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Date : 20210915


Dossier : T‑2064‑18

Référence : 2021 CF 951

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2021

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Gábor Lukács [M. Lukács], introduit la présente requête en vertu de l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], pour demander l’autorisation de déposer et de signifier deux affidavits supplémentaires, à savoir son propre affidavit, souscrit le 10 janvier 2021 [l’affidavit supplémentaire de M. Lukács], auquel sont joints 19 documents, ainsi que l’affidavit de Judit Mihala, souscrit le 22 septembre 2020 [l’affidavit de Mme Mihala], auquel sont joints deux documents. M. Lukács demande l’autorisation d’utiliser les affidavits supplémentaires dans son dossier, tant dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente [la demande] que dans le cadre des requêtes préliminaires en instance.

[2] Le défendeur s’oppose à la requête, faisant valoir que les affidavits supplémentaires ne sont pas pertinents ou admissibles pour l’examen aussi bien de la demande que des requêtes préliminaires. À la suite de l’audition de la présente requête, toutefois, le défendeur a recensé certains documents qui, selon lui, peuvent maintenant être présentés par M. Lukács comme éléments de son dossier à la fois pour la demande et pour les requêtes préliminaires. M. Lukács a également indiqué des documents dont il ne souhaite plus faire usage dans le cadre de son dossier, que ce soit pour la demande ou pour l’examen des requêtes préliminaires en instance.

[3] Pour les raisons qui suivent, M. Lukács peut signifier et déposer son affidavit supplémentaire auquel seront uniquement jointes les pièces R et S, aux fins de son dossier de la demande. La Cour refuse d’accorder l’autorisation de signifier et de déposer toute autre pièce pour le dossier de M. Lukács lié à la demande. La Cour refuse d’autoriser M. Lukács à signifier et à déposer son affidavit supplémentaire, et toute pièce liée à son dossier dans le cadre des requêtes préliminaires en instance.

I. Le contexte

[4] Les renseignements suivants fournissent le contexte pertinent. Ces mêmes renseignements ont été présentés dans des ordonnances antérieures, par exemple Lukács c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2020 CF 1142.

[5] M. Lukács sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a refusé de lui accorder l’accès à tous les documents qu’il avait demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la Loi]. M. Lukács cherche à obtenir les dossiers de trois personnes [les voyageurs] qui se sont vu refuser l’embarquement sur des vols à destination du Canada depuis Budapest, en Hongrie, en 2015. M. Lukács a obtenu de ces voyageurs l’autorisation signée pour demander les dossiers en question. L’ASFC a fourni certains documents à M. Lukács en septembre 2015 et s’est appuyée sur les exemptions prévues par la Loi, notamment le paragraphe 16(1), pour refuser de fournir d’autres documents ou des documents non caviardés. L’ASFC a par la suite fourni quelques documents supplémentaires comportant moins de caviardage.

[6] M. Lukács a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information du Canada [le Commissaire à l’information] concernant les documents non divulgués. Le Commissaire a examiné la plainte et, en octobre 2018, a informé M. Lukács que sa plainte n’était pas fondée.

[7] M. Lukács a ensuite déposé la demande en application de l’article 41 de la Loi.

[8] Selon l’article 44.1 de la Loi, une demande présentée en vertu de l’article 41 doit être entendue et jugée comme une nouvelle affaire (communément désignée révision de novo). L’examen de la Cour porte sur la décision de communiquer ou de refuser de communiquer les documents. Comme indiqué précédemment dans d’autres ordonnances, la décision du Commissaire à l’information constitue une étape essentielle du processus, laquelle déclenche le droit de demander un contrôle judiciaire. Toutefois, la décision du Commissaire à l’information ne fait pas l’objet du contrôle. M. Lukács a indiqué qu’il craignait que la Cour ne prenne en compte, relativement à la présente requête et à la demande, la conclusion du Commissaire à l’information, à savoir que la plainte était mal fondée. Or, ce n’est pas le cas. Lors du contrôle judiciaire, la Cour doit décider si le décideur initial (l’ASFC) a correctement appliqué les exemptions prévues par la Loi, et s’il a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de divulguer ou de refuser de divulguer des documents.

[9] La loi exige que la Cour « [prenne] toutes les précautions possibles » pour éviter la divulgation des documents dont la communication a été refusée, en attendant que la Cour statue sur la demande. Cela peut inclure la tenue d’audiences à huis clos et l’audition d’arguments en l’absence d’une partie (article 47). La Cour peut également rendre une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151 des Règles, lorsqu’une requête en ce sens est présentée et que les critères requis sont satisfaits, et ce, afin de s’assurer que les renseignements non communiqués demeurent protégés en attendant que la Cour statue sur la demande. Comme il est mentionné ci‑après, la requête en ordonnance de confidentialité du défendeur n’est pas encore tranchée.

[10] La Cour est également tenue de juger la demande en procédure sommaire (article 45), mais cela ne s’est pas fait en raison de la profusion des requêtes et des demandes par les parties de trancher les requêtes dans un ordre particulier.

[11] En février 2019, le défendeur a présenté une requête en ordonnance de confidentialité, car les parties n’ont pas pu s’entendre sur ses conditions. M. Lukács s’oppose à cette requête, et il a procédé au contre‑interrogatoire de deux souscripteurs d’affidavits, M. O’Brien et M. Nause, qui avaient fait des déclarations sous serment à l’appui de la requête du défendeur.

[12] En juin 2019, M. Lukács a présenté une requête visant à obliger M. Nause à donner les réponses qu’il avait refusé de donner lors du contre‑interrogatoire, et à contraindre celui‑ci à produire une copie non expurgée d’un bulletin opérationnel auquel il avait renvoyé dans son contre‑interrogatoire, mais qui ne faisait pas partie des documents demandés à l’ASFC ou dont l’ASFC avait refusé la communication.

[13] En juin 2019, le défendeur a également présenté une requête en radiation de certaines parties de l’avis de demande de M. Lukács, soit les affidavits de Mmes Cynthia Levine‑Rasky et Erzsébet Poroszkai dans leur intégralité, ainsi qu’une portion de l’affidavit de M. Lukács. (Comme il est indiqué ci‑après, ces affidavits sont également inclus dans le dossier de requête de M. Lukács pour la présente requête.)

[14] Les parties ont demandé, et j’ai ordonné, que la requête de M. Lukács visant à exiger des réponses (dans la mesure où les réponses demandées n’ont pas été fournies par la suite), et la requête du défendeur visant à radier certaines parties de l’avis de demande et l’intégralité ou des parties des trois affidavits, soient entendues et tranchées lors d’une audience tenue à la même date et avant l’examen de la requête du défendeur visant à obtenir une ordonnance de confidentialité. Ces requêtes n’ont pas encore été tranchées.

[15] À la suite de la production par le défendeur du bulletin opérationnel caviardé de l’ASFC en février 2020, ce dernier a présenté une requête pour une deuxième ordonnance de confidentialité visant à protéger le bulletin opérationnel dans sa forme non caviardée et à déposer des documents confidentiels pour examen par la Cour, dans le cadre de la requête de M. Lukács visant à obliger M. Nause à donner des réponses.

[16] En juillet 2020, le défendeur a abandonné sa requête en vue d’obtenir une deuxième ordonnance de confidentialité par suite de la décision Kiss c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 584 [Kiss]. Le défendeur a par la suite fourni à M. Lukács une copie non caviardée du bulletin opérationnel.

[17] Dans l’affaire Kiss, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’annuler l’autorisation de voyage électronique [AVE] des demandeurs, le ministre a sollicité, en vertu de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, CS 2001, c 27 [la LIPR], une ordonnance de non‑divulgation de certains passages des notes de l’agent d’immigration. La Cour a accueilli la requête en partie, estimant qu’à une exception près, il était indéfendable pour le ministre de s’opposer à la divulgation des « indicateurs » sur lesquels s’est appuyé l’agent pour annuler l’AVE des demandeurs, faisant observer que ces renseignements étaient déjà du domaine public.

[18] À la lumière de la décision Kiss, l’ASFC a par la suite examiné les documents qui avaient été fournis à M. Lukács et a préparé une nouvelle série de documents à lui communiquer.

[19] Il ne reste plus désormais que six petits extraits caviardés dans les documents divulgués à M. Lukács. Autrement dit, seules six portions caviardées du texte feront l’objet de la révision de novo de la Cour visant à déterminer, premièrement, s’il est possible d’invoquer les exemptions prévues par la Loi et, deuxièmement, si l’ASFC a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser la communication des documents.

[20] Le 28 août 2020, M. Lukács a contre‑interrogé M. Nause et M. O’Brien au sujet de leurs affidavits, souscrits dans le cadre de deux autres demandes de contrôle judiciaire présentées par M. Lukács (T‑320‑20 et T‑321‑20). Ces autres demandes ont été suspendues en attendant l’issue de la présente demande sous‑jacente (T‑2064‑18).

[21] Le 10 décembre 2020, j’ai accueilli, en partie, la requête du défendeur en dépôt d’un affidavit supplémentaire. J’ai ordonné que le défendeur puisse déposer et signifier l’affidavit supplémentaire de M. O’Brien, qui figurera dans le dossier du défendeur aux fins des requêtes préliminaires à trancher, ainsi que l’affidavit supplémentaire caviardé de M. O’Brien, qui sera utilisé dans le dossier du défendeur aux fins de l’examen de la demande. J’ai également ordonné que le défendeur puisse déposer et signifier un affidavit supplémentaire de M. Nause, qui servira à la fois pour les requêtes préliminaires et pour la demande, en réponse à la persistance de M. Nause à croire à un préjudice causé à l’application de la loi, dans le cas où certains renseignements seraient divulgués.

[22] À l’heure actuelle, les requêtes préliminaires suivantes sont en attente d’instruction :

  1. La requête du défendeur pour la première ordonnance de confidentialité;
  2. La requête du demandeur visant à exiger des réponses de la part de M. Nause;
  3. La requête du défendeur visant à radier une partie de l’avis de demande, l’intégralité des affidavits de Mmes Cynthia Levine‑Rasky et Erzsébet Poroszkai, et une partie de l’affidavit de M. Lukács;
  4. La requête du demandeur en vue de déposer deux affidavits supplémentaires (la présente requête).

[23] J’ai convoqué plusieurs conférences de gestion de l’instance au cours des deux dernières années, dans le but de faire avancer les requêtes préliminaires et la demande, mais sans grand succès.

II. La requête du demandeur

[24] Tel que mentionné précédemment, M. Lukács a déposé en janvier 2021 la présente requête en autorisation de déposer son affidavit supplémentaire, auquel sont joints19 documents (environ 400 pages), ainsi que l’affidavit de Mme Mihala, qui confirme la traduction anglaise de [traduction] l’« Avis du commissaire adjoint aux droits fondamentaux pour la protection des droits des minorités nationales en Hongrie » daté du 15 juillet 2016, lequel est une pièce à l’appui de l’affidavit de M. Lukács. Il n’est donc plus nécessaire, comme il est indiqué ci‑après, d’aborder la question relative à l’affidavit de Mme Mihala.

[25] M. Lukács demande l’autorisation d’inscrire son affidavit supplémentaire dans son dossier pour l’audition et l’examen de toutes les requêtes préliminaires dans le cadre de la présente instance, et dans son dossier pour l’audition et l’examen de la demande.

[26] À l’appui de sa requête en dépôt de deux affidavits supplémentaires, dont son affidavit supplémentaire, M. Lukács dépose son propre affidavit, également souscrit le 10 janvier 2021, auquel sont jointes 11 pièces à l’appui, constituées des courriels et des lettres échangés entre M. Lukács et le défendeur entre décembre 2019 et novembre 2020.

[27] En outre, le dossier de M. Lukács pour la présente requête comprend son affidavit précédent et les affidavits de Mmes Erzsébet Poroszkai et Cynthia Levine‑Rasky, tous souscrits le 14 janvier 2019. Ces affidavits font l’objet de la requête en radiation du défendeur, laquelle n’est pas encore tranchée. M. Lukács inclut également les transcriptions du contre‑interrogatoire de MM. Arthur Nause et Neil O’Brien (14 mars 2019).

[28] Tel qu’il a été mentionné, le défendeur a accepté que certaines pièces jointes à l’affidavit supplémentaire de M. Lukács soient incluses dans les dossiers de M. Lukács. De plus, M. Lukács a indiqué certaines pièces qu’il ne cherche plus à faire produire. Voici la liste complète des pièces qu’on cherchait à faire admettre à l’origine, avec une note indiquant leur état actuel :

  • Pièce A – Bulletin opérationnel OPS‑2012‑05 de l’ASFC [le défendeur ne s’oppose plus à l’inclusion de cette pièce];
  • Pièce B – Lettre de M. O’Brien, directeur adjoint de la division de l’AIPRP de l’ASFC, en date du 24 août 2020 [M. Lukács ne cherche plus à inclure cette pièce dans ses dossiers];
  • Pièce C – Documents caviardés relatifs aux voyageurs, fournis par l’ASFC, en date du 24 août 2020 [le défendeur ne s’oppose plus à l’inclusion de cette pièce];
  • Pièce D – Courriel de M. O’Brien à M. Lukács, en date du 25 août 2020 [M. Lukács ne cherche plus à inclure cette pièce dans ses dossiers];
  • Pièce E – Courriel de Me Jan Jensen (avocat du défendeur), en date du 13 mars 2019 [M. Lukács ne cherche plus à inclure cette pièce dans ses dossiers];
  • Pièce F – Lettre de M. O’Brien à M. Lukács, accompagnée de documents supplémentaires (dont certains sont caviardés), qui ont été repérés après que la première série de documents a été fournie [M. Lukács ne cherche plus à inclure cette pièce dans ses dossiers];
  • Pièce G – Documents caviardés supplémentaires concernant les voyageurs, fournis le 24 août 2020 [le défendeur ne s’oppose plus à l’inclusion de cette pièce];
  • Pièce H – Documents caviardés relatifs à Mme Éva Kalla (Fátyol), fournis par l’ASFC le 24 août 2020 dans le cadre d’une autre procédure;
  • Pièce I – Documents caviardés relatifs à M. Orsós et à sa famille, fournis par l’ASFC le 24 août 2020 dans le cadre d’une autre procédure;
  • Pièce J – Lettre de l’avocat du procureur général du Canada, datée du 21 juillet 2020, adressée à M. et Mme Kiss, à laquelle est jointe une copie de remplacement des notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC] précédemment fournies à M. et Mme Kiss (les demandeurs dans le dossier IMM‑2967‑19), à la suite de la décision Kiss de la Cour;
  • Pièce K – Lettre de l’avocat du procureur général du Canada, datée du 21 juillet 2020, adressée à M. Szép‑Szögi et à sa famille, à laquelle est jointe une copie de remplacement des notes du SMGC précédemment fournies à M. Szép‑Szögi (demandeur dans le dossier IMM‑5570‑19) à la suite de la décision Kiss de la Cour;
  • Pièce L – Lettre de l’avocat du procureur général du Canada, datée du 30 janvier 2020, adressée à M. Szép‑Szögi et à sa famille, clarifiant les observations du défendeur données en réponse dans le dossier IMM‑5570‑19, et indiquant que le défendeur (le procureur général du Canada) n’avait pas l’intention de défendre la décision faisant l’objet du contrôle dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire [M. Lukács ne cherche plus à inclure cette pièce dans ses dossiers];
  • Pièce M – L’Avis du commissaire adjoint aux droits fondamentaux pour la protection des droits des minorités nationales en Hongrie, en date du 15 juillet 2016 (concernant le contrôle préliminaire des passagers de vols internationaux avant l’embarquement à l’aéroport aux fins de conformité avec la législation sur l’immigration du pays de destination);
  • Pièce N – La traduction anglaise de l’Avis du commissaire adjoint aux droits fondamentaux pour la protection des droits des minorités nationales en Hongrie, en date du 15 juillet 2016;
  • Pièce O – La soumission conjointe du Défenseur public des droits de la République tchèque et du Commissaire adjoint pour les droits des minorités en Hongrie au Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale, en date du 7 juillet 2017 [M. Lukács ne cherche plus à inclure cette pièce dans ses dossiers];
  • Pièce P – La transcription du contre‑interrogatoire de M. Nause par M. Lukács, le 28 août 2020, dans les dossiers T‑320‑20 et T‑321‑20 (demandes de contrôle judiciaire mises en suspens);
  • Pièce Q – La transcription du contre‑interrogatoire de M. O’Brien par M. Lukács, en date du 28 août 2020, dans les dossiers T‑320‑20 et T‑321‑20;
  • Pièce R – « Audit des avis de surveillance – Mode des voyageurs » de l’ASFC, juin 2013, (rapport de l’ASFC sur un audit de l’utilisation des processus et systèmes « d’avis de surveillance » conçus et mis en œuvre par l’ASFC pour gérer et intercepter les voyageurs et les marchandises à haut risque liés, entre autres, aux migrants irréguliers. L’audit a été mené en vue de veiller à la gestion et au traitement appropriés des avis de surveillance, et pour déterminer si les contrôles sont bien conçus et efficaces pour repérer et intercepter les voyageurs et les marchandises à haut risque à leur entrée au Canada. Le rapport note d’emblée que l’ASFC applique les dispositions de la Loi sur les douanes et de la LIPR, et applique également plus de 90 autres lois, règlements et accords internationaux);
  • Pièce S – Politique de l’ASFC en matière d’avis de surveillance, juin 2013 (énoncé de la politique, avec des directives à l’intention des employés de l’ASFC qui délivrent, évaluent ou utilisent des avis de surveillance. Cet énoncé de la politique indique, entre autres, que l’ASFC a pour règle de créer et d’émettre des avis de surveillance qui sont pertinents relativement à sa propre compétence, et de gérer les renseignements relatifs aux avis de surveillance conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels, aux lois pertinentes et aux politiques de l’ASFC sur le partage de l’information);
  • L’affidavit de Judit Mihala, souscrit le 22 septembre 2020, qui atteste de l’exactitude de la traduction de l’Avis du commissaire adjoint aux droits fondamentaux pour la protection des droits des minorités nationales en Hongrie, en date du 15 juillet 2016. [Le défendeur note que l’exactitude de la traduction du document n’est pas contestée; en revanche, il s’oppose à l’admission dudit avis (pièces M et N).]

III. Les observations du demandeur

[29] M. Lukács soutient que son affidavit supplémentaire et toutes les autres pièces sont pertinents, tant pour les requêtes préliminaires que pour la demande sous‑jacente. M. Lukács affirme que la preuve qu’il cherche maintenant à faire admettre est pertinente et admissible, conformément à l’article 312 et au critère établi dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Oshkosh Defence Canada Inc., 2018 CAF 102 au para 43 [Oshkosh].

[30] M. Lukács fait valoir qu’entre 2012 et 2018, plus de 1 200 ressortissants hongrois ont été empêchés de se rendre au Canada en raison d’une recommandation de l’ASFC aux transporteurs aériens. En outre, il fait valoir que la majorité des passagers interceptés étaient des Roms, une minorité visible ayant été victime de discrimination par le passé. M. Lukács souligne l’expérience de voyageurs roms qui se sont vu refuser l’embarquement sur des vols à destination du Canada à l’aéroport de Vienne et à l’aéroport de Budapest. Il est notamment question de 19 voyageurs roms dont on a recommandé le débarquement d’un vol à destination du Canada à l’aéroport de Budapest, le 2 juillet 2015.

[31] M. Lukács fait également référence à un bulletin opérationnel de l’ASFC de 2012, intitulé [traduction] « Le rôle des agents de liaison de l’ASFC en ce qui a trait à la prestation de conseils aux transporteurs concernant les ressortissants étrangers non munis des documents voulus, dispensés du visa ».

[32] M. Lukács fait valoir que l’ASFC a illégalement refusé de lui fournir les documents qu’il lui demande concernant l’interception des trois voyageurs. Il soutient que l’ASFC ne peut s’appuyer sur les exemptions prévues dans la Loi pour refuser de communiquer ou caviarder les documents parce que ceux‑ci ont trait à une action gouvernementale illégale, c’est‑à‑dire la discrimination par l’interception des voyageurs roms qui cherchent à se rendre au Canada.

[33] M. Lukács fait également valoir qu’à la suite de la décision de la Cour dans l’affaire Kiss et de la communication d’autres documents, il a mieux compris la manière dont les voyageurs roms sont repérés en vue de l’interception, y compris les indicateurs sur lesquels on se fonde – par exemple, le fait que le voyageur sera accueilli au Canada par un demandeur d’asile.

[34] M. Lukács reconnaît qu’à la suite de la communication de documents supplémentaires à son intention en août 2020, il ne reste que six portions de texte caviardées, notamment la date de révision de l’avis de surveillance et un caviardage dans les notes du SMGC pour chacun des trois voyageurs.

[35] M. Lukács fait valoir que le dossier dont la Cour est saisie doit être mis à jour à la lumière de la série actuelle de documents qui lui ont été fournis. Il soutient que la preuve qu’il cherche maintenant à déposer est admissible dans le cadre de la demande, et qu’elle est pertinente quant à savoir si les documents dont la communication a été refusée sont visés par l’exemption prévue à l’alinéa 16(1)c) et si l’ASFC a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer les documents.

[36] De façon générale, M. Lukács soutient que toutes les pièces sont pertinentes en ce qui concerne la question de savoir si l’ASFC peut invoquer l’exemption prévue à l’alinéa 16(1)c) pour refuser de communiquer ou caviarder des portions de documents. Premièrement, M. Lukács soutient que les pièces sont pertinentes en ce qui a trait à la question de savoir si l’ASFC a agi dans le cadre de son mandat légal. Deuxièmement, M. Lukács soutient que les pièces se rapportent à la question de savoir si la divulgation des documents causerait un préjudice. M. Lukács soutient que l’ASFC ne peut s’appuyer sur les exemptions, étant donné que le mandat légal d’application de la LIPR par l’ASFC ne permet pas l’interception des voyageurs de manière discriminatoire. Il fait valoir que l’exemption ne peut être invoquée pour une activité illégale.

[37] M. Lukács soutient que dans la décision Russell c Canada (Procureur général), 2019 CF 1137 aux para 31 et 32 [Russell], le juge Fothergill a établi pour principe que les exemptions prévues à l’article 16 peuvent être invoquées uniquement si elles se rapportent à un exercice valide du mandat légal que confère la loi au détenteur de documents.

[38] M. Lukács soutient que la conduite de l’ASFC en cause est régie par la LIPR. Il note les objectifs de la LIPR, en particulier l’alinéa 3(3)d) :

L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

d) d’assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui touche les principes, d’une part, d’égalité et de protection contre la discrimination et, d’autre part, d’égalité du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada.

[39] M. Lukács soutient que l’ASFC ne dispose pas du mandat légal d’exercer une discrimination à l’égard des voyageurs à destination du Canada en raison de leur origine ethnique réelle ou perçue, ou d’adopter des pratiques qui touchent de façon disproportionnée les personnes d’une origine ethnique donnée.

[40] Il soutient que la preuve qu’il cherche maintenant à inclure dans ses dossiers concerne l’effet préjudiciable de l’interception des passagers roms, et qu’elle est pertinente quant à savoir si les actions de l’ASFC relèvent d’une pratique discriminatoire, ce qui se rapporte également à la question de savoir si cela relève de son mandat.

[41] M. Lukács soutient que les pièces H à O démontrent l’effet préjudiciable de la politique d’interception sur un groupe protégé, à savoir les Roms. Les pièces à conviction H et I sont des documents communiqués par l’ASFC concernant d’autres passagers interceptés. Il fait valoir que les indicateurs invoqués pour empêcher ces voyageurs de monter à bord d’un avion à destination du Canada semblent être le fait que leurs hôtes au Canada étaient des demandeurs d’asile.

[42] Les pièces J et K sont les notes de l’agent consignées au SMGC concernant d’autres voyageurs hongrois, y compris la famille Kiss, dont les AVE ont été annulées. M. Lukács soutient que ces documents révèlent les indicateurs sur lesquels on s’est appuyé pour annuler l’AVE, notamment le fait que les hôtes des voyageurs au Canada étaient des demandeurs d’asile. Il soutient que ces documents démontrent une tendance ou une politique de discrimination fondée sur certains stéréotypes.

[43] M. Lukács soutient que la pièce M, l’Avis du commissaire adjoint aux droits fondamentaux pour la protection des droits des minorités nationales en Hongrie, est pertinente quant à savoir si un préjudice résulterait de la divulgation des documents demandés et si la décision de l’ASFC de refuser de communiquer les documents est raisonnable. M. Lukács fait valoir qu’il est mentionné, dans l’Avis, que la politique d’interception a touché une proportion importante de Roms. M. Lukács fait valoir que ces renseignements sont déjà du domaine public et qu’elles ont été examinées par la Cour dans la décision Kiss.

[44] M. Lukács soutient que la pièce P, soit le contre‑interrogatoire de M. Nause dans les dossiers T‑320‑20 et T‑321‑20, est pertinente pour établir si l’ASFC agit conformément à son mandat et si ces renseignements ont été rendus publics, auquel cas aucun préjudice ne découlerait de leur divulgation. M. Lukács soutient que le témoignage de M. Nause a fait état du ciblage des voyageurs devant être accueillis par un demandeur d’asile au Canada. Il soutient que M. Nause a expliqué que l’ASFC offrait une formation aux agents privés chargés du contrôle des documents, et il a reconnu que les indicateurs étaient partagés avec des opérateurs de sécurité privés à l’extérieur du Canada. Selon lui, il faut en conclure que l’ASFC exerce une discrimination à l’égard de certains ressortissants étrangers.

[45] M. Lukács soutient que la pièce Q, soit le contre‑interrogatoire de M. O’Brien dans les dossiers T‑320‑20 et T‑321‑20, est également pertinente quant à savoir si la divulgation entraînerait un préjudice. M. Lukács soutient que M. O’Brien a déclaré que ses collègues de l’ASFC lui avaient communiqué des renseignements inexacts, et qu’il ne savait pas auparavant que l’agent de liaison de l’ASFC partageait des renseignements (y compris les indicateurs) avec des tiers.

[46] M. Lukács soutient que les pièces R et S concernent la politique de l’ASFC touchant les avis de surveillance et sont des documents publics. Il fait également valoir que ces documents démontrent que la date de révision de l’avis de surveillance, qui a été caviardée pour chacun des trois passagers dont il a demandé les dossiers, est de l’information anodine. Il soutient que ces renseignements ne peuvent être exemptés, car leur divulgation ne causerait aucun préjudice.

[47] Plus généralement, en ce qui concerne les pièces à l’appui, M. Lukács soutient que les documents ou la correspondance produits par le gouvernement devraient être admissibles. Il ajoute que les contre‑interrogatoires sous serment répondraient également aux critères d’admissibilité.

[48] S’agissant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’accorder l’autorisation de signifier et de déposer des affidavits supplémentaires si les critères de pertinence et d’admissibilité sont satisfaits, M. Lukács fait valoir que bon nombre des pièces ne lui ont été fournies qu’après qu’il a déposé son avis de demande. Il ajoute qu’il n’avait pas connaissance de l’existence d’autres documents ou que leur pertinence ne pouvait être connue d’avance. Il note que la divulgation fragmentaire de documents supplémentaires l’a averti de l’existence d’autres documents et de leur pertinence. Il soutient qu’il conviendrait de mettre à jour le dossier à la lumière de l’état actuel de la divulgation et des questions connexes plus récentes.

[49] Il fait aussi valoir que ces preuves aideront la Cour à trancher la question dans la présente demande.

[50] M. Lukács soutient enfin que la preuve est pertinente quant à la requête du défendeur pour une ordonnance de confidentialité, puisque cette preuve permettra à la Cour de déterminer la portée voulue de l’ordonnance, qui selon lui ne devrait pas inclure des données qui sont déjà publiques.

IV. Les observations du défendeur

[51] Selon le défendeur, l’affidavit supplémentaire de M. Lukács et les pièces qui demeurent en litige ne satisfont pas aux exigences de l’article 312, en regard de la jurisprudence. La preuve n’a de pertinence pour aucune des questions figurant dans la demande, et pour aucune des questions soulevées dans les requêtes préliminaires en instance.

[52] Le défendeur fait valoir que la question en litige dans la demande est la décision de l’ASFC de s’abstenir de communiquer certains documents à M. Lukács. La portée de la demande se borne à la question qui a fait l’objet de la plainte déposée par M. Lukács auprès du Commissaire à l’information (article 41(1)). Le défendeur note que la plainte de M. Lukács portait sur l’application des exemptions, et non sur des questions que le défendeur qualifie de collatérales, et que M. Lukács cherche maintenant à soulever. Le défendeur fait valoir que, par conséquent, la Cour n’a pas compétence dans la présente demande pour examiner les pratiques de l’ASFC ou plus généralement de ses employés.

[53] Le défendeur note également que la réparation que la Cour peut accorder, dans l’éventualité où celle‑ci déciderait qu’il n’y a pas lieu de refuser la communication des documents, consiste à ordonner que les documents, des parties des documents ou un résumé des documents soient divulgués, et rien de plus.

[54] Le défendeur souligne qu’il ne reste à la Cour qu’à examiner six petites portions de texte caviardées.

[55] Le défendeur conteste le fait que M. Lukács s’appuie sur l’affaire Russell pour établir qu’une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information peut viser la portée du mandat de l’ASFC. Le défendeur soutient que la décision Russell est fondée sur les faits propres à l’affaire, que la persécution alléguée exercée à l’endroit d’un individu par le SCRS ne relève pas du mandat de ce dernier et que, par conséquent, une exemption quant à la divulgation des renseignements liés à cette persécution ne saurait être justifiée.

[56] Le défendeur fait valoir que l’argument de M. Lukács – à savoir que l’affidavit et les pièces sont nécessaires pour savoir si l’alinéa 16(1)c) peut être invoqué pour soustraire les documents à la communication et pour établir s’il y aurait préjudice – relève de la présente demande, et non de l’une ou l’autre des requêtes préliminaires. Le défendeur soutient que cette question ne peut être tranchée dans le cadre des requêtes préliminaires afin de contourner la demande.

[57] Le défendeur note par ailleurs que sa requête en confidentialité est toujours en instance et constitue un obstacle majeur à l’avancement de la demande. Le défendeur fait remarquer que la Cour est tenue de protéger les documents une fois qu’ils sont déposés (article 47 de la Loi), et que les affidavits confidentiels déposés à l’appui sont normalement protégés de la même façon. Le défendeur soutient qu’aucune des pièces contestées n’est pertinente lorsqu’il s’agit pour la Cour de statuer sur la requête du défendeur pour une ordonnance de confidentialité.

[58] Le défendeur fait en outre valoir que, bien que M. Lukács veuille discuter du fait que les voyageurs ont fait l’objet de discrimination, la question que la Cour est tenue de trancher dans le cadre de la demande ne concerne pas les droits des voyageurs étrangers en vertu de la Charte.

[59] Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas s’immiscer dans les questions relatives à la Charte lorsque la question dont la Cour est saisie peut être tranchée autrement. Le défendeur note, entre autres, que les trois voyageurs dont les dossiers ont été demandés par M. Lukács ne sont pas qualité de demandeurs, et qu’ils n’ont fourni aucune preuve des répercussions sur leurs droits. Le défendeur ajoute que les voyageurs n’avaient aucun droit de visiter le Canada en vertu de la Charte.

[60] Le défendeur soutient en outre que les pièces qui font référence aux répercussions sur les voyageurs roms sont des preuves anecdotiques, qui font abstraction de la proportion de voyageurs de toutes origines éventuellement soumis à un contrôle dans les aéroports. Le défendeur fait aussi remarquer que le mandat de l’ASFC consistant à fournir des services frontaliers implique une interaction avec des personnes de nombreuses origines nationales et ethniques, ainsi que la prise en compte de nombreux facteurs. Autrement dit, ces pièces n’étayent pas l’allégation de discrimination envers les Roms.

[61] De plus, le défendeur soutient que les éléments de preuve dont l’admission est demandée sont sans pertinence pour la requête de M. Lukács visant à exiger des réponses de M. Nause (notant que plusieurs réponses ont bel et bien été fournies). La requête obligeant M. Nause à comparaître de nouveau pour répondre aux questions auxquelles il avait précédemment refusé de répondre est limitée à ces questions. Rien dans les pièces contestées n’intéresse les questions en cause.

[62] Le défendeur fait en outre valoir que si la Cour estime que les pièces sont pertinentes et admissibles, elle ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’admettre l’affidavit supplémentaire de M. Lukács avec les pièces contestées. Bien que certaines des pièces n’aient pas été à la disposition de M. Lukács au moment où il a déposé sa demande, les pièces ne constituent pas des éléments de preuve qui permettront à la Cour de statuer sur la demande, car elles ne sont pas suffisamment probantes, outre que certaines des pièces causeraient un préjudice au défendeur, puisqu’il n’y a aucun moyen de vérifier les preuves.

[63] Le défendeur soutient que la pièce M, l’Avis du Commissaire adjoint aux droits fondamentaux pour la protection des droits des minorités nationales en Hongrie, ne répond pas aux exigences de l’article 81 des Règles. Le défendeur ajoute que l’admission en preuve de cette pièce est hautement préjudiciable, puisqu’il n’a aucun moyen de vérifier l’exactitude des allégations de l’auteur, ou encore d’identifier la personne ayant fourni les renseignements qui y sont contenus. L’Avis en question comporte des déclarations très éloignées de leurs sources, ces sources ne sont pas identifiées, et enfin les renseignements sont désuets.

[64] Le défendeur soutient en outre que l’Avis n’est pas présenté dans les formes en tant qu’énoncé de droit étranger. Le droit étranger est une question de fait qui doit être établie par la preuve (Allen c Hay (1922), 64 SCR 76, aux para 80‑81, 1922 CarswellBC 74). En outre, le droit étranger n’entre pas dans le champ d’application de la demande.

[65] Le défendeur soutient que les pièces H, I, J et K ne sont pas pertinentes, car elles concernent d’autres personnes et d’autres demandes qui ne sont pas en cause dans la présente demande ou dans les requêtes préliminaires, et que les questions dans ces affaires ne devraient pas être confondues avec les questions dont la Cour est maintenant saisie.

[66] Le défendeur soutient que les pièces P et Q, soit les transcriptions du contre‑interrogatoire de MM. Nause et O’Brien dans les dossiers T‑320‑20 et T‑321‑21, sont sans pertinence. Ces procédures ont été mises en suspens et M. Lukács a contre‑interrogé les deux souscripteurs d’affidavit dans le cadre de la présente demande.

[67] Le défendeur fait valoir que les pièces R et S, concernant la vérification des avis de surveillance par l’ASFC et la politique sur les avis de surveillance, sont sans pertinence pour les requêtes préliminaires, et que M. Lukács n’a pas établi en quoi elles seraient suffisamment probantes pour la question à trancher dans le cadre de la présente demande.

[68] Le défendeur avance également que la Cour devrait écarter la preuve inappropriée incluse au dossier de requête de M. Lukács pour la présente requête, indiquant les trois affidavits qui font l’objet de la requête en radiation du défendeur, laquelle n’a pas encore été tranchée.

[69] Le défendeur soutient également que les affidavits de Mmes Erzsébet Poroszkai et Cynthia Levine‑Rasky n’ont pas été déposés conformément au Code de déontologie de la Cour régissant les témoins experts, notamment en raison de l’absence d’un résumé de l’opinion fournie. Un livre entier a été joint à l’affidavit de Mme Cynthia Levine‑Rasky.

V. L’affidavit supplémentaire de M. Lukács et les pièces contestées devraient‑ils être admis aux fins du dossier du demandeur dans le cadre de la demande, ou des requêtes préliminaires en instance, ou des deux?

A. Les Règles

[70] L’article 3 des Règles est ainsi libellé :

3 Les présentes Règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

3 These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

[71] L’article 312 prévoit ce qui suit :

312 Une partie peut, avec l’autorisation de la Cour :

312 With leave of the Court, a party may

a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux Règles 306 et 307;

(a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307;

b) effectuer des contre-interrogatoires au sujet des affidavits en plus de ceux visés à la règle 308;

(b) conduct cross-examinations on affidavits additional to those provided for in rule 308; or

c) déposer un dossier complémentaire.

(c) file a supplementary record.

B. Le critère

[72] Le critère relatif à l’admission d’affidavits supplémentaires a été énoncé dans l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88 aux para 4 à 6, et réitéré dans l’arrêt Oshkosh, au para 43 :

[…] [A]fin d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 312 des Règles, les [demandeurs] doivent satisfaire à deux exigences préliminaires :

(1) La preuve doit être admissible dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Comme il est bien établi en droit, le dossier dont est saisie la cour de révision est habituellement composé des documents dont était saisi le décideur. Il y a cependant des exceptions à ce principe. Voir les décisions Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union, [2000] 1 C.F. 135, aux pages 144‑145 (C.A.); Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22.

(2) L’élément de preuve doit être pertinent à une question que la cour de révision est appelée à trancher. Par exemple, certaines questions ne peuvent pas être soulevées pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 654.

En supposant que les [demandeurs] satisfont à ces deux exigences préliminaires, [ils] doivent aussi convaincre la Cour qu’elle doit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire rendre l’ordonnance visée à l’article 312 des Règles. La Cour exerce son pouvoir discrétionnaire sur le fondement des éléments de preuve dont elle dispose et en appliquant les principes pertinents.

Dans l’arrêt Holy Alpha and Omega Church of Toronto c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 101, au paragraphe 2, la Cour énonce les principes censés la guider dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 312 des Règles. Elle pose certaines questions qui permettent d’établir si une ordonnance fondée sur l’article 312 des Règles servirait l’intérêt de la justice :

a) Est‑ce que la partie avait accès aux éléments de preuve dont elle demande l’admission au moment où elle a déposé ses affidavits en application de l’article 306 ou 308 des Règles, selon le cas, ou aurait‑elle pu y avoir accès en faisant preuve de diligence raisonnable?

b) Est‑ce que la preuve sera utile à la Cour, en ce sens qu’elle est pertinente quant à la question à trancher et que sa valeur probante est suffisante pour influer sur l’issue de l’affaire?

c) Est‑ce que l’admission des éléments de preuve entraînera un préjudice important ou grave pour l’autre partie?

C. Les observations de la Cour

[73] Comme je l’ai noté à l’audition de la présente requête, il convient de tenir compte du contexte et des autres requêtes préliminaires. Les requêtes ne fonctionnent pas en autonomie. La présente demande est une révision de novo visant à déterminer si la décision de l’ASFC de refuser de divulguer tous les documents demandés sous une forme non caviardée s’appuie sur une application correcte des exemptions prévues par la loi (alinéa 16(1)c) de la Loi), et si l’ASFC a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de fournir certains documents et d’en refuser la communication d’autres. Les deux parties reconnaissent qu’à la suite de la divulgation de documents supplémentaires fournis par l’ASFC à M. Lukács, il ne reste plus que six petits caviardages en cause.

[74] Si le but de M. Lukács est d’obtenir les documents non caviardés – c’est‑à‑dire d’en retirer ces six petits caviardages, qui sont probablement les deux mêmes pour chacun des trois voyageurs dont les documents ont été demandés – le dossier pour les requêtes en instance et la demande est disproportionnellement volumineux et l’historique de la procédure est inutilement compliqué.

[75] Si la Cour devait autoriser M. Lukács à déposer son affidavit supplémentaire et toutes les pièces qui y sont jointes, en plus des documents déjà versés au dossier de la demande, elle disposerait de plus de 2 000 pages de documents pour déterminer si les six caviardages doivent être maintenus. Cela est à l’exclusion des affidavits confidentiels et autres affidavits publics que le défendeur peut encore déposer à l’appui de son argumentation en faveur du maintien de la protection des six caviardages.

[76] Je note également que la présente demande diffère des autres demandes de contrôle judiciaire en ce qu’il n’y avait pas de « dossier » devant l’ASFC lorsque celle‑ci a décidé de refuser de communiquer certains documents et d’en divulguer d’autres, mis à part la demande de documents formulée par M. Lukács. Le principe voulant que la Cour doive établir le caractère raisonnable d’une décision en fonction du dossier dont dispose le décideur, à quelques exceptions près, n’est pas en jeu. Par conséquent, la première considération en vertu de l’article 312 des Règles, soit d’établir si la preuve est admissible dans le cadre de la demande, doit être examinée dans le contexte de cette révision de novo. Selon moi, cela ne permet nullement à la Cour d’accepter un vaste éventail de documents en vue d’élargir le contexte ou d’appuyer des arguments politiques dénués de valeur probante pour la question clé actuellement devant la Cour. L’article 312 des Règles a pour but de limiter comme il convient les preuves supplémentaires. L’article 3 guide l’interprétation de toutes les règles, de façon à permettre d’apporter une solution qui soit juste et expéditive. Un dossier en constante expansion ne commande pas une issue juste et expéditive de la demande.

[77] La demande se limite à établir si l’ASFC a appliqué correctement les exemptions prévues par la Loi et a exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire, rien de plus. Je crois comprendre que la position de M. Lukács est que l’ASFC ne peut pas invoquer l’alinéa 16(1)c) pour exempter certains documents d’une divulgation si son enquête n’était pas légale, ou si l’application de la LIPR (ou d’autres lois fédérales ou provinciales) n’était pas légale. M. Lukács a clairement exprimé sa position dans cette demande et dans les requêtes précédentes, à savoir que l’ASFC s’est livrée à des pratiques discriminatoires à l’égard des Roms en les empêchant (ou en ordonnant qu’ils soient empêchés) de voyager de la Hongrie vers le Canada. Une grande partie de l’information que M. Lukács a incluse et qu’il cherche maintenant à ajouter à son dossier de demande a trait à son argument voulant que les voyageurs roms aient été victimes de discrimination, et que l’ASFC ait participé à cette discrimination, allant ainsi à l’encontre de son mandat légal et de ses obligations de respecter la Charte.

[78] Si la Cour détermine en définitive que l’ASFC n’a pas appliqué correctement les exemptions ou n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de raisonnablement refuser de communiquer les documents, la seule réparation qu’elle peut accorder est d’ordonner que les documents soient fournis en tout ou en partie sous une forme non caviardée, avec ou sans conditions, ou qu’il soit fourni un résumé des documents visés par le refus de communication. L’issue de la demande ne comprendra pas de prises de position sur la politique de l’ASFC concernant l’interception éventuelle de voyageurs avant l’embarquement sur des vols à destination du Canada, ni sur les allégations générales de discrimination à l’égard des Roms.

[79] M. Lukács soutient que les pièces litigieuses devraient figurer dans son dossier car, au moment où il a déposé sa demande, il avait reçu une série de documents comportant un certain nombre de caviardages. Il explique que son dossier de demande, auquel étaient joints plusieurs documents et qui comprenait son affidavit initial souscrit en janvier 2019, était adapté aux problèmes dont il avait connaissance en fonction de ces premiers documents reçus. M. Lukács soutient qu’en raison de la divulgation subséquente de documents supplémentaires par l’ASFC, ceux‑ci contenant moins de caviardage, il faudrait que la Cour reçoive les renseignements additionnels inclus dans son affidavit supplémentaire, afin de [traduction] « le mettre dans la position » dans laquelle il se serait trouvé si la divulgation lui avait été fournie à cette date antérieure (pour paraphraser son argument) et de veiller à ce que la Cour dispose des renseignements voulus pour statuer sur la demande.

[80] Toutefois, M. Lukács se trouve déjà dans une position différente de celle au moment du dépôt initial de sa demande, car il a reçu la plupart des documents qu’il demandait. La demande porte maintenant essentiellement sur six caviardages, bien que la « question » qui sous‑tend la demande demeure la plainte initiale déposée auprès du Commissaire à l’information à la suite de la réception des premiers documents caviardés de l’ASFC.

[81] En outre, comme indiqué plus haut, le défendeur a accepté que certaines des pièces jointes à l’affidavit supplémentaire de M. Lukács puissent être signifiées et déposées tant dans le cadre des requêtes préliminaires en instance que dans le cadre de la demande. En conséquence, le bulletin opérationnel de l’ASFC et les documents supplémentaires caviardés concernant les trois voyageurs peuvent être inclus dans les dossiers de M. Lukács.

D. Aucune autorisation de déposer l’affidavit supplémentaire avec les pièces contestées pour les requêtes préliminaires

[82] M. Lukács fait valoir qu’aux fins de la requête en confidentialité du défendeur, la Cour devrait tenir compte de toutes les pièces pour lesquelles il demande l’autorisation de déposer, concernant notamment les documents qui sont du domaine public (par exemple publiés sur les sites Web de l’ASFC ou divulgués lors d’autres procédures), pour faire en sorte que la portée de l’ordonnance de confidentialité ne soit pas plus étendue que nécessaire. Cela me semble manifester un manque de confiance envers le défendeur, mais également envers la capacité de la Cour à déterminer la portée d’une ordonnance de confidentialité, mesure usuelle pour protéger la divulgation de documents durant des procédures, lesquelles décideront finalement si ces mêmes documents doivent être protégés. En outre, une abondante jurisprudence peut guider l’application par la Cour de l’article 151 des Règles et du critère applicable établi dans l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 au para 53.

[83] J’estime que l’affidavit supplémentaire de M. Lukács comportant les pièces contestées n’est pas pertinent quant à l’issue de la requête du défendeur en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité. Il ne permettra pas à la Cour de trancher la requête ni de s’assurer que ses obligations prévues à l’article 47 de la Loi sont respectées.

[84] M. Lukács n’a pas établi en quoi les pièces supplémentaires seraient pertinentes quant à sa requête visant à obliger M. Nause à donner les réponses qu’il avait refusé de donner lors du contre‑interrogatoire en mars 2019. Plusieurs réponses ont déjà été fournies, et M. Lukács a par la suite contre‑interrogé à la fois MM. Nause et O’Brien au sujet de leurs affidavits supplémentaires. La question soulevée dans le cadre de la requête visant à exiger des réponses découle des refus précis exprimés par M. Nause lors de son premier contre‑interrogatoire.

[85] M. Lukács n’a pas démontré en quoi les pièces supplémentaires seraient pertinentes quant à la requête du défendeur de radier une partie de son avis de demande, les affidavits de Mmes Cynthia Levine‑Rasky ou Erzsébet Poroszkai, et des parties de son affidavit du 21 janvier 2019, déposés à l’appui de la demande.

[86] Dans le cadre de la présente requête, M. Lukács a également déposé son affidavit souscrit le 21 janvier 2019, auquel sont joints à titre de pièces les affidavits de Mmes Cynthia Levine‑Rasky et Erzsébet Poroszkai, ceux‑là mêmes qui sont en cause dans la requête en radiation du défendeur. M. Lukács a cité ces documents dans ses observations relatives à la présente requête. Il souligne, entre autres, que ce même affidavit de Mme Cynthia Levine‑Rasky a été accepté comme preuve par le juge Boswell dans l’affaire Feher c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 335 [Feher].

[87] Dans l’affaire Feher, le juge Boswell a statué sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision concernant un examen des risques avant renvoi, laquelle comportait une contestation constitutionnelle relative au régime des pays d’origine désignés en vertu de la LIPR. Chacune des parties a déposé de nombreux affidavits. Le défendeur a demandé la radiation de huit des affidavits du demandeur, dont celui de Mme Cynthia Levine‑Rasky. Bien que M. Lukács soutienne maintenant que le juge Boswell a accepté cet affidavit (c’est‑à‑dire qu’il ne l’a pas radié) et que la présente Cour devrait également accepter ce même affidavit, il omet d’indiquer que le juge Boswell n’a pas examiné chaque affidavit « ligne par ligne pour en évaluer la pertinence envers l’instance » (Feher, au para 169). Le juge Boswell n’a pas décidé si l’affidavit de Mme Cynthia Levine‑Rasky constituait un témoignage d’opinion approprié, concluant plutôt que la preuve d’opinion incluse dans divers affidavits, y compris celui de Mme Cynthia Levine‑Rasky, se verrait accorder une moindre pondération (voir au para 174).

[88] De plus, le fait qu’un affidavit soit jugé admissible dans une procédure donnée n’est pas déterminant quant à savoir si le même affidavit est admissible dans le cadre de la présente instance. Les questions en cause sont très différentes, et la Cour n’a pas encore entendu et examiné la requête du défendeur en radiation de cet affidavit ou de l’affidavit d’Erzsébet Poroszkai.

[89] Je n’ai pas pris en considération les affidavits de Mme Levine‑Rasky ou de Mme Erzsébet Poroszkai pour trancher la présente requête.

[90] Compte tenu des principes énoncés ci‑dessus, j’estime qu’aucune des pièces jointes à l’affidavit supplémentaire de M. Lukács n’est pertinente pour les requêtes préliminaires et que ces pièces ne seraient pas utiles à la Cour. La Cour refuse donc l’autorisation à M. Lukács de signifier et de déposer son affidavit supplémentaire pour les requêtes préliminaires en instance.

E. Autorisation de déposer l’affidavit supplémentaire auquel seront uniquement jointes les pièces R et S aux fins du dossier de demande

[91] Comme je l’ai mentionné plus haut, M. Lukács a clairement fait savoir que sa position concernant la demande sera que l’ASFC ne peut pas invoquer l’alinéa 16(1)c), puisque l’interception des voyageurs de façon discriminatoire ne relève pas de son mandat. La Cour déterminera si l’ASFC peut se prévaloir de cette exemption vis‑à‑vis la demande, après qu’elle aura examiné les documents en cause et pris en considération les preuves et les observations pertinentes – y compris celles du défendeur concernant la portée du mandat de l’ASFC.

[92] Bien que M. Lukács ait présenté des observations concernant le mandat de l’ASFC relatif à la LIPR, ce mandat est beaucoup plus large. Le rapport d’audit de l’ASFC (pièce R), que M. Lukács cherche à joindre, indique que l’ASFC applique les dispositions de la Loi sur les douanes et de la LIPR, et de plus de 90 autres lois, règlements et accords internationaux.

[93] En ce qui concerne le recours par M. Lukács au principe énoncé aux paragraphes 31 et 32 de la décision Russell, voulant que les exemptions prévues à l’article 16 ne puissent être invoquées que si elles se rapportent à un exercice valide du mandat légal que confère la loi au détenteur de documents, je note que la décision Russell était un jugement sur le contrôle judiciaire dans un contexte particulier, et ne portait pas sur une requête préliminaire.

[94] Dans l’affaire Russell, le demandeur a demandé au SCRS un large éventail de documents. Le SCRS avait refusé de fournir les documents, en invoquant les exemptions prévues par la Loi. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge Fothergill a déclaré ce qui suit, au paragraphe 3 :

M. Russell a demandé communication de documents du SCRS en vertu de l’article 6 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la LAI]. Le SCRS a rejeté sa demande dans une lettre datée du 4 juillet 2014 [la lettre de refus] en invoquant les exceptions prévues au paragraphe 15(1), à l’alinéa 16(1)a) et à l’alinéa 16(1)c) de la LAI. Ces exceptions ne s’appliquent que si les documents réels ou hypothétiques demandés portent sur l’exercice valide du mandat du SCRS, qui est d’enquêter sur les menaces à la sécurité nationale, à la défense nationale ou aux relations internationales du Canada et de les prévenir.

[95] Le juge Fothergill a conclu comme suit, au paragraphe 31 :

Après avoir examiné les éléments de preuve publics et secrets déposés par le SCRS dans le cadre de la présente demande, je suis convaincu que le SCRS a eu raison de conclure que les documents réels ou hypothétiques demandés étaient soustraits à la communication. C’est là une conclusion importante, car ces documents ne seraient pas soustraits à la communication s’ils révélaient la complicité du SCRS dans une campagne de persécution illicite menée de façon coordonnée contre M. Russell et sa famille. En effet, aux termes du paragraphe 15(1) et des alinéas 16(1)a) et 16(1)c), le SCRS peut refuser de communiquer des renseignements contenus dans le fichier SCRS PPU 045 seulement si les renseignements réels ou hypothétiques demandés portent sur l’exercice valide du mandat que lui confère la loi, qui est d’enquêter sur les menaces à la sécurité nationale, à la défense nationale ou aux relations internationales du Canada et de les prévenir.

[96] Je ne suis pas sûre que la décision Russell soit utile pour la présente requête. Dans cette décision, le juge Fothergill avait examiné les documents en cause et pouvait donc décider s’il était loisible au SCRS de s’appuyer sur les exemptions invoquées.

[97] Je refuse d’accorder l’autorisation de déposer les pièces H, I, J ou K pour la demande ou, comme il est mentionné plus haut, pour toute requête préliminaire. Bien que je comprenne la position de M. Lukács, c’est‑à‑dire que toute preuve qui traite de questions similaires concernant le traitement des voyageurs roms – en particulier celle qui est survenue après le dépôt de sa demande – appuie son argument que l’ASFC s’est livrée à des pratiques illégales, ces pièces proviennent d’autres procédures où les questions ne sont pas identiques. De plus, même si c’est peu significatif, la Cour comprend parfaitement l’argument que M. Lukács souhaite exprimer, soit que l’ASFC a agi en dehors de son mandat. Comme mentionné précédemment, le dossier de demande est ample, sous réserve de la requête en radiation du défendeur. Ces pièces ne seront pas probantes et n’aideront pas la Cour relativement à la demande, qui porte actuellement sur six petits caviardages.

[98] Je constate que la pièce M, soit l’Avis du commissaire adjoint aux droits fondamentaux pour la protection des droits des minorités nationales en Hongrie, en date du 15 juillet 2016, et la pièce N, soit la traduction anglaise de cet avis, ne sont pas pertinentes pour la question soulevée par la demande, à savoir l’application du droit canadien. Je suis également d’accord avec le défendeur que leur inclusion serait préjudiciable, puisque le défendeur n’a pas la capacité de vérifier les déclarations citées dans l’avis, lesquelles sont dérivées de plusieurs autres sources. En outre, ces pièces ne seraient pas probantes et n’aideraient pas la Cour à trancher la question soulevée par la demande.

[99] Je conclus que les pièces P et Q, qui sont les transcriptions des contre‑interrogatoires du 28 août 2020 de MM. Nause et O’Brien menés par M. Lukács dans le cadre de deux autres demandes, soit les dossiers T‑320‑20 et T‑321‑20, ne sont pas pertinentes pour la demande. Les demandes dans les dossiers T‑320‑20 et T‑321‑20 sont mises en suspens en attendant l’examen de la présente demande (T‑2064‑18). En outre, M. Nause et M. O’Brien ont tous deux été longuement contre‑interrogés par M. Lukács dans la présente instance. Bien que M. Lukács semble s’appuyer sur cette preuve pour soutenir son argument que l’ASFC a outrepassé son mandat en interdisant des voyageurs, je ne vois pas comment les contre‑interrogatoires dans les autres procédures ajouteraient quoi que ce soit au dossier existant ou aideraient la Cour à trancher la présente demande.

[100] Je conclus que la pièce R, soit l’Audit des avis de surveillance – Mode des voyageurs de l’ASFC, juin 2013, et la pièce S, soit la Politique de l’ASFC en matière d’avis de surveillance, de juin 2013 (énoncé de la politique, incluant des directives, à l’intention des employés de l’ASFC qui émettent, évaluent ou utilisent des avis de surveillance), devraient être incluses dans le dossier de la demande, si les documents portant les six caviardages en cause ont trait à ces politiques, comme le soutient M. Lukács. Il semble que ces documents soient accessibles au public. Les pièces peuvent aider la Cour et ne causeront pas de préjudice grave au défendeur. En conséquence, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour admettre les pièces R et S dans le cadre du dossier de demande de M. Lukács.

VI. Les dépens

[101] M. Lukács a obtenu gain de cause dans le cadre de la présente requête, mais seulement dans une très petite mesure. Seules deux des pièces qu’il cherche à inclure dans ses dossiers pour la demande et ses requêtes préliminaires peuvent être déposées, et cela uniquement à son dossier pour la demande.

[102] Bien que M. Lukács ait demandé des dépens d’un montant très modeste et raisonnable, je refuse d’adjuger les dépens.

[103] La grande préoccupation de la Cour relative à la présente requête et aux autres requêtes préliminaires en instance est qu’elles ont, peut‑être inutilement, retardé l’examen de la demande, qui devait être tranchée selon une procédure sommaire. En outre, comme il a déjà été indiqué, un dossier de plus de 2 000 pages est tout simplement disproportionné et inutile, en particulier pour trancher la question des six caviardages restants. Je ne suis pas disposée à allouer des dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‑2064‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. Le demandeur peut signifier et déposer son affidavit supplémentaire, ainsi que les pièces R et S, qui peuvent être utilisées dans le dossier du demandeur uniquement dans le cadre la demande de contrôle judiciaire.
  2. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2064‑18

 

INTITULÉ :

GÁBOR LUKÁCS c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 1er juin 2021

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 septembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Gábor Lukács

 

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Jan Jensen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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