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Date : 20211220


Dossier : IMM-4069-21

Référence : 2021 CF 1446

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

OURIDA GHARBI

BASIL O A ALABADILAH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, madame Ourida Gharbi (Mme Gharbi) et son époux, monsieur Basil Alabadilah (M. Alabadilah), sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 2 juin 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) qui avait conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en tirant la conclusion que le Maroc est le pays de résidence habituelle antérieure de M. Alabadilah et que les conclusions de la SAR relatives à la crédibilité sont déraisonnables.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. Je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits

A. Les demandeurs

[4] Mme Gharbi est une citoyenne de la Tunisie âgée de 47 ans. Son père et ses frères, Moncef et Wannes, étaient membres de l’armée tunisienne. Son père et son frère Moncef sont décédés.

[5] M. Alabadilah est un Palestinien âgé de 52 ans, né en Arabie Saoudite. Dans ce pays, il était tenu d’avoir des répondants et de renouveler son statut de résident temporaire chaque année. Ses répondants auraient conservé pour eux la majeure partie de son salaire et auraient exercé un contrôle considérable sur son gagne-pain.

[6] Les demandeurs font valoir que les membres féminins de la famille des militaires tunisiens n’ont pas le droit d’épouser des étrangers. En 1996, Mme Gharbi s’est mariée avec M. Alabadilah en Tunisie et seules sa mère et ses sœurs ont assisté à la noce. Elle prétend que, quoique son père ait donné son consentement, ses frères avaient tenté d’empêcher la tenue du mariage et avaient réclamé une somme d’argent au nouvel époux.

[7] Après la cérémonie de mariage, Mme Gharbi a déménagé en Arabie Saoudite avec M. Alabadilah, où ils sont demeurés durant plus de 20 ans.

[8] En 2001, Mme Gharbi est retournée en Tunisie pour un séjour de trois semaines chez sa sœur Zohra. Selon elle, après que son frère eut vent qu’elle était au pays, il a tenté d’arranger un divorce, l’a invectivée et a menacé de les tuer, elle et son époux, s’ils remettaient un jour les pieds en Tunisie. Mme Gharbi a ensuite voyagé plusieurs fois dans ce pays pour visiter sa sœur, soit en 2013, février 2014, juin 2015, novembre 2017 et octobre 2018.

[9] Entre novembre 2015 et décembre 2018, M. Alabadilah s’est rendu à huit reprises au Maroc pour un projet de travail. Son voyage le plus court a duré une semaine, mais la plupart des périodes passées au Maroc variaient entre deux mois et demi et un peu plus de quatre mois.

B. La décision de la SPR

[10] Dans la décision du 14 février 2020, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[11] La SPR a jugé que Mme Gharbi était retournée en Tunisie au mois six fois depuis son mariage, et que ces voyages minaient son allégation selon laquelle elle craignait avec raison d’être persécutée dans ce pays. Elle a également fait observer qu’aucun élément de preuve crédible ne montrait que les autorités tunisiennes s’opposent ou se sont opposées au mariage des demandeurs. La SPR a, de surcroît, précisé qu’aucun élément de preuve ne montrait que la famille de Mme Gharbi a continué de la prendre pour cible après 2001, ni que la relation des demandeurs a nui a la carrière militaire des frères de la demanderesse.

[12] La SPR a examiné la preuve tirée des comptes de médias sociaux des demandeurs. Elle a noté que Mme Gharbi était « amie » sur Facebook avec « G. H. Monsef », son défunt frère, et que M. Alabadilah était ami avec « Wannes Gharbi », l’autre frère de Mme Gharbi. La SPR a conclu que l’absence d’une explication crédible ou cohérente sur les raisons de leur amitié sur Facebook avec au moins certains des agents de persécution présumés minait considérablement leur crédibilité. La SPR a également fait remarquer qu’il n’existait aucun élément de preuve indiquant que les demandeurs avaient pris des précautions sur les médias sociaux pour empêcher les frères de Mme Gharbi d’obtenir des renseignements à leur sujet.

[13] La SPR a également conclu que le Maroc est un pays de résidence habituelle antérieure de M. Alabadilah. Elle a noté qu’il avait vécu dans ce pays avec son épouse pendant environ 18 mois après novembre 2015. Elle a aussi tenu compte du fait qu’il était titulaire d’une carte de résidence marocaine renouvelable de trois ans (la carte d’immatriculation) qui expirait le 17 janvier 2021, et qu’il avait déclaré aux autorités américaines qu’il était résident permanent du Maroc. Comme aucun élément de preuve ne montrait que M. Alabadilah serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution au Maroc, la SPR a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

C. La décision de la SAR

[14] Le 2 juin 2021, la SAR a confirmé la décision de la SPR. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle les séjours de Mme Gharbi en Tunisie entachaient la crédibilité de sa demande. La SAR a également jugé que la SPR était fondée à conclure que les demandeurs étaient amis sur Facebook avec deux de leurs agents de persécution allégués, et que ce fait minait leur crédibilité. Enfin, la SAR a estimé que la SPR avait raison de conclure que le Maroc était un pays de résidence habituelle antérieure de M. Alabadilah. Comme celui-ci n’avait pas dit craindre de retourner au Maroc, la SAR a statué qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[15] La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[16] Les parties conviennent que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Je suis du même avis (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 10, 16-17).

[17] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais elle est rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif dans lequel elle est rendue, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[18] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que celle‐ci comporte des lacunes qui sont suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les cours de révisions doivent s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elles ne doivent pas modifier les conclusions de fait (Vavilov, au para 125).

IV. Analyse

A. Le Maroc à titre de pays de résidence habituelle antérieure

[19] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant que le Maroc était un pays de résidence habituelle antérieure de M. Alabadilah. Ils s’appuient sur l’arrêt Maarouf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3021 (CAF), [1994] 1 CF 723, où la Cour d’appel fédérale énonce ce qui suit :

[L]a notion de « résidence habituelle » vise à établir une relation avec un État qui est en général comparable à celle qui existe entre un citoyen et son pays de nationalité.

[20] Dans son analyse relative au fait de savoir si le Maroc était un pays de résidence habituelle antérieure de M. Alabadilah, la SAR a relevé que ce dernier avait indiqué sur sa page Facebook qu’il demeurait à Casablanca, au Maroc, et qu’il avait précisé dans sa demande de visa américain qu’il était un résident permanent de ce pays, et a conclu qu’il avait été :

[...] admis au Maroc dans le but d’y établir une résidence continue pendant un certain temps, au sens de la décision Maarouf, comme en témoignent la carte renouvelable de trois ans qui lui a été délivrée et ses multiples entrées dans ce pays, qui lui ont permis de travailler et de vivre avec son épouse là-bas, indépendamment de ce qu’il a écrit dans le formulaire de demande de visa des États‐Unis et sur sa page Facebook, qui tendent vers la même conclusion.

[21] Les demandeurs invoquent également la décision Al-Khateeb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 31 (Al-Khateeb), dans laquelle la Cour précise que le terme « habituel » dans le syntagme « résidence habituelle antérieure » est défini comme « régulier, continu ou habituel » et suggère un « mode de vie normal non interrompu » (au para 19). L’affaire Al‐Khateeb concernait un demandeur palestinien né à Gaza où il avait vécu jusqu’à l’âge de six mois. La Cour a conclu que la SAR avait commis une erreur en concluant qu’un séjour de six mois ne pouvait pas être qualifié d’habituel, et a déterminé que dans ce cas, la période de six mois constituait un « mode de vie normal non interrompu » et que le demandeur « vivait avec sa famille, a mangé et a dormi comme les nourrissons le font » (au para 19).

[22] Les demandeurs avancent que, contrairement au demandeur dans l’affaire Al‐Khateeb, M. Alabadilah a effectué huit voyages au Maroc d’une durée moyenne de 2,7 mois, étalés sur une période de trois ans et un mois, et qu’à chaque fois il est retourné chez lui en Arabie Saoudite, le pays où il est né et a résidé toute sa vie. Les demandeurs soutiennent que le temps passé par M. Alabadilah au Maroc est loin de constituer un « mode de vie normal ininterrompu » et qu’il ne ressemble en rien au temps passé par un citoyen dans son pays de nationalité.

[23] Je suis d’avis que l’affaire Al-Khateeb est en fait similaire à la cause des demandeurs. Selon moi, l’affaire étaye l’argument du défendeur selon lequel la durée ne détermine pas l’importance des séjours de M. Alabadilah au Maroc, et qu’une période plus courte passée dans un pays n’empêche pas celui‐ci d’être à juste titre considéré comme un pays de résidence habituelle antérieure. Au paragraphe 20 de la décision Al-Khateeb, la Cour formule ce qui suit :

Puisqu’il n’existe aucune période minimale pour un [pays de résidence habituelle antérieure], la signification doit pouvoir signifier autre chose qu’une longue période. Il s’ensuit qu’une courte période peut être significative.

[24] Tout comme le demandeur dans la l’affaire Al-Khateeb, lequel avait le droit de retourner et de vivre à Gaza, M. Alabadilah était capable d’obtenir une carte de résidence renouvelable, bénéficiait d’un droit de retour au Maroc, et était en mesure d’y vivre confortablement avec son épouse.

[25] Enfin, les demandeurs tablent sur la décision Qassim c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 226 (Qassim), selon laquelle « [l]a délivrance de titres de voyage ne constitue pas, en soi, la preuve que le pays de délivrance est le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle » (au para 38). Dans l’affaire Qassim, le demandeur avait visité l’Iraq à deux reprises, la première fois en 1997 pour une période de huit semaines, et la seconde fois en 2001 pour une période de cinq semaines. La Cour a statué qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que ces séjours n’équivalaient pas à des périodes appréciables de résidence de fait, considérant que, contrairement à la trame factuelle de l’affaire Al-Khateeb, le demandeur n’avait jamais séjourné en Iraq (Qassim, aux para 40-41).

[26] Selon le défendeur, la question de savoir si un pays est considéré comme un pays de résidence habituelle antérieure est une question de fait qui doit être examinée avec beaucoup de circonspection (Alkurd c Canada (Citoyenneté c Immigration), 2019 CF 298 au para 32). Le défendeur se fonde également sur la décision Chehade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 282, pour soutenir que, même si les demandeurs ne peuvent désormais retourner au Maroc, ils ne répondent pas pour autant à la définition de réfugié au sens de la Convention (au para 35). En d’autres termes, vu que les demandeurs n’ont pas quitté le Maroc par crainte d’y être persécutés, la question de savoir si M. Alabadilah reste titulaire d’un droit de retour n’a pas de répercussions sur sa demande.

[27] En ce qui concerne l’argument des demandeurs selon lequel le statut de M. Alabadilah dépendait de sa participation à un projet de travail temporaire, l’avocat du défendeur a dirigé mon attention sur la déposition de M. Alabadilah devant la SPR, où il avait expliqué qu’il avait découvert qu’il pouvait devenir résident permanent du Maroc, mais qu’il trouvait le processus trop onéreux :

[traduction]

CONSEIL : Mm-hmm. Cette carte de résidence vous a-t-elle donné l’occasion d’obtenir un statut permanent au Maroc?

DEUXIÈME PERSONNE INTÉRESSÉE : Ok. Elle pouvait mener à la résidence permanente si je travaillais sur un projet ou, ou si j’investissais dans quelque chose. Ok. Cette carte de résidence a été délivrée pour une raison. Ok. Donc si j’aime vivre au Maroc et si j’ai un revenu alors oui, je serai en mesure d’obtenir la résidence ou la résidence permanente au Maroc et je pourrai y demeurer. Mais ce ... je n’ai pas les moyens.

CONSEIL : Mm-hmm. Ok. Avez-vous envisagé cette, cette possibilité? L’éventualité de rester d’une façon permanente au Maroc?

DEUXIÈME PERSONNE INTÉRESSÉE : Je, j’ai demandé comment, comment il était possible d’obtenir la résidence permanente au Maroc.

CONSEIL : Mm-hmm.

DEUXIÈME PERSONNE INTÉRESSÉE : J’ai juste demandé. Parce que la vie là-bas est... était agréable. Et c’était vraiment près de la Tunisie pour ma femme. Mais pour obtenir cette résidence, je devais avoir beaucoup d’argent, et je n’en ai pas les moyens.

[28] Je fais de plus remarquer que, durant l’audience devant la SPR, lorsqu’il a été interrogé sur les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas rester au Maroc pour la durée de son projet de travail, M. Alabadilah a déclaré qu’il ne pouvait pas rester à l’extérieur de l’Arabie Saoudite pour plus de quatre mois :

[traduction]

CONSEIL : Mm-hmm. Ok. Et pourquoi ne pas vivre au Maroc pendant toute la durée du projet? Pourquoi avez-vous séjourné là‐bas quelques mois à la fois pour ensuite retourner en Arabie Saoudite?

DEUXIÈME PERSONNE INTÉRESSÉE : En tant que résident de l’Arabie Saoudite, je ne peux pas rester à l’extérieur de ce pays pour plus de quatre mois.

CONSEIL : Mm-hmm.

DEUXIÈME PERSONNE INTÉRESSÉE : Donc si j’étais resté au Maroc pour plus de quatre mois, j’aurais perdu mon droit de résidence en Arabie Saoudite.

[29] Toutefois, comme le montrent le dossier et les observations des demandeurs, le séjour le plus long de M. Alabadilah au Maroc a duré plus de quatre mois, soit du 13 avril 2016 au 24 août 2016.

[30] Comme l’a souligné l’avocat du défendeur durant l’audience, M. Alabadilah a passé 21,33 mois sur 37 mois au Maroc, à savoir plus de la moitié de la période de travail de trois ans et un mois. Il était également titulaire d’une carte de résidence renouvelable de trois ans, son épouse l’a rejoint au Maroc, il a signalé aux autorités américaines qu’il était un résident permanent du Maroc, et il a indiqué sur sa page Facebook qu’il vivait dans ce pays. À mon avis, si la désignation d’un lieu de résidence sur Facebook n’est pas juridiquement concluante en soi, elle vient effectivement étayer les autres éléments de preuve qui tendent à indiquer que le Maroc est un pays de résidence habituelle antérieure de M. Alabadilah.

[31] Je conclus donc qu’il était raisonnable pour la SAR de déterminer que le Maroc est un pays de résidence habituelle antérieure de M. Alabadilah.

B. L’absence de crainte subjective et de crédibilité

[32] Les demandeurs soutiennent qu’il n’existe aucun fondement à la conclusion de la SAR selon laquelle ils manquent de crédibilité. Ils sont d’avis, plus particulièrement, que la SAR s’est appuyée déraisonnablement sur leur activité sur Facebook en mettant l’accent sur le fait qu’ils étaient « amis » sur Facebook avec un ou plusieurs des agents de persécution redoutés.

[33] En ce qui a trait au fait que M. Alabadilah et Wannes étaient amis sur Facebook, la SAR a conclu ce qui suit :

[i]l demeure que, en acceptant le frère en question comme ami, l’appelant associé lui a permis de voir certains aspects de sa vie, de sorte qu’il a rendu son épouse et lui-même plus vulnérables chaque fois qu’il a publié des renseignements, par exemple l’endroit où vit la famille.

[34] La SAR a également retenu que Moncef avait « aimé » une photographie publiée par M. Alabadilah qui symbolisait le lien conjugal des demandeurs, et a énoncé ce qui suit :

Cela démontre clairement que le frère en question a aimé une photo de l’appelant associé et aussi qu’il approuve probablement l’union des deux drapeaux, ce qui ne concorde pas avec l’allégation selon laquelle il ne veut pas se montrer favorable au mariage de sa sœur avec un Palestinien, qui pose problème en raison de son rang militaire.

[35] Les demandeurs font valoir qu’il n’existe aucun élément de preuve de « communications substantielles » entre les demandeurs et les frères de Mme Gharbi. Un des deux frères, Moncef, est décédé il y a trois ans et, selon les demandeurs, le fils de seize ans de Wannes était dans les faits celui qui utilisait le compte Facebook de son père. En outre, les demandeurs avancent que, puisqu’ils vivaient en Arabie Saoudite, ils ne couraient aucun danger du fait de leur amitié sur Facebook avec des personnes situées dans un autre pays.

[36] Comme l’a fait remarquer l’avocat du défendeur durant l’audience, il existait des divergences entre les dépositions des demandeurs quant à savoir si Wannes était au courant que son fils utilisait son compte Facebook pour communiquer avec les demandeurs. Dans son témoignage, M. Alabadilah a déclaré ce qui suit :

[traduction]

CONSEIL : [...] Pourquoi pensez-vous que Wannes permettrait à son fils d’échanger avec vous sur Facebook?

DEUXIÈME PERSONNE INTÉRESSÉE : Personnellement, je ne pense pas que Wannes est au courant de ce qui se passe.

CONSEIL : Ok. Pourquoi pensez-vous cela?

DEUXIÈME PERSONNE INTÉRESSÉE : Ok. Il ... Ma femme m’a dit que Wannes ne savait pas que son fils est, est en contact avec nous sur Facebook.

[37] Pourtant, dans son témoignage, Mme Gharbi a tenu les propos suivants :

PREMIÈRE PERSONNE INTÉRESSÉE : [...] Wannes a dit qu’il ne voit rien de mal à ce que son fils échange avec sa tante. Il n’y a pas de problème que les enfants puissent, il n’y aura aucun problème si les enfants échangent avec leur tante.

COMMISSAIRE : Ok. Pouvez-vous expliquer pourquoi votre mari nous a donné une version très différente? Il a dit qu’à sa connaissance, Wannes ne sait rien de ceci et ne le voudrait pas. Pourquoi vos déclarations à ce sujet sont‐elles complètement différentes?

PREMIÈRE PERSONNE INTÉRESSÉE : Mon, mon neveu m’a dit que son père était au courant. Peut-être juste, juste pour ne pas créer de problème dans ce cas.

[38] La SAR a également conclu que les six séjours de Mme Gharbi en Tunisie entachaient la crédibilité de sa demande. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), Mme Gharbi déclare qu’elle a visité la Tunisie pendant trois semaines en 2001, une semaine en 2013, environ onze jours en 2014, et des « courtes visites » en juin 2015, novembre 2017 et octobre 2018. Plus précisément, trois de ces visites ont eu lieu après qu’elle eut publié une photographie de voyage sur Instagram le 24 octobre 2014. La SAR a conclu ce qui suit :

[...] une des photos de voyage qu’elle a publiées sur Instagram le 24 octobre 2014 a été prise à Sousse, soit à 150 kilomètres de Tunis, où vivent ses agents de persécution. Cela porte à croire que, au moins une fois, elle n’a pas pris la précaution de se cacher à Tunis ou de limiter ses déplacements dans cette ville et d’éviter la région où vivent ses agents de persécution.

[39] Les demandeurs prétendent que Mme Gharbi a publié sur Facebook des photos de voyage en Tunisie seulement après son retour en toute sécurité en Arabie Saoudite et qu’il était donc déraisonnable pour la SAR de conclure que ces voyages minaient sa crainte subjective.

[40] Le défendeur invoque la récente décision Abdelgadir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 58, dans laquelle la Cour s’est penchée sur la question de savoir si l’unique séjour du demandeur dans son pays natal minait la preuve de sa crainte subjective. Au paragraphe 15, la Cour a énoncé ce qui suit :

[...] il est de jurisprudence constante que le retour volontaire dans le pays d’origine peut gravement nuire à la preuve d’une crainte subjective de persécution : Forvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 585, au paragraphe 59; Sainnéus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 249, au paragraphe 12; Houssou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1375, au paragraphe 3.

[41] Je me rallie à l’observation du défendeur selon laquelle peu importe la nature ou la durée du voyage, effectuer six séjours en Tunisie contredit la prétention d’une personne qui croit sincèrement que sa vie est en péril.

[42] En outre, comme l’a souligné le défendeur, bien que les demandeurs soutiennent que Mme Gharbi a uniquement informé sa sœur de ses visites et qu’elle n’a pas révélé au reste de sa famille sa présence en Tunisie, le FDA de celle‐ci démontre que son frère était au fait de son séjour dans ce pays lorsqu’elle s’y est rendue en 2001. Le FDA de Mme Gharbi fait état des faits suivants :

[traduction]

Pendant mon séjour, mon frère a eu vent de ma visite en Tunisie et a communiqué avec un avocat pour tenter d’arranger un divorce entre moi et mon mari. Ils m’ont invectivée durant cette visite et ont accusé mon mari de m’avoir contrainte à l’épouser et à vivre en Arabie Saoudite. Ils ont menacé d’empêcher mon mari de ne jamais remettre les pieds en Tunisie, et ont aussi menacé de nous tuer tous les deux en cas de retour au pays.

[43] Je conclus qu’il n’était pas nécessaire qu’il existe des « communications substantielles » entre les demandeurs et les agents de persécution pour arriver à la même conclusion que la SAR sur la crainte subjective. Je conclus également que la SAR pouvait raisonnablement déterminer que les visites de Mme Gharbi en Tunisie et les photos de ses voyages qu’elle a publiées sur les médias sociaux minaient sa demande. Comme le souligne le défendeur, en signalant aux agents de persécution qu’elle était retournée en Tunisie par la publication des photos après son retour en Arabie Saoudite Mme Gharbi contredit la crainte qu’elle a alléguée. Je conclus donc que les conclusions de la SAR relatives à la crédibilité et à la crainte subjective sont raisonnables.

V. Conclusion

[44] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la SAR témoigne d’une analyse rationnelle et qu’elle est justifiée compte tenu de la preuve. Elle est donc raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[45] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4069-21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4069-21

 

INTITULÉ :

OURIDA GHARBI ET BASIL O A ALABADILAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 NovembRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Robin D. Bajer

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Edward Burnet

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin D. Bajer Law Office

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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