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Date : 20211223


Dossier : IMM‐1317‐20

Référence : 2021 CF 1468

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

DANIELA GEGA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Mme Gega [la demanderesse], une citoyenne de l’Albanie, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 16 janvier 2020 [la décision] par laquelle un agent des visas [l’agent] a refusé de réexaminer sa demande de permis d’études. La demande, qui a été rejetée le 9 décembre 2019, était liée à un programme de trois ans menant à un diplôme en administration des affaires (finance) [le programme d’études en finance] au George Brown College of Applied Arts and Technology [le George Brown College] au Canada.

[2] Le 15 novembre 2019, l’agent a rejeté la demande initiale de permis d’études de la demanderesse au motif qu’il n’était pas convaincu que celle‐ci quitterait le Canada à la fin de son séjour. L’agent a tiré cette conclusion en se fondant sur l’objet de la visite de la demanderesse, ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence, sa situation d’emploi actuelle, ainsi que ses biens personnels et sa situation financière. La demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision dans le dossier de la Cour IMM‐214‐20. Le 4 novembre 2021, la juge Heneghan a ajourné le dossier IMM‐214‐20 en attendant que la décision en l’espèce soit rendue puisque les deux dossiers de la Cour portent sur le même sujet.

[3] Le 3 décembre 2019, la demanderesse a sollicité le réexamen du refus du 15 novembre 2019. Les 3 et 10 décembre 2019, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a accusé réception de sa demande de réexamen. Cette demande a finalement été rejetée.

[4] La demanderesse affirme avoir appris que sa demande de réexamen avait été rejetée lorsqu’elle a reçu les motifs du rejet initial de sa demande dans le dossier de la Cour IMM‐214‐20. Les motifs figuraient dans une lettre datée du 16 janvier 2020 qui contenait la lettre du 15 novembre 2019 et les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Les motifs du rejet initial de la demande et les notes du SMGC indiquent que la demande de réexamen a été rejetée le 9 décembre 2019.

[5] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Le contexte

[6] La demanderesse est une citoyenne albanaise de 41 ans. Elle travaille comme comptable pour l’entreprise Valu Add Management Services [Valu Add] et est propriétaire d’une agence de voyages appelée Diell Travel. Elle réside avec son mari à Tirana, en Albanie. Elle a obtenu un baccalauréat avec une majeure en marketing de l’Université Ismail Qemal de Vlora, en Albanie, en 2002. La demanderesse a travaillé pour plusieurs entreprises et a gravi les échelons jusqu’à un poste de spécialiste en comptabilité.

[7] La demanderesse a décidé de poursuivre ses études dans le domaine des affaires et de la finance afin de faire prospérer son agence de voyages et d’obtenir un poste de cadre supérieur dans le secteur financier. Elle a été acceptée au programme d’études en finance du George Brown College le 9 septembre 2019.

[8] Le 4 octobre 2019, Valu Add a offert à la demanderesse une promotion au poste de contrôleuse financière, qui nécessitait des compétences supplémentaires en finance. Valu Add a appuyé les objectifs de la demanderesse de poursuivre ses études au Canada.

[9] Le 18 octobre 2019, la demanderesse a présenté une demande de permis d’études. Dans une lettre datée du 15 novembre 2019, l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse.

[10] Le 3 décembre 2019, la demanderesse a envoyé une demande de réexamen. Le 9 décembre 2019, l’agent a rejeté la demande de réexamen, mais la demanderesse n’a pris connaissance de la décision que le 16 janvier 2020. L’agent n’était pas convaincu que le plan d’études de la demanderesse était logique.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[11] En l’espèce, les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision de l’agent était‐elle raisonnable?

  2. L’agent a‐t‐il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique à la décision d’un agent relative à une demande de réexamen est celle de la décision raisonnable (Khaira c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 950 au para 16; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 674 au para 32). La norme de la décision raisonnable est aussi appropriée à la lumière de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Pour juger si une décision est raisonnable, la Cour doit tenir compte du résultat de la décision et du raisonnement sous‐jacent à celle‐ci afin de s’assurer que la « décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov, au para 15). Pour qu’une décision soit raisonnable, le décideur doit adéquatement prendre en compte la preuve dont il est saisi et les observations des parties (Vavilov, aux para 89‐96, 125‐128). La Cour ne modifiera une décision que si elle est convaincue qu’elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, aux para 12‐13, 99‐100).

[13] Les parties conviennent que les questions d’équité procédurale sont quant à elles susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Les questions d’équité procédurale sont bel et bien contrôlées selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela , 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, aucune déférence n’est due au décideur, et la cour de révision doit juger si les droits à l’équité procédurale du demandeur ont été violés (Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161 au para 57). Cependant, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada au paragraphe 77 de l’arrêt Vavilov, « [l]’obligation d’équité procédurale en droit administratif est “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte ». Je partage l’avis des parties. La deuxième question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

IV. Analyse

A. La décision de l’agent était‐elle raisonnable?

(1) Observations de la demanderesse

[14] Premièrement, la demanderesse est d’avis que la décision est déraisonnable puisque l’agent n’a pas adéquatement tenu compte de la preuve. Par conséquent, ses motifs ne sont ni intelligibles ni justifiés. L’agent n’était pas convaincu que le plan d’études de la demanderesse était raisonnable ou logique parce qu’elle possédait déjà un diplôme universitaire en affaires. La demanderesse fait valoir qu’elle a fourni une explication plausible, convaincante et bien documentée de son choix de poursuivre des études en finance : sa formation en affaires se limitait au marketing et elle avait besoin d’une formation complémentaire en finance pour être admissible à un poste plus élevé dans son domaine. À l’appui de cette explication, la demanderesse a fourni une lettre de Valu Add confirmant qu’elle serait admissible à un poste de contrôleuse financière une fois qu’elle aurait terminé un programme d’études en finance. La demanderesse soutient qu’elle a indiqué que des études en finance l’aideraient également à faire prospérer son agence de voyages.

[15] La demanderesse fait valoir que son plan d’études n’est pas « à ce point extraordinaire pour déborder le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre » et pour « qu’on ne puisse y ajouter foi » (Bao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 282 au para 7). Elle affirme que son plan d’études est tout à fait plausible et qu’un décideur ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents (Valtchev c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 776 aux para 7‐8).

[16] Deuxièmement, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en remettant en question sa motivation à étudier au Canada en raison des [TRADUCTION] « conditions prévalentes » en Albanie. L’agent n’a pas expliqué quelles sont les [traduction] « conditions » sociales, économiques ou autres qui sont préoccupantes en Albanie, ni de quelle façon elles se rapportent à la demanderesse.

[17] Troisièmement, la demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur en faisant référence aux possibilités d’études en Albanie sans les mentionner et sans tenir compte de son explication quant à sa volonté de faire des études à l’étranger. La demanderesse s’appuie sur la décision Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 [Aghaalikhani]. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’il était déraisonnable qu’un agent se concentre sur « d’obscurs programmes dans [le] pays » du demandeur tout en ignorant la preuve relative aux raisons pour lesquelles celui‐ci voulait venir au Canada. À tout le moins, l’agent était tenu de prendre en considération l’explication raisonnable de la demanderesse quant à son choix d’étudier au Canada et sa déclaration selon laquelle aucune option n’était disponible dans son pays.

[18] Quatrièmement, la demanderesse affirme que l’agent a mal évalué son degré d’établissement en Albanie. L’agent a conclu que [traduction] « [l]’ensemble du dossier de demande montre que son degré d’établissement est suffisant pour motiver son retour après un séjour temporaire au Canada ». La demanderesse reconnaît que l’agent avait probablement l’intention d’écrire [traduction] « insuffisant », mais elle fait valoir qu’une telle erreur démontre qu’il a rédigé ses brefs motifs à la hâte. Quoi qu’il en soit, l’agent n’a pas expliqué comment le degré d’établissement de la demanderesse était insuffisant pour motiver son retour. Un agent qui ne fait aucun véritable effort pour évaluer les liens d’un demandeur avec son pays d’origine commet une erreur susceptible de contrôle (Zhang c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CF 1493 au para 22 [Zhang]; Aghaalikhani, au para 21). La demanderesse fait valoir qu’elle a expliqué en détail la façon dont son entreprise, son emploi et ses liens familiaux l’obligeaient à retourner en Albanie à la fin de ses études.

[19] Enfin, la demanderesse souligne que, dans la lettre de rejet du 16 janvier 2021, l’agent a mentionné quatre motifs distincts pour expliquer pourquoi il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le pays à la fin de son séjour, alors qu’il n’en a indiqué qu’un seul dans ses motifs originaux, à savoir le but de sa visite. L’agent n’a pas abordé les questions de ses [traduction] « liens familiaux » au Canada et en Albanie, de sa [traduction] « situation d’emploi actuelle » ou de ses [traduction] « biens personnels et de [sa] situation financière ». Sa décision est donc incohérente. En ce qui concerne les [traduction] « liens familiaux », l’agent a mentionné que la demanderesse s’était récemment mariée. La demanderesse fait valoir que ce fait n’est pas, à première vue, une raison de conclure qu’elle resterait au Canada. Il s’agit au contraire d’une raison pour elle de retourner en Albanie.

(2) Observations du défendeur

[20] Le défendeur fait valoir que l’agent a raisonnablement rejeté la demande puisque la demanderesse n’a pas réussi à démontrer qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour. Le défendeur souligne que l’agent a estimé qu’il n’était pas logique que la demanderesse vende ses biens en Albanie pour venir étudier au Canada. L’agent a également conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de plan d’études logique étant donné qu’elle a déjà obtenu un diplôme universitaire en affaires en Albanie. En outre, l’agent n’a pas rendu une décision défavorable en se fondant sur la situation familiale de la demanderesse. Il a seulement réitéré des faits qui n’étaient pas contestés : l’âge de la demanderesse, son état matrimonial, sa situation familiale et son niveau d’études. Le défendeur soutient que la demanderesse allègue un lien non fondé avec sa situation familiale.

[21] Le défendeur fait également valoir que l’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas expliqué de manière adéquate comment un programme d’études collégiales en affaires au Canada pourrait soutenir son apprentissage et son perfectionnement professionnel. À cet égard, la demanderesse n’a pas réussi à démontrer ce que le diplôme proposé pouvait lui apporter étant donné qu’elle possède déjà un diplôme dans le même domaine. Le défendeur souligne que le relevé de notes de l’université de la demanderesse indique qu’elle a suivi un large éventail de cours en affaires, y compris en finance. Il précise également que les lettres de Valu Add comportent des déclarations vagues et générales sur les [traduction] « études au Canada » ou [traduction] « l’éducation au Canada ». Le défendeur fait valoir que rien dans ces lettres n’indique que l’employeur connaît le programme dans lequel la demanderesse souhaite étudier au Canada.

[22] Le défendeur affirme que la demanderesse a eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent dans son courriel du 3 décembre 2019. La demanderesse a choisi de ne pas fournir de documents supplémentaires à l’appui de sa demande. Elle n’a tout simplement pas fourni suffisamment d’éléments de preuve et de justification pour convaincre l’agent qu’elle est une véritable étudiante et qu’elle quittera le Canada à la fin de la période autorisée (De La Cruz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 784 aux para 8‐12).

[23] Le défendeur fait valoir que l’agent n’a pas ignoré ou mal interprété la preuve qui contredisait carrément ses conclusions (Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 28 [Solopova]). Il souligne également que la demanderesse n’approuve tout simplement pas la façon dont l’agent a apprécié la preuve, ce qui ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire (Boughus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 210 aux para 56‐57; Solopova, au para 33). Le défendeur soutient en outre que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection.

(3) Analyse

[24] J’estime que l’agent a commis une erreur en ne prenant pas adéquatement en compte les éléments de preuve versés au dossier. Par conséquent, sa décision est déraisonnable. Bien que la décision faisant l’objet du présent contrôle soit celle rendue dans le cadre de la demande de réexamen, je m’efforcerai, dans la mesure du possible, de faire la distinction entre les motifs du rejet de la demande de réexamen et ceux du rejet initial de la demande de permis d’études.

[25] Les notes du SMGC concernant le rejet initial de la demande de permis d’études de la demanderesse indiquent ce qui suit :

[traduction]

Le dossier a été examiné. Le rejet antérieur a été divulgué. Il s’agit d’une femme de 40 ans originaire de l’Albanie qui demande un permis d’études pour s’inscrire au programme d’études de trois ans en administration des affaires et en finance du George Brown College. Elle a été acceptée pour la session qui commence en janvier 2020. Elle s’est récemment mariée (il y a moins de deux mois). Elle est propriétaire d’un commerce et travaille également pour une autre entreprise. Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que le plan d’études est raisonnable. Elle a déjà un diplôme universitaire en affaires. Compte tenu des conditions prévalentes dans son pays d’origine et du fait que ce type de programme est offert un peu partout dans son pays de résidence, je ne suis pas convaincu de la raison pour laquelle elle veut poursuivre ses études au Canada à ce stade. L’ensemble du dossier de demande montre que son degré d’établissement est suffisant pour motiver son retour après un séjour temporaire au Canada.

[26] Voici les notes du SMGC concernant l’état de la demande de réexamen :

[traduction]

La demanderesse principale a envoyé une demande de réexamen. Elle s’appuie sur le même argument que dans sa demande de permis d’études. Elle veut profiter du niveau de spécialisation offert par le George Brown College. Elle affirme qu’elle ne peut pas obtenir cela en Albanie alors qu’à Toronto, qui est le cœur du secteur financier au Canada, elle aura une expérience pratique dans le domaine de la finance. Elle mentionne qu’elle a des liens forts en Albanie (son mari). Ils n’ont pas d’enfants. Je ne suis toujours pas convaincu qu’il s’agit d’un plan d’études logique. Elle affirme qu’elle ne peut pas obtenir de promotion sans le diplôme collégial du Canada alors qu’elle a déjà un baccalauréat en affaires d’une université de son pays d’origine. Elle a vendu son appartement pour avoir les fonds nécessaires pour son projet d’études. Il n’est pas logique qu’une personne vende tous ses biens pour venir étudier au Canada. Ma décision reste inchangée.

[27] La conclusion générale de l’agent était que le plan d’études de la demanderesse n’était pas [traduction] « logique ». L’agent semble s’être préoccupé du fait que la demanderesse est déjà titulaire d’un diplôme universitaire en affaires. Cependant, il ne tient pas compte de la différence entre les antécédents de la demanderesse en marketing et son objectif de poursuivre sa carrière en tant que cadre supérieure dans le secteur financier. L’agent ne tient pas compte non plus de l’explication de la demanderesse selon laquelle elle souhaite faire prospérer son agence de voyages en approfondissant sa formation en finance.

[28] Dans sa déclaration d’intérêt, la demanderesse a clairement expliqué qu’elle a obtenu un diplôme universitaire en administration des affaires avec une spécialisation en marketing. Elle a également expliqué qu’en Albanie, il n’existe aucun programme combinant l’administration des affaires et la finance. Elle a déclaré qu’un diplôme canadien contribuerait à faire avancer sa carrière étant donné qu’elle se distinguerait des autres. En outre, la demanderesse a démontré avec une lettre d’offre qu’elle avait une possibilité de promotion concrète pour un poste de contrôleuse financière à Valu Add. Valu Add a également fourni une lettre supplémentaire dans laquelle il était précisé [traduction] qu’« un diplôme en finance » est une exigence pour la promotion puisque le titulaire du poste aurait besoin de connaissances lui permettant de [traduction] « garantir le contrôle de la qualité de transactions financières et de repérer les problèmes techniques de comptabilité ». Dans la même lettre, Valu Add a également mentionné qu’elle souhaitait faire progresser la carrière de la demanderesse et a expliqué que c’était la raison pour laquelle elle encourageait la demanderesse à terminer ses études au Canada.

[29] À mon avis, contrairement à ce qu’a déduit l’agent, à savoir que la demanderesse pourrait obtenir la promotion avec sa formation actuelle, la lettre de Valu Add indique clairement qu’une formation supplémentaire en [traduction] « finance » est une condition préalable à la promotion.

[30] En ce qui concerne l’agence de voyages, la demanderesse a souligné qu’il lui était difficile de faire prospérer son entreprise en raison de son manque de formation professionnelle et d’éducation dans le domaine des affaires et de la finance. La demanderesse a indiqué qu’elle souhaitait suivre le programme en finance afin d’apprendre comment mieux gérer et faire prospérer son agence de voyages.

[31] Les motifs de l’agent manquent d’intelligibilité, de transparence et de justification. Ils ne me permettent pas de savoir quels aspects du plan d’études proposé n’étaient pas [traduction] « logiques » ou [traduction] « raisonnables ».

[32] L’agent a commis une erreur semblable à celle qui a été constatée dans l’affaire Aghaalikhani. Il a rejeté les explications rationnelles fournies par la demanderesse concernant son désir de poursuivre des études au Canada et l’existence de liens avec l’Albanie.

[33] De plus, dans la lettre du 19 novembre 2019, l’agent a conclu que la demanderesse ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour en raison de ses [traduction] « liens familiaux au Canada et dans [son] pays de résidence ». L’agent a tiré cette conclusion malgré le plan d’études détaillé, la déclaration d’intention de la demanderesse et la description de ses liens avec l’Albanie. Je conviens avec la demanderesse que l’agent a commis une erreur en ne faisant aucun véritable effort pour évaluer ses liens avec l’Albanie (Zhang, au para 22).

[34] Pour les motifs exposés ci‐dessus, je conclus que les motifs de l’agent ne sont ni intelligibles, ni transparents, ni justifiés. Par conséquent, sa décision est déraisonnable.

B. L’agent a‐t‐il manqué à son obligation d’équité procédurale?

(1) Observations de la demanderesse

[35] La demanderesse soutient que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale. Elle fait valoir que les motifs présentent un raisonnement stéréotypé et des généralisations, et elle affirme qu’elle n’a pas eu une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations inattendues de l’agent (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 96 au para 30).

[36] La demanderesse fait valoir que l’agent a tiré deux conclusions en matière de crédibilité relativement à son intention de demeurer temporairement au Canada. Premièrement, sans en expliquer la raison, l’agent a soulevé une préoccupation concernant le fait que la demanderesse n’avait pas d’enfants. Deuxièmement, l’agent a conclu qu’il n’est [traduction] « pas logique qu’une personne vende tous ses biens pour venir étudier au Canada ». La demanderesse soutient que, eu égard à ces conclusions, elle aurait dû être avisée et avoir la possibilité de répondre (Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 au para 24 [Hassani]). La demanderesse affirme également que la deuxième conclusion n’était pas fondée sur la preuve.

(2) Observations du défendeur

[37] Le défendeur fait valoir que le degré d’équité procédurale exigé dans le contexte d’une demande de résidence temporaire est minimal et que les agents des visas ne sont pas tenus d’informer les demandeurs de chacune de leurs préoccupations (Arias Bravo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 411 au para 17; Kamchibekov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1411 au para 26 [Kamchibekov]). Le défendeur affirme qu’il incombait à la demanderesse de convaincre l’agent que ses intentions de poursuivre des études au Canada étaient sincères.

[38] Le défendeur avance que l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour. Cela ne saurait être assimilable à l’incrédulité de l’agent à l’égard de la preuve (D’Almeida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 308 au para 70; Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068 au para 35).

(3) Analyse

[39] Je suis d’avis que l’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale. Il est bien établi que le degré d’équité procédurale exigé dans le contexte de demandes de résidence temporaire, comme un permis d’études, se situe à l’extrémité inférieure du registre (Kamchibekov, au para 26). Selon la jurisprudence, lorsque les préoccupations découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Cependant, une telle obligation peut exister lorsque « l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande » (Hassani, au para 24).

[40] Je ne suis pas convaincu par les arguments de la demanderesse selon lesquels l’agent a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité en ce qui concerne sa situation familiale et ses avoirs financiers. L’agent a relevé ces facteurs lorsqu’il a évalué les liens de la demanderesse avec son pays de résidence, l’Albanie, et qu’il a évalué si la demanderesse allait vraisemblablement retourner en Albanie après avoir terminé ses études au Canada. Étant donné que cette évaluation découle directement des exigences de la loi, l’agent n’était pas tenu de donner à la demanderesse l’occasion de répondre (Pascal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 595 au para 8). La question de savoir si ces conclusions étaient cohérentes ou intelligibles concerne le caractère raisonnable de la décision de l’agent, que j’ai déjà abordée ci‐dessus.

V. Conclusion

[41] La décision de l’agent est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a aucune question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune. Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐1317‐20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐1317‐20

 

INTITULÉ :

DANIELA GEGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juillet 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 décembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

Pour la demanderesse

 

Jocelyn Espejo‐Clarke

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Kingwell

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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