Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060512

Dossier : IMM-4955-05

Référence : 2006 CF 597

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

BASMATTEE DHARAMLALL

AUBREY LAKERAM BRIDJLALL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'un contrôle judiciaire au sujet d'une citoyenne du Guyana qui a demandé le statut de réfugiée et qu'on lui reconnaisse la qualité de personne à protéger principalement en raison de la violence conjugale.


I.           Le contexte

[2]                La demanderesse principale est venue au Canada la première fois en 1999 pour ramener sa mère au Guyana, où elle a continué à habiter avec son mari qui est présumément violent. Elle est revenue en 2001 pour obtenir de l'aide médicale pour son fils (le codemandeur du contrôle judiciaire).

[3]                Pour entrer au Canada en 2001, elle avait un visa de visiteur et elle a obtenu des prorogations de ce visa. Elle a ensuite présenté une demande alléguant des raisons d'ordre humanitaire (demande CH) et, en avril 2003, elle a déposé une demande d'asile. Elle a allégué qu'elle ne savait pas qu'elle aurait pu demander l'asile plus tôt.

[4]                La décision de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié (la Commission) rendue le 20 juillet 2005 est fondée principalement sur la conclusion que le récit des faits de la demanderesse au sujet de la violence conjugale dont elle aurait été victime n'était pas crédible et n'était pas vraisemblable. La Commission a aussi conclu qu'il existait une protection de l'État parce qu'elle n'a pas accueilli l'affirmation de la demanderesse selon laquelle « la police est antigouvernementale et qu'elle ne protège pas les citoyens » .

[5]                La demanderesse fonde sa demande de contrôle judiciaire sur l'allégation que la Commission a commis au moins 11 erreurs de fait. Le défendeur reconnaît que certaines erreurs ont été commises mais qu'elles ne touchent pas individuellement ou cumulativement un point essentiel de la décision. Le défendeur a demandé à la Cour d'avoir une « vue d'ensemble » de l'affaire, qui repose sur la crédibilité.

II.          Analyse

[6]                Il est bien établi que la norme de contrôle pour le type de conclusions de fait comme celles en cause est la décision manifestement déraisonnable. (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL); Harb c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 108 (QL), 2003 CAF 39.)

[7]                Bien que j'accepte l'argument du défendeur selon lequel les erreurs doivent être prises en compte dans leur contexte général, il existe suffisamment de problèmes dans la décision, la nature et la qualité de la preuve pour que cela justifie que l'affaire soit renvoyée pour un nouvel examen.

[8]                La décision de la Cour se fonde sur la conclusion qu'il existait quatre erreurs de fait, un problème au sujet de la qualité de la transcription et une omission du tribunal de tenir compte des Directives de la Commission. Comme l'affaire sera renvoyée pour un nouvel examen des faits, les motifs à ce sujet seront brefs.

[9]                Les quatre erreurs de fait, qui touchaient directement la conclusion sur la crédibilité, sont les suivantes :

·                     la conclusion que la demanderesse a dit que les blessures n'étaient « pas grand-chose » au sujet de l'attaque extrêmement violente de son mari. La demanderesse a expressément rejeté la tentative de la Commission de qualifier ainsi ses blessures;

·                     la conclusion que la demanderesse a accusé la police d'être antigouvernementale et qu'elle ne protégeait donc pas les citoyens. En fait, la demanderesse a dit que les policiers croyaient qu'elle était contre le gouvernement. Cette erreur s'applique aussi à la conclusion de la Commission au sujet de l'existence d'une protection de l'État appropriée;

·                     la conclusion que la fille de la demanderesse habitait au Canada, alors que celle-ci n'a jamais quitté le Guyana;

·                     la conclusion selon laquelle il était invraisemblable qu'alors que son mari se trouvait à l'étage inférieur après un incident particulièrement sérieux au cours duquel la demanderesse a subi une coupure, elle ait réussi à se rendre au poste de police mais pas chez son médecin. Selon la preuve, la demanderesse avait dû attendre que son mari quitte la maison avant qu'elle puisse se rendre au poste de police. À ce moment, il n'était plus nécessaire pour elle de se rendre chez le médecin puisqu'elle avait réussi à panser sa blessure.

[10]            En plus de ces erreurs, je ne suis pas satisfait de la qualité du dossier sur lequel s'appuyait cette décision. Un examen de la transcription montre qu'il y a eu de nombreuses mentions « inaudible » à des moments importants dans le témoignage. Le transcripteur a reconnu qu'il avait eu des difficultés avec l'enregistrement et la transcription, qu'il a attribués à des problèmes de microphones.

[11]            Lorsqu'il y a des doutes au sujet de la crédibilité et que ces doutes proviennent des mots mêmes utilisés, il faut s'assurer que le dossier est exact. L'effet de ces problèmes de transcription est difficile à évaluer, mais cet effet, conjugué avec les erreurs susmentionnées, met en question la décision entière de la Commission.

[12]            Enfin, je remarque un autre problème : les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Bien que la Commission ait déclaré qu'elle avait examiné les Directives, il n'y a aucune preuve qu'elle ait tenu compte du syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol ou du syndrome de la femme battue pour prendre sa décision.

[13]            Bien que le défaut d'invoquer les Directives ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle judiciaire, lorsqu'elles sont mentionnées et lorsque l'un des sujets mêmes des Directives (en l'espèce, des troubles de mémoire quant à des agressions précises) est soulevé, la Commission devrait expliquer la pertinence des Directives dans ces circonstances.

[14]            Par conséquent, bien qu'individuellement ces problèmes ne justifient pas tous l'annulation de la décision de la Commission, pris de façon cumulative, je dois conclure que l'affaire doit être renvoyée pour un nouvel examen.

[15]            La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Commission sera annulée et l'affaire sera renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour un nouvel examen. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour un nouvel examen.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-4955-05

INTITULÉ :                                       BASMATTEE DHARAMLALL,

                                                            AUBREY LAKERAM BRIDJLALL

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 2 mai 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Phelan

DATE DES MOTIFS :                       Le 12 mai 2006

COMPARUTIONS :

Ellen Woolaver

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ELLEN WOOLAVER

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.