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Date : 20211123


Dossier : T‑542‑21

Référence : 2021 CF 1284

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 23 novembre 2021

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

QAISAR MUSTAFA KHAN

EBRAHEEM MUHAMMAD KHAN MUSTAFA (DEMANDEUR MINEUR)

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS ET ORDONNANCE

[1] Par voie d’un avis de requête déposé pour examen sur la base de prétentions écrites sous le régime de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), M. Qaisar Mustafa Khan (le demandeur principal) et son fils Ebraheem Muhammad Khan Mustafa (le demandeur mineur) (collectivement, les demandeurs) interjettent appel de l’ordonnance datée du 8 juin 2021 (l’ordonnance) rendue par la protonotaire Aylen (maintenant juge à la Cour fédérale). Dans cette ordonnance, la protonotaire Aylen a tranché la requête déposée par le procureur général du Canada (le défendeur), également sous le régime de l’article 369 des Règles, visant à radier la demande de contrôle judiciaire des demandeurs à l’encontre de la prétendue décision du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) au sujet de la demande de certificat de citoyenneté canadienne pour le demandeur mineur.

[2] L’ordonnance radie la demande de contrôle judiciaire sans autorisation de la modifier, et aucuns dépens ne sont adjugés.

[3] La « décision » en question est énoncée dans une lettre datée du 1er mars 2021, signée par Mme Gayle Leith, décideuse principale de la Direction générale du règlement des cas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Voici le libellé des paragraphes 2 à 6 de l’ordonnance, qui fait référence à la « décision » :

[traduction]

[2] La lettre datée du 1er mars 2021 a été rédigée par Mme Gayle Leith, décideuse principale de la Direction générale du règlement des cas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Le paragraphe 2 de la lettre mentionne :

J’ai examiné la demande et les documents fournis à l’appui de la demande. Je vous écris pour vous informer de mes préoccupations concernant les renseignements et les éléments de preuve que vous avez présentés à l’appui de votre demande visant la délivrance d’un certificat de citoyenneté au [demandeur mineur], au titre de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, au motif qu’il est citoyen canadien par filiation.

[3] La lettre se poursuit en indiquant : « après mon examen des renseignements et des éléments de preuve présentés à l’appui de la demande, il semble que [le demandeur mineur] n’ait pas droit à un certificat de citoyenneté canadienne, car il n’est pas visé par l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté ». La lettre décrit ensuite en détail le contexte, y compris les communications entre les demandeurs et le ministre.

[4] Mme Leith déclare ensuite qu’elle a des préoccupations quant au fait que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve ou de documents pour établir qu’il est le parent biologique ou légal du demandeur mineur. Les raisons justifiant les préoccupations de Mme Leith sont précisées dans la lettre.

[5] À la fin de la lettre, Mme Leith déclare :

Compte tenu des renseignements ci‑dessus, je vous écris pour vous donner l’occasion de répondre à mes préoccupations. Vous avez 30 jours à compter de la date de la présente lettre pour présenter des éléments de preuve ou des documents qui répondent à mes préoccupations…

Si nous ne recevons pas de réponse dans un délai de 30 jours, la demande sera appréciée en fonction des renseignements figurant actuellement au dossier. Le cas échéant, vous recevrez une lettre vous informant de ma décision.

[6] Il semblerait que la date limite pour répondre à la lettre ait été prorogée de 90 jours dans une lettre datée du 12 avril 2021, de sorte qu’une décision au sujet de la demande de certificat de citoyenneté canadienne n’a pas encore été rendue.

[4] Le défendeur a présenté une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire des demandeurs au motif qu’aucune « décision » n’avait été rendue au titre des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7.

[5] La protonotaire Aylen a accueilli la requête du défendeur. Elle a tranché que la lettre du 1er mars 2021 n’était pas une « décision » et qu’elle n’était donc pas susceptible de contrôle judiciaire. Elle a ensuite jugé que la demande était prématurée étant donné qu’aucune « décision » n’avait été prise concernant le statut de citoyen du demandeur mineur. Elle a enfin conclu que la demande était constituée de manière irrégulière, car l’article 22.1 de la Loi sur la citoyenneté, LRC (1985), c C‑29, prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut être présentée qu’avec l’autorisation de la Cour. La protonotaire Aylen a jugé que, comme aucune autorisation n’avait été obtenue, il s’agissait d’un autre motif de rejet de la demande.

[6] Les demandeurs ont interjeté appel de l’ordonnance, au titre du paragraphe 51(1) des Règles, par voie d’un avis de requête déposé le 18 juin 2021 et ont sollicité les mesures suivantes :

  • - une ordonnance visant à annuler l’ordonnance datée du 8 juin 2021 rendue par la protonotaire Aylen et à autoriser la demande de contrôle judiciaire sans avoir à obtenir d’abord l’autorisation de la Cour

  • - une ordonnance enjoignant au défendeur de remettre des copies certifiées du dossier du tribunal

  • - une autorisation d’interjeter appel de la décision datée du 1er juin 2021 rendue par la juge Furlanetto

  • - toute autre mesure de redressement que la Cour juge juste et appropriée

[7] En général, les demandeurs font valoir que la protonotaire Aylen a commis une erreur de fait et de droit, qu’elle [traduction] « ne pouvait pas comprendre pleinement l’objectif principal » de la demande de contrôle judiciaire, qu’elle [traduction] « n’a pas pris en considération ni compris » les arguments et qu’elle n’a pas appliqué le bon critère juridique.

[8] Le défendeur a déposé un dossier de réponse à la requête. Il soulève une objection préliminaire à l’inclusion de la preuve par affidavit dans le dossier de requête du demandeur, au motif que l’appel doit être tranché en fonction des documents dont disposait le décideur. Il soutient que la Cour ne devrait accorder aucun poids à la preuve par affidavit et que, de toute façon, cette preuve ne permet pas de déterminer si la protonotaire Aylen a commis une erreur susceptible de contrôle.

[9] Par ailleurs, le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas [traduction] « d’erreur discernable » dans l’ordonnance, qu’il n’y a [traduction] « aucune décision » permettant de justifier un contrôle judiciaire et que l’appel devrait être rejeté avec dépens fixés à 1000 $.

[10] Le critère applicable en appel d’une décision d’un protonotaire est énoncé aux paragraphes 27 et 66 de l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, [2017] 1 RCF 331 :

[27] […] la décision discrétionnaire d’un protonotaire est entachée d’erreur flagrante, et ouvre donc droit à l’intervention d’un juge en appel, lorsqu’elle se fonde 1) sur un mauvais principe — d’où il suit qu’elle doit être correcte en ce qui concerne les questions de droit — ou 2) sur une mauvaise appréciation des faits — critère qui semble correspondre à celui de l’« erreur manifeste et dominante » de la norme Housen si cette mauvaise appréciation a eu pour effet d’entacher la décision d’une « erreur flagrante ».

[…]

[66] La Cour suprême a exposé dans l’arrêt Housen la norme de contrôle applicable aux décisions des juges de première instance. Elle y a notamment établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d’un juge de première instance est celle de l’erreur manifeste et dominante. Quant à la norme applicable aux questions de droit, et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a une question de droit isolable, la Cour suprême a conclu que c’est celle de la décision correcte (paragraphes 19 à 37 de l’arrêt Housen).

[11] Je suis d’accord avec les observations du défendeur au sujet de la preuve par affidavit présentée par le demandeur dans le présent appel.

[12] Le demandeur principal a présenté son propre affidavit daté du 17 juin 2021. L’affidavit fait référence à dix (10) pièces.

[13] Ces documents ne sont pas pertinents quant à l’affaire dont je suis saisie, c’est‑à‑dire un appel de l’ordonnance. L’affidavit du demandeur principal, y compris les pièces, ne sera pas pris en considération.

[14] Je passe maintenant au fond de l’appel.

[15] Dans son ordonnance, la protonotaire Aylen a radié la demande de contrôle judiciaire du demandeur, sans autorisation de la modifier, au motif qu’elle était prématurée. Ce faisant, elle a examiné la jurisprudence pertinente, y compris les décisions David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., [1995] 1 CF 588 et CB Powell Limited c Canada, [2011] 2 FCR 332.

[16] Aucune décision n’a encore été rendue à l’égard du demandeur mineur. Sans « décision », rien ne justifie une demande de contrôle judiciaire. Je me fonde sur le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, dont le libellé est le suivant :

Délai de présentation

Time limitation

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

[17] La protonotaire n’a pas commis d’erreur en radiant la demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle était prématurée.

[18] La protonotaire n’a pas non plus commis d’erreur en soulignant que les demandeurs n’avaient pas obtenu l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. Voici le libellé de l’article 22.1 de la Loi sur la citoyenneté, précitée :

Contrôle judiciaire sur autorisation seulement

Application for judicial review only with leave

22.1 (1) Toute demande de contrôle judiciaire concernant toute question relevant de l’application de la présente loi est subordonnée à l’autorisation de la Cour.

22.1 (1) An application for judicial review with respect to any matter under this Act may be made only with leave of the Court.

[19] De même, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la protonotaire selon laquelle les mesures de redressement que sollicitent les demandeurs, à l’exception de l’alinéa a) de la demande, ne peuvent être accordées dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour se limite aux recours prévus au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée. La Cour n’a pas compétence pour modifier une exigence légale, en l’occurrence l’exigence d’obtenir une autorisation au titre de l’article 22.1 de la Loi sur la citoyenneté, précitée.

[20] Par conséquent, l’appel des demandeurs sera rejeté.

[21] Le défendeur sollicite des dépens s’il s’oppose avec succès à l’appel des demandeurs. Il a cité la jurisprudence pertinente en appui à sa demande, notamment la décision Curtis v Canadian Human Rights Commission et al., 2019 FC 43.

[22] Conformément à l’article 400, le pouvoir d’adjuger les dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[23] Le défendeur sollicite des dépens de 1000 $. Il fait valoir que l’appel est essentiellement une tentative en vue d’inciter la Cour à apprécier de nouveau la preuve dans une décision comportant l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le décideur.

[24] Les circonstances de la décision Curtis, précitée, sont différentes. M. Curtis a de longs antécédents de litige à la Cour.

[25] Il n’y a aucun élément de preuve démontrant de tels antécédents de litige en l’espèce.

[26] Néanmoins, l’appel des demandeurs avait peu de chances de succès, et il y a un certain fondement dans les observations du défendeur selon lesquelles les demandeurs voulaient que la Cour apprécie de nouveau la preuve qui était devant la protonotaire.

[27] Dans les circonstances, l’octroi de dépens modestes est approprié. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 400 des Règles, j’adjugerai des dépens de 250 $ au défendeur.


ORDONNANCE dans le dossier T‑542‑21

LA COUR ORDONNE que la requête est rejetée, avec dépens de 250 $ adjugés au défendeur.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑542‑21

 

INTITULÉ :

QAISAR MUSTAFA KHAN, EBRAHEEM MUHAMMAD KHAN MUSTAFA (DEMANDEUR MINEUR) c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

MOTIFS ET ORDONNANCE :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :

LE 23 NOVEMBRE 2021

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Qaisar Mustafa Khan

POUR LES DEMANDEURS

(POUR LEUR PROPRE COMPTE)

Katherine Creelman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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