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Date : 19991129


Dossier : IMM-4576-98


Ottawa (Ontario), le 29 novembre 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW


ENTRE :


RICARDO PABLO RABANG, MARIA DORIE RABANG

et PATRICK RABANG, représenté par son

tuteur à l"instance, RICARDO PABLO RABANG


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l"agent des visas est annulée. Les demandes de droit d"établissement doivent être renvoyées à un autre agent des visas et à deux autres médecins agréés, pour qu"ils les examinent à leur tour.

                                 Karen R. Sharlow

                                     juge

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A, LL.B.




Date : 19991129


Dossier : IMM-4576-98


ENTRE :


RICARDO PABLO RABANG, MARIA DORIE RABANG

et PATRICK RABANG, représenté par son

tuteur à l"instance, RICARDO PABLO RABANG


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE SHARLOW


[1]      Monsieur et Madame Rabang et leur fils, Patrick, qui a maintenant quatorze ans, ont présenté une demande de droit d"établissement au Canada en juin 1995. Leur demande a été rejetée par un agent des visas le 29 juillet 1998 sur le fondement que Patrick était non admissible pour des raisons d"ordre médical. Les demandeurs cherchent à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]      Patrick est généralement en santé, mais il est atteint d"une infirmité motrice cérébrale qui provoque chez lui un retard de développement mental, moteur et social. Il fait également des crises d"épilepsie. L"état de santé de Patrick s"est amélioré grâce aux traitements qu"il subis, et il est probable qu"il continue de s"améliorer. Cependant, en raison de son état de santé, Patrick doit prendre des médicaments pour contrôler ses crises d"épilepsie, il doit subir des examens neurologiques semestriels, et il a besoin d"enseignement spécial, sur une base indéfinie.

[3]      La preuve qui m"a été soumise dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire consiste en un affidavit produit pour le compte des demandeurs, le dossier de l"agent des visas, et le dossier du médecin agréé.

[4]      La décision de l"agent des visas de refuser d"admettre Patrick au Canada est fondée sur le sous-alinéa 19(1)a )(ii) de la Loi sur l"immigration, dont voici la partie pertinente :

19 (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible_:
a)      celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut_:
     (ii)      [...] que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

[5]      L"agent des visas a fondé sa conclusion que le sous-alinéa 19(1)a )(ii) s"appliquait à Patrick sur un document intitulé " Déclaration médicale ". La Déclaration médicale fait était de l"avis du médecin agréé, daté du 26 mars 1997, qui suit le libellé du sous-alinéa 19(1)a )(ii), et de l"avis concordant d"un autre médecin agréé, daté du 20 juin 1997.

[6]      L"avis est suivi d"une partie appelée le " profil médical ", qui consiste en un certain nombre de codes fondés sur le système de classement qui se trouve sous la rubrique " Énoncé des critères médicaux fondamentaux " du Guide de l"immigration. Le formulaire de déclaration médicale fait ensuite état du diagnostic, qui, dans le cas de Patrick, est un retard de développement accompagné d"infirmité motrice cérébrale. L"exactitude du diagnostic n"est pas contestée. Enfin, le formulaire de déclaration médicale comprend la description suivante :

[TRADUCTION] CE GARÇON À CHARGE ÂGÉ DE 11 ANS EST ATTEINT D"INFIRMITÉ MOTRICE CÉRÉBRALE DEPUIS SA NAISSANCE, ACCOMPAGNÉE D"UN RETARD DE DÉVELOPPEMENT PSYCHOMOTEUR ET DE CRISES D"ÉPILEPSIE CONCOMITANTS. IL FRÉQUENTE ACTUELLEMENT UNE ÉCOLE SPÉCIALISÉE POUR PERSONNES ATTEINTES D"INFIRMITÉ MOTRICE CÉRÉBRALE. IL EST ATTEINT DE DIPLÉGIE SPASTIQUE, DE CONTRACTURE EN FLEXION PLANTAIRE, D"AUTISME, DE RETARD DE LANGAGE ET DE TROUBLE DÉFICITAIRE DE L"ATTENTION. IL A BESOIN D"AIDE POUR ACCOMPLIR SES ACTIVITÉS QUOTIDIENNES, Y COMPRIS SE LAVER ET S"HABILLER. IL A BESOIN D"ENSEIGNEMENT SPÉCIAL, DE PHYSIOTHÉRAPIE, D"ERGOTHÉRAPIE ET D"ORTHOPHONIE, DE MÊME QUE DE SOINS SPÉCIALISÉS CONTINUS. IL EST PEU PROBABLE QU"IL SOIT EMPLOYABLE AU SEIN DU MARCHÉ CANADIEN DE L"EMPLOI.
ON PEUT RAISONNABLEMENT S"ATTENDRE À CE QUE SON ADMISSION AU CANADA ENTRAÎNE UN FARDEAU EXCESSIF SUR LES SERVICES SOCIAUX ET DE SANTÉ, ET IL EST NON ADMISSIBLE ÉTANT DONNÉ QUE L"ALINÉA 19 1 a ii DE LA LOI SUR L"IMMIGRATION S"APPLIQUE.

[7]      Patrick avait onze ans et dix mois lorsqu"un médecin agréé l"a examiné en vue de formuler son avis. Il a maintenant quatorze ans.

[8]      L"avis du médecin agréé dont fait état la Déclaration médicale est fondé sur un certain nombre de documents concernant Patrick, dont le rapport d"un médecin qui l"a examiné aux Philippines le 23 juillet 1996, un certificat médical, daté du 21 février 1997, d"un neurologue des Philippines qui avait traité Patrick depuis sa petite enfance, un certificat médical, daté du 17 février 1997, du centre de réadaptation aux Philippines où Patrick reçoit des traitements depuis 1990, une évaluation pédiatrique de développement, datée des 21 et 24 février 1997, une évaluation de physiothérapie, datée du 19 février 1997, un rapport, daté du 18 février 1997, du département d"enseignement spécial de l"école que Patrick fréquente aux Philippines, un rapport du centre de réadaptation, daté du 18 février 1997, sur l"évolution de l"état de santé de Patrick, et un rapport, non daté, du département d"orthophonie du centre de réadaptation, établissant un programme que la famille de Patrick devait suivre à la maison pour l"aider à se développer.

[9]      En outre, le dossier médical qui avait été ouvert à l"égard de Patrick concernant une autre demande de droit d"établissement, qui avait été rejetée en 1991, paraît avoir été examiné.

[10]      Dans une lettre datée du 25 mai 1997, l"agent des visas a informé les demandeurs du contenu de la description que contenait la Déclaration médicale, et il a dit :

[TRADUCTION] Cette information m"amène à conclure qu"on peut s"attendre à ce que l"admission de votre fils à charge, Patrick Rabang, entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada. En conséquence, je pourrais rejeter votre demande de résidence permanente.
Cependant, vous pouvez, avant que je prenne une décision sur la question de savoir si votre fils à charge est non admissible, répondre à la description de l"état de santé de ce dernier en produisant de nouveaux renseignements d"ordre médical.

[11]      La raison pour laquelle cette lettre a été envoyée avant que l"autre médecin agréé formule son avis concordant n"est pas claire. De toute façon, l"avocate des demandeurs a répondu en soumettant des observations écrites, datées du 22 juin 1997, qui traitaient de certaines des questions soulevées.

[12]      Les documents supplémentaires ont, semble-t-il, été examinés par le premier médecin agréé qui a formulé son avis. L"autre médecin agréé, qui avait formulé un avis concordant avec l"avis initial, n"était, semble-t-il, pas disponible, mais un troisième médecin agréé a examiné l"avis et les documents supplémentaires et formulé, lui aussi, un avis concordant avec l"avis initial.

[13]      L"une des questions de droit soulevées dans la présente demande est de savoir si l"enseignement spécial constitue un " service social ou de santé " au sens du sous-alinéa 19(1)a )(ii). Il faut répondre à cette question par l"affirmative, selon l"arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) c. Thangarajan, [1999] 4 C.F. 167 (C.A.). Comme je suis liée par cet arrêt, la question ne pouvait faire l"objet des plaidoiries à l"audition. Cependant, l"avocate des demandeurs a mentionné qu"elle n"abandonnait pas cet argument parce que, à l"instar de l"avocat dans l"affaire Thangarajan , elle pourrait présenter une demande d"autorisation de pourvoi de l"arrêt Thangarajan devant la Cour suprême du Canada.

[14]      La preuve que contient le dossier médical étaye l"avis du médecin agréé dans la mesure où elle porte sur l"état de santé de Patrick et sur le fait qu"à l"avenir, il aura probablement besoin de soins médicaux, de soins thérapeutiques, et d"enseignement spécial. Cependant, sauf une exception de peu d"importance (dont il sera question au paragraphe suivant), il n"y a pas de preuve sur ce que j"appelle les aspects non médicaux de l"avis, soit la disponibilité, la rareté ou les coûts de services sociaux ou de santé financés à même les deniers publics, établissant ce que Patrick exigera probablement. Comme on n"a pas tenté de pallier ce manque de preuve par un affidavit, il est impossible d"apprécier le caractère raisonnable de l"avis du médecin agréé selon lequel on peut raisonnablement s"attendre à ce que les besoins de Patrick entraînent un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada.

[15]      La seule exception est l"élément de preuve établissant que les besoins d"enseignement spécial de Patrick seraient satisfaits à même les deniers publics canadiens. Le rapport que Mme Chan-Liu a présenté pour le compte des demandeurs indique que les programmes d"enseignement spécial du système d"écoles publiques conviendraient à Patrick. En conséquence, le médecin agréé disposait d"éléments de preuve lui permettant de conclure que les besoins d"enseignement spécial de Patrick seraient satisfaits à même les deniers publics. Cependant, Mme Chan-Liu n"a pas abordé la question des coûts ni celle de la rareté de tels services d"enseignement spécial.

[16]      De la même façon, Mme Chan-Liu dit que Patrick aura besoin des services d"un physiothérapeute, d"un orthophoniste et d"un travailleur social, et que de tels services sont disponibles au Surrey Place Centre, à Toronto. Cependant, elle ne dit pas si ces services seront financés à même les deniers publics dans le cas de Patrick, ou s"il est probable qu"ils le soient. En outre, elle ne fait pas de remarque sur la rareté ni les coûts de l"un ou l"autre de ces services.

[17]      On a soutenu à l"audition que je devais présumer que les aspects non médicaux de l"avis étaient fondés sur les connaissances spécialisées ou l"expertise du médecin agréé. Or, je ne saurais faire une telle présomption. Notre Cour a dit plusieurs fois qu"un médecin agréé n"a pas le droit de présumer qu"un état de santé particulier ou une incapacité particulière doit nécessairement entraîner un fardeau excessif : Deol c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1992), 145 N.R. 156 (C.A.F.); Jiwanpuri c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1990), 109 N.R. 293 (C.A.F.); Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1995), 29 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); Litt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1995), 26 Imm. L.R. (2d) 153 (C.F. 1re inst.).

[18]      Notre Cour a également dit plusieurs fois que l"avis d"un médecin agréé sur la question du fardeau excessif pouvait faire l"objet d"un contrôle judiciaire et devait être justifié s"il était contesté. L"avis médical qui n"est pas fondé sur la preuve ne saurait être justifié : Mohamed c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1986] 3 C.F. 90 (C.A.); Ahir c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1984] 1 C.F. 1098 (C.A.); Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1998), 140 F.T.R. 311 (1re inst.); Fei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1998] 1 C.F. 274 (1re inst); Fong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1997), 126 F.T.R. 235 (1re inst); Gao c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1993), 61 F.T.R. 65 (1re inst).

[19]      On a soutenu, pour le compte du ministre, qu"appliquer une telle norme aux médecins agréés imposerait à ces derniers un fardeau administratif inacceptable. Je n"accepte pas cet argument. Le médecin agréé a l"obligation légale de donner son avis sur un certain nombre de questions de fait en se fondant sur des éléments de preuve. Exiger que le médecin agréé décrive de tels éléments de preuve en réponse à une demande de contrôle judiciaire n"est pas excessif.

[20]      Dans un certain nombre d"affaires dont notre Cour a été saisie, des éléments de preuve établissant le coût social ont été produits pour justifier l"avis d"un médecin agréé sur le fardeau excessif. Je renvoie, à titre d"exemple, à l"affaire Ma , précitée, à la décision Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), IMM-288-99 (29 octobre 1999) (C.F. 1re inst.), et à l"instance qui s"est déroulée devant la Section de première instance dans l"affaire Thangarajan , précitée (décision publiée à (1998) 152 F.T.R. 91), et dans l"affaire connexe Yogeswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1997), 129 F.T.R. 151 (deux décisions confirmées par la Cour d"appel fédérale le 24 juin 1999).

[21]      On a également soutenu, pour le compte du ministre, qu"il incombait aux demandeurs de convaincre le médecin agréé que le fardeau que Patrick entraînerait sur les services sociaux et de santé financés à même les deniers publics ne serait pas excessif, et que ces derniers n"ont produit aucun élément de preuve à cet égard. Cet argument ne traite pas du problème fondamental que soulève la présente affaire. Le problème est que le dossier ne contient aucun élément de preuve sur la question cruciale du fardeau excessif.

[22]      Il s"ensuit que la décision de l"agent des visas doit être annulée. Les demandes de droit d"établissement doivent être renvoyées à un autre agent des visas et à deux autres médecins agréés, pour qu"ils les examinent à leur tour.

                                 Karen R. Sharlow

                                     juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 novembre 1999.


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                  IMM-4576-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Ricardo Pablo Rabang et autres c.                                  Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 5 novembre 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :                  29 novembre 1999



ONT COMPARU :


Mme Barbara Jackman                          pour les demandeurs

Mme Marianne Zoric                              pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Mme Barbara Jackman                          pour les demandeurs

Toronto (Ontario)


M. Morris Rosenberg                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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