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Date : 20211213


Dossier : IMM-3884-20

Référence : 2021 CF 1407

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 13 décembre 2021

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

LOURDES DELA PENA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Mme Lourdes Dela Pena, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], ainsi que sa demande subsidiaire en vue d’obtenir un permis de séjour temporaire.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demanderesse a démontré que la décision de l’agent est déraisonnable. Par conséquent, la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

I. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne des Philippines âgée de 46 ans. Au cours des 20 dernières années, elle a travaillé à l’extérieur de son pays pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille et financer les études de certains de ses proches. Entre 2000 et 2012, elle a principalement travaillé à Hong Kong et Taïwan. En 2012, elle est venue au Canada munie d’un permis de travail temporaire, lequel a expiré en 2014.

[4] La demanderesse a fait appel aux services d’une agence d’immigration et d’emploi [l’agence] pour renouveler son permis et a continué de travailler au Canada. Elle soutient que l’agence lui a facturé des frais de recrutement illégaux et a perçu des déductions illégales sur son salaire tout en déclarant à tort qu’elle pouvait l’aider à obtenir un statut d’immigrant et à remplir les documents nécessaires. La demanderesse et trois autres personnes ont entamé des procédures judiciaires contre l’agence en raison de ces activités.

[5] La demande de prorogation du permis de travail de la demanderesse a été rejetée en septembre 2016 et sa demande en vue d’obtenir un visa de résident temporaire a été rejetée en août 2016.

[6] En août 2018, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. À titre subsidiaire, elle a demandé un permis de séjour temporaire. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire reposait sur quatre facteurs : l’établissement au Canada, les conditions défavorables aux Philippines, la poursuite judiciaire de la demanderesse contre l’agence et le soutien financier que la demanderesse apporte à sa mère.

[7] En mai 2019, la demanderesse a présenté une demande distincte en vue d’obtenir un visa de résident temporaire et un permis de travail, qui a été rejetée le 24 avril 2020. Le 11 août 2020, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et la demande subsidiaire en vue d’obtenir un permis de séjour temporaire ont été rejetées. Cette décision fait maintenant l’objet de la demande de contrôle judiciaire.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Dans sa décision, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle était suffisamment établie au Canada. Malgré le fait que la demanderesse a vécu au pays pendant une longue période, a noué des amitiés, a participé aux activités de son église et de sa communauté et a conservé un emploi, l’agent a estimé qu’il ne pouvait conclure à son établissement dû au fait qu’elle a été sans statut d’immigrant pendant une longue période, n’a pas régularisé son statut, a occupé un emploi non autorisé et n’a pas de famille au Canada.

[9] L’agent a reconnu l’existence de diverses conditions défavorables aux Philippines, y compris la criminalité, le harcèlement sexuel et la discrimination en milieu de travail, ainsi que la corruption et l’impunité dans le système de justice pénale, mais il a conclu que rien ne prouvait que la demanderesse avait été touchée par ces conditions ou qu’elle en subirait les conséquences si elle retournait aux Philippines.

[10] L’agent a signalé que des rapports de recherche faisaient état de taux élevés de chômage et de pauvreté aux Philippines, et que la demanderesse était préoccupée par son âge. Cependant, il a affirmé que sa connaissance du pays, ses compétences linguistiques en tagalog, son éducation et son expérience professionnelle à l’international l’aideraient à se trouver un emploi. L’agent a conclu que si elle n’y parvenait pas, la demanderesse pourrait se chercher du travail à l’étranger. Il a déduit qu’il était peu probable que la capacité de la demanderesse à continuer de soutenir financièrement sa mère soit compromise.

[11] L’agent a pris acte de la poursuite de la demanderesse en cours contre l’agence, mais a conclu que cette poursuite ne l’obligeait pas à rester au Canada et que la demanderesse pourrait maintenir la communication avec son avocat et lui donner des directives depuis l’étranger.

[12] En ce qui concerne la demande de permis de séjour temporaire, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré que des circonstances exceptionnelles ou des raisons impérieuses l’emportaient sur son interdiction de territoire imputable au fait qu’elle avait dépassé sa période de séjour autorisée. L’agent n’a pas estimé que le besoin de la demanderesse de rester au Canada pour mener à bien son action en justice l’emportait sur le risque qu’elle dépasse sa période de séjour autorisée.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[13] La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. Dans son analyse de l’établissement, l’agent a‐t‐il déraisonnablement insisté sur l’absence de statut de la demanderesse et a‐t‐il omis d’examiner pleinement la preuve?

  2. L’agent s’est‐il fondé sur des hypothèses lorsqu’il a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés si elle retournait aux Philippines?

  3. Les motifs invoqués par l’agent pour rejeter la demande de permis de séjour temporaire étaient‐ils insuffisants?

[14] La norme de contrôle applicable au fond d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Choi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 494 [Choi] aux para 10-11; (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16‐17 et 25). La décision rendue par l’agent relativement au permis de séjour temporaire est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Ju c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 669 au para 11). Aucune des situations justifiant de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce (Vavilov, aux para 16‐17 et 25).

[15] Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit décider si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31). Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée, transparente et intelligible lorsqu’elle est lue dans son ensemble et compte tenu du contexte administratif (Vavilov, aux para 85, 91-95, 99-100).

IV. Analyse

A. Paragraphe 25(1) de la LIPR

[16] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser les ressortissants étrangers des exigences habituelles de la LIPR et de leur accorder le statut de résident permanent s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire justifient une telle dispense. Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) se veut une exception souple et sensible à l’application habituelle de la LIPR et permet de mitiger la sévérité de celle‐ci lorsque les faits justifient la prise de mesures spéciales (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au para 19). Le demandeur doit justifier la dispense sollicitée. L’objectif est d’offrir une mesure à vocation équitable « lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » (Kanthasamy, au para 21), ce qui rétablit ainsi l’approche adoptée dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] DCAI no 1 [Chirwa].

[17] Pour rendre sa décision, l’agent doit véritablement examiner tous les faits et facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids, ainsi qu’évaluer les difficultés rencontrées par le demandeur (Kanthasamy, aux para 22 et 25). Le paragraphe 25(1) présuppose que le demandeur ne s’est pas conformé à une ou plusieurs dispositions de la LIPR. Par conséquent, le décideur doit évaluer la nature de la non‐conformité ainsi que sa pertinence et son poids par rapport aux facteurs d’ordre humanitaire dans chaque cas lorsqu’il mène son analyse (Mitchell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 190 au para 23).

B. Dans son analyse de l’établissement, l’agent a‐t‐il déraisonnablement insisté sur l’absence de statut de la demanderesse et a‐t‐il omis d’examiner pleinement la preuve?

[18] La demanderesse soutient que, lorsqu’il a évalué son établissement, l’agent a accordé trop d’importance au fait qu’elle n’avait pas de statut et occupait un emploi non autorisé au Canada plutôt que de faire preuve de compassion et d’examiner sa situation et les efforts déployés pour rétablir son statut.

[19] Le défendeur soutient que la décision était raisonnable et que l’agent a bien tenu compte de l’ensemble des facteurs soulevés par la demande, y compris le séjour indûment prolongé de la demanderesse et son emploi non autorisé, et que celui‐ci a uniquement soulevé ces facteurs lorsqu’il était pertinent de le faire.

[20] Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec la demanderesse. L’agent a déraisonnablement mis l’accent sur son séjour indûment prolongé et la nature non autorisée de son emploi et, ce faisant, il n’a pas véritablement évalué l’étendue de l’établissement et la situation de la demanderesse.

[21] Comme l’a affirmé notre Cour au paragraphe 17 de la décision Samuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 227 :

Lorsqu’un agent prend en considération l’absence de statut légal d’un demandeur (ce à quoi il est autorisé), il doit trouver l’équilibre entre la nécessité de respecter les dispositions législatives du Canada en matière d’immigration et le fait que l’article 25 de la LIPR s’appliquera fréquemment à des demandeurs sans statut légal. J’estime qu’il est contraire à cette nécessité de trouver un équilibre et, par conséquent, déraisonnable de rejeter de façon répétée, à cause de l’absence de statut légal, des facteurs d’ordre humanitaire favorables liés à l’établissement.

[22] En l’espèce, l’agent n’a pas pleinement examiné l’historique d’emploi de la demanderesse; il a plutôt rejeté la question de l’emploi en raison de son statut illégal. L’agent a mentionné l’observation de la demanderesse selon laquelle elle avait travaillé au Canada sans en avoir l’autorisation pendant un certain temps parce que l’agence l’avait induite en erreur. Or, l’agent a discrédité cette explication au motif que la demanderesse avait tout de même continué à travailler au Canada sans autorisation après avoir réalisé qu’elle avait été induite en erreur par l’agence. Bien que l’agent ait ensuite signalé, dans son analyse des difficultés, que la situation avec l’agence était malencontreuse, il n’a pas tenu compte des répercussions de ces événements sur l’établissement de la demanderesse. Il n’a pas tenu compte des complications résultant de la participation de l’agence dans les démarches entreprises pour obtenir un statut et n’a fait preuve d’aucune compassion à l’égard de la situation de la demanderesse. Comme il est énoncé aux paragraphes 31 à 33 de la décision Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, la cour de révision doit avoir des raisons de croire que l’agent a tenu compte non seulement des difficultés, mais également de l’approche suivie dans la décision Chirwa et des facteurs humanitaires au sens large.

[23] L’agent devait tenir compte des mesures prises par la demanderesse pour s’établir, des circonstances entourant son expérience avec l’agence ainsi que du contexte factuel associé aux efforts déployés pour obtenir un statut.

[24] En outre, on peut déduire du raisonnement de l’agent que, selon lui, la demanderesse n’aurait rien dû faire pour subvenir à ses besoins au Canada le temps que son statut soit réglé. Comme il est énoncé au paragraphe 23 de la décision Sebbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 813 [Sebbe], il n’est pas réaliste de supposer qu’un demandeur puisse simplement mettre sa vie en suspens dans l’attente d’une décision relative à son statut :

[23] [I]l n’est nullement pertinent de se demander si les demandeurs savaient qu’ils pouvaient faire l’objet d’une mesure de renvoi lorsqu’ils ont pris des mesures pour s’établir, avec les membres de leur famille, au Canada. Bien que l’on puisse avancer que les demandeurs, en s’établissant au Canada, utilisent une voie détournée pour obtenir l’entrée au Canada, ce point de vue ne peut être fondé que si les demandeurs n’ont aucun réel espoir de demeurer au pays. Dans la presque totalité de ces cas, les demandeurs conservent l’espoir de réussir, en fin de compte, à demeurer ici. Compte tenu de la période que passent la plupart de ces demandeurs au Canada, il n’est pas réaliste de supposer qu’ils vont mettre leur vie en suspens dans l’attente d’une décision définitive.

[25] La demanderesse a tenté de régulariser son statut d’immigrante dès l’expiration de son permis de travail initial en 2014. Le fait que la demanderesse a cherché du travail pendant que sa demande de statut et d’autorisation était en instance doit être examiné en contexte. L’agent n’a pas établi que les circonstances entourant l’entrée et le séjour de la demanderesse au Canada la discréditent ou pourraient encourager l’entrée illégale au Canada Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 au para 19).

[26] Le défendeur renvoie à la décision Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313 [Shackleford] de notre Cour pour appuyer le fait que l’agent se soit fondé sur le statut illégal de la demanderesse dans son examen de l’établissement. Je ne conteste pas que ce facteur doit être examiné et qu’il aura une incidence sur le poids à accorder à la durée du séjour au Canada. Comme il est indiqué dans la décision Shackleford, le décideur ne peut accorder beaucoup de poids à la simple présence au Canada de quelqu’un qui se trouve illégalement au pays depuis longtemps.

[27] En l’espèce, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de considérer le statut de la demanderesse comme un facteur. Cependant, il était déraisonnable de sa part de ne pas examiner pleinement la preuve présentée par cette dernière.

[28] L’agent a noté que la demanderesse avait noué des relations au Canada. Cependant, l’examen de la preuve concernant ces relations est en grande partie superficielle et ne porte pas sur le contenu des lettres présentées au nom de la demanderesse (Gamboa Saenz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 713 aux para 4-6), sur la véritable nature de ses activités au Canada, sur la preuve relative au fait que ces activités ont profité à sa communauté ou des difficultés qu’elle rencontrera si elle perdait les liens qu’elle a établis. Comme il est observé au paragraphe 21 de la décision Sebbe, l’agent doit analyser et apprécier le degré d’établissement du demandeur et rechercher si l’interruption de cet établissement milite en faveur de l’octroi de la dispense.

[29] Il n’est pas suffisant pour l’agent de simplement mentionner la preuve puis de conclure qu’eelle ne démontre pas que le demandeur est bien établi au Canada sans expliquer pourquoi la preuve ne remplit pas ce critère selon lui. L’agent doit montrer qu’il a examiné les éléments de preuve.

[30] À mon avis, l’analyse réalisée par l’agent concernant l’établissement de la demanderesse est déraisonnable en raison de ces omissions.

C. L’agent s’est‐il fondé sur des conjectures lorsqu’il a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés si elle retournait aux Philippines?

[31] La demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur dans son analyse des difficultés en se fondant sur des conjectures quant à sa capacité d’obtenir un emploi aux Philippines. La demanderesse a indiqué dans son témoignage qu’elle avait dû quitter le pays pour se trouver du travail. Elle a travaillé à l’extérieur des Philippines pendant près de 20 ans afin de gagner de l’argent pour aider sa famille. La demanderesse soutient que l’agent n’a pas examiné cette preuve comme il se devait dans son analyse. Je retiens cette thèse.

[32] Bien que l’agent ait reconnu que la preuve relative à la situation au pays révèle des taux de chômage et de pauvreté élevés aux Philippines, il n’a pas véritablement appliqué cette preuve à la situation de la demanderesse. L’agent a souligné que la demanderesse est née et a grandi aux Philippines, que sa langue maternelle est le tagalog et qu’elle a terminé ses études secondaires ainsi que certaines études postsecondaires. Cependant, il s’agit des mêmes circonstances qui ont forcé la demanderesse à quitter les Philippines en premier lieu. L’agent n’a pas expliqué en quoi ces caractéristiques aideront maintenant la demanderesse à se trouver un emploi, particulièrement à la lumière des articles qui montrent que le taux de chômage a augmenté.

[33] L’agent a conclu que ces caractéristiques, soit l’expérience de travail limitée de la demanderesse aux Philippines, ses emplois antérieurs à Taïwan et son travail au Canada [traduction] « l’aideront grandement » à obtenir un emploi aux Philippines. Cette conclusion n’est étayée par aucune explication. Dans son analyse, l’agent n’a pas tenu compte du passage du temps, de l’âge de la demanderesse ou de son incapacité à trouver un emploi stable et fiable aux Philippines par le passé.

[34] En effet, l’agent a indiqué que la demanderesse avait présenté la discrimination fondée sur l’âge comme un défi, mais il n’a pas examiné cette question du tout ni les répercussions que son âge pourrait avoir sur ses perspectives d’emploi.

[35] Je conviens avec la demanderesse que la conclusion de l’agent est conjecturale et qu’elle n’est pas suffisamment justifiée compte tenu de la preuve de la demanderesse et de celle concernant la situation au pays.

[36] Les conjectures sur la situation professionnelle de la demanderesse sont d’autant plus graves du fait que cette dernière soutient financièrement sa mère. L’agent a reconnu que la demanderesse avait soulevé cette préoccupation, mais il a démontré peu d’empathie envers sa situation.

[37] L’agent a ensuite affirmé que si la demanderesse ne réussit pas à obtenir un emploi aux Philippines, elle pourra se chercher du travail à l’étranger afin de soutenir financièrement sa mère, comme elle l’a fait par le passé. Cependant, je conviens avec la demanderesse que cette conclusion est contraire à l’objectif de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et soulève des considérations n’ayant pas été envisagées dans sa demande (Hermann c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 266 aux para 14-16).

[38] De plus, en concluant que la demanderesse pourrait ne pas être en mesure de trouver du travail aux Philippines et qu’elle devrait peut‐être en chercher ailleurs, l’agent a contredit ses conclusions antérieures et a reconnu que la demanderesse pouvait faice face à des difficultés à son retour aux Philippines. Ce raisonnement n’est pas intelligible dans le contexte des autres conclusions tirées par l’agent.

[39] Pour l’ensemble de ces motifs, je suis d’avis que l’analyse de l’agent relative à la preuve sur le marché du travail au pays n’était pas raisonnable.

D. Les motifs invoqués par l’agent pour rejeter la demande de permis de séjour temporaire étaient‐ils insuffisants?

[40] Bien que peu d’attention ait été portée à la demande de permis de séjour temporaire, j’examinerai maintenant cette question à des fins d’exhaustivité.

[41] La demanderesse soutient que les motifs pour lesquels l’agent a rejeté sa demande de permis de séjour temporaire ne sont pas justifiés et qu’ils ne satisfont donc pas à la norme consacrée par l’arrêt Vavilov. Les motifs de l’agent au sujet de la demande de permis de séjour temporaire sont les suivants :

[traduction]

Après avoir examiné attentivement les documents de la demanderesse, je conclus que celle‐ci ne m’a pas convaincu qu’il existe des motifs suffisants pour justifier la délivrance d’un permis de séjour temporaire. Plus précisément, je conclus que la nécessité pour la demanderesse de rester au Canada afin de mener à bien son action contre son ancien employeur et son ancienne agence d’emploi ne l’emporte pas sur le risque qu’elle excède la période au cours de laquelle elle était autorisée à rester au pays.

[42] Même s’ils sont brefs, ces motifs répondent à l’unique motif pour lequel la demanderesse a demandé le permis de séjour temporaire : mener à bien son action en justice contre l’agence.

[43] À mon avis, les motifs de l’agent sur cette question ne comportent aucune lacune et justifient suffisamment le fondement de la demande.

V. Conclusion

[44] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision de l’agent relative à la demande de la demanderesse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas raisonnable. Par conséquent, la demande est accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

[45] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je suis d’avis que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3884-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3884-20

 

INTITULÉ :

LOURDES DELA PENA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 OCTOBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 DÉCEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Araujo

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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