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Date : 20060626

Dossier : IMM-6337-05

Référence : 2006 CF 805

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 JUIN 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

MOHAMMAD BAGHER SEDARAT

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision en date du 16 septembre 2005 par laquelle N. Chan (l'agente) a rejeté la demande d'évaluation du risque avant le renvoi (ERAR) de M. Mohammad Bagher Sedarat (le demandeur).

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est citoyen de l'Iran. Il est arrivé au Canada le 12 avril 1996 en compagnie de son frère, Noushzad Sedarat. Ils ont tous les deux demandé l'asile au Canada du fait des opinions politiques qu'on leur imputait et de leur appartenance à un groupe social déterminé en raison du rôle qu'ils avaient joué en ce qui concerne la publication de la traduction en farsi, en Iran, de l'ouvrage de Joseph Heller, Catch 22, par la maison d'édition de leur père.

 

[3]               Dans une décision datée du 23 janvier 1998, la Section du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention. La Commission avait conclu que le demandeur n'était pas digne de foi et qu'il n'avait pas présenté suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour étayer sa demande. La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Commission a été rejetée le 2 juin 1998.

 

[4]               Le demandeur a présenté une demande en vue d'être considéré comme faisant partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, mais sa demande a été rejetée le 14 décembre 1999 par un agent de révision des revendications refusées.

 

[5]               Le 27 mai 1999, le demandeur a présenté une demande en vue d'être dispensé, pour des raisons d'ordre humanitaire, de l'obligation de solliciter la résidence permanente depuis le Canada. Cette demande a été refusée le 18 janvier 2000.

 

[6]               Le demandeur a présenté le 20 juillet 2004 une demande en vue d'obtenir une dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire pour le motif qu'elle était parrainée par sa conjointe. Cette demande a également été refusée le 25 janvier 2005.

 

[7]               Le 24 février 2005, le demandeur a présenté une demande d'évaluation du risque avant le renvoi (ERAR). Cette demande a été rejetée par décision datée du 16 septembre 2005.

 

DÉCISION DE L'AGENTE

[8]               Après avoir examiné les documents portant sur la situation qui existe en Iran en ce qui concerne la censure, ainsi que les observations du demandeur, l'agente a conclu que le demandeur n'avait pas présenté suffisamment d'éléments d'information pour démontrer qu'il serait exposé à un risque en raison du rôle qu'il avait joué relativement à la publication de la traduction en farsi de l'ouvrage Catch 22.

 

QUESTION EN LITIGE

[9]               L'agente a-t-elle commis une erreur en interprétant la preuve documentaire?

 

ANALYSE

[10]           Certains passages de l'affidavit du demandeur renferment de nouveaux éléments de preuve qui n'ont pas été présentés à l'agente. Les éléments de preuve en question se trouvent aux paragraphes  9 et 25 et à l'annexe B (extrait du rapport de Human Rights Watch pour 2004).

 

[11]           Dans le jugement Wood c. Canada (Procureur général) [2001] A.C.F. no 52, le juge W. Andrew MacKay rappelle, au paragraphe 34, que les éléments de preuve qui n'ont pas été antérieurement présentés au tribunal administratif ne sont pas admissibles devant notre Cour :

Dans le cadre d'un contrôle judiciaire, une cour peut uniquement tenir compte de la preuve mise à la disposition du décideur administratif dont la décision est examinée; elle ne peut pas tenir compte de nouveaux éléments de preuve (voir Brychka c. Canada (Procureur général), supra; Franz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 80 F.T.R. 79; Via Rail Canada Inc. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne (re Mills) (19 août 1997), dossier du greffe T-1399-96, [1997] A.C.F. no 1089; Lemiecha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49, 24 Imm. L.R. (2d) 95; Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995) 100 F.T.R. 139, 29 Imm. L.R. (2d) 1).  

 

[12]           La Cour ne tiendra donc pas compte des paragraphes 9 et 25 et l'annexe B de l'affidavit du demandeur.

 

[13]           Dans le jugement Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] A.C.F. n458, le juge Luc Martineau expose les critères à appliquer pour déterminer la norme de contrôle régissant les questions relatives aux décisions ERAR. Voici ce qu'il déclare, au paragraphe 51 :

À mon avis, en appliquant l'approche pragmatique et fonctionnelle, lorsque la décision ERAR contestée est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter (Shahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1826, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.) (QL); Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1274, [2003] A.C.F. no 1596 (C.F.) (QL), au paragraphe 24; Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 39, [2004] A.C.F. no 30 (C.F.) (QL), au paragraphe 7). Cela dit, lorsque l'agent ERAR tire une conclusion de fait, la Cour ne devrait pas substituer sa décision à celle de l'agent ERAR sauf si le demandeur a établi que l'agent a tiré la conclusion de fait d'une manière abusive ou arbitraire et sans égard aux éléments de preuve dont il était saisi (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée; Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 14).

 

[14]           Le demandeur affirme que l'agente a fondé sa décision sur des considérations non pertinentes en citant des éléments de preuve portant sur les tendances en matière d'édition en Iran et sur l'appui du gouvernement envers les maisons d'édition, ainsi que sur l'augmentation des ventes de livres en Iran. Toutefois, ainsi que le défendeur l'a mentionné, la principale question soulevée par le demandeur pour affirmer qu'il serait exposé à un risque a trait au rôle qu'il a joué dans la publication d'un ouvrage que les autorités iraniennes considèrent hostile au régime. J'estime donc que l'agente était justifiée de tenir compte d'éléments de preuve documentaire récents portant sur la censure et sur l'attitude des autorités iraniennes en ce qui concerne le sort réservé à ceux qui publient de l'information en Iran.

 

[15]           Tout en insistant sur la situation des journalistes et des autres personnes qui œuvrent dans le domaine des médias et de l'édition, le demandeur affirme que l'agente n'a pas pleinement saisi la réalité de la menace à leur vie et du risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités auxquels sont exposées les personnes jugées « indésirables » par les autorisé iraniennes en raison de leur physionomie, de leur idéologie ou de leur comportement. Le demandeur affirme que, parce qu'il est perçu comme étant trop occidentalisé, les autorités iraniennes le considèrent comme un indésirable.

 

[16]           Je ne suis pas d'accord avec l'argument que l'agente n'a pas pleinement saisi la gravité du risque auquel le demandeur serait exposé s'il devait retourner en Iran parce qu'il est trop occidentalisé. L'agente a abordé la question de front en écrivant ce qui suit :

[traduction] J'ai examiné le témoignage du demandeur suivant lequel il a déjà été victime de harcèlement, sous diverses formes et à divers degrés, parce que les autorités le soupçonnent d'être opposé au régime et d'être trop occidentalisé. Je ne trouve aucun élément de preuve objectivement identifiable qui permettrait de penser que le demandeur affichait publiquement ses convictions politiques, qu'il était un militant ou un dissident ou encore que sa situation ressemble à celle des journalistes et d'autres personnes travaillant dans le domaine des médias ou de l'édition dont les droits et libertés sont brimés en raison de leur travail.

 

(Décision de l'agente, 16 septembre 2005, page 10 du dossier)

 

[17]           Il n'y a aucun élément de preuve qui appuie l'affirmation du demandeur suivant laquelle il serait personnellement victime de discrimination parce que les autorités iraniennes le perçoivent comme étant trop occidentalisé et, partant, comme indésirable. Dans le jugement Al-Shammari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [2002] A.C.F. no 478, le juge Edmond P. Blanchard déclare ce qui suit, au paragraphe 24 :

La jurisprudence de cette Cour est abondante, un revendicateur doit établir un lien crédible entre sa revendication et la situation objective régnant dans un État pour être reconnu un réfugié au sens de la Convention [Canada (Secrétaire d'État) c. Jules, (1994) 84 F.T.R. 161]. Donc, il ne suffit pas pour un demandeur de déposer de la preuve faisant état de problèmes vécus par certains de ses concitoyens. Il faut également qu'il établisse un lien entre sa revendication et la situation objective dans son pays. Je suis satisfait qu'un tel lien pourrait être fondé dans la preuve qu'on retrouve au dossier. Je suis d'avis que la Section du statut a erré en ne tenant pas compte de la situation objective en Irak. 

 

[18]           Le demandeur n'a pas été jugé digne de foi. L'agente a par ailleurs noté dans son évaluation que son analyse de l'affaire reposait en partie sur les mêmes faits que ceux qui avaient été portés à la connaissance de la Commission et qui avaient été jugés non crédibles par cette dernière. Il était loisible à l'agente de ne pas ajouter foi aux déclarations antérieures du demandeur. Dans le cas d'une demande ERAR, c'est au demandeur qu'il incombe de démontrer, au moyen de nouveaux éléments de preuve, qu'il serait exposé personnellement à un risque s'il devait retourner en Iran. L'agente n'a pas commis d'erreur en estimant qu'elle ne disposait pas de suffisamment d'éléments de preuve au sujet du risque auquel le demandeur serait personnellement exposé. Il ressort de sa décision que l'agente s'est fondée sur des documents déposés en preuve qui étaient pertinents et appropriés.

[19]           Le demandeur affirme que l'agente a commis une erreur en ne retenant que certains éléments de preuve pour justifier ses conclusions au sujet de l'évaluation du risque auquel il serait exposé s'il retournait en Iran. Je suis toutefois convaincu que, dans le cas qui nous occupe, il ressort des motifs détaillés qu'elle a exposés que l'agente a attentivement examiné l'ensemble de la preuve soumise par le demandeur avant d'en arriver à sa décision. Au vu du dossier, rien ne permet de penser que la décision ne reposait pas sur la preuve. Dans sa décision, l'agente a tenu compte de divers documents portant sur la situation qui règne en Iran. Il lui appartenait de décider quels documents étaient plus importants que d'autres. La Cour n'entend pas réévaluer la preuve documentaire si les conclusions tirées par l'agente ne sont pas manifestement déraisonnables. Or, les conclusions de fait de l'agente ne sont pas manifestement déraisonnables et, dans l'ensemble, sa décision est raisonnable.

 

JUGEMENT

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. Il n'y a pas de question à certifier.

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-6337-05

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMAD BAGHER SEDARAT C. MCI

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 25 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 JUIN 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Mohammad Bagher Sedarat

 

POUR LE DEMANDEUR

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mohammad Bagher Sedarat

312, rue Carnarvon, bureau 215

New Westminster (Colombie-Britannique)

V3L 5H6

Tél. : 604-540-2647

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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