Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211214


Dossier : IMM-1661-21

Référence : 2021 CF 1410

[TRADUCTION FRANÇAISE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2021

En présence de monsieur le juge en chef

ENTRE :

DILAWAR SINGH, SINDER KAUR, ASHMEET KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demandeurs sont des citoyens indiens. Ils ont présenté une demande d’asile au Canada, fondée sur leur crainte que des membres du parti politique Shiv Sena leur causent un préjudice.

[2] À l’appui de leur demande d’asile, le demandeur principal (Dilawar Singh) et son épouse (Sinder Kaur) déclarent qu’ils ont été agressés par des membres du Shiv Sena à de multiples occasions, dans ou près de leur village d’origine de Karnal, dans l’État du Haryana, et à Hasur, dans l’État du Maharashtra. Lors de deux de ces incidents, Mme Kaur ainsi que leur fille mineure (Ashmeet Kaur) [Ashmeet] ont fait l’objet de menaces de mort. Dans un autre cas, elles ont été victimes d’une tentative d’enlèvement. Selon M. Singh, ces agressions, menaces et tentatives d’enlèvement résultaient de son refus d’adhérer au Shiv Sena et de vendre de la drogue pour le compte de l’organisation. Il a plutôt choisi de continuer à travailler pour un parti politique sikh, le Shiromani Akali Dal.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission] a jugé que les demandeurs adultes étaient des témoins crédibles, mais a rejeté leur demande d’asile, au motif qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Mumbai et à Delhi. Ils ont été déboutés de leur appel devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR].

[4] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’ils n’avaient satisfait à aucun des deux volets du critère applicable à la PRI. Ils prétendent également que la SAR a commis une erreur en omettant d’aborder explicitement l’intérêt particulier d’Ashmeet et de sa sœur cadette née au Canada, en leur qualité d’enfants. Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

II. Les questions en litige

[5] Les demandeurs soulèvent trois questions, qui sont mieux formulées ainsi :

III. La norme de contrôle

[6] Les trois questions soulevées par les demandeurs sont susceptibles de contrôle selon la norme du caractère raisonnable. Afin d’apprécier si une décision est raisonnable, la Cour cherchera à savoir si elle est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Pour répondre à ces exigences, la décision doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 85, 99.

IV. Appréciation

A. L’appréciation par la SAR du premier volet du critère applicable à la PRI était-elle déraisonnable?

[7] Le critère applicable à la PRI comporte deux volets. Dans le contexte de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le premier volet du critère exige que toute personne qui demande l’asile démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle risque sérieusement d’être persécutée dans la région de son pays qui offre prétendument une possibilité de refuge : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) à la p 593 [Thirunavukkarasu]. Dans le contexte de l’article 97, le demandeur d’asile est tenu de démontrer qu’il est probable qu’il soit personnellement exposé au risque décrit à l’alinéa 97(1)a) ou à celui décrit à l’alinéa 97(1)b). Pour les fins des articles 96 et 97, il doit être établi que les agents de persécution possèdent probablement les moyens et la motivation nécessaires pour pourchasser les demandeurs dans la ou les régions correspondant à la PRI proposée : Saliu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 167 au para 46.

[8] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur, dans son analyse du premier volet du critère, en omettant de prendre en compte l’absence de toute protection offerte par l’État. Les demandeurs soutiennent que, comme ils ont démontré qu’ils éprouvaient une crainte subjective et que l’État n’était pas en mesure de la dissiper, alors la SAR aurait dû conclure que cette crainte était fondée. Ils ajoutent que le Cartable national de documentation [le CND] au sujet de l’Inde étaye leur position.

[9] Je ne suis pas d’accord. Il ne suffit pas d’établir l’existence d’une crainte subjective de persécution et d’une crainte subjective de ne pas pouvoir bénéficier d’une protection de l’État. Il incombe également au demandeur de démontrer que cette crainte est « objectivement justifiable » : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 723 [Ward].

[10] Ainsi, même lorsque les craintes subjectives d’un demandeur d’asile sont jugées crédibles, il lui faut également démontrer que ces craintes sont « objectivement justifiables » : Ward, précité, à la p. 723. Pour ce faire, le demandeur doit réfuter la présomption selon laquelle tout État est en mesure de protéger ses citoyens, sauf lorsqu’il y a effondrement complet de l’appareil étatique ou lorsque les agents de persécution sont des représentants de l’État.

[11] Pour réfuter cette présomption, le demandeur doit démontrer, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, et selon la prépondérance des probabilités, que l’État n’est pas en mesure de lui offrir une protection adéquate et réelle : Ward, précité, aux p 723–725; Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 au para 30; Cosgun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 400 au para 52; Komatsia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 695 aux para 12, 13; Camargo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1044 au para 26; Brzezinski c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 25 au para 20.

[12] Lorsque les demandeurs affirment que la SAR devait examiner des questions dépassant le cadre de l’appel et devait, de sa propre initiative, se pencher sur la protection offerte par l’État, ils préconisent en réalité d’inverser le fardeau qui leur incombait en l’espèce. Or, comme la SAR a jugé que Mumbai et Delhi constituaient des PRI, les demandeurs avaient le fardeau de réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État y était adéquate en présentant des éléments de preuve clairs et convaincants : Thirunavukkarasu, précité, aux p 594, 595. Compte tenu de la preuve au dossier, il n’était pas déraisonnable que la SAR conclue que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de ce fardeau.

[13] Dans son analyse du premier volet du critère relatif à la PRI, la SAR s’est concentrée sur les arguments précis soulevés par les demandeurs. Ces arguments portaient exclusivement sur le risque auquel ils seraient exposés à Mumbai et à Delhi, soit d’être pris pour cible par des membres du parti Shiv Sena. Compte tenu de la preuve dont disposait la SAR, il lui était raisonnablement loisible de conclure que (i) les membres du Shiv Sena qui avaient persécuté les demandeurs étaient des membres locaux du parti qui agissaient à l’insu et sans l’aval de l’ensemble du parti, et que (ii) les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de démontrer que ces membres auraient des raisons de vouloir s’en prendre à eux à Mumbai et à Delhi.

[14] Les demandeurs n’ont relevé aucun élément de preuve se trouvant dans le CND, ou ailleurs dans le dossier dont disposait la SAR, qui aurait permis d’étayer leurs arguments selon lesquelles ils ne bénéficieraient probablement pas d’une protection adéquate de l’État à Mumbai ou à Delhi.

[15] Les demandeurs soutiennent que, lorsqu’une personne a déjà été victime de persécutions dans le pays dont elle a la nationalité, il faut, en droit, conclure que cette personne craint avec raison d’être persécutée, à moins qu’il n’y ait des raisons de juger que cette crainte n’est plus fondée, parce que, par exemple, les conditions dans le pays dont la personne a la nationalité ont changé. Ils invoquent à cet égard l’arrêt Fernandopulle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91 au para 12 [Fernandopulle]. Toutefois, dans ce passage, la Cour d’appel fédérale donne sa propre interprétation de l’argument des appelants sur cette question. En définitive, la Cour d’appel a rejeté leur argument. Ce faisant, elle a convenu avec le juge de première instance que la seule question à trancher dans le cadre de l’appréciation d’une demande d’asile consistait en la question factuelle de savoir si, au moment de l’audition de la demande, il était justifié que le demandeur craigne d’être persécuté advenant son renvoi : Fernandopulle, précité, au para 23. En réponse à la question certifiée, la Cour a expressément déclaré que les personnes ayant souffert de persécutions passées ne bénéficient d’aucune présomption en leur faveur : Fernandopulle, précité, au para 25.

[16] Les demandeurs soutiennent également que la SAR aurait dû retenir leur témoignage sous serment selon lequel ils seraient probablement recherchés à Mumbai ou à Delhi par des membres du Shiv Sena. À l’appui de cette position, ils invoquent l’arrêt Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CA) au para 5. Dans ce jugement, la Cour d’appel fédérale a énoncé le principe général selon lequel « [q]uand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter ». Toutefois, cette présomption ne s’applique pas aux inférences ou aux conclusions qu’un témoin tire des faits, ni aux conjectures sur des faits qui pourraient survenir. De même, elle ne s’applique pas aux craintes qui ne sont pas suffisamment étayées par la preuve objective : Araya Atencio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 571 aux para 8–10; Hernandez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF. no 657 (CF 1re inst) au para 6; Derbas c Canada (Solliciteur général),[1993] ACF. n829 (CF 1re inst) au para 3.

[17] En résumé, pour les motifs exposés ci-dessus, l’appréciation faite par la SAR du premier volet du critère applicable à la PRI appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, précité, aux para 85, 86. Les conclusions tirées par la SAR étaient suffisamment justifiées, transparentes et intelligibles. Elles étaient également fondées sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle.

B. L’appréciation par la SAR du deuxième volet du critère relatif à la PRI était-elle déraisonnable?

[18] Pour les besoins des articles 96 et 97 de la LIPR, le deuxième volet du critère applicable à la PRI exige que les demandeurs démontrent qu’il ne serait pas objectivement raisonnable de leur imposer de chercher refuge dans la région correspondant à la PRI, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris leur situation particulière : Thirunavukkarasu, précité, à la p 597. À ce chapitre, la barre est placée « très haute » pour déterminer ce qui est objectivement déraisonnable, et le critère n’exige « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un [demandeur] tentant de se relocaliser temporairement » dans une région offrant une PRI éventuelle : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA) au para 15. Ces conditions doivent être établies au moyen d’une preuve réelle et concrète. Ainsi, « il ne [..] suffit pas [aux demandeurs d’asile] de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient » : Thirunavukkarasu, précité, à la p 598.

[19] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son appréciation du deuxième volet du critère relatif à la PRI, parce qu’elle n’a pas raisonnablement tenu compte de leur situation personnelle ni de celle de personnes se trouvant dans des circonstances similaires. La SAR a plutôt circonscrit son analyse aux risques généraux auxquels étaient exposées les personnes d’origine sikhe. Les demandeurs affirment que la SAR aurait dû se pencher sur la question consistant précisément à savoir si M. Singh, qui est un sikh baptisé et un partisan déclaré du Khalistan, risquait sérieusement d’être persécuté à Mumbai et à Delhi.

[20] Je ne suis pas d’accord.

[21] Devant la SAR, les demandeurs ont fait valoir qu’il serait déraisonnable qu’ils s’installent à Mumbai ou à Delhi pour trois raisons, au sujet desquelles ils n’ont fourni aucune explication ni preuve corroborante : (i) il existe une possibilité sérieuse que les [traduction] « hommes de main » du Shiv Sena les traquent et les tuent, d’autant plus que M. Singh est un partisan engagé du parti politique Shiromani Akali Dal, (ii) la [traduction] « mafia de la drogue » est très puissante en Inde, et (iii) ils seraient susceptibles de subir d’autres [traduction] « traitements excessivement sévères et inhumains ».

[22] La SAR a traité explicitement des deux premières observations et a tiré des conclusions supplémentaires qui lui ont permis de statuer que les régions de Mumbai et Delhi constituaient des PRI où il serait acceptable que les demandeurs s’installent.

[23] Plus précisément, la SAR a fait remarquer que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle était parvenue à sa conclusion concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI, car elle avait cité les éléments de preuve objectifs contenus dans le CND qui étayaient les conclusions suivantes :

  1. il existe d’importantes communautés sikhes à Delhi et à Mumbai;

  2. les membres des minorités sikhes qui vivent hors de la région du Pendjab ont accès à des logements, à des emplois, à des soins de santé et à une éducation, et sont libres de pratiquer leur religion;

  3. les sikhs ne sont confrontés à aucune difficulté lorsqu’ils s’installent dans d’autres régions de l’Inde.

[24] La SAR a également souligné que le CND ne contenait aucune mention de l’existence d’une [traduction] « mafia de la drogue » qui sévirait à Mumbai ou à Delhi. En outre, elle a pris acte de conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs adultes avaient l’éducation, les compétences et l’expérience nécessaires pour trouver du travail dans un nouvel environnement. La SAR a fait remarquer que les demandeurs l’avaient explicitement reconnu dans leurs observations écrites. La SAR a également noté que la SPR avait jugé les demandeurs aptes à s’établir dans un nouveau milieu de vie et à s’y adapter.

[25] Compte tenu de ce qui précède, la conclusion tirée par la SAR quant au deuxième volet du critère relatif à la PRI est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Elle est également « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, précité, aux para 85 et 86.

C. Était-il déraisonnable que la SAR ne se penche pas explicitement sur l’intérêt d’Ashmeet et de sa sœur en leur qualité d’enfants?

[26] Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur en omettant d’examiner spécifiquement l’intérêt d’Ashmeet et de sa sœur en leur qualité d’enfants. Ils soutiennent que cet intérêt aurait dû être explicitement pris en compte, parce que M. Singh et son épouse ont tous deux affirmé lors de leur témoignage qu’Ashmeet avait été victime d’une tentative d’enlèvement et qu’ils craignaient que la vie de leurs filles soit mise en péril s’ils devaient s’installer à Mumbai ou à Delhi.

[27] Les demandeurs soutiennent que cette erreur commise par la SAR dans son analyse a été aggravée par le fait qu’elle n’a pas pris en considération (i) les Directives numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié, publiées par la Commission [les Directives du président], ni (ii) les Principes directeurs sur la protection internationale : Les demandes d’asile d’enfants dans le cadre de l’article 1A(2) et de l’article 1(F) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/09/08, le 22 décembre 2009, publiés par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés [les Principes directeurs du HCR]. Plus précisément, les demandeurs affirment que la SAR n’a pas respecté le principe énoncé dans les deux séries de directives, selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer une considération primordiale lors de l’examen d’une demande d’asile. Les demandeurs ajoutent que la SAR a également omis de tenir compte de la recommandation du HCR selon laquelle les décideurs devraient tenir compte des diverses formes de maltraitance que peuvent subir les enfants.

[28] À mon avis, il n’était pas déraisonnable que la SAR omette de faire explicitement référence à l’intérêt d’Ashmeet et de sa sœur au cours de son appréciation. À l’exception du bref résumé du contexte factuel pertinent fait par les demandeurs, qui a été jugé crédible par la SAR, les observations qu’ils ont présentées à la SAR étaient entièrement axées sur leurs craintes communes et sur les questions qui les touchaient collectivement. Ces questions correspondaient à leurs arguments selon lesquels la SPR avait commis une erreur en omettant de prendre en compte certains éléments de preuve documentaire et en rejetant certaines parties de leur témoignage, au moment où elle avait conclu qu’ils disposaient d’une PRI à Mumbai et à Delhi.

[29] Les demandeurs n’ont mentionné leurs filles nulle part dans les observations qu’ils ont présentées à la SAR, et donc, a fortiori, ils n’y ont pas non plus expliqué en quoi l’intérêt de leurs filles pourrait être pertinent pour les besoins de l’analyse relative aux deux volets du critère de la PRI.

[30] Compte tenu de ce contexte, la SAR n’était pas tenue d’aborder explicitement un intérêt éventuel qu’aurait Ashmeet ou sa sœur, en leur qualité d’enfants, dans la mesure où cet intérêt n’avait pas été défini. Tout au long de son analyse, la SAR a abordé les diverses questions qui concernaient l’ensemble des demandeurs et qui avaient été soulevées devant elle et devant la SPR. Ces questions comprenaient les craintes des demandeurs et les raisons pour lesquelles ils considéraient qu’il serait excessivement sévère et inhumain de leur imposer de s’installer à Mumbai ou à Delhi. Dans le cadre de son analyse, la SAR a tenu compte de ces questions de façon implicite lorsqu’elle a examiné la situation d’Ashmeet et de sa sœur.

[31] Ma conclusion à cet égard est étayée par le témoignage de Sinder Kaur devant la SPR, selon lequel les [traduction] « principales menaces » proférées par les personnes qu’elle craignait visaient son mari. Lorsqu’on lui a demandé s’il y avait d’autres raisons pour lesquelles la famille ne pouvait pas vivre à Mumbai ou à Delhi, elle a répondu [traduction] « ce sont nos inimitiés, nous ne savons pas où ils pourraient nous tuer [...] » : transcription, à la p 24. Essentiellement, les demandeurs se sont entièrement fiés le fondement de la demande de M. Singh. Il n’était donc pas déraisonnable que la SAR se concentre sur la demande de ce dernier (Morales Esquivel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 468 au para 26) et sur les arguments qui s’appliquaient à l’ensemble des demandeurs.

[32] Je prends acte du fait que M. Singh a mentionné, dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile, qu’Ashmeet avait été traumatisée par la tentative d’enlèvement dont elle avait été victime et qu’elle avait dû être admise à l’hôpital pour y être soignée. Je prends également acte du fait que M. Singh a déclaré qu’il avait eu peur que son épouse et sa fille soient victimes d’un viol au moment de la tentative d’enlèvement et qu’il craignait également qu’elles le soient à l’avenir si elles devaient retourner en Inde. Toutefois, comme aucune observation n’a été présentée au sujet de ces éléments spécifiques ou d’autres aspects de l’intérêt d’Ashmeet et de sa sœur, il n’était pas déraisonnable que la SAR ne les prenne pas en compte dans son analyse.

[33] Ma conclusion sur cette question est soutenue par le fait que la SAR ne disposait d’aucun élément de preuve permettant d’établir (i) que l’état mental d’Ashmeet était susceptible de se détériorer, et encore moins qu’il atteindrait le seuil de gravité requis par le deuxième volet du critère relatif à la PRI, (ii) qu’Ashmeet et sa sœur courraient un risque réel de subir un préjudice physique, ou (iii) qu’il serait autrement objectivement déraisonnable de leur imposer de vivre à Mumbai ou à Delhi, en particulier.

[34] Dans ce contexte, il n’était pas non plus déraisonnable que la SAR omette de mentionner expressément les Directives du président ou les Principes directeurs du HCR. J’ajouterai, pour les besoins du dossier, que la SPR a explicitement déclaré qu’elle avait tenu compte des Directives du président et que la SAR a ensuite fait observer de façon spécifique que son rôle consistait « à examiner l’ensemble des éléments de preuve et à établir si la SPR a[vait] rendu la bonne décision ». Il peut être déduit de ce qui précède que la SAR a tenu compte des Directives du président pour rendre sa décision.

V. Conclusion

[35] Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande sera rejetée.

[36] Je conviens avec les parties que le cadre juridique et factuel de la présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1661-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Le cadre juridique et factuel de la présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale à certifier.

« Paul S. Crampton »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‐traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1661-21

 

INTITULÉ :

DILAWAR SINGH, SINDER KAUR, ASHMEET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 14 décembre 2021

COMPARUTIONS :

Aman Sandhu

 

POUR LES DEMANDEURS

Mara Selanders

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.