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Date : 20000317


Dossier : T-594-99

Entre :

     LE CONSEIL DE BANDE DES ABÉNAKIS DE WÔLINAK

     Demandeur


     - et -


     JULES BERNARD

     Défendeur



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE



LE JUGE TREMBLAY-LAMER:


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre de la décision rendue par l"arbitre Me. Pierre Lamarche en vertu de la Division XIV, Partie III du Code canadien du travail ("Code") cassant le congédiement du défendeur et ordonnant sa réintégration.

[2]      Le défendeur fut employé par le demandeur comme superviseur à l"entretien du 13 mai 1996 jusqu"à son congédiement le 13 juillet 1998.

[3]      Le 17 juin 1998, le défendeur fut suspendu sans solde, du 22 juin au 26 juin 1998, en raison des manquements allégués par le demandeur1, des manquements ayant déjà fait l"objet d"avertissements.

[4]      Le demandeur reprochait au défendeur de ne pas répondre de façon satisfaisante aux messages transmis par télé-avertisseur (pagette), d"avoir omis de transmettre l"inventaire des outils de l"entrepôt tel que demandé, d"avoir laissé un étudiant mineur et sans permis conduire le tracteur du Conseil et de ne pas s"assurer que l"étudiant, sous ses ordres, soit muni de l"équipement de sécurité exigé.

[5]      Au retour de sa semaine de suspension, le demandeur reproche au défendeur d"avoir négligé de s"assurer que les étudiants ramassent le gazon coupé et de ne pas répondre à son télé-avertisseur2. Le 13 juillet 1998, le demandeur transmet une lettre de congédiement3.

[6]      Le défendeur allègue que son congédiement est injustifié et motivé par des ressentiments politiques.

[7]      Le 22 juillet 1998, le défendeur a déposé une plainte de congédiement injuste contre le demandeur en vertu de la Division XIV, Partie III du Code4.

[8]      L"arbitre a conclu que le congédiement du défendeur était injuste. Il a donc cassé le congédiement du défendeur, ordonné qu"il soit réintégré dans ses fonctions et qu"il soit payé tout le salaire dont l"a privé le congédiement depuis le 14 juillet 1998.

[9]      Essentiellement, l"arbitre a pris sa décision en évaluant uniquement les faits postérieurs au 26 juin 1998, car le demandeur était forclos d"imposer pour les mêmes faits, une double sanction:

La jurisprudence des tribunaux d"arbitrage admet que la gravité des sanctions qui suivront pourra être plus importante lorsque des sanctions précédantes [sic] n"auront pas corrigé un comportement fautif. C"est la théorie bien connue et répandue de la gradation des sanctions imposées. Mais les tribunaux n"acceptent pas qu"un employeur impose une double sanction pour les mêmes faits.
        
En conséquence, ce que doit évaluer l"arbitre pour décider si le congédiement est juste ou injuste, ce sont les faits postérieurs au 26 juin 19985.

[10]      Le demandeur soutient qu"il s"agit d"une erreur de droit. Il souligne qu"en vertu de la doctrine de l"incident culminant, il pouvait à titre d"employeur, invoquer au moment du congédiement des motifs d"inconduite à l"égard desquels il y avait déjà eu sanction, en autant que d"autres faits se seront ajoutés par la suite.

[11]      Je suis d"avis que le demandeur a raison. L"arbitre a erré en fait et en droit en appliquant la théorie de la "double sanction" pour les mêmes faits. En l"occurrence il ne s"agissait pas des mêmes faits mais d"incidents subséquents de même nature.

[12]      L"arbitre devait déterminer si l"incident culminant était assez important pour permettre au demandeur d"invoquer les incidents antérieurs. En d"autres mots, s"agissait-il de fautes sérieuses, lesquelles étaient l"aboutissement d"une série de fautes similaires et qui pouvaient alors justifier le congédiement. L"arbitre n"a pas suivi cette démarche. Il s"agit d"une erreur manifestement déraisonnable justifiant l"intervention de cette cour.

[13]      En ce qui a trait à la question de réintégration en cas de congédiement injuste, l"alinéa 242(4)b) du Code confère à l"arbitre un pouvoir discrétionnaire d"accorder chacune des trois mesures de redressement énumérées, séparément ou collectivement.

[14]      Le demandeur soutient de plus que l"arbitre n"a pas offert à ce dernier " qui n"était pas représenté par un avocat à l"audience " la possibilité de présenter des éléments de preuve et de soumettre des arguments au sujet de la réintégration.

[15]      Dans une décision récente de cette Cour, Chalifoux c. Driftpile First Nation6, le juge Campbell réitérait le principe établi par la Cour d"appel fédérale dans Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami7, à l"effet "que dans l"exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l"alinéa 242(4)b) du Code, l"arbitre doit peser le pour et le contre d"une réintégration". Le juge Campbell a donc conclu que l"analyse de l"arbitre doit comprendre l"examen des facteurs favorables et défavorables relatifs à une réintégration; cet examen doit inclure, entre autres, une évaluation de la nature de la relation entre l"employeur et l"employé au moment de la réintégration.

[16]      En l"espèce, cette évaluation faisait défaut, l"arbitre se contentant d"ordonner la réintégration sans aucun motif justifiant sa décision quant au remède accordé. Cette abstention constitue donc une erreur de droit manifestement déraisonnable.

[17]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l"arbitre est cassée et le dossier lui est retourné pour qu"il procède à un nouvel examen du dossier.





     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE


OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 mars 2000



__________________

1      Pièce I-4.

2      Pièce I-3.

3      Pièce I-1.

4      Pièce P-1.

5      Dossier du demandeur aux pp. 10-11.

6      (Le 21 mai 1999), T-1738-98 (C.F. 1ère inst.).

7      [1998] 3 C.F. 349.

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