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Date : 20211130


Dossier : IMM-1946-20

Référence : 2021 CF 1329

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

HAI LIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 24 février 2020 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés aux termes de l’alinéa Fb) de l’article premier (grande criminalité) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 1951, RTC 1969/6, 189 RTNU 150 [la Convention] et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Les faits

[2] Le contexte de la mesure d’exclusion : Comme le contexte de la mesure d’exclusion n’est pas pertinent au regard de la présente décision, il n’est que sommairement exposé. Le demandeur est un citoyen chinois de 41 ans qui a épousé son ancienne partenaire alors qu’ils étaient encore mineurs. Il affirme que son ancienne partenaire est tombée enceinte et a été forcée de se faire avorter, qu’il a été placé en détention pendant trois jours, au cours desquels il s’est fait battre, et qu’il s’est vu imposer une amende.

[3] Il a quitté la Chine pour se rendre aux États-Unis en 2002. Il a présenté une demande d’asile, mais celle-ci a été rejetée en 2005, tout comme l’appel qu’il a interjeté par la suite. Le demandeur a malgré tout continué à vivre illégalement aux États-Unis. Après que le crime en cause eut été commis, il a fini par quitter le pays et est entré illégalement au Canada, d’où il a finalement demandé le statut de réfugié. Le ministre est intervenu et a fait valoir que le demandeur devait se voir refuser l’asile pour grande criminalité, compte tenu de la collision mortelle qu’il avait causée aux États-Unis.

[4] Le crime en cause — la collision mortelle : En août 2007, le demandeur a été le seul responsable d’une collision mortelle qui a causé la mort d’une femme de 23 ans, ainsi que des blessures à 11 autres personnes présentes dans des postes de péage au Delaware. Il a été inculpé et accusé dans l’État du Delaware, mais ne s’est pas présenté à son audience, et un mandat d’arrestation a été délivré contre lui. Le demandeur soutient qu’il ne savait pas qu’il avait été inculpé. Il affirme n’avoir jamais été informé de l’audience à laquelle il ne s’est pas présenté. Il parle peu l’anglais et s’en remettait à la traduction. Il se rendait dans l’État de New York depuis sa résidence dans le Tennessee lorsqu’il a transité par le Delaware et a causé seul la collision mortelle.

[5] Les faits survenus après la collision mortelle : Le demandeur a continué de vivre illégalement aux États-Unis pendant encore neuf ans environ, et en octobre 2015, sa partenaire actuelle, une citoyenne canadienne, lui a été présentée. Il a entretenu avec elle une relation en ligne. Comme il souhaitait être auprès d’elle, il est entré illégalement au Canada en juillet 2016. Il est resté ici et en 2017, il a finalement été arrêté et placé en détention par la police canadienne. Il a demandé l’asile et la question de l’exclusion a alors été soulevée et tranchée, d’où le présent contrôle judiciaire.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[6] Le ministre est intervenu devant la SPR pour réclamer que le demandeur soit exclu de la protection conférée par l’asile au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier (crime grave de droit commun). En février 2020, la SPR a souscrit à l’intervention du ministre et a conclu que le demandeur était une personne visée à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention par application de l’article 98 de la LIPR, et qu’il était donc exclu de la protection conférée par l’asile. Le crime indiqué par le ministre était une collision mortelle survenue aux États-Unis, dont seul le demandeur était responsable.

[7] La SPR a souligné les facteurs permettant de déterminer la gravité du crime commis, tels qu’ils ont été énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara] et approuvés de façon générale par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Febles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CSC 68 [la juge en chef McLachlin] [Febles] :

la nature et les éléments constitutifs du crime;

le mode de poursuite (déclaration sommaire de culpabilité ou acte d’accusation);

la peine prévue;

les faits de l’espèce;

les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité.

[8] La SPR a admis et appliqué également l’arrêt Febles de la Cour suprême du Canada, l’arrêt de principe en ce qui concerne l’alinéa Fb) de l’article premier et qui précise notamment ce qui suit :

[60] L’article 1Fb) exclut toute personne qui a déjà commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays d’accueil avant son admission en tant que réfugié dans ce pays. Cet article ne s’applique pas uniquement aux criminels fugitifs, et la gravité du crime n’a pas à être mise en balance avec des facteurs extrinsèques au crime tels le danger présent ou futur pour la société d’accueil, ou la réadaptation ou l’expiation subséquente au crime.

[Non souligné dans l’original.]

[9] Conformément à l’arrêt Febles, la SPR a fait observer que « le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada ».

[10] Le demandeur a été accusé au Delaware de [traduction] « conduite d’un véhicule causant la mort », titre 21, section 4176A du Delaware Code de 1974, en sa version modifiée. Je constate qu’au titre de l’alinéa 101(2)b) de la LIPR, le crime que se devait d’évaluer la SPR aux fins de l’exclusion n’est pas celui dont le demandeur a été accusé à l’extérieur du Canada, mais bien le crime comparable au Canada indiqué par le ministre :

Irrecevabilité

Ineligibility

Grande criminalité

Serious criminality

101(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité visée à l’alinéa (1)f) n’emporte irrecevabilité de la demande que si elle a pour objet :

101(2) A claim is not ineligible by reason of serious criminality under paragraph (1)(f) unless

[...]

[...]

b) une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(b) in the case of inadmissibility by reason of a conviction outside Canada, the conviction is for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

[11] Le ministre a soutenu, ce à quoi la SPR a souscrit, que le crime comparable au Canada est la conduite d’un moyen de transport causant la mort, infraction prévue au paragraphe 320.13(3) du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [le Code criminel] :

Conduite causant la mort

Operation causing death

320.13(3) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, et cause ainsi la mort d’une autre personne.

320.13(3) Everyone commits an offence who operates a conveyance in a manner that, having regard to all of the circumstances, is dangerous to the public and, as a result, causes the death of another person.

[Je souligne]

[Emphasis added]

[12] À cet égard, l’article 320.21 du Code criminel précise ce qui suit :

Peine en cas de mort

Punishment in case of death

320.21 Quiconque commet une infraction prévue aux paragraphes 320.13(3), 320.14(3), 320.15(3) ou 320.16(3) est passible, sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, de l’emprisonnement à perpétuité, les peines minimales étant les suivantes :

320.21 Everyone who commits an offence under subsection 320.13(3), 320.14(3), 320.15(3) or 320.16(3) is liable on conviction on indictment to imprisonment for life and to a minimum punishment of,

a) pour la première infraction, une amende de mille dollars;

(a) for a first offence, a fine of $1,000;

b) pour la deuxième infraction, un emprisonnement de trente jours;

(b) for a second offence, imprisonment for a term of 30 days; and

c) pour chaque infraction subséquente, un emprisonnement de cent vingt jours.

(c) for each subsequent offence, imprisonment for a term of 120 days.

[Je souligne]

[Emphasis added]

[13] Compte tenu de la preuve et du fait que la peine maximale au Canada est l’emprisonnement à vie aux termes de l’article 320.21 du Code criminel, la SPR a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que l’infraction commise par le demandeur était un crime grave de droit commun au sens de l’alinéa Fb) de l’article premier. La SPR a donc jugé que le demandeur était exclu de la protection accordée par l’asile.

[14] Par conséquent, la SPR n’a pas examiné les faits allégués à l’appui de la demande d’asile et n’était pas tenue de le faire. Il en ira de même pour la Cour en l’espèce.

IV. Questions en litige

[15] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision est-elle raisonnable?

  2. La SPR a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale?

V. Norme de contrôle

A. Principe d’équité procédurale

[16] En ce qui concerne la première question en litige, les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, motifs du juge Binnie, au para 43). Cela dit, je note que dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale a indiqué au paragraphe 69 qu’il peut être opportun de procéder selon la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87, au paragraphe 42 ». Voir toutefois l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [motifs du juge Rennie]. À cet égard, je souligne également que la Cour d’appel fédérale a conclu dans un arrêt récent que le contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale est effectué selon la norme de la décision correcte (voir Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, motifs du juge de Montigny [avec l’appui des juges Near et LeBlanc] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte [...]

[17] Je comprends également, selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 23, que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‐à‐d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[18] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 50, la Cour suprême du Canada explique ce qui est attendu d’une cour de révision lorsque celle-ci applique la norme de la décision correcte :

[50] [...] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

B. La norme de la décision raisonnable

[19] En ce qui concerne la norme de la décision raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 — rendu par la Cour suprême du Canada en même temps que l’arrêt Vavilov —, le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, fait état des attributs que doit présenter une décision raisonnable, ainsi que des exigences imposées à la cour de révision qui procède au contrôle une décision selon cette norme :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[Non souligné dans l’original.]

[20] En outre, selon l’arrêt Vavilov, la cour de révision est tenue d’évaluer si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire s’attaque de façon significative aux questions clés :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‐il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

A. Législation et jurisprudence applicables

[21] L’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention est ainsi libellé :

Article 1Fb)

Article 1F(b)

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

[Je souligne]

[Emphasis added]

[22] L’article 98 de la LIPR est ainsi libellé :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion-Refugee Convention

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[23] Dans la décision récente Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 12, la Cour résume la jurisprudence portant sur le contrôle judiciaire des décisions en matière d’exclusion au titre de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention :

[18] La Cour d’appel fédérale confirme que le ministre n’a qu’à démontrer, en satisfaisant à une norme qui est moindre que la prépondérance des probabilités habituelle en matière civile, qu’il y a des motifs sérieux de penser que le demandeur a commis les actes allégués. Dans l’arrêt Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178 (Zrig), le juge Nadon confirme le principe suivant, au paragraphe 56 :

[56] [...] Le ministre n’a pas à prouver la culpabilité de l’intimé. Il n’a qu’à démontrer — et la norme de preuve qu’il doit satisfaire est « moindre que la prépondérance des probabilités » [...] — qu’il a des raisons sérieuses de penser que l’intimé est coupable. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[19] Quant à ce qui constitue un crime « grave », la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, par la juge en chef McLachlin [Febles], donne les instructions suivantes au paragraphe 62 :

[62] Dans les arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 17150 (CAF), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR [HautCommissariat des Nations Unies pour les réfugiés] a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (GoodwinGill et McAdams, p. 179). Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste.

[Non souligné dans l’original.]

[20] Au paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale définit ainsi les facteurs permettant d’apprécier si le crime qui a été commis est « grave » pour l’application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier :

[44] Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S c. Refugee Status Appeals Authority, (C.A. N.Z.), précité; S and Others c. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157 (Cours royales de Justice, Angleterre); Miguel­Miguel c. Gonzales, no 0515900, (Cour d’appel É.‐U., 9e circuit), 29 août 2007, aux pages 10856 et 10858). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités.

[Non souligné dans l’original.]

[24] En outre, dans l’arrêt Febles, la Cour suprême précise ce qui suit concernant la mise en balance de la gravité d’un crime avec la conduite subséquente :

[60] L’article 1Fb) exclut toute personne qui a déjà commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays d’accueil avant son admission en tant que réfugié dans ce pays. Cet article ne s’applique pas uniquement aux criminels fugitifs, et la gravité du crime n’a pas à être mise en balance avec des facteurs extrinsèques au crime tels le danger présent ou futur pour la société d’accueil, ou la réadaptation ou l’expiation subséquente au crime.

[Non souligné dans l’original.]

B. La norme de la décision raisonnable

[25] Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il ne pouvait pas demander l’asile par application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la LIPR. Les deux parties ont traité des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara. J’examinerai chacun de ceux-ci, comme l’a fait la SPR.

[26] La nature et les éléments constitutifs du crime : Le demandeur soutient qu’il a [traduction] « simplement été impliqué dans un accident de la route » et que de tels [traduction] « accidents ne sont généralement pas considérés comme un crime grave » justifiant l’exclusion. S’appuyant sur le paragraphe 62 de l’arrêt Febles, le demandeur affirme que la [traduction] « conduite d’un véhicule causant la mort » est de moindre gravité que les exemples de crimes graves donnés par la Cour suprême du Canada, qui s’est fondée sur la suggestion du HCR selon laquelle une « présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié ». La Cour suprême du Canada a soutenu qu’il s’agit là d’exemples de crimes « suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés ».

[27] Je suis d’accord avec le demandeur, mais cette liste n’est certes pas exhaustive; d’autres crimes peuvent s’y ajouter, si l’on tient compte des propos tenus au paragraphe 62 de l’arrêt Febles reproduit ci-dessus.

[28] Le demandeur cite la décision Brzezinski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 CF 525 [Brzezinski], dans laquelle le juge Lutfy (plus tard juge en chef) a conclu que le vol à l’étalage n’était pas un crime visé à l’alinéa Fb) de l’article premier. Le demandeur soutient que le crime qu’il a commis est [traduction] « semblable au vol à l’étalage, en ce sens qu’il n’a pas sa place dans le contexte des autres clauses d’exclusion prévues à la section F de l’article premier ». Je constate que la décision Brzezinski est antérieure à une grande partie de la jurisprudence portant sur le contrôle judiciaire des décisions en matière d’exclusion, notamment aux arrêts Febles (2014) et Jayasekara (2008). Qui plus est, dans l’affaire Brzezinski, les demandeurs avaient été déclarés coupables par voie de procédure sommaire au Canada et condamnés à des peines allant d’amendes à 14 jours d’emprisonnement. Les faits ne ressemblent pas du tout à ceux de l’espèce, et je suis d’avis que cette décision est très peu utile au demandeur.

[29] En ce qui concerne les faits de l’espèce, la preuve présentée ci-après, dont la SPR a été saisie et qui relate les faits entourant la collision mortelle causée par le demandeur, n’est pas contestée. Les informations en question sont tirées d’un rapport de collision mortelle intitulé [traduction] « Collision mortelle – Police d’État du Delaware, brigade no 6 – Victime : Meghan Kieffer – Plainte no 06-07-76718 » [le rapport de collision], qui décrit les circonstances dans lesquelles Meghan Kieffer, 23 ans, a été tuée :

[traduction]

COLLISION MORTELLE

POLICE D’ÉTAT DU DELAWARE, BRIGADE No 6

VICTIME : Meghan Kieffer

PLAINTE No 06-07-76718

[...]

II. Description de la collision

A. Résumé

1. Victimes et blessés

[...] Mme Kieffer a subi des blessures à la tête dues à un choc violent lors de la collision. Elle portait sa ceinture de sécurité au moment de l’impact. Le coussin gonflable latéral situé de son côté ne s’est pas déployé. Mme Kieffer se trouvait à l’arrière du véhicule no 3 [...]

[...]

2. Véhicules/conducteurs impliqués

[...]

Le véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] est une berline quatre portes Acura TSX 2006 de couleur grise [...] Ce véhicule appartient au conducteur no 3, Christopher Perry, qui était au volant au moment de l’incident. M. Perry possède un permis de conduire valide de l’État de la Virginie [...] sans mentions [...] Le conducteur no 3/blessé no 2, Christopher Perry, le blessé no 3, Brian Meenaghan, et la victime, Meghan Kieffer, se trouvaient à bord du véhicule no 3.

Le véhicule no 4 [celui que conduisait le demandeur, éd.] est une fourgonnette Ford E350 Econoline XLT Super Duty 2006 de couleur rouge foncé, d’une capacité de 15 passagers [...]

[...]

3. Description des lieux

[...]

Dans la zone au sud du poste de péage, l’autoroute I-95 comporte six voies de circulation, soit trois dans chaque direction [...] Comme la collision s’est produite exclusivement sur celles en direction nord, cette zone sera décrite plus en détail. La I-95 en direction nord comprend trois voies de circulation asphaltées relativement droites et plutôt plates. Les voies sont séparées par des lignes blanches pointillées et les dépassements y sont autorisés. Un accotement asphalté entièrement remis à neuf borde le côté droit de l’autoroute (à l’est), à la limite duquel une glissière de sécurité en acier a été installée pour séparer l’autoroute d’une zone gazonnée [...]

Il faisait nuit lors de la collision, et il n’y avait aucune condition météorologique défavorable. La zone est éclairée par de hauts lampadaires installés du côté est de l’autoroute, près de l’accotement. Le trafic était au ralenti compte tenu du bouchon de circulation que causait l’affluence au poste de péage. Au nord du poste de péage, des voies étaient fermées à la circulation en raison de travaux, alors qu’au sud, il n’y avait aucun chantier en activité à ce moment-là. Tous les cylindres de construction orange étaient sur l’accotement, et aucune voie n’était fermée dans cette zone. Environ 0,1 mile après les lieux de la collision, l’autoroute passe à quatre voies. La limite de vitesse sur la I-95 est de 55 miles à l’heure. Environ 0,3 mile au sud des lieux de l’accident, des panneaux, situés des deux côtés de l’autoroute, indiquent aux automobilistes de ralentir. Environ 20 pieds avant la zone où la collision s’est produite, des panneaux de part et d’autre de la route signalent que la limite de vitesse passe à 40 miles à l’heure.

[...]

... [Le véhicule dans lequel la victime a été tuée, éd.] était endommagé à l’avant et présentait des dommages encore plus importants à l’arrière. Une fourgonnette Ford de couleur rouge foncé [celle que conduisait le demandeur, éd.] était toujours encastrée dans l’Acura, recouvrant partiellement la banquette arrière et le coffre. La fourgonnette Ford a grimpé par-dessus l’Acura lors de la collision.

[...]

4. Déroulement de l’incident et raisons de la collision

Le véhicule no 1, le véhicule no 2 et le véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] étaient immobilisés l’un à la suite de l’autre sur la voie centrale de la I-95 en direction nord, à environ un quart de mile au sud du poste de péage. Le véhicule no 4 [celui du demandeur, éd.] circulait en direction nord sur la voie centrale, et le conducteur no 4 [le demandeur, éd.] n’a pas réussi à s’arrêter derrière les véhicules immobilisés. L’avant du véhicule no 4 a heurté l’arrière du véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] et a carrément grimpé par-dessus, créant ainsi un premier point d’impact à environ 1,9’ au nord et 5,1’ à l’ouest du point de référence (PR). Sous l’impact, le véhicule no 3 a été propulsé vers l’avant et a percuté l’arrière du véhicule no 2 au deuxième point d’impact, à 20,25’ au nord et 5,43’ à l’ouest du PR [...] Le véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] s’est finalement immobilisé sur la voie centrale à 53,9’ au nord et 634’ à l’ouest du PR. Le véhicule no 4, qui est resté encastré dans l’arrière du véhicule n° 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.], s’est finalement immobilisé à 42,2’ au nord et 5,61’ à l’ouest du PR.

[...]

B. Enquête

1. Cause du décès

a. Heure, date et constatation du décès

Le décès de la victime, Meghan Kieffer, a été constaté par télémétrie le jeudi 16 août 2007, à 22 h 07, par le Dr Mike Bryer de l’hôpital Christiana. Grâce aux fils rattachés au corps de la victime, les ambulanciers sur place ont pu transmettre un signal électronique à une station de base située dans la salle d’urgence de l’hôpital Christiana. Le Dr Buyer a pu constater le décès de Meghan Kieffer après avoir déterminé, à partir de la station de base, qu’elle n’avait plus de signes vitaux. Le corps de la victime a été transporté à la salle d’urgence de l’hôpital Christiana.

b. Investigateur du médecin légiste

Les membres du personnel de l’hôpital Christiana ont communiqué avec M. Rick Pretzler, un investigateur du bureau du médecin légiste, vers 23 h. M. Pretzler s’est rendu à l’hôpital, où il a pris en charge la dépouille de Meghan Kieffer.

c. Autopsie

La Dre Adrienne Sekula-Perlman, médecin légiste adjointe, a pratiqué une autopsie sur le corps de Meghan Kieffer le samedi 18 août 2007, vers 11 h. La Dre Sekula-Perlman a conclu que Mme Kieffer était décédée des suites de blessures à la tête dues à un choc violent, notamment d’une hémorragie sous-arachnoïdienne.

[...]

2. Signalement du décès à la famille

Les membres du personnel de l’hôpital Christiana ont informé [...] la mère de la victime de son décès par téléphone aux environs de 0 h 30, le 17 août 2007. J’ai également communiqué avec [la mère de la victime, éd.] par téléphone, depuis l’hôpital, pour lui transmettre les détails entourant la collision qui étaient alors connus [...]

3. Examen et disposition des véhicules

[...]

Véhicule no 3 — berline quatre portes Acura TSX 2006 de couleur grise

DOMMAGES

Le véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] présentait des dommages par contact dans deux zones distinctes, causés par le fait qu’il a été percuté à l’arrière, puis propulsé contre le véhicule qui se trouvait devant. L’arrière du véhicule no 3 a été complètement démoli lors de l’impact initial. Le pare-chocs arrière, le couvercle du coffre, le pare-brise et les panneaux latéraux ont été endommagés. Toute la partie arrière s’est enfoncée vers l’avant, jusqu’à la banquette arrière, laquelle a également été propulsée vers l’avant lors de l’impact.

La deuxième zone de dommages par contact comprenait le coin avant gauche, le pare-chocs, le capot, l’aile gauche et le phare. Les dommages induits étaient visibles sur l’ensemble du véhicule. Les montants de pare-brise et le pare-brise ont également été endommagés par le personnel de secours qui s’affairait à dégager les occupants.

PNEUS

Le véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] était muni de quatre pneus Michelin IDCMXM4 P215/50Rl7. Les pneus du côté droit étaient crevés et avaient été délogés lors de l’impact. Ceux du côté gauche n’avaient subi aucun dommage lors de la collision et étaient toujours gonflés. Tous les pneus semblaient en bon état et présentaient une profondeur de sculpture suffisante. Le pneu avant gauche était partiellement immobilisé par le châssis du véhicule qui reposait contre lui.

PHARES

Les phares avant gauche du véhicule [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] tout comme les feux rouges arrière ont été détruits lors de la collision. J’ai examiné les fils du phare droit et constaté un choc à chaud au niveau du filament des feux de croisement qui indique que les phares étaient allumés au moment de l’impact. Aucun témoin n’a rapporté que les phares du véhicule no 3 étaient éteints.

Un choc à chaud entraîne la déformation du filament du phare lorsqu’une force est appliquée sur l’ampoule chaude ou allumée [...]

[...]

DIVERS

La ceinture de sécurité du côté du passager arrière gauche [à l’intérieur du véhicule dans lequel la victime a été tuée, éd.] a été coupée par le personnel de secours afin de sortir la victime du véhicule. J’ai remarqué également des taches de sang sur la ceinture déployée. La languette métallique se trouvait toujours dans la boucle d’attache. Les deux ceintures de sécurité à l’avant étaient bloquées en position déployée, ce qui confirme qu’elles étaient portées au moment de l’impact. Le conducteur no 3, Christopher Perry, et le passager, Brian Meenaghan, ont tous deux déclaré qu’ils portaient leur ceinture de sécurité.

Lorsque j’ai appuyé sur la pédale de frein, j’ai senti une résistance. La pédale n’est pas descendue lâchement jusqu’au sol et a rebondi lorsque je l’ai relâchée. Le volant tournait normalement et les roues suivaient la trajectoire voulue. Les coussins gonflables avant et les rideaux gonflables du côté droit se sont déployés à la suite de la collision.

Véhicule no 4 — [la fourgonnette du demandeur, éd.] fourgonnette Ford E350 Econoline XLT 2006 de couleur rouge foncé, d’une capacité de 15 passagers

DOMMAGES

Le véhicule no 4 [la fourgonnette du demandeur, éd.] a subi des dommages par contact sur la partie avant. Le pare-chocs avant, la calandre, le phare avant gauche, le capot et le radiateur ont été endommagés. Aucun dommage induit important n’a été observé ailleurs sur le véhicule.

PNEUS

Le véhicule no 4 [la fourgonnette du demandeur, éd.] était muni de quatre pneus Michelin LTX M/S LT 225/75Rl6. Le pneu avant droit et les deux pneus arrière n’ont pas été endommagés lors de la collision et présentaient une profondeur de sculpture et une pression d’air suffisantes. Le pneu avant gauche était crevé et avait été délogé lors de l’impact avec le véhicule no 3. Autrement, le pneu semblait en bon état. Le flasque de roue n’avait pas été déformé lors de l’impact et la roue arrivait à tourner librement.

PHARES

La lentille du phare avant gauche [de la fourgonnette du demandeur, éd.] était brisée, et j’ai pu observer que le filament des feux de croisement y avait subi des dommages causés par un choc à chaud. Les dommages ainsi causés indiquent que l’ampoule était incandescente au moment de l’impact. Aucun témoin n’a rapporté que les phares du véhicule no 4 étaient éteints.

DIVERS

Les coussins gonflables avant du véhicule no 4 [la fourgonnette du demandeur, éd.] se sont déployés à la suite de la collision. Lorsque j’ai appuyé sur la pédale de frein, j’ai senti une résistance. La pédale n’est pas descendue lâchement jusqu’au sol et a rebondi lorsque je l’ai relâchée. Le compteur du véhicule no 4 indiquait 27 619,7 miles [...]

4. Enquête relative à la conduite avec facultés affaiblies

Aucun des conducteurs, y compris le conducteur no 4, Hai Lin, ne semblait être intoxiqué ou en état d’ébriété lors de l’interrogatoire en lien avec cette collision. Par conséquent, aucune cause probable ne justifiait de procéder à un dépistage de la consommation d’alcool ou de drogues.

[...]

C. Entrevues

  1. Principes

[...]

Entrevue du conducteur no 3, Christopher Perry :

[...]

M. Perry [le conducteur du véhicule dans lequel se trouvait la victime, éd.] a déclaré que lui, le passager [supprimé, éd.] et la victime, Meghan Kieffer, se rendaient dans le New Jersey, depuis la Virginie, afin de passer la fin de semaine avec des amis. Ils avaient quitté leur domicile aux environs de 19 h ce soir-là et venaient tout juste de s’arrêter à la halte routière appelée Maryland House. Leur véhicule était immobile depuis quelques secondes, en raison de la congestion au poste de péage, lorsqu’ils ont été percutés par-derrière. M. Perry a déclaré qu’une fraction de seconde avant l’impact, il a vu le véhicule no 4 [traduction] « foncer » sur eux. M. Perry n’a entendu aucun bruit de dérapage avant la collision [...]

Entrevue du conducteur no 4, Hai Lin [le demandeur, éd.] :

[...] M. Lin parle mandarin et le caporal intérimaire Tsai a agi comme interprète [...]

M. Lin a confirmé qu’il était le conducteur du véhicule no 4. Il a déclaré que lui et les autres occupants ont quitté le Tennessee, en direction de New York, aux environs de 6 h ce matin-là. Il a indiqué qu’ils ont pris le volant à tour de rôle toute la journée et qu’il conduisait sur ce tronçon depuis environ une demi-heure lorsque la collision est survenue. M. Lin a déclaré qu’ils avaient fait un arrêt dans le Maryland et qu’il avait alors pris un café. Il regardait les panneaux routiers pour New York et lorsqu’il a de nouveau posé les yeux sur la route, il était trop tard. Il était trop près de l’autre véhicule pour pouvoir s’arrêter.

M. Lin a nié s’être endormi, mais il a confirmé qu’il ne regardait pas devant lui. Il a nié avoir consommé de la drogue ou de l’alcool avant de conduire [...]

2. Témoins/personnes contactées

Entrevue du témoin no 1, Billy McBride, WMN-45, date de naissance 12-07-62 :

[...]

M. McBride a déclaré qu’il se trouvait sur la voie de gauche de la I-95, en direction nord, et que sa fenêtre du côté passager était à la hauteur du pare-chocs arrière du véhicule no 3 (Acura) [le véhicule dans lequel la victime a été tuée, éd.]. Il a indiqué qu’il avançait à une vitesse d’environ 2 à 5 miles à l’heure en raison de la congestion. Les véhicules à côté de lui étaient immobilisés sur la voie centrale, lorsqu’il a vu la fourgonnette (véhicule no 4) percuter l’arrière de l’Acura.

M. McBride a appelé le 911 et a tenté d’ouvrir la portière de l’Acura [le véhicule dans lequel la victime a été tuée, éd.] pour la victime. D’autres personnes essayaient également d’aider. Le conducteur de la fourgonnette n’est pas sorti de son véhicule. Selon M. McBride, le conducteur de la fourgonnette ne portait pas attention, car il a percuté la voiture à une vitesse d’environ 40 à 50 miles à l’heure. M. McBride a déclaré n’avoir entendu aucun crissement ou bruit de dérapage provenant de la fourgonnette avant la collision et a ajouté qu’à ce moment-là, ses fenêtres étaient baissées [...]

Entrevue du témoin no 2, Nicholas Cole, WMN-26, date de naissance 18-04-81 :

[...]

M. Cole a affirmé qu’il se trouvait sur la voie de gauche de la I-95, en direction nord, et qu’il venait de quitter la voie centrale. Il a indiqué qu’il avançait très lentement en raison de la congestion et que les véhicules sur la voie centrale étaient complètement immobilisés. Il a vu du coin de l’œil la fourgonnette heurter la voiture grise. Il ne pouvait pas dire ce que faisait la fourgonnette avant la collision et ne savait pas pourquoi elle ne s’était pas arrêtée.

Après la collision, M. Cole s’est approché des véhicules impliqués et a demandé si tout le monde allait bien. Il a essayé de dégager la victime avec l’aide d’autres personnes présentes sur les lieux, mais sans succès. Il a tenté d’appeler le 9-1-1, mais n’était pas certain de son emplacement et ne savait pas non plus à proximité de quel poste de péage il se trouvait [...]

D. Reconstitution

Cette collision n’a pas fait l’objet d’une reconstitution technique. La vitesse n’est pas la principale cause. Les dommages importants à l’arrière du véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] et l’absence de traces de freinage sur la chaussée confirment les témoignages selon lesquels le véhicule no 4 roulait à pleine vitesse lors de la collision. La limite de vitesse normale sur la I-95 est de 55 miles à l’heure, mais elle descend à 40 miles à l’heure environ 20 pieds avant le point d’impact [...]

E. Action en justice

[...]

J’ai rédigé un mandat dans lequel M. Lin [le demandeur, éd.] est accusé de conduite d’un véhicule causant la mort d’une autre personne. J’ai transporté M. Lin depuis la brigade no 6 jusqu’à JPII. Le mandat a été approuvé et M. Lin a été mis en accusation par le juge Kenney, qui a eu recours aux services d’un interprète en mandarin de la ligne de dépannage linguistique. Le juge Kenney a fixé la caution à 1 150 $. J’ai transporté M. Lin à l’établissement correctionnel Howard Young, où il a été incarcéré en attendant le paiement de cette caution. M. Lin a par la suite payé la caution avec l’aide d’un ami et a été libéré en attendant de comparaître devant la Cour supérieure en vue de la mise en accusation.

F. Avis et commentaires de l’enquêteur

Cette collision mortelle a principalement été causée par le défaut du conducteur no 4, Hai Lin [le demandeur, éd.], de consacrer tout son temps et toute son attention à la route et à l’état de la circulation. M. Lin a déclaré qu’il regardait les panneaux pour New York, sa destination ultime, et que lorsqu’il a de nouveau posé les yeux sur la route, il était trop près du véhicule devant lui. À ce moment-là, la circulation sur la I-95, en direction nord, était bloquée à environ un quart de mile du poste de péage; il est fréquent à cet endroit que les véhicules avancent au ralenti ou se retrouvent immobilisés. M. Lin aurait dû être alerté par les nombreux feux de freinage des véhicules immobilisés. En ne s’arrêtant pas derrière le véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.], M. Lin a causé la mort de la victime, Meghan Kieffer. L’impact à l’arrière du véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] a été si violent que toute la partie arrière a été écrasée et que la banquette arrière a été propulsée vers l’avant. Rien ne démontre que M. Lin a tenté de freiner avant la collision.

[30] Le mode de poursuite et la peine prévue : Dans l’arrêt Febles, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’une peine maximale d’au moins 10 ans laisse présumer que le crime est suffisamment grave pour justifier l’exclusion. Cependant, la Cour a également signalé que cette présomption n’est pas absolue et peut être réfutée. Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que le crime visé au paragraphe 320.13(3) du Code criminel peut faire l’objet d’un large éventail de peines, tel qu’il est souligné dans l’arrêt Febles. Selon l’article 320.21, la peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité, tandis que la peine minimale est une amende de mille dollars dans le cas d’une première infraction.

[31] À mon humble avis, la SPR a omis d’examiner sérieusement la peine que le demandeur aurait pu se voir infliger s’il avait été accusé au Canada. Cette omission va à l’encontre du raisonnement suivi dans la décision Tabagua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 709 [la juge Gleason, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale] aux para 19 à 21 [Tabagua] :

[19] En ce qui a trait à un faux passeport, la peine maximale prévue à l’article 57 du Code criminel est un emprisonnement de 14 ans (pour falsification qui concerne un passeport canadien). Mais comme l’a noté mon collègue le juge Mosley dans la décision Almrei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1002, 247 ACWS (3d) 650 (au paragraphe 48), « [l]a peine généralement infligée à l’égard de pareilles infractions est généralement bien plus courte, surtout si le délinquant n’a aucun antécédent criminel au Canada ». On pourrait en dire autant de l’infraction de vol d’identité, même lorsqu’on procède par mise en accusation.

[20] En l’espèce, la SPR a omis à la fois de discuter de la peine qui aurait pu être infligée à la demanderesse si elle avait été accusée au Canada, et de noter que la seule preuve d’utilisation réelle du faux passeport par la demanderesse (par opposition à l’utilisation de la fausse identité « Khachirova ») est lorsqu’elle s’en est servi pour obtenir l’admission aux États-Unis. Elle prétend toutefois qu’elle y était obligée pour échapper à son persécuteur. Si on y ajoute foi, cela constituerait un facteur atténuant que la Commission n’a pas apprécié, et qui de plus aurait peut‐être atténué la peine si le crime avait été commis au Canada et que la demanderesse en avait été accusée.

[21] Étant donné que la SPR a omis d’effectuer une analyse du type que la Cour suprême rend obligatoire dans l’arrêt Febles, et d’évaluer la gravité du comportement de la demanderesse à la lumière de l’éventail des peines disponibles, il convient d’annuler la décision de la Commission et de la renvoyer pour réexamen, comme il a été fait dans la décision Jung. Contrairement à ce que soutient le défendeur, la nécessité d’une analyse du genre prescrit dans l’arrêt Febles n’est pas diminuée du fait qu’aucune accusation n’a été portée contre la demanderesse, et qu’il n’y a donc eu aucune condamnation. Pour le moins, ces faits porteraient à conclure que les actions de la demanderesse s’inscrivent dans la partie moins grave du spectre, et qu’en conséquence une peine très inférieure au maximum aurait vraisemblablement été imposée si la demanderesse avait commis l’infraction, et été inculpée, au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[32] Autrement dit, la SPR a agi de manière déraisonnable en omettant d’examiner sérieusement si le demandeur se verrait infliger une peine « parmi les plus légères » (ou, à l’inverse, parmi les plus lourdes), tel qu’il est énoncé dans la décision Jung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 464 [le juge de Montigny, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale], aux para 48 et 49 [Jung] :

[48] Tout bien considéré, cependant, l’erreur la plus flagrante de la commissaire a été de ne pas avoir pris en considération ce que la Cour suprême tenait pour un facteur crucial dans Febles, à savoir le grand éventail de peines au Canada et le fait que le crime dont le demandeur avait été déclaré coupable entraînerait l’imposition d’une peine parmi les plus légères. Ce facteur était parfaitement pertinent en l’espèce : l’échelle des peines canadiennes pour fraude de plus de 5 000 $ est vaste (de 0 à 14 ans), et le crime du demandeur — fraude de 50 000 $ assortie d’une peine de 10 mois — se trouve à première vue au bas de cette échelle. Le grand éventail de peines et la faible peine purgée par le demandeur (non seulement la peine infligée n’était que de deux ans, mais le demandeur s’est vu accorder un sursis après 165 jours de détention avant procès) constituaient de toute évidence un facteur des plus pertinents pour la détermination de la gravité du crime.

[49] Pour ce motif seulement, la décision de la Commission devrait être annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour réexamen.

[Non souligné dans l’original.]

[33] Au vu de ces précédents, je conclus que le défaut de la SPR d’examiner sérieusement le large éventail de peines et de se demander, corollairement, si le demandeur se verrait infliger une peine « parmi les plus légères » ou, à l’inverse, parmi les plus lourdes constitue une erreur susceptible de révision.

[34] Je tiens à ajouter que la SPR n’a pas à déterminer avec précision où se situe le crime comparable au Canada dans l’éventail de peines. La SPR n’est pas une cour criminelle chargée de se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence (Deng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 943 [le juge Hughes], au para 11, citant Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125 au para 23 [le juge Pelletier]). Pour la même raison, la SPR n’est pas une cour criminelle aux fins de la détermination de la peine à infliger.

[35] Toutefois, à mon humble avis, pour se conformer à l’arrêt Febles et aux décisions Tabagua et Jung, la SPR doit examiner sérieusement si le crime entraînerait l’imposition d’une peine parmi les plus légères ou parmi les plus lourdes selon la disposition pénale canadienne. Je ne suis pas convaincu qu’il faille demander à la SPR d’en faire plus. Comme la SPR n’a pas rendu la décision qui lui incombait à cet égard, il m’est impossible d’admettre qu’elle a respecté les contraintes imposées par la loi.

[36] Les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité : Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en tenant compte de sa conduite après l’infraction lors de l’évaluation des circonstances aggravantes. En effet, la SPR a considéré le fait que le demandeur s’était soustrait aux poursuites comme un « facteur aggravant important ». S’appuyant sur l’arrêt Febles, le demandeur soutient que la conduite après l’infraction n’est pas pertinente pour évaluer la gravité d’un crime au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier. Je suis de son avis.

[37] Le défendeur soutient que l’arrêt Febles n’interdit pas la prise en compte des actes postérieurs à l’infraction et attire l’attention de la Cour sur le paragraphe 12 de la décision Tabagua. Je ne suis pas de cet avis, dans la mesure où ce passage de la décision Tabagua ne fait pas partie du raisonnement suivi par la juge Gleason dans ses motifs. Je suis plutôt lié par les conclusions qu’a tirées la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Febles (2014), rendu après l’arrêt Jayasekara (2008), au paragraphe 60 :

[60] L’article 1Fb) exclut toute personne qui a déjà commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays d’accueil avant son admission en tant que réfugié dans ce pays. Cet article ne s’applique pas uniquement aux criminels fugitifs, et la gravité du crime n’a pas à être mise en balance avec des facteurs extrinsèques au crime tels le danger présent ou futur pour la société d’accueil, ou la réadaptation ou l’expiation subséquente au crime.

[Non souligné dans l’original.]

[38] Par conséquent, à mon humble avis, il était déraisonnable de la part de la SPR de tenir compte de la conduite après l’infraction.

[39] Le demandeur soutient également que la SPR a commis une erreur en négligeant le fait qu’il manquait des certains facteurs aggravants pertinents énoncés à l’article 320.22 du Code criminel. Plus particulièrement, le demandeur fait valoir : 1) qu’il n’était pas engagé dans une course; 2) qu’il n’avait personne à bord âgé de moins de 16 ans; 3) qu’il ne conduisait pas contre rémunération; 4) qu’il était autorisé à conduire; 5) qu’il ne faisait pas d’excès de vitesse lors de l’accident. Il affirme en outre que son cas aurait pu, en l’espèce, être évalué en fonction d’un manquement au paragraphe 130(3) du Code de la route de l’Ontario, LRO 1990, ch H.8.

[40] Dans la mesure où j’ordonne en l’espèce le réexamen de l’affaire, je n’examinerai pas davantage ces observations, sauf pour exprimer mon désaccord avec l’affirmation selon laquelle le demandeur ne faisait pas d’excès de vitesse. Le rapport de collision conclut que [traduction] « [c]ette collision mortelle a principalement été causée par le défaut du conducteur no 4, Hai Lin, de consacrer tout son temps et toute son attention à la route et à l’état de la circulation ». De l’avis de l’agent, [traduction] « [l]a vitesse n’est pas la principale cause » de la collision (voir la section D. Reconstitution du rapport de collision).

[41] Cependant, il est conclu dans le rapport de collision que le demandeur a percuté le véhicule dans lequel se trouvait la victime [traduction] « à pleine vitesse », ce qui correspond vraisemblablement à 40 miles à l’heure (64 kilomètres à l’heure). Le fait que la limite de vitesse affichée était de 40 miles à l’heure ne peut évidemment pas justifier la vitesse à laquelle roulait le demandeur dans les circonstances, c.-à-d. alors que les autres véhicules étaient immobilisés ou presque.

[42] À mon avis, il est incontestable que l’excès de vitesse du demandeur est la cause du décès de Mme Keiffer, voire de la collision elle-même. Mme Keiffer serait toujours en vie si le demandeur, conscient qu’il allait devoir s’arrêter en raison de la congestion, avait ralenti à une vitesse d’environ 2 à 5 miles à l’heure (environ 3,3 à 8 kilomètres à l’heure), comme l’ont fait les autres véhicules à l’approche du poste de péage, notamment le témoin, M. McBride, qui se trouvait dans la voie adjacente. La preuve démontre plutôt que le demandeur a [traduction] « percut[é] l’arrière d[u] [véhicule dans lequel se trouvait la victime] [...] à une vitesse d’environ 40 à 50 miles à l’heure » (selon le témoin, M. McBride), après avoir été vu en train de [traduction] « foncer » sur le véhicule à pleine vitesse [traduction] « une fraction de seconde avant l’impact » (selon le témoin, M. Perry). Comme l’indique le rapport de collision, la [traduction] « limite de vitesse normale sur la I-95 est de 55 miles à l’heure [environ 89 kilomètres à l’heure], mais elle descend à 40 miles à l’heure [environ 64 kilomètres à l’heure] environ 20 pieds avant le point d’impact ». Le rapport de collision conclut que le demandeur a percuté [traduction] « à pleine vitesse » le véhicule dans lequel se trouvait la victime.

[43] Il n’y avait pas de facteurs atténuants sur le plan mécanique : les pneus du demandeur étaient en bon état, ses phares étaient allumés et ses freins et son volant fonctionnaient lorsqu’il a percuté le véhicule dans lequel se trouvait Mme Kieffer, causant ainsi la mort de cette dernière. Le demandeur a invoqué comme circonstance atténuante le fait qu’il n’était pas intoxiqué; cet argument a peu de valeur dans les circonstances.

[44] Le rapport de collision, qui n’a pas été contesté, conclut ce qui suit :

[traduction]

D. Reconstitution

Cette collision n’a pas fait l’objet d’une reconstitution technique. La vitesse n’est pas la principale cause. Les dommages importants à l’arrière du véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] et l’absence de traces de freinage sur la chaussée confirment les témoignages selon lesquels le véhicule no 4 roulait à pleine vitesse lors de la collision. La limite de vitesse normale sur la I-95 est de 55 miles à l’heure, mais elle descend à 40 miles à l’heure environ 20 pieds avant le point d’impact [...]

F. Avis et commentaires de l’enquêteur

Cette collision mortelle a principalement été causée par le défaut du conducteur no 4, Hai Lin [le demandeur, éd.], de consacrer tout son temps et toute son attention à la route et à l’état de la circulation. M. Lin a déclaré qu’il regardait les panneaux pour New York, sa destination ultime, et que lorsqu’il a de nouveau posé les yeux sur la route, il était trop près du véhicule devant lui. À ce moment-là, la circulation sur la I-95, en direction nord, était bloquée à environ un quart de mile du poste de péage; il est fréquent à cet endroit que les véhicules avancent au ralenti ou se retrouvent immobilisés. M. Lin aurait dû être alerté par les nombreux feux de freinage des véhicules immobilisés. En ne s’arrêtant pas derrière le véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.], M. Lin a causé la mort de la victime, Meghan Kieffer. L’impact à l’arrière du véhicule no 3 [celui dans lequel la victime a été tuée, éd.] a été si violent que toute la partie arrière a été écrasée et que la banquette arrière a été propulsée vers l’avant. Rien ne démontre que M. Lin a tenté de freiner avant la collision.

[45] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’outre ces facteurs, il convient d’analyser également ceux prévus à l’article 320.22 du Code criminel, dans les cas où les dispositions relatives à la détermination de la peine qui y sont énoncées s’appliquent. Je constate que la liste fournie à l’article 320.22 n’est pas exhaustive; d’autres circonstances aggravantes doivent être prises en compte lors du réexamen :

Détermination de la peine : circonstances aggravantes

Aggravating circumstances for sentencing purposes

320.22 Le tribunal qui détermine la peine à infliger à l’égard d’une infraction prévue à l’un des articles 320.13 à 320.18 tient compte, en plus de toute autre circonstance aggravante, de celles qui suivent :

320.22 A court imposing a sentence for an offence under any of sections 320.13 to 320.18 shall consider, in addition to any other aggravating circumstances, the following:

a) la perpétration de l’infraction a entraîné des lésions corporelles à plus d’une personne ou la mort de plus d’une personne;

(a) the commission of the offence resulted in bodily harm to, or the death of, more than one person;

b) le contrevenant était engagé soit dans une course avec au moins un autre véhicule à moteur, soit dans une épreuve de vitesse, dans une rue, sur un chemin ou une grande route ou dans tout autre lieu public;

(b) the offender was operating a motor vehicle in a race with at least one other motor vehicle or in a contest of speed, on a street, road or highway or in another public place;

c) le contrevenant avait comme passager dans le moyen de transport qu’il conduisait une personne âgée de moins de seize ans;

(c) a person under the age of 16 years was a passenger in the conveyance operated by the offender;

d) le contrevenant conduisait le moyen de transport contre rémunération;

(d) the offender was being remunerated for operating the conveyance;

e) l’alcoolémie du contrevenant au moment de l’infraction était égale ou supérieure à cent vingt milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang;

(e) the offender’s blood alcohol concentration at the time of committing the offence was equal to or exceeded 120 mg of alcohol in 100 mL of blood;

f) le contrevenant conduisait un gros véhicule à moteur;

(f) the offender was operating a large motor vehicle; and

g) le contrevenant n’était pas autorisé, au titre d’une loi fédérale ou provinciale, à conduire le moyen de transport.

(g) the offender was not permitted, under a federal or provincial Act, to operate the conveyance.

[Je souligne]

[Emphasis added]

C. L’équité procédurale

[46] Lors de l’audience devant la SPR, la conseil du demandeur s’est vu accorder, à sa demande, une semaine de plus pour présenter des observations sur l’exclusion, de sorte que les observations écrites devaient être déposées le vendredi 21 février 2020. Cependant, le jeudi 20 février 2020, la conseil a brièvement demandé par écrit à se voir accorder une autre semaine, soit jusqu’au 28 février 2020. La SPR a rejeté sa demande, vu qu’elle n’avait pas été produite conformément à l’alinéa 50(3)b) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, et qu’aucun motif n’y était invoqué pour justifier la prorogation.

[47] Tard dans la journée du 21 février 2020, soit après les heures de bureau, la conseil du demandeur a communiqué les motifs justifiant la prorogation : 1) elle avait de nombreux autres dossiers à traiter, et 2) elle avait beaucoup à faire pour répondre à la jurisprudence présentée à l’audience par le conseil du ministre.

[48] La SPR a présenté ses motifs le lundi 24 février 2020. On ne sait pas si le décideur avait reçu les observations du demandeur avant de rendre sa décision. Il ne suffit pas de demander à la Cour de faire des conjonctures à cet égard, ce que je refuse assurément de faire. En outre, la Cour estime que la décision est protégée par la présomption de régularité (voir Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1157 [le juge Barnes]) :

[7] Il s’agit d’un argument dénué de fondement. Une forte présomption de régularité s’applique aux décisions de ce genre : voir Canada c Weimer, (1998) 228 [NR] 341, aux paragraphes 12 et 13, [1999] [WDFL] 60. La présomption peut être réfutée à l’aide d’éléments de preuve convaincants selon lesquels le décideur n’avait pas le pouvoir de décider, mais aucun élément de preuve n’a été déposé en l’espèce. Concrètement, cette situation n’est pas différente de celle dans laquelle la signature du décideur est illisible. Si l’identité du décideur est en quelque sorte une question importante lors d’un contrôle judiciaire, la partie intéressée a l’obligation de la demander. Garder le silence et se plaindre par la suite n’est pas une option offerte.

[49] Voir également l’arrêt Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c Wiemer, (1998), 228 NR 341 (CAF) [le juge Létourneau], au para 13 :

[13] La réalité est qu’une personne qui signe ou prétend signer au nom d’un fonctionnaire supérieur d’un ministère jouit d’une présomption suivant laquelle elle détient le pouvoir qu’elle prétend exercer tant que cette présomption n’est pas réfutée.

[50] Le demandeur a reçu la décision de la SPR, datée du 24 février 2020, faisant état de la mesure d’exclusion.

[51] Le 25 février 2020, la SPR a rejeté la deuxième demande présentée, étant donné que la mesure d’exclusion avait été décidée de manière définitive. Le 26 février 2020, la conseil a transmis par télécopieur ses observations postérieures à l’audience.

[52] Le demandeur soutient que la SPR a manqué à son obligation d’équité procédurale en faisant abstraction de sa demande de prorogation du délai accordé pour le dépôt des observations après l’audience. Je ne suis pas d’accord, dans la mesure où la SPR s’était déjà acquittée de sa charge lorsque les observations ont finalement été déposées. Le demandeur a attendu trop longtemps avant de présenter les observations appropriées; à mon avis, la conseil aurait dû procéder avec beaucoup plus de diligence lorsqu’elle a demandé un deuxième délai, dans la mesure où elle n’avait pas respecté la première échéance. L’argument avancé concernant l’équité procédurale est sans fondement.

VII. Conclusion

[53] À mon humble avis, le demandeur n’a pas prouvé qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, mais il a démontré que la décision de la SPR était déraisonnable et je tire donc une conclusion en ce sens. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

VIII. Question certifiée

[54] Le demandeur a demandé la certification de la question suivante, qui a été soulevée dans le cadre de ses arguments selon lesquels il aurait dû se voir accorder la prorogation demandée :

[traduction]

La jurisprudence suggérant que la SPR a l’obligation d’examiner toutes les observations avant de devenir functus officio vise-t-elle également les observations non fondées sur la preuve liées aux requêtes procédurales?

[55] Je ne certifierai pas cette question puisqu’elle n’est pas déterminante en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1946-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’une nouvelle décision soit rendue conformément aux présents motifs.

  4. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

  5. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1946-20

 

INTITULÉ :

HAI LIN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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