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Date : 20211209


Dossier : T‐767‐20

Référence : 2021 CF 1385

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

Ryan Lewis

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Ryan Lewis, a reconnu avoir eu une mauvaise journée au travail le 14 février 2018. Alors qu’il supervisait d’autres agents de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) à un poste de contrôle de la circulation, il a pensé qu’un de ces agents avait délibérément désobéi à ses ordres sur la manière dont l’opération devait se dérouler. Il reconnaît avoir parlé à cet agent d’une voix forte. D’autres membres de la GRC qui avaient été témoins de l’incident ont déclaré qu’il avait crié à pleins poumons. Le demandeur s’est senti suffisamment mal après l’incident qu’il l’a signalé à son superviseur (son officier hiérarchique) qui l’a avisé du fait que ce n’était pas une façon de gérer le personnel.

[2] Cependant, les choses ne se sont pas arrêtées là. L’agent après lequel le demandeur avait crié a déposé une plainte de harcèlement, en alléguant qu’il s’agissait d’un incident parmi plusieurs qui constituaient un mode de harcèlement. La plainte a été retenue par le décideur de première instance (le commandant divisionnaire [le c. div.] de la division J), mais en lien seulement avec ce seul incident; les autres incidents ont été considérés comme étant des exercices légitimes de responsabilités de gestion. En appel, l’arbitre de l’appel en matière de déontologie (l’arbitre) de la GRC a confirmé la conclusion selon laquelle le comportement du demandeur, dans ce cas, équivalait à du harcèlement, mais il a aussi conclu que des mesures disciplinaires ne pouvaient pas être imposées, parce que le délai d’un an pour le dépôt d’une plainte avait expiré.

[3] Le demandeur conteste la décision de l’arbitre (la décision).

[4] La présente affaire est inhabituelle, car les deux parties prétendent que la décision est déraisonnable, mais pour des motifs différents, et que chacune espère obtenir un résultat différent.

[5] Le demandeur affirme que la décision est déraisonnable et qu’elle devrait être infirmée. Le défendeur demande à la Cour, non seulement de maintenir la décision de l’arbitre, mais, en même temps, d’annuler la conclusion voulant que le délai ait commencé lorsque le demandeur a signalé l’incident à son officier hiérarchique. Le défendeur ne demande toutefois pas réparation pour l’erreur alléguée de l’arbitre.

[6] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’arbitre était déraisonnable au regard des deux conclusions principales, à savoir que l’incident au poste de contrôle constituait du harcèlement et que l’expiration du délai n’empêchait pas le c. div. de tirer des conclusions concernant les allégations d’inconduite. Bien que je convienne avec le défendeur que la décision de l’arbitre quant au début du délai est déraisonnable, je conclus, dans les circonstances particulières de l’espèce, qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’annuler la décision pour ce seul motif.

I. Le contexte

[7] Le demandeur est membre de la GRC et, à l’époque pertinente, il supervisait une équipe d’enquêteurs au sein d’un groupe tactique de la sécurité routière.

[8] Le 23 novembre 2018, un autre membre de la GRC (le plaignant) a présenté une plainte de harcèlement contre le demandeur, dans laquelle il alléguait que ce dernier s’était livré à un comportement répétitif de harcèlement qui consistait en une série de huit incidents distincts s’étant produits entre 1er octobre 2017 et le 9 octobre 2018.

[9] L’un de ces incidents, qui a été brièvement décrit précédemment, revêt une importance capitale pour les besoins de la présente affaire. Le plaignant a allégué que, le 14 février 2018, le demandeur avait crié après lui à un poste de contrôle de la circulation, parce que, selon le demandeur, le plaignant avait délibérément omis de suivre ses ordres (ci‐après appelé l’incident au poste de contrôle). Durant l’enquête sur la plainte de harcèlement, des témoins ont déclaré que le demandeur avait crié après le plaignant devant des collègues ainsi qu’à portée de voix du public. Certains témoins ont déclaré que le demandeur pointait en direction du plaignant et qu’il criait à pleins poumons; d’autres ont dit qu’il avait traité le plaignant, un membre expérimenté de la GRC, comme une recrue. Un témoin a déclaré que l’incident était gênant et qu’il témoignait d’un manque de professionnalisme. Le rapport d’enquête a également révélé que le demandeur avait informé son officier hiérarchique de l’incident peu après qu’il s’est produit, et que ce dernier avait conseillé au demandeur de modifier sa méthode de supervision du personnel.

[10] Le rapport final d’enquête sur la plainte de harcèlement a été achevé en avril 2019 et remis au c. div. qui a conclu que le rapport établissait une preuve prima facie de harcèlement. Une rencontre disciplinaire a eu lieu, au cours de laquelle le demandeur a eu l’occasion de répondre au rapport d’enquête. Le 21 mai 2019, le c. div. a conclu que, bien que l’approche de supervision du personnel utilisée par le demandeur n’ait pas été optimale, la plupart des incidents reprochés dans la plainte étaient des exercices de responsabilités de gestion et ne constituaient pas du harcèlement. Le c. div. a cependant jugé que l’incident au poste de contrôle équivalait à du harcèlement et il a imposé les mesures disciplinaires suivantes au demandeur : réprimande écrite, inadmissibilité à une promotion pour une période de 12 mois et renvoi à un médecin‐chef pour évaluation et traitement ultérieur dans les formes prescrites.

[11] Le demandeur a interjeté appel de la décision du c. div. auprès du Bureau de la coordination des griefs et des appels, et il a fait valoir qu’il était erroné de conclure qu’un seul incident où il avait crié après un subalterne équivalait à du harcèlement et que toute l’affaire était prescrite, parce que l’incident au poste de contrôle ne pas s’était produit à l’intérieur du délai prévu pour l’examen d’une affaire dans le cadre d’une rencontre disciplinaire. Le demandeur a également exprimé des préoccupations au sujet de l’équité procédurale, mais celles‐ci n’ont pas été retenues. Je n’examinerai pas davantage cette question, car le demandeur ne l’a pas soulevée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[12] Le 18 février 2020, l’arbitre a confirmé la conclusion du c. div. selon laquelle l’incident au poste de contrôle équivalait à du harcèlement. Cependant, l’arbitre a également conclu que la prescription d’un an prévue par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‐10 [la Loi sur la GRC ou la Loi] avait expiré au moment où la décision du c. div. avait été communiquée. L’arbitre a conclu que le délai de prescription applicable à la plainte de harcèlement avait débuté au plus tard en avril 2018, au moment où l’officier hiérarchique du demandeur avait été informé de l’incident au poste de contrôle. Ce délai avait donc expiré avant que le c. div. rende sa décision. L’arbitre a jugé que le libellé spécifique de la disposition relative à la prescription interdisait l’imposition de mesures disciplinaires, mais qu’il n’empêchait pas la tenue d’une rencontre disciplinaire ou la formulation de conclusions d’inconduite.

[13] Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[14] Lors de l’audience, le demandeur a soulevé les deux questions en litige suivantes :

  1. La conclusion de l’arbitre selon laquelle l’incident au poste de contrôle constituait du harcèlement était‐elle raisonnable?

  2. La conclusion de l’arbitre selon laquelle le c. div. pouvait formuler une conclusion malgré le fait que le délai de prescription était expiré était‐elle raisonnable?

[15] En réponse aux observations du défendeur, le demandeur a également soulevé la troisième question suivante :

  1. La conclusion de l’arbitre selon laquelle le délai d’un an avait expiré était‐elle raisonnable et, à cet égard, le défendeur a‐t‐il qualité pour contester cette conclusion?

[16] Il s’agit d’une manière pratique d’examiner les questions fondamentales soulevées en l’espèce.

[17] La norme de contrôle qui s’applique à ces questions est la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Aucune des exceptions à la présomption selon laquelle c’est la norme de contrôle à appliquer n’est en cause en l’espèce.

[18] En résumé, selon le cadre établi dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit « examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et [...] déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 2 [Postes Canada]). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans l’arrêt Postes Canada, au para 33).

III. Le cadre législatif et politique

[19] Il paraît utile de décrire le cadre législatif et politique qui s’applique avant d’analyser les questions de droit. Ce cadre comprend le régime disciplinaire de la GRC, notamment les volets précis qui portent sur le harcèlement, ainsi que les délais qui s’appliquent aux questions disciplinaires.

A. Le régime disciplinaire de la GRC

[20] Le Code de déontologie de la GRC (le code de déontologie ou le code), établi conformément au Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, 2014, DORS/2014‐281 [le Règlement de la GRC], à titre d’annexe à ce règlement (et intitulé Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada), énonce les responsabilités afin de promouvoir et de maintenir une bonne conduite au sein de la GRC. Les décisions concernant toute allégation de manquement au code de déontologie formulée à l’encontre d’un membre de la GRC sont rendues par les « autorités disciplinaires », conformément aux Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014‐291 [CC (déontologie)]. Il existe trois paliers d’autorité disciplinaire, dont les responsabilités varient en fonction de la gravité des mesures disciplinaires qui peuvent être imposées à un membre visé : CC (déontologie), art 2‐5.

[21] Les décisions rendues par une autorité disciplinaire peuvent faire l’objet d’une révision par une « autorité de révision » (CC (déontologie), art 9). Cet article prévoit que, si l’autorité de révision établit qu’une conclusion est manifestement déraisonnable ou qu’une mesure disciplinaire est vraisemblablement disproportionnée et qu’il est dans l’intérêt public de le faire, elle peut annuler la mesure et y substituer d’autres mesures disciplinaires jugées appropriées. Elle peut également convoquer une audience du comité de déontologie, qui peut mener à l’imposition de mesures pouvant aller jusqu’au congédiement ou à un ordre de démissionner (Loi sur la GRC, art 45(4)).

[22] Le membre à qui une décision cause un préjudice peut faire appel de cette décision aux termes de l’article 45.11 de la Loi sur la GRC, en suivant la procédure énoncée dans les Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014‐289 [CC (griefs et appels)]. L’arbitre doit alors déterminer si la décision des instances inférieures « contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable » (CC (griefs et appels), art 18(2)).

[23] Il convient de mentionner qu’avant 2014, toute contravention au code de déontologie était renvoyée à un comité d’arbitrage, conformément à la procédure disciplinaire qui était alors en vigueur à la GRC. Cela a causé d’importants arriérés de travail, car les comités devaient traiter l’ensemble des manquements, à la fois graves et moins graves.

[24] À la suite des changements mis en œuvre en 2014, au moyen du projet de loi C‐42, les contraventions au code pouvant être traitées au niveau du groupe, du service divisionnaire ou de la division ont été renvoyées au c. div. de chaque niveau, en vue de la tenue de rencontres disciplinaires avec le membre visé. La sévérité des mesures disciplinaires pouvant être imposées si la contravention était établie dépendait du niveau hiérarchique du c. div. Les affaires les plus graves continuent d’être traitées par les comités de déontologie, et toutes les protections procédurales qu’offre l’audience plus formelle sont maintenues.

B. La politique sur le harcèlement de la GRC

[25] Le Manuel d’administration de la GRC énonce la politique de la GRC sur le harcèlement, dans laquelle le harcèlement au sein de la GRC est défini ainsi :

2. 8. Harcèlement : tout comportement inapproprié et offensant d’une personne à l’égard d’une autre personne dans le milieu de travail, y compris lors d’une activité ou dans un endroit lié au travail et pour lequel la personne savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait offenser ou blesser l’autre. Il peut s’agir d’un acte, d’un commentaire ou d’un geste inadmissible qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne et tout acte d’intimidation ou de menace. Cette définition comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c’est‐à‐dire fondé sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience et l’état de personne graciée).

2. 8. l. Le harcèlement correspond normalement à une série d’incidents, mais peut être constitué d’un seul incident grave ayant des conséquences à long terme sur une personne.

[...]

2. 8. 3. Le harcèlement, s’il est établi, constitue une infraction au code de déontologie à l’égard d’un membre, et le membre qui a commis un acte de harcèlement peut être visé par des mesures disciplinaires aux termes de la Loi sur la GRC.

2. 8. 4. L’exercice légitime et approprié, par un employé, des pouvoirs, des tâches, des fonctions, des autorités et des responsabilités énoncées aux termes de la Loi sur la GRC, du Règlement ou des Consignes du commissaire ne constitue pas du harcèlement.

[26] Cette définition reflète celle que le Conseil du Trésor du Canada appliquait dans la fonction publique du pays durant la période en cause (la Directive sur la prévention et la résolution du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail a remplacé l’ancienne politique le 1er janvier 2021).

[27] Les Consignes du commissaire (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), DORS/2014‐290 [CC (plaintes de harcèlement)], définissent en ces termes le décideur chargé d’examiner les plaintes de harcèlement :

Décideur

Decision maker

3 (1) Le décideur est :

3 (1) The decision maker in respect of a complaint is

a) la personne désignée par le commissaire;

(a) the person designated by the Commissioner; or

b) si un comité de déontologie a été constitué en application du paragraphe 43(1) de la Loi, ce comité.

(b) a conduct board appointed under subsection 43(1) of the Act, if one has been appointed.

[28] Le décideur doit décider par écrit si le délai pour le dépôt de la plainte a été respecté (CC (plaintes de harcèlement), art 6(1)). Si le délai a été respecté, le décideur, dès qu’il a obtenu suffisamment de renseignements, doit décider, soit de convoquer une audience disciplinaire aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi, soit décider par écrit si le membre a contrevenu au code de déontologie et, le cas échéant, il peut lui imposer des mesures disciplinaires (CC (plaintes de harcèlement), art 6(2), (3)).

C. Les délais de prescription

[29] La Loi sur la GRC définit deux prescriptions distinctes, l’une s’appliquant aux allégations moins graves et l’autre aux allégations plus graves :

Prescription

Limitation or prescription period

41(2) L’autorité disciplinaire ne peut convoquer une audience, relativement à une contravention au code de déontologie qui aurait été commise par un membre, plus d’un an après que la contravention et l’identité du membre en cause ont été portées à la connaissance de l’autorité disciplinaire qui tient ou fait tenir l’enquête.

41(2) A hearing shall not be initiated by a conduct authority in respect of an alleged contravention of a provision of the Code of Conduct by a member after the expiry of one year from the time the contravention and the identity of that member as the one who is alleged to have committed the contravention became known to the conduct authority that investigated the contravention or caused it to be investigated.

[...]

...

Prescription

Limitation or prescription period

42(2) Les mesures disciplinaires visées au paragraphe (1) ne peuvent être prises plus d’un an après que la contravention et l’identité du membre en cause ont été portées à la connaissance de l’autorité disciplinaire qui tient ou fait tenir l’enquête.

42(2) Conduct measures shall not be imposed under subsection (1) in respect of the contravention after the expiry of one year from the time the contravention and the identity of that member became known to the conduct authority that investigated the contravention or caused it to be investigated.

[30] De plus, la prescription qui s’applique aux plaintes de harcèlement prévoit qu’un membre peut déposer une plainte de harcèlement contre un autre membre « dans l’année suivant le dernier incident de harcèlement qui y est allégué » et que ce délai peut être prorogé dans des « circonstances exceptionnelles » (CC (plaintes de harcèlement), art 2(1), (2)).

[31] Le contexte ayant ainsi été défini, j’examinerai maintenant les questions en litige.

IV. Analyse

A. La décision de l’arbitre selon laquelle une seule allégation constituait du harcèlement était‐elle raisonnable?

[32] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’autorité disciplinaire — en l’espèce le c. div. de la division J — a conclu que toutes les autres allégations de harcèlement étaient sans fondement, car elles constituaient des exercices légitimes de responsabilités de gestion. Cependant, le c. div. a également conclu que l’incident au poste de contrôle équivalait effectivement à du harcèlement, conclusion qui a ultérieurement été confirmée par l’arbitre. La question soulevée est de savoir si la conclusion de l’arbitre est raisonnable.

1) Les observations des parties

[33] Le demandeur ne conteste pas les faits en cause concernant l’incident au poste de contrôle. Il soutient plutôt qu’un seul incident de cette nature ne peut raisonnablement pas être interprété comme du harcèlement, parce que cela va à l’encontre de la définition que la GRC fait de ce terme, ainsi que de la jurisprudence arbitrale et des précédents de la Cour fédérale qui s’appliquent.

[34] L’argumentation du demandeur part du principe que la Cour doit faire preuve de prudence dans son application de la norme de la décision raisonnable à l’examen de la conclusion de l’arbitre. Tout en reconnaissant que l’arbitre était tenu de déterminer si la conclusion du c. div. était « manifestement déraisonnable » (CC (griefs et appels), art 18(2); CC (déontologie), art 9), le demandeur soutient que le défaut de faire enquête pour déterminer si la conclusion de harcèlement était, en soi, raisonnable donnerait une trop grande marge de manœuvre à la GRC. Le demandeur fait valoir ce point dans ses observations écrites, de la manière suivante :

[traduction]
27. Il existe ainsi un risque que la Cour cherche uniquement à déterminer si l’examen qui a été fait de la conclusion de harcèlement était raisonnable, plutôt que de se pencher sur la conclusion même de harcèlement. Cette dernière option accorderait beaucoup trop de déférence à la GRC, qui pourrait ainsi effectivement soustraire des décisions à un examen adéquat selon la norme de la décision raisonnable, en créant un système interne d’appel à multiples niveaux, où chaque niveau commanderait la déférence. Cela équivaudrait en droit administratif à l’ajout de mesures inutiles.

28. La question que la Cour devrait se poser est de savoir si la conclusion finale de harcèlement était raisonnable — et non de savoir s’il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que la décision du c. div. était plausible.

[35] Sur le fond de la question, le demandeur fait valoir que l’arbitre a rendu une décision qui va à l’encontre à la fois de la jurisprudence judiciaire et des décisions arbitrales, en confirmant la conclusion du c. div. selon laquelle le fait de crier après un subalterne à une occasion constituait du harcèlement.

[36] Le demandeur se fonde sur la décision rendue dans l’affaire Green c Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2017 CF 1121 [Green], où la Cour fédérale a examiné la politique sur le harcèlement du Conseil du Trésor. Dans cette décision, la Cour a conclu qu’un certain niveau de gravité ou de répétition était requis pour étayer une conclusion de harcèlement et qu’un seul incident de comportement inopportun qui était moins grave n’était pas susceptible de constituer du harcèlement. De même, dans l’affaire Ryan c Canada (Procureur général), 2005 CF 65 aux para 29‐31, la Cour a conclu que, bien que le harcèlement puisse « exceptionnellement » être le résultat d’un seul incident, il faut en général prouver un comportement répétitif. Dans la décision Green, la Cour a également souligné le fait que le décideur devait faire un examen objectif de la situation et déterminer quelle serait la conclusion d’une personne raisonnable dans les circonstances.

[37] Le demandeur se réfère aussi à de nombreuses décisions arbitrales qui, selon lui, sont similaires quant aux faits et dans lesquelles il a été jugé que des cas isolés n’équivalaient à du harcèlement que dans des circonstances très graves.

[38] Le demandeur prétend qu’en rendant leurs décisions, le c. div. et l’arbitre ont tous les deux omis d’accorder une valeur probante adéquate au contexte de l’incident au poste de contrôle, à savoir que le plaignant avait désobéi à ses ordres ce qui, en soi, constitue un manquement au code de déontologie. Le c. div. a jugé que cet élément n’était pas pertinent, et l’arbitre a simplement accepté le caractère plausible de la conclusion du c. div.

[39] Le demandeur affirme que, bien qu’il n’ait pas géré l’incident au poste de contrôle aussi bien qu’il aurait pu le faire, il s’est immédiatement excusé et a signalé l’incident à son officier hiérarchique. Il affirme que la conclusion voulant qu’un seul incident équivaille à du harcèlement fait qu’il porte maintenant l’étiquette de harceleur, ce qui aura de graves répercussions sur sa carrière. Il affirme aussi que la décision a fait en sorte qu’il soit visé par le critère de l’arrêt McNeil, ce qui signifie qu’il doit désormais révéler ce statut à tous les procureurs de la Couronne afin qu’ils puissent déterminer s’ils doivent le divulguer aux avocats de la défense pour qu’ils puissent le contre‐interroger sur sa crédibilité (R c McNeil, 2009 CSC 3 [McNeil]).

[40] Le demandeur prétend que l’incident au poste de contrôle ne constituait pas du harcèlement et qu’il aurait été préférable de le traiter comme un problème lié au rendement.

[41] Le défendeur répond que la décision de l’arbitre est raisonnable. Il souligne que l’arbitre était tenu de déterminer si la décision du c. div. était « manifestement déraisonnable » — ce qui est une norme qui commande un degré élevé de retenue — et que, par conséquent, la décision de l’arbitre qui fait l’objet du contrôle judiciaire devrait commander un degré élevé de retenue (Kalkat c Canada (Procureur général), 2017 CF 794 [Kalkat] au para 52).

[42] En examinant la conclusion de harcèlement, l’arbitre a pris en compte les arguments portant que le c. div. avait omis d’examiner l’élément objectif requis pour formuler une conclusion de harcèlement et que l’incident isolé n’était pas suffisamment grave pour constituer du harcèlement. L’arbitre a raisonnablement conclu que la conclusion de harcèlement était plausible, à la lumière de la preuve qui avait été présentée au c. div.

[43] Le défendeur fait valoir qu’en avançant son argument, le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de conclure que l’incident au poste de contrôle était moins grave que ce qu’en a conclu le c. div. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[44] Enfin, en ce qui concerne les affaires judiciaires et arbitrales invoquées par le demandeur, le défendeur fait remarquer que cette jurisprudence est de peu d’utilité, étant donné que les conclusions de harcèlement sont spécifiques au contexte. Tant sur le plan subjectif qu’objectif, se faire crier après dans un contexte particulier pourrait ne pas avoir les mêmes conséquences que le même geste dans un autre contexte.

2) Examen

[45] À titre préliminaire, je ne souscris pas à l’argument du demandeur selon lequel la question que je dois trancher porte sur le caractère raisonnable de la conclusion de harcèlement. Je ne suis pas convaincu que l’application du cadre classique d’examen de la décision de l’arbitre selon la norme de la décision raisonnable aurait pour effet d’accorder une trop grande marge de manœuvre à la GRC quant à la manière dont elle structure son régime disciplinaire interne; de toute façon, il n’est pas évident de savoir si, ou comment, cela constitue un élément pertinent.

[46] L’arbitre a compris que, sous le régime législatif, son travail consistait à déterminer si la conclusion du c. div. était « manifestement déraisonnable ». Cette décision de l’arbitre doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, conformément aux règles énoncées dans Vavilov, et il n’est ni nécessaire ni approprié d’interpréter plus à fond le cadre défini dans cet arrêt. Sur ce point, je souscris au commentaire formulé par le juge Michael Manson qui, au paragraphe 63 de Kalkat, a déclaré que, dans ce contexte, « [p]eut‐être y a‐t‐il lieu d’examiner la norme de contrôle actuelle afin de déterminer s’il faut appliquer un critère différent, mais c’est au législateur qu’il incombe de décider cette question et non à la Cour ».

[47] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’arbitre a parfaitement compris les exigences de cette norme. L’appréciation visant à déterminer si la décision portée en appel était « manifestement déraisonnable » exigeait l’utilisation d’une approche comparable à celle appliquée lors d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Cela signifie que l’arbitre devait déterminer s’il existait une preuve pouvant corroborer la décision du c. div., même si l’arbitre n’en serait peut‐être pas venu à la même conclusion (Kalkat, au para 37; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c Bradco Construction Ltd, [1993] 2 RCS 316 à la p 340, [1994] ACS 56). Selon cette norme, l’arbitre devait faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’instance inférieure s’il estimait que la preuve était simplement insuffisante pour étayer la conclusion (Kalkat, au para 62).

[48] Vu sous cet angle — et compte tenu du dossier d’appel dont disposait l’arbitre — je conclus qu’il était raisonnable pour celui‐ci de conclure qu’il n’était pas « manifestement déraisonnable » pour le c. div. de juger que l’incident au poste de contrôle équivalait à du harcèlement. Je conviens avec le défendeur que le demandeur, par ses observations, demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, en sa faveur.

[49] L’analyse que l’arbitre a faite de cette question possède toutes les « caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » et elle est « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur [elle] » (Vavilov, au para 99).

[50] L’arbitre a commencé son analyse en notant qu’une conclusion de harcèlement requiert, dans la plupart des cas, l’existence d’un comportement répétitif inapproprié. Dans l’affaire dont l’arbitre a été saisi, le demandeur a reconnu que sa conduite lors de l’incident au poste de contrôle était inacceptable; la seule question était donc de savoir si cet incident était suffisamment grave pour constituer du harcèlement.

[51] L’arbitre a accepté le fait qu’il y avait un certain fondement à l’argument du demandeur selon lequel il était allé trop loin en tant que gestionnaire, mais l’incident n’était pas à ce point inacceptable pour équivaloir à du harcèlement. L’arbitre a aussi accepté le fait que les superviseurs avaient un rôle difficile et qu’ils n’avaient pas à être parfaits. En réponse aux observations du demandeur, l’arbitre a déclaré ce qui suit, au paragraphe 36 :

[traduction]
Je conclus qu’il est significatif que [le demandeur] ait accepté le fait que son comportement avait été inapproprié, qu’il s’agissait d’un incident isolé et que le demandeur l’avait immédiatement signalé à son officier hiérarchique. Toutes ces observations corroborent le point de vue [du demandeur] selon lequel l’incident n’était pas suffisamment grave pour justifier qu’on le considère comme du harcèlement.

[52] Cependant, l’arbitre relève également la conclusion du c. div. qui a déclaré que la gravité de l’incident [traduction] « a[vait] été établie non seulement par [le plaignant], mais aussi par les personnes qui en [avaient] été témoins ». En outre, l’arbitre mentionne, au paragraphe 10 de la décision, que le c. div. a jugé que les conséquences à long terme que l’incident avait eues sur le plaignant démontraient sa gravité.

[53] L’arbitre a admis que la décision du c. div. aurait été plus solide si elle avait comporté une analyse plus approfondie des motifs justifiant la conclusion selon laquelle l’incident au poste de contrôle équivalait à du harcèlement. Il a ensuite réitéré le critère qu’il devait appliquer : [traduction] « [l]e critère consiste à déterminer, après avoir tenu compte des erreurs ou lacunes de la décision, si le résultat porté en appel demeure plausible, au regard de la preuve et des observations qui ont été présentées au décideur » (décision, au para 38).

[54] Ayant appliqué ce critère aux faits de la présente affaire, l’arbitre a énoncé en ces termes ses principales conclusions :

[traduction]
La preuve [...] n’a pas donné le portrait d’un simple désaccord ou d’une situation où des personnes avaient simplement haussé la voix. Le plaignant a décrit le [demandeur] comme hurlant tellement que son visage était devenu rouge. Il est vrai que le [compte rendu de décision] renvoie effectivement à la preuve du plaignant indiquant que cet incident a eu de profondes répercussions sur lui; cependant — même si cette conclusion était erronée — la décision renvoie également aux observations de plusieurs autres témoins qui ont décrit la situation comme en étant une où le [demandeur] criait après son subalterne devant des collègues et à portée de voix du grand public. Il est mentionné que le [demandeur] a pointé le plaignant du doigt et a crié à pleins poumons. Un témoin a déclaré que le [demandeur] avait traité le plaignant (un agent de police chevronné) comme s’il était une recrue, et un autre témoin a déclaré qu’il était non professionnel et gênant de voir un agent de police chevronné être traité de la sorte (décision, au para 39).

[55] Eu égard à tous ces éléments, l’arbitre a jugé que la conclusion du c. div. selon laquelle le comportement inapproprié était suffisamment grave pour constituer du harcèlement était [traduction] « plausible, compte tenu de la preuve qui avait été présentée » au c. div. (décision, au para 40).

[56] Le demandeur ne conteste pas le critère appliqué par l’arbitre pour déterminer si l’incident isolé constituait du harcèlement ni ne mentionne quelque fait crucial particulier qui aurait été omis dans l’analyse. Il soutient plutôt que l’arbitre n’a pas accordé suffisamment d’importance au contexte de l’incident et à la jurisprudence qui exige qu’un incident isolé soit suffisamment grave ou inacceptable pour constituer du harcèlement.

[57] De tels arguments reviennent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle d’une cour de révision. Je ne suis pas convaincu que la conclusion de l’arbitre sur cette question est déraisonnable.

B. La conclusion de l’arbitre selon laquelle le c. div. pouvait formuler une conclusion malgré le fait que le délai de prescription était expiré était‐elle raisonnable?

[58] L’arbitre a jugé que le délai d’un an prévu au paragraphe 42(2) de la Loi sur la GRC avait expiré et que, bien qu’aucune mesure disciplinaire ne pouvait être imposée, cette disposition n’interdisait pas au c. div. de tenir une rencontre disciplinaire et de formuler des conclusions relativement aux allégations d’inconduite.

1) Les observations des parties

[59] Selon le demandeur, nul ne peut contester que l’arbitre n’a pas respecté le délai d’un an qui s’applique en l’espèce. Il soutient toutefois qu’une fois que l’arbitre a conclu que le délai avait expiré, il n’était pas raisonnable pour lui de conclure par la suite qu’une rencontre disciplinaire pouvait avoir lieu et qu’elle pouvait mener à la formulation de conclusions en sa défaveur.

[60] Le demandeur fait valoir que, selon l’arrêt Vavilov, il ne peut y avoir plusieurs interprétations raisonnables de la disposition relative à la prescription : « Même dans les cas où l’interprétation que le décideur donne de ses pouvoirs fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, un texte législatif formulé en termes précis ou étroits aura forcément pour effet de restreindre les interprétations raisonnables que le décideur peut retenir — en les limitant peut‐être à une seule » (Vavilov, au para 68, souligné dans l’original).

[61] Le défendeur convient que la norme de contrôle qui s’applique est la décision raisonnable, mais il n’a pas abordé les observations du demandeur sur ce point.

[62] Le demandeur fait valoir qu’il y a ambiguïté en l’espèce, car le libellé qui définit les délais de prescription diffère selon que ces délais s’appliquent à la tenue d’audiences ou de rencontres disciplinaires. La Loi dispose que « [l]’autorité disciplinaire ne peut convoquer une audience » plus d’un an après (art 41(2)), alors que, dans les affaires examinées dans le cadre d’une rencontre disciplinaire, « [l]es mesures disciplinaires [...] ne peuvent être prises » plus d’un an après (art 42(2)).

[63] L’arbitre a interprété cette ambiguïté comme signifiant que le c. div. était autorisé à tenir une rencontre et à formuler des conclusions, mais qu’il lui était interdit d’imposer des mesures disciplinaires. Le demandeur soutient que cette interprétation est déraisonnable, car elle va à l’encontre de la jurisprudence sur l’interprétation des prescriptions prévues dans la Loi sur la GRC, de l’intention qu’avait le législateur en ajoutant une prescription pour les allégations moins graves, ainsi que de l’objectif plus général des prescriptions.

[64] En se fondant sur le libellé clair des dispositions, le demandeur soutient que la Loi sur la GRC prévoit une [traduction] « règle de la découverte » selon laquelle le délai de prescription commence à courir le jour où l’agent compétent a connaissance de l’existence de l’infraction et de l’identité de son auteur. Le demandeur prétend qu’une telle règle garantit une meilleure protection du public, parce qu’elle augmente les possibilités pour la GRC de poursuivre les inconduites alléguées, que le membre touché dépose ou non une plainte.

[65] Le demandeur soutient en outre que les mesures disciplinaires définies dans les CC (déontologie) prévoient à la fois un avertissement et une réprimande, et il prétend que la formulation d’une conclusion d’inconduite équivaut à un avertissement. Il était donc interdit au c. div. en l’espèce de formuler une telle conclusion, car le délai prévu pour ce faire avait expiré.

[66] De plus, le demandeur affirme que la GRC peut demander une prorogation si, pour des motifs valables, elle est incapable de terminer son enquête dans le délai d’un an. Cela ajoute plus de souplesse au système.

[67] Le demandeur fait également valoir qu’il est déraisonnable qu’une conclusion puisse être formulée au‐delà du délai de prescription, parce que cela fait en sorte qu’il soit visé par le critère de l’arrêt McNeil, ce qui aura d’importantes répercussions négatives sur sa carrière. Le demandeur prétend que la formulation de conclusions équivaut par conséquent à l’imposition de mesures disciplinaires.

[68] En réponse, le défendeur prétend que la décision de l’arbitre, selon laquelle les conclusions d’inconduite ne sont pas frappées de prescription, est raisonnable. Le défendeur fait valoir que l’arbitre a tenu compte du libellé clair des deux prescriptions spécifiques qui s’appliquent aux affaires disciplinaires et qu’il a bien apprécié la différence manifeste dans le libellé de chacune de ces dispositions. Il prétend que, si l’intention du législateur avait été d’interdire, par l’établissement d’un délai, la tenue de toute rencontre disciplinaire ou la formulation de conclusions à l’égard des questions moins graves, il aurait formulé le libellé en ce sens. Sur ce point, le défendeur souligne que le législateur, aux termes du libellé du paragraphe 41(2) de la Loi, interdit explicitement la tenue d’une audience disciplinaire pour l’examen de questions plus graves après l’expiration du délai de prescription. Il affirme que rien ne permet de faire une interprétation comparable du paragraphe 42(2) de la Loi.

[69] Le défendeur affirme que cela est conforme au texte, à l’objet et au contexte de cette disposition. Les modifications qui ont été apportées au régime disciplinaire de la GRC témoignent d’une claire intention, de la part du législateur, d’établir un régime moins formel pour le traitement des questions moins graves, et un délai a été établi afin d’être juste envers les membres susceptibles de faire l’objet de mesures disciplinaires. Cependant, ce délai interdit uniquement l’imposition de mesures disciplinaires. Lorsqu’il s’agit de questions plus graves, le délai empêche la tenue d’audiences au‐delà du délai (à moins qu’une prorogation ne soit accordée), ce qui est approprié étant donné la gravité des conséquences de ces types d’allégations.

[70] De plus, le défendeur souligne les dispositions d’appel prévues dans la Loi sur la GRC, notamment les dispositions différentes qui s’appliquent selon que l’appel est interjeté à l’encontre de conclusions et de mesures disciplinaires liées à des décisions rendues par des comités de déontologie — pour les questions plus graves (art 45.11(1)a) et b)) ou à des décisions rendues par des autorités disciplinaires — pour les questions moins graves (art 45.11(3)a) et b)). Selon le défendeur, cela renforce l’interprétation faite par l’arbitre.

[71] Enfin, le défendeur souligne l’engagement pris par la GRC d’offrir un milieu de travail sécuritaire et respectueux, exempt de harcèlement et de discrimination. Il affirme que l’approche du demandeur minerait cet engagement, en laissant planer une grande incertitude pour toutes les parties concernées quant au moment où débute le délai de prescription.

2) Examen

[72] Les arguments du demandeur sur ce point ne me convainquent pas.

[73] Cette question exigeait de l’arbitre qu’il interprète sa loi constitutive; mon analyse visant à déterminer si la décision qu’il a rendue sur cette question est raisonnable doit donc être guidée par l’approche définie dans l’arrêt Vavilov pour l’examen de telles questions. Cet arrêt exige que la cour de révision prête attention aux rôles différents qui incombent au décideur initial et à la cour de révision (Vavilov, aux paras 115‐116). La principale question est de déterminer si le décideur a interprété la disposition législative « d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause » (Vavilov, au para 121; voir aussi Canada (Citizenship and Immigration) v Mason, 2021 FCA 156).

[74] Pour mener cette tâche, la Cour suprême du Canada a souligné, dans Vavilov, à la fois l’obligation de la cour de révision et la prudence dont elle doit faire preuve :

[124] Enfin, même si la cour qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne doit pas procéder à une analyse de novo ni déterminer l’interprétation « correcte » d’une disposition contestée, il devient parfois évident, lors du contrôle de la décision, que l’interaction du texte, du contexte et de l’objet ouvrent [sic] la porte à une seule interprétation raisonnable de la disposition législative en cause ou de l’aspect contesté de celle‐ci : Dunsmuir, par. 72‐76. [...] les cours de justice devraient généralement hésiter à se prononcer de manière définitive sur l’interprétation d’une disposition qui relève de la compétence d’un décideur administratif.

[75] Ayant adopté cette approche, je souscris à l’affirmation du demandeur qu’il ne peut y avoir plusieurs interprétations raisonnables de la disposition relative à la prescription applicable à la principale question en l’espèce, à savoir : peut‐il y avoir tenue d’une audience et formulation de conclusions si le délai de prescription d’un an applicable à l’affaire est expiré? Sur ce point, il convient de souligner que le texte législatif ne confère pas au décideur un vaste pouvoir discrétionnaire ni ne reflète des considérations de principe spéciales nécessitant une expertise particulière.

[76] Les principes fondamentaux d’équité exigent que les membres, la direction de la GRC et le public aient tous l’assurance que le règlement de ces types de questions touchant le régime disciplinaire du service de police se fera selon une approche commune. Ainsi qu’il a été mentionné au paragraphe 22 de l’arrêt Thériault c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2006 CAF 61 [Thériault], « les normes déontologiques, imposées à des professionnels ou à des policiers investis de pouvoirs spéciaux pour faire respecter les lois, sont édictées à la fois pour assurer la protection du public et promouvoir la confiance de ce dernier dans les organismes professionnels ou publics ».

[77] Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale au paragraphe 23 de l’arrêt Thériault, « [l]’introduction d’un mécanisme de prescription dans un système de poursuite disciplinaire a pour but d’y apporter une certaine équité dans le traitement des contrevenants et de leur permettre de présenter une défense pleine et entière que peuvent compromettre l’écoulement du temps ou les retards indus à procéder ».

[78] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsque celui‐ci prétend que la juxtaposition du texte de cette disposition et du libellé du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC crée une ambiguïté. Au contraire, les deux dispositions témoignent d’une intention précise d’établir des mesures distinctes pour le traitement de différents types de contraventions alléguées. C’est‐à‐dire que la prescription à l’égard des contraventions moins graves ne s’applique qu’à l’imposition de mesures disciplinaires. D’un autre côté, dans le cas d’infractions plus graves, la prescription vise à faire entrave à l’audience disciplinaire proprement dite, ainsi qu’à la formulation de conclusions d’inconduite qui pourraient naturellement en découler.

[79] L’approche utilisée par l’arbitre est également conforme au fait que la Loi prévoit des dispositions distinctes, selon que l’appel est interjeté à l’encontre d’une conclusion disciplinaire (art 45.11(3)a)) ou d’une mesure disciplinaire (art 45.11(3)b)).

[80] En outre, à mon avis, les observations du demandeur sur les motifs de politique générale justifiant les prescriptions, ou sur la règle de la découverte et sur la possibilité de prorogation des délais, n’appuient pas sa thèse. Les deux dispositions établissent clairement une distinction dans la manière dont la gravité de l’infraction reprochée influe sur l’application de la prescription établie par le législateur. Les principes généraux auxquels il est fait référence ne réfutent pas l’intention précise qui se dégage d’une interprétation des dispositions en litige dans leur sens ordinaire et grammatical.

[81] Je suis d’avis que cela vaut également pour l’intention du législateur invoquée par le demandeur en lien avec le hansard, dans la mesure où ce type de contexte législatif constitue un facteur pertinent à considérer. Le but du projet de loi C‐42, tel qu’il est mentionné dans le résumé législatif, était de moderniser les processus d’application des mesures disciplinaires et de règlement des griefs, en vue de permettre un règlement dans un délai raisonnable et de manière équitable des questions de déontologie. Les modifications visaient à réformer les processus disciplinaires qui régissaient le règlement des griefs au sein de la GRC; le tableau présenté par le demandeur à l’appui de ses arguments est toutefois faussé, du fait qu’il ne présente que des extraits du compte rendu du Comité permanent de la sécurité publique et nationale.

[82] Un examen plus large des débats législatifs montre que le projet de loi visait « à réorienter et à rationaliser un système [qui était] embourbé dans la bureaucratie, croulant sous les processus administratifs, et miné par des procédures interminables [qui pouvaient], dans certains cas, s’étirer sur plusieurs années » (Débats de la Chambre des communes, 41‐1, no 146 (17 septembre 2012) à 1330 (M. Ryan Leef); voir aussi à 1210 (l’honorable Vic Toews, ministre de la Sécurité publique)). Quant aux discussions invoquées par le demandeur, les débats montrent que le nouveau texte législatif avait pour but d’accélérer le processus en permettant de traiter davantage d’affaires au niveau local et en réduisant ainsi le temps nécessaire à leur traitement :

Par exemple, la GRC doit faire appel à un comité d’arbitrage de trois personnes lorsqu’elle veut imposer une mesure disciplinaire sévère. Ces comités d’arbitrage affaiblissent le rôle des gestionnaires de première ligne, qui sont incapables de régler rapidement les problèmes, et leur enlèvent la souplesse dont ils ont besoin pour prendre des mesures disciplinaires. Ils contribuent à créer un climat de travail conflictuel et retardent considérablement le processus.

Aux termes des modifications proposées, les gestionnaires de première ligne auraient enfin l’autorité et la responsabilité d’imposer des mesures punitives appropriées. Ces mesures peuvent aller de la rééducation professionnelle à des mesures plus rigoureuses comme la suspension du salaire. Les gestionnaires n’auraient pas à faire appel à un comité d’arbitrage, sauf en cas de mise à pied (Débats de la Chambre des communes, 41‐1, no 146 (17 septembre 2012) à 1210 (l’honorable Vic Toews, ministre de la Sécurité publique)).

[83] À mon avis, il n’y a rien dans les débats de la Chambre des communes, du Sénat ou des comités qui donne à entendre que le législateur avait une intention autre que celle qu’il a expressément énoncée dans le libellé des dispositions.

[84] Je conviens avec le défendeur qu’aucune [traduction] « absurdité législative » ne résulte du fait qu’aucune prescription n’a été établie pour la formulation de conclusions à l’égard de contraventions moins graves au code de déontologie. La version antérieure de la Loi sur la GRC ne prévoyait aucune prescription pour les contraventions moins graves, et tout délai imposé à l’égard des mesures disciplinaires découlant de ces contraventions ne nécessite pas, d’une manière ou d’une autre, qu’une prescription s’applique également au processus d’enquête et d’arbitrage. Si le législateur avait voulu que la prescription s’applique à la fois aux conclusions et aux mesures disciplinaires, il l’aurait indiqué en termes clairs.

[85] Je conviens aussi avec le défendeur que, bien que l’officier hiérarchique du demandeur puisse agir à titre d’autorité disciplinaire dans certaines affaires (à la suite de la réforme introduite par le projet de loi C‐42), il ne peut agir à ce titre dans la présente affaire. Le paragraphe 42(2) de la Loi sur la GRC renvoie à « l’autorité disciplinaire qui tient ou fait tenir l’enquête »; à mon avis, l’officier hiérarchique n’est ni l’un ni l’autre.

[86] Je conclus également qu’il serait contraire à la politique sur le harcèlement, qui fait partie du contexte pour l’interprétation de la prescription applicable, d’accorder à un plaignant un délai de 12 mois après le dernier incident allégué de harcèlement pour déposer une plainte, mais d’éventuellement commencer à calculer le délai de prescription avant le dépôt de la plainte. Un tel résultat jetterait le discrédit sur le processus de règlement des griefs au sein de la GRC.

[87] Un autre facteur vient renforcer l’approche de l’arbitre sur cette question. Il existe des motifs légitimes pour lesquels une autorité disciplinaire voudrait tenir une rencontre disciplinaire et formuler des conclusions, même après l’expiration du délai de prescription. Dans le cas d’une plainte de harcèlement, des allégations pendantes sont source d’insatisfaction pour toutes les parties. Cette absence de règlement susciterait, chez le plaignant, le sentiment qu’une question grave a été passée sous silence. Quant au membre visé par la plainte, il resterait toujours une personne accusée de harcèlement à qui il n’aurait pas été donné l’occasion de répondre aux allégations ou de se disculper. Ce résultat serait tout aussi insatisfaisant pour tout collègue qui aurait été témoin des incidents ou autrement informé de l’affaire, ainsi que pour la direction de la GRC qui aurait à faire face aux conséquences d’allégations non résolues d’inconduite au travail. Enfin, le public en général serait lui aussi laissé dans l’ignorance de l’issue, dans la mesure où l’affaire serait rendue publique. Un tel résultat n’est ni nécessaire ni approprié.

[88] Il est un dernier aspect d’intérêt public à considérer; une conclusion d’inconduite pourrait assujettir un membre de la GRC au critère de l’arrêt McNeil, ce qui soulèverait ensuite la question de savoir si cette conclusion devrait être communiquée dans le cas où le membre aurait à témoigner dans le cadre d’une poursuite criminelle. Il ne serait pas dans l’intérêt public d’adopter une approche exigeant que de telles conclusions ne puissent être formulées que si des mesures disciplinaires étaient imposées, ce qui serait le cas si l’argumentation du demandeur était retenue.

[89] Quant à savoir si le demandeur répondait au critère de l’arrêt McNeil du fait de la conclusion de l’arbitre, il convient de mentionner que le défendeur a candidement admis qu’il n’était pas du tout certain que la conclusion de l’arbitre, selon laquelle le demandeur s’était livré à du harcèlement en criant après un subalterne à une occasion, serait suffisante pour justifier l’application du critère de l’arrêt McNeil à son égard. Le défendeur mentionne notamment ce qui suit dans ses observations écrites :

[traduction]
La preuve présentée à la Cour donne à entendre que le demandeur ne devrait avoir aucune raison de croire que la conclusion de harcèlement devrait être communiquée en raison du critère de l’arrêt
McNeil
. Selon la preuve, le demandeur est un agent dévoué, travailleur et respecté. Il ne semble y avoir rien dans le dossier qui inciterait un procureur à communiquer des renseignements en conformité avec l’arrêt McNeil. Le fait que le demandeur a crié après son subalterne n’est nullement pertinent quant aux questions de crédibilité et de fiabilité soulevées dans l’arrêt McNeil (mémoire du défendeur, au para 36).

[90] Cependant, même si je devais reconnaître que le demandeur pourrait devoir communiquer cette conclusion, cela ne rendrait pas pour autant la décision de l’arbitre déraisonnable. Il est dans l’intérêt public que les allégations d’inconduite contre un membre de la GRC fassent l’objet d’une enquête et soient consignées, que ces allégations donnent lieu ou non à des mesures disciplinaires. Le défaut de ce faire pourrait diminuer la confiance du public envers le professionnalisme de la GRC. De telles conclusions pourraient également fournir à la direction un contexte pour apprécier tout futur incident d’inconduite.

[91] Eu égard à ce qui précède, je conclus que l’arbitre a fait une interprétation raisonnable des dispositions de la Loi sur la GRC relatives à la prescription. Il n’existe aucun motif impérieux de ne pas appliquer le libellé clair du paragraphe 42(2), qui prévoit que des mesures disciplinaires ne peuvent être prises après l’expiration du délai d’un an (en présumant qu’aucune prorogation n’a été accordée). Cependant, cela n’empêche pas un agent compétent de tenir une rencontre disciplinaire ou de formuler des conclusions.

[92] Cela est suffisant pour statuer sur la contestation de la décision de l’arbitre par le demandeur. Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[93] Cependant, à la lumière des arguments invoqués par les parties relativement à la prétention du défendeur concernant la conclusion de l’arbitre au sujet du moment où le délai d’un an a débuté, et au cas où il serait conclu que l’une ou l’autre de mes conclusions ci‐dessus est erronée, j’examinerai également la dernière question en litige. Il est pertinent de noter que cette question a déjà été soulevée dans d’autres affaires (voir, par exemple, Calandrini c Canada (Procureur général), 2018 CF 52, et Quibell v Canada (Attorney General), 2021 FC 1208), et elle mérite que je l’examine plus en détail, puisque les parties l’ont étudiée à fond.

C. La conclusion de l’arbitre selon laquelle le délai de prescription d’un an avait expiré était‐elle raisonnable, et le défendeur a‐t‐il qualité pour contester cette conclusion?

[94] Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, la présente affaire est inhabituelle, car le défendeur demande le maintien de la décision, mais fait valoir que l’arbitre a formulé une conclusion déraisonnable en déclarant que le délai de prescription d’un an était expiré lorsque le c. div. avait rendu sa décision concernant la plainte. Le défendeur se dit préoccupé par les répercussions que l’approche de l’arbitre aurait sur de futures affaires portant sur des allégations de harcèlement.

[95] Il paraît important de rappeler les dates clés en l’espèce pour poser les jalons de l’examen qui suit. La plainte de harcèlement a été déposée le 23 novembre 2018 et faisait mention d’une série d’incidents qui se seraient produits entre le 1er octobre 2017 et le 9 octobre 2018. Bien que la plupart de ces incidents n’aient pas été considérés comme équivalant à du harcèlement, l’incident au poste de contrôle, qui s’est produit le 14 février 2018, a été qualifié d’incident isolé de harcèlement. La décision du c. div. concernant la plainte a été rendue le 21 mai 2019.

1) Les observations des parties

[96] Les deux parties font valoir que l’interprétation de l’arbitre était déraisonnable, quoique pour des motifs différents. Dans les circonstances, il paraît utile d’inverser l’ordre habituel de présentation des observations des parties; aussi, commencerai‐je par un examen de la thèse du défendeur.

[97] Le défendeur fait principalement valoir que l’arbitre a fait une interprétation déraisonnable de la prescription, parce que le délai d’un an n’a débuté qu’au moment où la plainte de harcèlement a été déposée. Le défendeur fait remarquer que la présente affaire porte sur une plainte selon laquelle le demandeur avait eu un comportement répétitif qui équivalait à du harcèlement. Selon la politique sur le harcèlement de la GRC (Manuel d’administration de la GRC, c XII.8), seul le c. div. d’une division a qualité d’autorité disciplinaire pouvant déposer une plainte de harcèlement ou faire enquête sur celle‐ci. Bien que l’officier hiérarchique du demandeur puisse agir à titre d’autorité disciplinaire pour d’autres questions relevant du code de déontologie, il n’était pas autorisé à faire enquête sur les allégations de harcèlement.

[98] Le défendeur prétend que, bien que l’approche de l’arbitre puisse paraître logique pour examiner des contraventions sur lesquelles l’autorité disciplinaire peut enquêter, elle ne peut s’appliquer aux allégations de harcèlement. Si le fait de crier après un subalterne constituait une contravention isolée au code de déontologie, l’autorité disciplinaire aurait pu faire enquête au moment où l’incident s’était produit, et le délai de prescription aurait débuté à cette date. L’autorité disciplinaire ne peut toutefois pas ouvrir une enquête en matière de harcèlement s’il n’y a pas eu de plainte. En l’absence d’une enquête ou, tout au moins, d’une conversation avec le plaignant, l’autorité disciplinaire n’a aucun moyen de savoir comment un incident donné (par exemple, se faire crier après) pourrait être perçu par un subalterne, ou si un tel incident donnerait lieu à une plainte de harcèlement.

[99] De même, l’interprétation de l’arbitre va à l’encontre de la politique sur le harcèlement, qui prévoit qu’un plaignant a un an à partir de la date du dernier incident allégué de harcèlement pour déposer une plainte. En l’espèce, le dernier incident allégué de harcèlement s’est produit le 9 octobre 2018 et, selon la politique sur le harcèlement, le plaignant avait jusqu’au 9 octobre 2019 pour déposer une plainte. L’interprétation de l’arbitre retire tout pouvoir et toute capacité d’agir au plaignant et les transfère à un officier hiérarchique qui n’était pas autorisé à mener des enquêtes dans des affaires de harcèlement, qui n’a pas considéré l’incident comme un cas possible de harcèlement et qui n’a pas parlé au plaignant.

[100] De plus, le défendeur souligne la définition de harcèlement adoptée par l’arbitre : [traduction] « [l]e harcèlement correspond normalement à une série d’incidents, mais peut être constitué d’un seul incident grave ayant des conséquences à long terme sur une personne » (décision, au para 64). Selon cette définition, il aurait fallu que l’autorité disciplinaire sache quelles avaient été les conséquences du comportement sur le plaignant pour savoir que du harcèlement avait pu se produire. En l’espèce, l’officier hiérarchique n’a pas traité l’incident comme du harcèlement et n’a pas parlé au plaignant au sujet de l’incident ni mené quelque autre enquête; par conséquent, le degré de connaissance requis pour actionner le mécanisme de prescription n’existait pas avant que le plaignant dépose sa plainte de harcèlement.

[101] Le défendeur fait remarquer que la Cour d’appel fédérale a conclu (en lien avec une version précédente du régime disciplinaire) que l’autorité compétente doit posséder « suffisamment d’informations crédibles et convaincantes quant aux éléments constitutifs de la contravention alléguée » pour actionner le mécanisme de la prescription (Thériault, au para 47). Le défendeur fait valoir que l’arbitre aurait dû suivre ce raisonnement.

[102] En l’espèce, la contravention alléguée était le harcèlement, et l’un des éléments de la définition de ce terme est l’existence de conséquences à long terme sur le plaignant. Comme il a été mentionné précédemment, sans mener une enquête et sans communiquer avec le plaignant, l’officier hiérarchique ne savait pas — et ne pouvait pas savoir — si de telles conséquences existaient avant que le plaignant dépose sa plainte; par conséquent, jusqu’à ce moment‐là, il manquait donc un des « éléments constitutifs [essentiels] de la contravention alléguée ».

[103] De plus, le défendeur prétend que, selon la politique sur le harcèlement de la GRC, la plainte doit être déposée dans l’année suivant le dernier incident allégué de harcèlement. L’approche de l’arbitre, qui a consisté à calculer le délai à partir de la date de l’incident au poste de contrôle, du fait que seul cet incident — et non le comportement répétitif allégué dans la plainte — a été considéré comme constituant du harcèlement, introduit dans le processus une incertitude inutile et est inéquitable envers les plaignants. Elle fait en sorte qu’il est impossible pour les plaignants de savoir à quel moment le délai de prescription a débuté. Selon l’approche de l’arbitre, le début du délai de prescription dépendrait de la date à laquelle, le cas échéant, s’est produit un incident particulier qui serait considéré comme constituant du harcèlement dans un comportement répétitif répréhensible, un tel élément ne pouvant être connu qu’à la fin du processus.

[104] Pour tous ces motifs, le défendeur fait valoir que l’interprétation de l’arbitre est déraisonnable.

[105] Quant à savoir si le défendeur a qualité pour soulever cette question, ce dernier fait valoir qu’il n’avait aucun motif d’introduire sa propre demande de contrôle judiciaire, car il ne cherche pas à faire modifier la décision du décideur. Le défendeur soutient toutefois qu’il avait le droit, une fois que la décision a été contestée, d’en attaquer les motifs afin que la demande soit rejetée pour des motifs autres que ceux retenus par le décideur (Canada (Procureur général) c Dussault, 2003 CAF 5 [Dussault]). La Cour dispose d’un pouvoir discrétionnaire suffisant pour ordonner une mesure de réparation et rejeter la demande, plutôt que de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision. La présente affaire s’apparente à Soullière c Société canadienne du sang, 2016 CF 1346 [Soullière] au para 18, où la défenderesse, en sa qualité de partie ayant obtenu gain de cause, ne pouvait demander un contrôle judiciaire, mais « avait tous les droits de contester les motifs sous‐jacents auxquels elle s’opposait », une fois la décision contestée par la demanderesse.

[106] Le défendeur soutient que le fait d’exprimer une préoccupation au sujet des motifs invoqués par le décideur est conforme au mandat du procureur général du Canada dans l’exercice de sa charge publique : « puisque le procureur général est aussi le protecteur de l’intérêt public et qu’il a le devoir de défendre la suprématie du droit, il peut y avoir des limites à l’énergie dont il devrait faire preuve lorsqu’il défend le bien‐fondé de la décision de l’organisme » (Douglas c Canada (Procureur général), 2013 CF 451 [Douglas] au para 67).

[107] Le demandeur conteste les observations du défendeur sur tous les aspects de cette question. Il fait valoir que le défendeur n’a pas qualité pour contester la décision, et que la conclusion de l’arbitre, selon laquelle le délai de prescription avait débuté au moment où il avait signalé l’incident au poste de contrôle à son officier hiérarchique, était raisonnable.

[108] Sur la question de la qualité pour agir, le demandeur soutient qu’en répondant à la présente demande, le procureur général agit en qualité de représentant légal de la GRC à titre d’organisme gouvernemental et qu’il devrait donc être assujetti aux mêmes règles régissant la qualité pour agir que toute autre partie. Le demandeur fait valoir que, pour remédier à ce qu’il perçoit être des actes illégaux de la part d’un organisme public ou l’exercice insatisfaisant de ses fonctions (comme dans l’affaire Douglas), le procureur général peut invoquer le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce.

[109] Même si le défendeur avait qualité pour contester la décision de l’arbitre, il ne devrait pas être autorisé à le faire. L’observation du défendeur selon laquelle l’arbitre a conclu, de manière déraisonnable, que le délai de prescription d’un an avait expiré devrait logiquement mener à l’annulation de la décision de l’arbitre. Le demandeur fait toutefois valoir que le défendeur ne sollicite pas explicitement cette réparation et qu’il n’a pas présenté sa propre demande de contrôle judiciaire. Une partie ne peut pas solliciter le contrôle judiciaire d’une portion d’une décision sans déposer son propre avis de demande, comme c’est le cas du défendeur en l’espèce (Systèmes Equinox Inc. c Canada (Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2012 CAF 51 [Systèmes Equinox] au para 12). Cette situation diffère de celle où le défendeur cherche à bonifier les motifs du jugement ou à faire annuler une demande pour des motifs autres que ceux retenus par le juge ou le tribunal de première instance (Dussault, au para 5). Le demandeur fait valoir que les observations du défendeur commandent un résultat différent de la part de l’arbitre, ce qui n’est pas autorisé en l’absence d’un avis de demande.

[110] Le demandeur conteste également le bien‐fondé des observations du défendeur. Il soutient que, selon la Loi sur la GRC, le délai de prescription commence au moment où la contravention et l’identité du membre en cause « ont été portées à la connaissance de l’autorité disciplinaire qui tient ou fait tenir l’enquête » (Loi sur la GRC, art 41(1), 42(2)). Le terme « autorité disciplinaire » s’entend de toute personne désignée à ce titre par le commissaire (Loi sur la GRC, art 2(1), (3)).

[111] Le paragraphe 2(1) des CC (déontologie) dispose que tous « les membres commandant un détachement et les personnes qui relèvent directement d’un officier » sont désignés à titre d’autorités disciplinaires. Le commissaire a également rédigé une politique sur le harcèlement selon laquelle les décideurs en matière de harcèlement comprennent les commandants divisionnaires et toute autre personne désignée par le commissaire. En d’autres termes, pour tout manquement allégué au code de déontologie, plus d’une personne peut agir en qualité d’autorité disciplinaire d’un membre. En l’espèce, l’arbitre a examiné la structure hiérarchique du lieu de travail du demandeur et a conclu que l’officier hiérarchique [traduction] « agissait en qualité d’autorité disciplinaire du demandeur ».

[112] Le demandeur fait valoir que le défendeur a tort d’affirmer que l’incertitude quant à savoir si la victime de harcèlement avait subi un préjudice grave signifie que le délai de prescription d’un an ne peut commencer qu’à partir de la date où le plaignant dépose une plainte. Il prétend que les tribunaux des droits de la personne, tout comme la Cour, examinent régulièrement des plaintes de harcèlement dans le contexte d’une prescription prévue dans la législation en matière de droits de la personne. La prescription s’applique de sorte que les incidents allégués de harcèlement s’étant produits avant la période visée par le délai sont exclus de l’examen, sauf si ces incidents témoignent d’une « contravention continue » aux lois sur les droits de la personne (Heiduk c Whitworth, 2013 CF 119 aux paras 24, 28; Syed c Canada (Procureur général), 2020 CF 608 aux paras 43, 44; Manitoba v Manitoba Human Rights Commission (1983), 2 DLR (4th) 759, 2 WWR 289 (CA Man); School District v Parent obo the Child, 2018 BCCA 136 aux paras 46‐64).

[113] Même si le défendeur a raison de dire que le délai de prescription ne commence qu’au moment où l’incident allégué a un effet manifeste sur le plaignant, le demandeur note que le plaignant en l’espèce a pris un congé de maladie pour cause de stress le 23 mars 2018, et donc que l’effet manifeste de l’incident était connu à ce moment‐là. Le demandeur fait valoir que, même en utilisant cette approche, le délai de prescription d’un an avait expiré.

2) Examen

[114] Cette question se pose du fait que l’arbitre a conclu que le délai d’un an avait débuté au moment où le demandeur avait discuté de l’incident au poste de contrôle avec son officier hiérarchique. À la lumière de la preuve, l’arbitre a conclu que cette conversation avait eu lieu soit à la date de l’incident, le 14 février 2018, soit lorsque le plaignant était parti en congé de maladie, le 23 mars 2018. Quelle que soit la date retenue, cela s’est produit avant avril 2018; le délai de prescription avait donc expiré au moment où le c. div. a rendu sa décision concernant la plainte, le 21 mai 2019.

[115] Il convient de répéter que le défendeur prétend que le délai n’était pas expiré, car il n’a débuté qu’au moment du dépôt de la plainte de harcèlement. La préoccupation exprimée par le défendeur au sujet de la conclusion de l’arbitre ne concerne pas l’issue de la présente affaire en particulier, mais tient plutôt au fait que cette décision crée un précédent pour de futures affaires.

[116] En résumé, je conclus que le défendeur a qualité pour soulever cette question et que la manière dont l’arbitre a traité cette question est déraisonnable. J’expliquerai brièvement mon raisonnement pour chacune des questions.

[117] Quant à savoir si le défendeur a qualité pour soulever cette question, alors qu’il n’a pas déposé lui‐même de demande de contrôle judiciaire, je conclus que la présente affaire a davantage de points en commun avec la jurisprudence invoquée par le défendeur (Dussault et Soullière) qu’avec l’arrêt rendu dans l’affaire Systèmes Equinox, qui est invoqué par le demandeur. En l’espèce, le procureur général du Canada agit à titre de représentant légal de la GRC, mais, ce faisant, il doit continuer de s’acquitter de ses obligations en matière de droit public, à titre de premier conseiller juridique de la Couronne, ainsi qu’il est indiqué dans Douglas.

[118] Comme il a été mentionné précédemment, la détermination du début du délai de prescription sous le régime disciplinaire de la GRC est une question d’importance pour le public, qui a été soulevée en l’espèce et dans d’autres affaires, et qui le sera sans doute dans de futures affaires. Le défendeur soulève cette question par principe, plutôt que pour infirmer la décision de l’arbitre. Je suis d’avis que le défendeur devrait être autorisé à soulever ce point, dès lors que le demandeur a saisi la Cour de l’affaire. Il n’est pas nécessaire de décider si le défendeur aurait pu lui‐même demander un contrôle judiciaire de la décision; le fait est qu’il ne l’a pas fait. Maintenant que la Cour a été saisie de l’affaire, je conclus que le défendeur a « tous les droits de contester les motifs sous‐jacents auxquels [il] s’oppos[e] » (Soullière, au para 18).

[119] À la lumière de ce qui précède, le défendeur a qualité pour faire valoir qu’une portion de la décision de l’arbitre est déraisonnable. Je reviendrai ultérieurement sur la question de savoir si une réparation devrait être accordée, mais je note déjà que les répercussions juridiques ou pratiques d’un argument ne devraient pas, en soi, automatiquement priver de quelque manière le défendeur de la qualité pour soulever une question.

[120] Quant au fond de la question, il s’agissait pour l’arbitre de déterminer à quel moment avait débuté le délai de prescription. En examinant cette question, l’arbitre a noté que, puisque cette question n’avait pas été soulevée devant le c. div., elle ne relevait pas clairement de la norme en appel du caractère « manifestement déraisonnable ».

[121] L’arbitre devait déterminer à quel moment « la contravention et l’identité du membre en cause ont été portées à la connaissance de l’autorité disciplinaire qui tient ou fait tenir l’enquête » (Loi sur la GRC, art 42(2)). L’arbitre a conclu que l’officier hiérarchique du demandeur était l’autorité disciplinaire et que cet officier avait une connaissance suffisante des détails de l’incident au poste de contrôle au moment où le demandeur le lui avait signalé.

[122] J’ai déjà jugé qu’il était déraisonnable de conclure que l’officier hiérarchique était l’autorité disciplinaire en l’espèce, car cet officier n’était pas habilité à traiter les plaintes de harcèlement, selon la politique sur le harcèlement de la GRC. Cela suffit pour trancher cette question.

[123] J’ajouterais toutefois, à la lumière des observations des parties, que je trouve déraisonnable la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’officier hiérarchique disposait de suffisamment d’informations pour que s’amorce le délai de prescription. Cette conclusion n’est pas appuyée par les faits, et elle n’est pas compatible avec le droit et la politique qui régissent cette question. Bien que la conclusion d’un arbitre commande la retenue, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir Kalkat), je suis incapable de conclure que cette décision répond à la norme du caractère raisonnable.

[124] Je conviens avec le défendeur qu’il est déraisonnable d’analyser les dates de divers incidents qui font prétendument partie d’un mode de harcèlement, pour déterminer à quel moment débuterait le délai propre à chaque incident. Une telle approche est contraire à la logique et va également à l’encontre de l’objet de la politique sur le harcèlement de la GRC. Le fait que la politique déclare explicitement qu’une plainte peut être déposée dans l’année suivant le dernier incident indique clairement que le délai ne devrait débuter qu’à cette date.

[125] Je conclus que l’approche de l’arbitre laisserait planer une incertitude inutile et inacceptable pour les plaignants et pour les membres qui font l’objet d’une plainte, de même que pour la direction de la GRC et le public.

[126] Je ferai une dernière remarque. Je ne souscris pas à l’argument du défendeur selon lequel le délai de prescription dans chaque affaire ne peut pas commencer avant le dépôt d’une plainte de harcèlement. Ce que le paragraphe 42(2) de la Loi sur la GRC exige, c’est que l’autorité compétente de la GRC ait une connaissance suffisante de l’identité du contrevenant prétendu ainsi que des éléments constitutifs essentiels de l’inconduite alléguée. Dans certains cas, cela peut se produire avant qu’une plainte soit déposée. En l’espèce, par exemple, si le plaignant avait dit au demandeur, lors de l’incident au poste de contrôle, qu’il s’était senti harcelé et qu’il avait l’intention de déposer une plainte à ce sujet, et si le demandeur en avait fait part à son officier hiérarchique, alors le délai aurait débuté dès que l’officier hiérarchique aurait signalé cet incident à une autorité disciplinaire autorisée à traiter les plaintes de harcèlement. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est produit.

[127] Chaque affaire doit être examinée en regard des faits qui lui sont propres, et je rejette la tentative du défendeur d’établir une règle absolue. Cependant, au vu des faits de l’espèce, je conclus que la décision de l’arbitre, selon laquelle le délai avait commencé à courir, était déraisonnable.

[128] Cela nous amène donc à nous demander si cette conclusion devrait mener à une ordonnance annulant la décision de l’arbitre, malgré mes conclusions sur les autres questions.

[129] Je ne crois pas que c’est ce que la justice exige dans les circonstances inhabituelles de l’affaire dont la Cour a été saisie.

[130] Premièrement, le défendeur ne demande pas cette réparation. Il reconnaît plutôt que, si son argumentation entraînait l’annulation de la décision de l’arbitre, cela pourrait avoir la conséquence fâcheuse de laisser le demandeur dans une situation pire que celle dans laquelle il serait s’il n’avait jamais demandé de contrôle judiciaire. Une telle situation se produirait, parce que l’arbitre a maintenu les conclusions du c. div. mais a annulé les mesures disciplinaires qui avaient été imposées au demandeur après avoir conclu qu’il y avait prescription. Si la décision de l’arbitre sur ce point est infirmée, le demandeur pourrait de nouveau faire l’objet de ces mesures disciplinaires. Le défendeur accepte l’évidence — cela n’est ni juste ni nécessaire.

[131] Je conclus également qu’il ne s’agit pas d’un résultat qui doit inexorablement découler de ma conclusion selon laquelle la décision de l’arbitre sur ce point est déraisonnable. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a examiné le pouvoir discrétionnaire dont disposait une cour en matière de réparation dans le cadre d’un contrôle judiciaire et a mentionné, au paragraphe 139, que « [l]a question de la réparation qu’il convient d’accorder [...] revêt de multiples facettes » et « fait intervenir des considérations comme [...] la grande diversité d’éléments pouvant influer sur la décision d’une cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire à l’égard des réparations possibles ».

[132] Le reste de l’examen de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov porte sur la question de savoir si une cour de révision doit toujours renvoyer la décision pour réexamen. La Cour rappelle de nouveau les principes qui devraient guider le choix de la mesure de réparation, notamment « les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, [...], les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques [qui] peuvent aussi influer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire — tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire [...] » (au para 142).

[133] En appliquant ces principes à l’affaire en cause, je ne vois aucune raison d’annuler la décision de l’arbitre sur ce point. Cela a simplement pour effet de maintenir inchangé le volet de la décision portant sur la réparation. Le défendeur n’a proposé aucune justification fondée sur l’intérêt public pour demander le renvoi de l’affaire à l’arbitre ou pour assujettir le demandeur aux pénalités qui lui avaient été initialement imposées. Je ne vois aucune raison de principe de le faire et je conclus plutôt que renvoyer l’affaire irait à l’encontre des intérêts de la justice et de l’objectif visant à assurer une prise de décisions rapide et économique.

[134] Pour tous ces motifs, je conclus que la décision de l’arbitre concernant le début du délai en l’espèce est déraisonnable, mais je n’infirmerai pas la décision pour ce seul motif.

V. Conclusion

[135] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire. Les conclusions de l’arbitre, portant que l’incident au poste de contrôle équivalait à du harcèlement et que le c. div. pouvait formuler des conclusions d’inconduite, mais ne pouvait pas imposer de mesures disciplinaires au‐delà du délai d’un an, sont toutes les deux raisonnables. Comme il s’agit des moyens invoqués par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire, ces conclusions sont déterminantes quant à l’issue de l’affaire.

[136] En ce qui a trait aux observations du défendeur, toutefois, je conclus également que le défendeur a qualité pour contester la conclusion de l’arbitre selon laquelle le délai d’un an avait expiré. Sur le fond de cette question, je conclus que la conclusion de l’arbitre était déraisonnable. Cependant, compte tenu des circonstances inhabituelles de la présente affaire, je juge qu’il n’est ni nécessaire ni dans l’intérêt de la justice d’annuler la décision de l’arbitre sur ce seul point.

[137] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera rejetée.

[138] Les parties ont convenu que les dépens devraient suivre l’issue de la cause et qu’ils devraient être d’une somme forfaitaire de 4 000 $. Je conclus que cela est raisonnable et je rendrai une ordonnance en ce sens.


JUGEMENT dans le dossier T‐767‐20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le demandeur versera au défendeur les dépens, sous la forme d’une somme forfaitaire de 4 000 $.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

[Christian Laroche] LL.B., juriste‐traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐767‐20

INTITULÉ :

RYAN LEWIS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 février 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge PENTNEY

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 9 décembre 2021

COMPARUTIONS :

CHRISTOPHER ROOTHAM ET AMANDA LE

Pour le demandeur

Kevin Palframan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne S.E.N.C.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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