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Date : 20211209


Dossier : IMM-683-20

Référence : 2021 CF 1377

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

KEABETSWE DUDU RANNATSHE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Lorsqu’un seul agent d’immigration examine une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il doit tenir compte de la preuve présentée dans les deux demandes. L’agent principal d’immigration qui a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Keabetswe Dudu Rannatshe le 5 décembre 2019 n’a pas tenu compte de la preuve dont il disposait dans le cadre de la demande d’ERAR, ce qui a restreint son appréciation aux [traduction] « documents présentés par la demanderesse à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ». En outre, il a écarté à tort les préoccupations de Mme Rannatshe concernant les difficultés auxquelles elle ferait face au Botswana au motif que ces risques avaient déjà été évalués dans sa demande d’asile et sa demande d’ERAR et qu’elle ne serait pas plus susceptible que d’autres Botswanais d’être victime de violence fondée sur le genre.

[2] À mon avis, le rejet par l’agent de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est déraisonnable compte tenu de ces lacunes importantes dans son raisonnement.

[3] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Rannatshe est accueillie et sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il l’examine de nouveau.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[4] Les parties conviennent que la Cour procède au contrôle judiciaire de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‐17, 23‐25; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44. Par conséquent, la question centrale dont la Cour est saisie dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si le rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Mme Rannatshe était déraisonnable.

[5] Mme Rannatshe soulève quatre questions principales pour contester le caractère raisonnable de la décision :

  • 1) L’agent a‐t‐il commis une erreur dans sa façon d’évaluer la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en ne faisant pas preuve de compassion et d’empathie à l’égard de la situation de Mme Rannatshe?

  • 2) L’agent a‐t‐il commis une erreur dans son évaluation des difficultés auxquelles Mme Rannatshe ferait face en retournant au Botswana?

  • 3) L’agent a‐t‐il commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, à savoir le fils de Mme Rannatshe au Botswana?

  • 4) L’agent a‐t‐il commis une erreur dans son évaluation de l’établissement de Mme Rannatshe au Canada?

[6] Lorsqu’elle apprécie ces questions selon la norme de la décision raisonnable, la Cour commence par examiner les motifs présentés avec une « attention respectueuse » et cherche à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur : Vavilov, au para 84. La Cour doit évaluer si la décision dans son ensemble, eu égard au dossier, est transparente, intelligible et justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur celle‐ci, et elle ne devrait pas s’arrêter à une « erreur mineure » ou une lacune accessoire : Vavilov, aux para 15, 85, 99‐103. Au contraire, la Cour infirmera une décision au motif qu’elle est déraisonnable uniquement si celle‐ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov, aux para 99‐100.

[7] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la deuxième question soulevée par Mme Rannatshe est déterminante. Les motifs de l’agent concernant les difficultés auxquelles Mme Rannatshe serait confrontée au Botswana ne respectaient pas les contraintes juridiques applicables. Cette lacune est suffisamment grave pour rendre la décision déraisonnable dans son ensemble.

III. Analyse

A. La demande d’ERAR et la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Mme Rannatshe

[8] Mme Rannatshe est arrivée au Canada en 2012 et a demandé l’asile parce qu’elle craignait W, un ancien conjoint abusif et violent au Botswana. Mme Rannatshe a entamé une relation avec un autre homme avec qui elle a eu un enfant en 2011. W a menacé Mme Rannatshe lorsqu’il a appris qu’elle était enceinte, puis, à la suite de la naissance de l’enfant en avril 2012, il a menacé de la tuer ainsi que de tuer son conjoint. Mme Rannatshe a signalé cet incident à la police, mais elle s’est enfuie au Canada lorsqu’elle a appris que W avait été détenu pendant une semaine seulement.

[9] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile de Mme Rannatshe en septembre 2013. La SPR n’a pas remis en doute la crédibilité de Mme Rannatshe, mais elle a conclu que celle‐ci n’avait pas établi que W représentait plus qu’une simple possibilité de persécution.

[10] En 2014, Mme Rannatshe a rencontré et marié un Canadien, qui a présenté une demande en vue de la parrainer pour qu’elle obtienne la résidence permanente. Cependant, il a retiré cette demande en 2016 et le couple s’est divorcé en 2018 dans un contexte où le mari canadien de Mme Rannatshe abusait d’elle.

[11] En janvier 2019, Mme Rannatshe a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, puis une demande d’ERAR un mois plus tard. Dans cette demande, Mme Rannatshe insistait sur le risque que représentait W, qui avait récemment quitté Gabarone pour déménager dans son village, ainsi que sur les risques qu’elle subisse de la violence fondée sur le genre au Botswana. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soulignait la question de l’intérêt supérieur du fils de Mme Rannatshe au Botswana, son établissement au Canada ainsi que les difficultés auxquelles elle serait exposée si elle devait retourner au pays.

B. Rejet de la demande d’ERAR et de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[12] Le même agent principal d’immigration a tranché la demande d’ERAR et la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Mme Rannatshe, les 3 et 5 décembre 2019 respectivement. En ce qui concerne la demande d’ERAR, l’agent a conclu que les préoccupations de Mme Rannatshe concernant le déménagement de W dans son village ne démontraient pas qu’elle risquait de subir un préjudice à l’avenir. Il a également conclu que les articles présentés par Mme Rannatshe indiquaient que la police botswanaise avait mis en œuvre des initiatives afin de remédier à la violence fondée sur le genre, et que Mme Rannatshe n’avait pas démontré qu’elle serait incapable d’obtenir la protection de l’État. L’agent a aussi conclu que les documents déposés ne démontraient pas que Mme Rannatshe ne disposerait pas d’une possibilité de refuge intérieur au Botswana.

[13] La Cour a accordé à Mme Rannatshe l’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire du rejet de la demande d’ERAR en avril 2021 (dossier de la Cour no IMM‐684‐20). Cependant, Mme Rannatshe a été renvoyée du Canada vers le Botswana en février 2020 à la suite du rejet de sa requête en vue d’obtenir le sursis à l’exécution de son renvoi : Rannatshe v Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), IMM-1250-20, 25 février 2020. La demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre du rejet de la demande d’ERAR a fait l’objet d’un désistement peu de temps avant l’audition de la demande en l’espèce.

[14] Dans ses motifs justifiant le rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Mme Rannatshe, l’agent a examiné son établissement au Canada, la violence conjugale dont elle a été victime au pays, le risque qu’elle subisse un préjudice au Bostwana, les conditions défavorables au Botswana en ce qui concerne la violence fondée sur le genre et l’emploi, ainsi que l’intérêt supérieur de son fils et de deux autres enfants désignés. En ce qui concerne l’établissement, l’agent a souligné que Mme Rannatshe était restée au Canada pendant sept ans et demi, ce qui représente une [traduction] « période importante ». Toutefois, l’agent a conclu qu’elle n’avait pas démontré « un degré d’établissement exceptionnel au Canada » et que son degré d’établissement au pays n’était pas « supérieur à celui qu’aurait acquis une personne qui, tout comme la demanderesse, a vécu et travaillé au Canada pendant plusieurs années ».

[15] L’agent a conclu ce qui suit concernant le risque de préjudice que représente W au Botswana :

[traduction]

Les documents présentés par la demanderesse à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire indiquent que W, son ancien conjoint, représente un risque pour elle au Botswana. Cependant, je souligne que la demanderesse n’a présenté aucune preuve documentaire pour étayer cette allégation dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. En l’absence de preuve documentaire à l’appui, je conclus que les documents présentés par la demanderesse dans la demande ne démontrent pas que son ancien conjoint représenterait un risque pour elle au Botswana.

En outre, je signale que la déclaration de la demanderesse selon laquelle son ancien conjoint lui ferait courir un risque au Botswana a été examinée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) ainsi que par moi‐même à titre de décideur chargé de trancher sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Je souligne que la demande d’asile et la demande d’ERAR de la demanderesse ont été rejetées.

[Non souligné dans l’original.]

[16] En ce qui concerne les questions de la violence fondée sur le genre et des conditions économiques difficiles au Botswana, l’agent a fait référence à plusieurs reprises aux [traduction] « documents présentés par la demanderesse à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ». Il a souligné que celle‐ci n’avait présenté aucune preuve documentaire parmi ces documents pour appuyer ses déclarations au sujet de la violence fondée sur le genre, et que ces documents n’indiquaient pas que W représentait un risque pour elle. L’agent a signalé que Mme Rannatshe avait présenté, à l’appui de sa demande d’ERAR, des articles démontrant que la violence fondée sur le genre constituait une préoccupation grave et constante au Botswana. Cependant, il a conclu que les articles [traduction] « n’indiquaient pas que la demanderesse serait plus susceptible que d’autres personnes de subir de la violence fondée sur le genre au Botswana ».

C. Le rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire par l’agent était déraisonnable

[17] À mon avis, l’analyse que l’agent a effectuée des difficultés et des risques auxquels Mme Rannatshe serait exposée au Botswana était déraisonnable à trois égards.

[18] Premièrement, la Cour a conclu que, dans le cas où le demandeur présente une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande d’ERAR qui sont examinées par le même agent dans un court laps de temps, la décision de ce dernier doit être fondée sur « l’ensemble de la preuve » dans les deux demandes : Sosi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1300 au para 12; Durrant c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 329 aux para 21, 32‐33; Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 114 aux para 14‐15; Denis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 65 aux para 38‐47; voir aussi, après la décision de l’agent, Abdinur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 880 au para 13.

[19] En l’espèce, puisque l’agent a fait référence aux [traduction] « documents présentés par la demanderesse à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire » à maintes reprises, il est clair qu’il a cherché à compartimenter les deux demandes et a fait abstraction de la preuve déposée à l’appui de la demande d’ERAR lorsqu’il a examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. En particulier, en ce qui concerne la question importante du préjudice que W pourrait causer, l’agent a principalement fondé sa conclusion sur l’absence de [traduction] « preuve documentaire [...] dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ». Cette façon de faire ne respectait pas les contraintes juridiques ayant une incidence sur la décision et était déraisonnable. Selon moi, bien que l’agent ait mentionné les articles portant sur la violence fondée sur le genre au Botswana déposés à l’appui de la demande d’ERAR, cela ne change en rien le fait qu’il était déraisonnable de ne pas examiner ces éléments de preuve au sujet du risque que représente W.

[20] Le ministre fait remarquer que, puisqu’il incombe au demandeur d’établir les faits sur lesquels sa demande repose, « c’est à ses risques et périls » qu’il omet des éléments de preuve et des observations » : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 8. Le ministre fait également valoir que rien ne garantissait que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et la demande d’ERAR de Mme Rannatshe seraient examinées par le même agent, et que le demandeur ne devrait pas présumer que les deux demandes seront examinées par le même agent. Je conviens que le demandeur qui ne fournit pas l’ensemble de la preuve pertinente à l’appui de l’une ou l’autre de ses demandes court un risque si ses demandes sont examinées par des agents différents. Cependant, cela ne change en rien le principe applicable dans le cas où un seul agent tranche les deux demandes : Denis, aux para 41‐42. Comme le juge Mandamin l’a souligné dans la décision Durrant, les examens réalisés par le même agent aboutissent idéalement à de meilleures décisions (au para 21). L’agent pourrait être en mesure d’examiner les contradictions entre les éléments de preuve présentés dans les deux demandes. Le corollaire est que l’agent ne peut faire abstraction des éléments de preuve essentiels à l’une des demandes qui sont présentés dans l’autre demande.

[21] Deuxièmement, il était déraisonnable pour l’agent de rejeter les préoccupations relatives aux risques que W représente au motif que les deux demandes de Mme Rannatshe dans lesquelles ce risque est soulevé ont été rejetées. Même avant la publication de l’arrêt Kanthasamy de la Cour suprême du Canada, la Cour a clairement indiqué qu’un agent ne devrait pas « se fermer » aux facteurs de risques dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire simplement parce qu’ils ne satisfont pas au critère applicable à une demande d’ERAR : Pinter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296 au para 5; Gaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 989 aux para 24‐26; Durrant, aux para 21‐24. Dans l’arrêt Kanthasamy, les juges majoritaires de la Cour suprême ont souligné que le défaut de satisfaire aux normes relatives aux demandes d’asile n’empêche pas qu’on tienne compte des mêmes faits sous‐jacents à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

Finalement, l’adjonction du par. 25(1.3) à la Loi en 2010 [...] confirme que le par. 25(1) n’est pas censé faire double emploi avec l’art. 96 ou le par. 97(1), lesquels servent à déterminer si le demandeur craint avec raison d’être persécuté ou s’il s’expose au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

Ce qui justifie une dispense dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids [...]

[...]

Comme le conclut la Cour d’appel fédérale en l’espèce, le par. 25(1.3) n’empêche pas d’admettre en preuve les faits présentés à l’appui d’instances relatives aux art. 96 et 97. Il incombe à l’agent appelé à rendre une décision en application du par. 25(1) de se demander si ces éléments de preuve, de pair avec les autres que le demandeur souhaite présenter, permettent, même s’ils sont insuffisants pour étayer une demande relative à l’art. 96 ou à l’art. 97, de conclure que des « considérations d’ordre humanitaire » justifient une dispense de l’application habituelle de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. En d’autres termes, l’agent n’a pas à se prononcer sur la preuve d’une crainte fondée de persécution ou d’une menace à la vie ou d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités, ce qui relève des art. 96 et 97. Il peut cependant tenir compte des faits sous‐jacents pour déterminer si la situation du demandeur justifie ou non une dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

[Non souligné dans l’original; en italique dans l’original; renvois omis; Kanthasamy, aux para 24‐26, 51]

[22] Le fait que l’agent se soit fondé sur le rejet de la demande d’asile et de la demande d’ERAR de Mme Rannatshe pour faire fi des risques de préjudice que représentait W au Botswana était déraisonnable et contraire à la jurisprudence.

[23] Troisièmement, il était déraisonnable pour l’agent de rejeter les préoccupations de Mme Rannatshe quant à la violence fondée sur le genre au Botswana au motif qu’elle ne « serait [pas] plus susceptible que d’autres [d’y] subir de la violence fondée sur le genre ». Rien n’exige que la personne qui sollicite une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire montre qu’elle est plus exposée que d’autres à des difficultés. Dans la décision Gonzalez, le juge Mosley a clairement indiqué que « l’auteur d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire peut faire valoir des difficultés auxquelles sont aussi confrontés d’autres citoyens du pays de renvoi. La demanderesse n’a pas à prouver qu’elle sera exposée à des difficultés différentes de celles subies par toute autre personne » : Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 382 au para 55. Comme dans le cas de l’erreur précédente, il semble que l’agent a examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sous l’angle des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et non dans l’optique d’évaluer si la situation de Mme Rannatshe justifiait l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[24] À mon avis, ces erreurs importantes commises par l’agent ont fait en sorte que son analyse des difficultés et des risques au Botswana était déraisonnable. Comme la question des difficultés était centrale dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Mme Rannatshe, on ne peut considérer les erreurs de l’agent comme superficielles ou accessoires par rapport au fond de l’affaire. Au contraire, elles révélaient des lacunes importantes à l’égard d’un aspect central de la décision qui ont fait en sorte que celle‐ci est déraisonnable dans son ensemble : Vavilov, au para 100.

[25] Compte tenu de mes conclusions sur cette question, je n’ai pas besoin d’examiner les autres arguments de Mme Rannatshe. Néanmoins, je suis d’avis qu’il vaut la peine de signaler brièvement ma préoccupation concernant la manière dont l’agent a traité la question de l’établissement. En particulier, j’estime qu’il est illogique de ne pas considérer la question de l’établissement de Mme Rannatshe comme un facteur favorable, au motif que son degré d’établissement n’était pas [traduction] « exceptionnel ». Selon ma compréhension de l’arrêt Kanthasamy, l’agent qui examine une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit tenir compte de la situation du demandeur et lui accorder du poids de manière appropriée. De plus, il ne doit pas imposer des « adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé » d’une manière telle qu’elle limite son pouvoir discrétionnaire : Kanthasamy, au para 33; voir l’analyse dans la décision Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158 aux paras 17‐21. En outre, il ne semble pas judicieux de faire fi du degré d’établissement de Mme Rannatshe au motif que celui‐ci n’était pas [traduction] « supérieur » à celui auquel une personne se trouvant dans une situation semblable parviendrait dans la même période. Outre la difficulté de tenter de définir une norme ou un degré d’établissement attendu au cours d’une période donnée, l’agent qui adopte cette approche risque de ne pas tenir compte du degré d’établissement d’un demandeur qui vit au pays depuis longtemps et qui est bien intégré, au motif que d’autres personnes auraient ce même degré d’établissement. Toutefois, je n’ai pas à traiter davantage de ces préoccupations compte tenu de ma conclusion selon laquelle la décision de l’agent était déraisonnable en raison de son analyse des difficultés.

IV. Conclusion

[26] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Mme Rannatshe est renvoyée à un autre agent. Je souligne que, dans les circonstances, puisque la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne sera pas rapidement tranchée par le même agent que la demande d’ERAR étant donné que celle‐ci n’est pas renvoyée, Mme Rannatshe devrait avoir l’occasion de s’assurer que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire comprend toute la preuve pertinente qu’elle souhaite y inclure.

[27] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-683-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande de Keabetswe Dudu Rannatshe en vue d’obtenir une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-683-20

 

INTITULÉ :

KEABETSWE DUDU RANNATSHE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Gen Zha

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Meenu Ahluwalia

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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