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Date : 20001004

Dossier : IMM-893-00

ENTRE :

                               AMANI HASIN FAROOK

                JAZEEMA HASIN FAROOK JAMALDEEN

                                                                                  demanderesses

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 2 février 2000, dans laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]    La demanderesse principale, Jazeema Hasin Farook Jamaldeen, est une citoyenne du Sri Lanka âgée de 28 ans. Elle est venue au Canada en compagnie de la demanderesse mineure, sa fille âgée de quatre ans, Amani Hasin Farook, qui est également citoyenne du Sri Lanka. J'utiliserai le terme « demanderesse » pour désigner la demanderesse principale, vu que la revendication de la demanderesse mineure est fondée sur celle de sa mère.

[3]    La demanderesse soutient qu'elle est une Musulmane qui parle le tamoul originaire de Murunkan, dans le district de Mannar, lequel fait partie de la province qui constitue la partie nord du Sri Lanka. Elle fait valoir qu'elle a une crainte fondée d'être persécutée au Sri Lanka et qu'elle-même et sa fille sont prises entre deux parties qui se font la guerre.

[4]    Elle soutient que sa famille a quitté le Sri Lanka en raison de deux incidents importants qui se seraient produits. La demanderesse dit qu'en mars 1999, elle a été arrêtée par les autorités policières à son arrivée à Colombo et emmenée au poste de police de Pettah. Elle avance qu'elle y a été [TRADUCTION] « agressée malgré le fait qu'elle est une Musulmane » . Elle dit qu'on l'a libérée le lendemain de son arrestation après qu'elle ait versé un pot-de-vin à la police. Elle avance également qu'on lui a dit de quitter Colombo sur-le-champ.


[5]                La demanderesse soutient en outre qu'en juillet 1999, à Mannar, quatre membres des Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul (TLET) se sont présentés à leur station de distribution d'essence et ont exigé qu'on leur remette dix barils de diesel. Elle avance que les TLET se sont emparé de tout le diesel et qu'ils leur ont dit de ne pas aviser les forces de sûreté.

[6]                Malgré leurs menaces, la demanderesse aurait tout de même avisé l'armée du Sri Lanka (ASL) du vol du diesel. La demanderesse soutient que l'ASL les a accusés d'avoir collaboré avec les TLET et qu'ils ont été détenus pendant dix jours. La demanderesse avance qu'elle-même et son époux ont été libérés après que son père a versé un pot-de-vin, soit la somme de 25 000 roupies.

[7]                La demanderesse dit qu'ils se sont enfui du district de Mannar et qu'ils se sont cachés chez un ami, à Veppankulam. Elle soutient qu'ils sont demeurés chez cet ami pendant un mois avant de se rendre à Colombo, où, encore une fois, ils se sont cachés, cette fois chez un intermédiaire, avant de quitter le pays à destination du Canada.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION


[8]                La Commission a conclu que les demanderesses n'ont pas fourni un témoignage crédible ou digne de foi pour étayer leurs revendications du statut de réfugié. En outre, la Commission ne pouvait accepter, selon la prépondérance des probabilités, que l'ASL accuserait les Musulmans qui parlent le tamoul de collaborer avec les TLET.

[9]                La Commission a fondé sa conclusion sur diverses parties du témoignage de la demanderesse. En ce qui concerne la question de l'identité, la Commission a conclu que la demanderesse a obtenu sa carte nationale d'identité du Sri Lanka (CNI) à l'âge de 22 ans, soit beaucoup plus tard que la plupart des nationaux du Sri Lanka.

[10]            La Commission n'a pas trouvé plausible l'explication de la demanderesse selon laquelle le seul document d'identité qu'elle avait en sa possession avant d'obtenir sa CNI était une carte d'identité postale qui aurait expiré en 1994. La Commission a dit que la plupart des citoyens du Sri Lanka se voient délivrer un extrait d'acte de naissance ou encore un certificat de naissance, en particulier s'ils sont nés dans un hôpital gouvernemental, et que les parents doivent disposer de ces documents pour inscrire leurs enfants à l'école.

[11]            La Commission n'a pas accepté l'explication de la demanderesse selon laquelle elle aurait demandé son certificat de naissance en 1996 parce qu'elle postulait un emploi à Kekirawa, dans la province qui constitue la partie nord du pays, et qu'elle avait besoin du document d'identité et d'une traduction anglaise. La Commission a conclu que la demanderesse avait obtenu les documents pour une autre raison quelconque.


[12]            La Commission n'a pas accepté l'explication de la demanderesse selon laquelle elle s'est rendue à Colombo pour donner naissance à la demanderesse mineure parce qu'il n'y avait pas suffisamment de soins médicaux dans sa région. La Commission n'a pas non plus accepté l'explication de la demanderesse selon laquelle l'adresse de son époux se trouvait à Colombo étant donné qu'ils avaient vécu dans cette ville à l'époque où elle avait donné naissance à sa fille.

[13]            La Commission a conclu qu'il était évident que les demanderesses avaient un lien étroit avec Colombo étant donné que la demanderesse mineure et son père y étaient nés et que les documents de naissance qui ont été produits ont tous été délivrés à Colombo. Pour ce qui est de la CNI de la demanderesse, il ressort de la preuve qu'elle a été délivrée avant le mariage de celle-ci et la naissance de sa fille et qu'elle faisait mention de son nom de jeune fille et d'une adresse, soit (26/611) 235 Nickawewa Ganawalpola, dans le district de Mannar.

[14]            Compte tenu de cette preuve, la Commission a conclu que la demanderesse n'a pas fourni un témoignage crédible concernant leur lieu de résidence au Sri Lanka. La Commission a dit que ses conclusions à cet égard étaient étayées par ses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité de la demanderesse concernant les questions suivantes.


[15]            La Commission a interrogé la demanderesse au sujet de sa déclaration selon laquelle plusieurs Musulmans de la province qui constitue la partie nord du pays appuient les TLET, les Tigres tamouls. La demanderesse a expliqué qu'elle savait que les Musulmans qui parlent le tamoul n'appuient pas l'armée sri lankaise et qu'elle connaissait des familles qui appuyaient les Tigres tamouls. Elle a expliqué que la raison pour laquelle les Musulmans appuyaient les TLET était le fait qu'ils parlaient eux aussi le tamoul. Elle a également expliqué que des soldats de l'ASL ont tué plusieurs Musulmans à Murukan, son village d'origine.

[16]            La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse allait clairement à l'encontre de la plus grande partie de la preuve documentaire dont elle disposait, et qu'il ressortait de ce témoignage que la demanderesse ignorait complètement la situation qui règne présentement au Sri Lanka entre les Musulmans qui parlent le tamoul et le gouvernement sri lankais et les TLET séparatistes. La Commission a conclu que l'ignorance de la demanderesse laissait entendre qu'elle n'avait pas été au Sri Lanka depuis un certain temps.


[17]            La demanderesse a mentionné un certain nombre de villages sur la route de Anaradapuram, où ils ont pris le train en direction de Colombo. Elle ignorait si ces villages étaient contrôlés par le gouvernement ou les TLET, mais elle a finalement témoigné qu'ils étaient contrôlés par le gouvernement. Invitée à expliquer pourquoi elle n'a pas dit cela la première fois qu'on lui a posé la question, la demanderesse a répondu qu'elle ne savait pas si c'était bien la question qu'on lui posait. La formation n'a pas accepté l'explication de la demanderesse et elle a conclu que le témoignage de cette dernière était confus et contradictoire concernant cet aspect de son récit.

[18]            La Commission a également identifié des incohérences entre le témoignage de la demanderesse et son FRP. Dans son témoignage, la demanderesse a dit que lorsqu'ils ont communiqué avec l'ASL pour rapporter le vol des barils de diesel, ils ont été poussés à mentir, disant qu'ils avaient perdu les barils. Dans son FRP, elle avait déclaré qu'ils estimaient qu'ils devaient aviser l'armée que les stocks qu'ils avaient commandés d'eux avaient été volés.

                                                     

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[19]            1.        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que les demanderesses n'ont pas fourni une preuve documentaire adéquate parce qu'elle a dénaturé la preuve, fait des inférences abusives et négligé de tenir compte d'éléments de preuve dont elle était convenablement saisie?

2.        La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions abusives en matière de crédibilité au sujet de la preuve?


L'ANALYSE

1. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que les demanderesses n'ont pas fourni une preuve documentaire adéquate parce qu'elle a dénaturé la preuve, fait des inférences abusives et négligé de tenir compte d'éléments de preuve dont elle était convenablement saisie?

[20]            En ce qui concerne le lieu de résidence de la demanderesse au Sri Lanka, la Commission a conclu que cette dernière n'a pas fourni un témoignage crédible et que les conclusions qu'elle a tirées à cet égard étaient étayées par ses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité de la demanderesse principale concernant d'autres aspects de l'affaire.

[21]            Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit dans son arrêt Rajaratnam c. Canada (M.E.I.) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.) :

S'il appert qu'une décision de la Commission était fondée purement et simplement sur la crédibilité du demandeur et que cette appréciation s'est formée adéquatement, aucun principe juridique n'habilite cette Cour à intervenir (Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, no du greffe A-937-84, jugement rendu le 29 mai 1986). Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure en l'absence de crédibilité. Voir Dan-Ash c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.), où le juge Hugessen a observé ce qui suit, à la page 35 :

...à moins que l'on ne soit prêt à considérer comme possible (et à accepter) que la Commission a fait preuve d'une crédulité sans bornes, il doit exister une limite au-delà de laquelle les contradictions d'un témoin amèneront le juge des faits le plus généreux à rejeter son témoignage.                                                                  


[22]            J'estime que la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que la demanderesse n'a pas fourni un témoignage crédible au sujet de son lieu de résidence au Sri Lanka. La preuve que la demanderesse a produite n'étayait pas sa prétention selon laquelle elle vivait à Murunkan. Les certificats de naissance que la demanderesse a produits ont tous été délivrés à Colombo et l'adresse de son époux que mentionnait le certificat de naissance de la demanderesse mineure se trouvait à Colombo. La Commission ne pouvait accepter les explications de la demanderesse en ce qui concerne la raison pour laquelle les certificats de naissance provenaient de Colombo. Pour ce qui est de la CNI de la demanderesse, elle a été délivrée avant le mariage de cette dernière et avant la naissance de sa fille. En outre, sur la base de la preuve documentaire dont elle disposait, la Commission n'a pas trouvé plausibles les explications de la demanderesse en ce qui concerne la raison pour laquelle elle a obtenu sa CNI et son enregistrement de naissance en 1994 et 1996 seulement, et non avant.

[23]            J'estime que la Commission, en l'espèce, a convenablement apprécié la crédibilité de la demanderesse sur la base des contradictions et anomalies de son témoignage et de la preuve documentaire dont elle disposait. La Commission a le droit d'apprécier la crédibilité de la demanderesse et je ne saurais conclure que ses conclusions étaient déraisonnables et qu'elles justifieraient l'intervention de notre Cour.

2.        La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions abusives en matière de crédibilité au sujet de la preuve?

[24]            La Cour d'appel fédérale a statué dans l'arrêt Aguebor c. M.E.I. (1993) 160 N.R. 315 :


Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôlejudiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.                                        

[25]            Dans la décision Boye c. Canada (M.E.I.) (1994), 83 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a dit, au paragraphe 4 :

Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la Section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à la modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux.

[26]            En conséquence, la Cour hésitera à intervenir à moins que les conclusions de la Commission soient déraisonnables.


[27]            En l'espèce, on ne saurait dire que la Commission a commis une erreur au sujet de la question de la crédibilité de la demanderesse. En ce qui concerne le témoignage de la demanderesse que plusieurs Musulmans, dans la province qui constitue la partie nord du pays, appuient les TLET, la Commission a conclu que ce témoignage allait clairement à l'encontre de la plus grande partie de la preuve documentaire dont disposait la formation. La Commission avait le droit de se fonder sur la preuve documentaire au lieu du témoignage d'un revendicateur. Voir Zhou c. Canada (M.E.I.), 18 juillet 1994 (A-492-91).

[28]            En outre, la Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse au sujet du contrôle des villages qu'elle a traversés était confus, incohérent et contradictoire. La Commission a eu l'occasion, en tant que juge des faits, d'apprécier le témoignage de la demanderesse, et elle a apprécié cette dernière compte tenu de la preuve produite.

[29]            Comme la Cour d'appel l'a dit dans l'arrêt Wen c. M.E.I., 10 juin 1994 (A-397-91), le juge Stone a déclaré :

La décision rendue par la Section du statut découle entièrement du fait que celle-ci a conclu à la non-crédibilité de l'appelante. Cette conclusion était en partie fondée sur ce qui lui a semblé être certaines contradictions internes et certaines incompatibilités dans le récit de l'appelante. Bien que l'on puisse peut-être discuter de cette manière de percevoir les choses, il ne faut pas céder à la tentation de le faire dans les cas où il n'a pas été démontré que la Section du statut ne saurait raisonnablement parvenir à une telle conclusion.

Cela dit, pour conclure à la non-crédibilité de l'appelante, la Section du statut s'est également fondée sur le fait que les réponses formulées par l'appelante étaient [TRADUCTION] « équivoques » et « évasives » . La Cour, qui n'a pas à sa disposition les éléments dont pouvaient disposer les juges du fait, n'a pas à s'immiscer dans l'appréciation que ceux-ci ont porté sur le comportement ou l'attitude de telle et telle personne.                                                                

[30]            En ce qui concerne l'incohérence concernant la question de savoir si les barils de diesel ont été perdus ou volés, il est clair, à mon avis, que la demanderesse n'a jamais dit ni écrit que les barils avaient été perdus; à cet égard, son témoignage était cohérent.


[31]            J'estime néanmoins que cette erreur n'était pas déterminante et je conclus, après avoir examiné la transcription de l'audition, qu'on ne saurait dire que la conclusion de la Commission était déraisonnable, compte tenu de la preuve et des circonstances de la présente affaire.

[32]            En conséquence, la présente demande est rejetée.

[33]            Ni l'un ni l'autre avocat n'a proposé de question à certifier.

Pierre Blais                                       

juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 4 octobre 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                  IMM-893-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 JAZEEMA HASIN FAROOK JAMALDEEN

ET AUTRE c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le mardi 6 septembre 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                                     4 octobre 2000

ONT COMPARU :

M. Lorne Waldman                                                       POUR LA DEMANDERESSE

M. Godwin Friday                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JACKMAN, WALDMAN & ASSOCIATES     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

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