pas un revenu au titre de l’atténuation des dommages et ne doit pas être déduit (Brake aux para 157 et 158). Dans la décision Groves, la Cour a estimé que tout montant gagné pendant la période d’admissibilité prévue par la loi ne serait pas déduit des dommages-intérêts du demandeur. Et, une fois cette période prise en compte, le montant net gagné par le plaignant [traduction] « serait minime ». Par conséquent, la Cour a refusé de déduire tout revenu provenant du travail d’expert-conseil du demandeur en tant que revenu au titre de l’atténuation des dommages (Groves, aux para 106‐107).

[69] Le demandeur prétend que la décision Groves étaye son point de vue selon lequel la nature du travail est importante, mais la Cour n’a tiré aucune conclusion quant à la nature du travail dans cette affaire. Elle a plutôt conclu que le montant en litige était minime. Pour ce motif, on peut soutenir qu’en refusant de déduire le revenu au titre de l’atténuation des dommages, la Cour a suivi dans l’affaire Groves le raisonnement de la majorité dans l’arrêt Brake. Autrement dit, le revenu d’emploi supplémentaire n’avait pas atteint un niveau tel qu’il (ou une partie de celui-ci) devait être considéré comme un substitut des montants qui auraient été gagnés dans le cadre de l’emploi auquel il a été mis un terme et, par conséquent, comme un revenu atténuant les pertes déductible.

[70] Dans ses motifs, l’arbitre a renvoyé aux motifs de la majorité dans l’arrêt Brake, et a fait expressément référence au paragraphe 145 de cet arrêt, notant que la Cour n’y avait pas réglé la question de savoir ce qui fait que des gains supplémentaires atteignent un niveau tel qu’ils deviennent des gains en substitution des montants qui auraient été gagnés auprès de l’employeur qui a mis fin à l’emploi et doivent être considérés en tout ou en partie comme des revenus atténuant les pertes déductibles. L’arbitre a rejeté les observations du demandeur selon lesquelles aucune déduction ne devrait être faite à l’égard des revenus du demandeur tirés de son emploi auprès d’UBER parce que ce travail était d’une nature différente, qu’il n’était pas obligé de l’accepter, et que ces revenus étaient minimes et constituaient un salaire d’appoint. L’arbitre a conclu que le demandeur avait augmenté ses revenus tirés de son emploi auprès d’UBER de manière importante après son congédiement, passant d’environ 10 heures par semaine avant son congédiement à environ 60 heures par semaine après celui-ci. Les gains du demandeur provenant de son emploi auprès d’UBER avant son congédiement étaient minimes, alors qu’après le congédiement, ses gains nets ont augmenté de manière substantielle pour atteindre environ 600 $ par semaine. L’arbitre a estimé que cette somme n’était [traduction] « pas une somme minime, insignifiante ou sans conséquence ». L’arbitre a plutôt indiqué qu’une partie importante des revenus du demandeur tirés de son emploi auprès d’UBER après son congédiement ont été gagnés en remplacement de ses revenus à la CIBC : [traduction] « Par conséquent, et indépendamment de la nature du travail, la rémunération perçue auprès d’UBER après le renvoi est, à mon avis, suffisamment importante pour être qualifiée de “revenus atténuant les pertes” (arrêt Brake, précité) ».

[71] L’arbitre a également reconnu expressément les motifs figurant aux paragraphe 140 de l’arrêt Brake, où la majorité des juges déclare que, dans les situations où un employé travaille pour un employeur qui permet à son employé de travailler simultanément pour un autre employeur, les revenus perçus auprès du second employeur après le congédiement de l’employé par le premier employeur ne sont pas considérés comme des revenus atténuant les pertes et ne sont donc pas déduits des dommages-intérêts tenant lieu de préavis. L’arbitre n’a donc déduit que la différence entre les gains du demandeur auprès d’UBER après son licenciement et ce qu’il aurait gagné auprès d’UBER s’il avait également continué à travailler pour la CIBC.

[72] À mon avis, il était raisonnable de la part de l’arbitre de suivre les motifs de la majorité des juges dans l’arrêt Brake, motifs qui ont également été suivis par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Pakozdi. Les affaires invoquées par le demandeur n’établissent pas que l’arbitre a commis une erreur en agissant ainsi.

[73] Cela dit, dans l’arrêt Pakozdi, le travail de consultation que le demandeur avait effectué pendant et après la cessation de son emploi semble avoir été essentiellement le même type de travail que celui qu’il effectuait pour son employeur, et le niveau de rémunération était comparable. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a évalué quelle part de ce revenu postérieur à la cessation d’emploi devait être considérée comme un revenu de remplacement ou de substitution, qui était donc déductible des dommages-intérêts accordés, et quelle part devait être considérée comme un revenu supplémentaire qu’il aurait pu gagner si son emploi avait continué, et qui n’était donc pas été déductible.

[74] En l’espèce, l’arbitre a reconnu que toute l’expérience professionnelle du demandeur et ses compétences étaient limitées au secteur financier et a admis que, malgré sa formation, son expérience et ses qualifications, il était peu probable qu’il trouve un jour un autre poste dans une banque ou un autre employeur financier. Pour ce motif, il a estimé qu’il était justifié dans les circonstances que le préavis raisonnable se situe dans la limite supérieure des préavis devant être donnés pour que l’employeur soit quitte envers le demandeur. Cependant, se fondant sur les motifs majoritaires de l’arrêt Brake, l’arbitre n’a pris en compte que l’augmentation du revenu du demandeur tiré de son emploi auprès d’UBER avant le licenciement (correspondant à 10 heures par semaine) par rapport au revenu tiré de son emploi auprès d’UBER après le licenciement (correspondant à 60 heures par semaine, soit un revenu net hebdomadaire de 600 $). L’arbitre a conclu que ce niveau de rémunération était suffisamment élevé pour constituer un revenu de remplacement ou de substitution.

[75] Il s’agit selon moi d’une conclusion quelque peu arbitraire. L’arbitre n’indique pas pourquoi ce niveau est suffisant pour constituer un revenu de substitution ni ce qui fait qu’on peut considérer que le niveau est suffisant. Plus important encore, il me semble également que ce qui manque dans cette analyse, c’est l’examen de la question de savoir si le demandeur a dû travailler plus dur ou plus longtemps – que dans le cadre de son emploi à la CIBC – pour atteindre ce montant [traduction] « suffisamment élevé » pour qu’il puisse être considéré comme un revenu de substitution direct. L’arbitre a simplement déduit l’ensemble des gains du demandeur tirés de son emploi auprès d’UBER après son congédiement (moins ceux gagnés pendant la période prévue par la loi de préavis d’un mois et ceux qui auraient été des revenus complémentaires) à titre de revenus de substitution, à savoir de revenus atténuant les pertes.

[76] Pour illustrer la situation, un employé congédié peut chercher, mais ne pas trouver, un emploi comportant des responsabilités et un salaire similaires. Cependant, ne pouvant pas se permettre de ne pas travailler, cet employé acceptera un emploi de moindre importance et travaillera plus d’heures pour se mettre à l’abri du besoin, ou pourrait accepter deux ou trois emplois de moindre importance pour cette même raison. Il est difficile de voir comment le montant gagné en travaillant plus d’heures dans un poste moins rémunérateur peut servir de substitut direct aux mêmes revenus qui auraient pu être gagnés en travaillant moins d’heures dans l’emploi initial.

[77] À mon avis, le fait que l’arbitre n’ait pas cherché à savoir si les revenus du demandeur tirés de son emploi auprès d’UBER après son congédiement ont été équitablement substitués, et déduits en tant que revenus atténuant les pertes, à ses revenus tirés de son emploi auprès de la CIBC rend cette partie de sa décision déraisonnable.

Conclusion

[78] Pour les motifs exposés, les conclusions de l’arbitre quant au droit du demandeur à des dommages-intérêts sont raisonnables, à l’exception de son évaluation des gains du demandeur tirés de son emploi auprès d’UBER après son congédiement en remplacement des montants que le demandeur aurait gagnés dans le cadre de son emploi à la CIBC, gains déduits à titre de revenus atténuant les pertes.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER NO T-1399-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

  2. L’évaluation par l’arbitre des gains du demandeur tirés de son emploi auprès d’UBER après son congédiement en remplacement des montants qu’il aurait gagnés dans le cadre de son emploi à la CIBC, et déduits à titre de revenus atténuant les pertes, était déraisonnable. Cette seule question sera renvoyée à un autre arbitre pour qu’il statue à nouveau à cet égard.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1399-19

 

INTITULÉ :

CHARLES DENGEDZA c BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE (CIBC)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par vidéoconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE l’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Howard Markowitz

 

Pour le demandeur

 

Alan Freedman

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Markowitz LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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