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Date : 20211223


Dossier : IMM‐6070‐19

Référence : 2021 CF 1459

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2021

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

ROLAND RUSZO, KINGA VOLOPICH, ROLAND RUSZO JR, KINGA RUSZO JR et KETRIN DIANA RUSZO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont M. et Mme Ruszo ainsi que leurs trois enfants mineurs, une cellule familiale qui compte également un autre enfant mineur, celui‐là âgé d’environ quatre ans. Ce dernier n’a pas été inclus dans la demande d’asile à l’examen, parce qu’il est citoyen du Canada; néanmoins, ses intérêts devaient être pris en compte, puisqu’il s’agissait d’un enfant touché par la décision.

[2] Les demandeurs ont demandé la possibilité de demeurer au Canada et d’obtenir le statut de résidents permanents pour des considérations d’ordre humanitaire (la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire). Leur demande a été rejetée par un agent d’immigration principal (l’agent) en juillet 2019. Ce rejet fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[3] En l’espèce, la question déterminante est l’appréciation effectuée par l’agent de l’intérêt supérieur des quatre enfants touchés par cette décision. Je conclus que la décision est déraisonnable, car l’agent n’a pas suffisamment tenu compte de leur intérêt supérieur.

[4] Pour les motifs exposés ci‐dessous, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte factuel

[5] Les demandeurs sont des citoyens de Hongrie d’origine ethnique rom. Ils sont arrivés au Canada en 2012 et ont demandé l’asile en invoquant leur crainte d’être victimes de discrimination et de violence en raison de leur origine ethnique.

[6] Les demandes d’asile des demandeurs ont été entendues en novembre 2017, et, le mois suivant, le commissaire les a rejetées, parce qu’il jugeait que des parties de la demande d’asile n’étaient pas crédibles et que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État hongrois. Les demandeurs ont tenté de contester ce rejet, mais leur demande de contrôle judiciaire a été rejetée en 2018 (Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 943).

[7] En mai 2018, les demandeurs ont présenté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qui est à l’examen. Celle‐ci a été rejetée par l’agent en juillet 2019.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[8] Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont soulevé plusieurs questions. Comme j’ai jugé que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants effectuée par l’agent était la question déterminante, je ne traiterai pas des préoccupations des demandeurs à propos de l’analyse de leur établissement effectuée par l’agent. Je ne traiterai pas non plus des arguments des demandeurs selon lesquels l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne leur accordant pas une entrevue, laquelle leur aurait permis de répondre aux conclusions en matière de crédibilité qui, selon eux, avaient été tirées.

[9] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer lorsqu’il s’agit d’examiner des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

[10] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a décrit la norme de la décision raisonnable comme une forme de contrôle empreinte de déférence, mais néanmoins « rigoureuse », et dont l’analyse a pour point de départ les motifs du décideur (au para 13). Les motifs écrits du décideur sont interprétés « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov au para 103).

[11] Selon la description de la Cour, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Les décideurs administratifs, dans l’exercice du pouvoir public, doivent veiller à ce que leurs décisions soient « justifié[es], intelligible[s] et transparent[es] non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov au para 95).

IV. Analyse

A. La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[12] L’étranger qui demande le statut de résident permanent au Canada peut demander au ministre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire afin de le dispenser des obligations prévues dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour des considérations d’ordre humanitaire comme l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché (paragraphe 25(1)). Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351, la Cour suprême du Canada a confirmé que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire était d’« offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » (au para 21).

[13] Étant donné que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire est « de mitiger la sévérité de la loi selon le cas », il n’y a pas d’ensemble limité et prescrit de facteurs justifiant une dispense (Kanthasamy au para 19). Ceux‐ci varieront selon les circonstances, mais « l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids » (Kanthasamy au para 25; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74‐75 [Baker]).

[14] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a expliqué que les répercussions d’une décision sur une personne peuvent être un élément contextuel pertinent à considérer dans l’évaluation du caractère raisonnable des motifs d’un décideur : « Lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux » (Vavilov au para 133). En l’espèce, la famille, dont quatre enfants mineurs, vit au Canada de façon continue depuis une dizaine d’années. La décision sous‐jacente portait sur la question de savoir si les membres de cette famille pouvaient demeurer au Canada et obtenir le statut de résident permanent. Les intérêts en jeu pour les parents et les enfants touchés par la décision à l’examen sont grands (Baker au para 31).

B. L’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant

[15] Le paragraphe 25(1) de la LIPR exige que l’agent qui examine une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire tienne compte de « l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ». Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a examiné l’exigence relative à l’intérêt supérieur de l’enfant prévue au paragraphe 25(1), et elle est arrivée à la conclusion suivante : « Lorsque, comme en l’espèce, la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant “directement touché”, cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse » (Kanthasamy au para 40).

[16] La Cour suprême du Canada a réitéré la conclusion qu’elle avait tirée dans l’arrêt Baker et a jugé que, « quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable » (Kanthasamy au para 38, citant Baker, au para 75). La Cour a également réaffirmé que, dans une analyse raisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant, cet intérêt doit être « “bien identifié et défini”, puis examiné “avec beaucoup d’attention” eu égard à l’ensemble de la preuve » (Kanthasamy au para 39, citant Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 CF 358 (CA) aux para 12, 31; Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165 aux para 9‐12).

[17] Le traitement de l’intérêt supérieur des enfants est la question déterminante du présent contrôle judiciaire. Je juge que l’agent a mal apprécié des faits essentiels, qu’il a tiré des conclusions non étayées par la preuve et qu’il a négligé de traiter d’éléments de preuve importants contenus dans le dossier. Dans l’ensemble, les intérêts des enfants n’ont pas suffisamment fait l’objet de l’attention particulière requise.

[18] Les demandeurs sont arrivés au Canada en 2012. Les enfants avaient alors un an, quatre ans et six ans. Quand la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été examinée, environ sept ans après leur arrivée, ils avaient huit ans, onze ans et treize ans, et le benjamin né au Canada avait quant à lui trois ans.

[19] L’agent a conclu que les demandeurs mineurs avaient passé la plus grande partie de leur vie en Hongrie. Cette conclusion est erronée. Tous les demandeurs mineurs ont passé la plus grande partie de leur vie, voire, dans le cas des deux plus jeunes, la grande majorité de leur vie, au Canada. L’enfant mineur né au Canada n’a quant à lui jamais vécu en Hongrie. Aucun des enfants n’est allé à une école du système scolaire de la Hongrie. L’aîné, qui a aujourd’hui 13 ans, est arrivé au Canada à l’âge de six ans et n’était allé qu’à la garderie en Hongrie.

[20] Le défendeur a reconnu que cette conclusion de l’agent était erronée, mais il a demandé à la Cour de ne pas se concentrer, par un examen microscopique des motifs, sur cette mauvaise interprétation de la preuve. Cette demande présente deux problèmes.

[21] Premièrement, il ne s’agit pas d’un cas où l’agent s’est simplement trompé dans une partie d’une décision, mais où les motifs de la décision comportent par ailleurs des indices démontrant qu’en fait, l’agent savait pendant combien d’années de leur vie les enfants avaient vécu et fréquenté une école au Canada.

[22] Deuxièmement, l’agent s’est appuyé sur cette erreur pour tirer une conclusion importante au sujet des répercussions sur les enfants d’un départ du Canada et d’une adaptation à la vie en Hongrie. L’agent a écrit : [TRADUCTION] « La transition serait facile, vu le temps qu’ils ont passé à l’extérieur de la Hongrie et le fait qu’ils y sont nés, qu’ils y ont grandi, qu’ils y sont allés à l’école et qu’ils y ont passé la majorité de leur jeune vie ». Je ne considère pas que cette mauvaise interprétation de la preuve dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants est négligeable. L’agent a conclu que les enfants avaient grandi et étaient allés à l’école en Hongrie, ce qui est faux, et ce, pour tous les enfants.

[23] Je suis d’avis que la mauvaise interprétation de l’agent touchant cette importante question a probablement influé sur sa conclusion générale au sujet de l’intérêt supérieur des enfants. Par exemple, l’agent a jugé qu’un [traduction] « retour en Hongrie avec leurs parents serait sans répercussions importantes sur leur vie ». Il n’a pas expliqué comment il en était arrivé à cela; il s’est uniquement appuyé sur ses conclusions erronées, soit celle concernant le nombre d’années que les enfants avaient passé au Canada et celle selon laquelle ils étaient allés à l’école en Hongrie. Vu l’âge des enfants, le nombre d’années qu’ils ont passées au Canada (et hors de la Hongrie), et le fait qu’ils n’avaient fréquenté que des écoles du système scolaire canadien, la conclusion qu’un déménagement en Hongrie serait sans répercussions importantes sur leur vie n’a même pas un semblant de réalité.

[24] L’agent a également contesté les observations des demandeurs selon lesquelles les enfants n’auraient [traduction] « plus une connaissance suffisante du hongrois pour aller à l’école en Hongrie ». Il s’est appuyé sur un rapport d’un psychologue scolaire rédigé en 2015 à propos de l’aîné. Le rapport avait été rédigé quatre ans avant que l’agent n’examine la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il y était indiqué que l’aîné avait des « compétences linguistiques limitées en anglais » et qu’un interprète du hongrois avait été appelé pour l’aider à communiquer. De ce renseignement contenu dans le rapport, l’agent a tiré la conclusion suivante : [traduction] « La preuve dont je dispose ne suffit pas à établir que [l’aîné] et les autres enfants de la famille n’ont plus une connaissance suffisante du Hongrois pour aller à l’école en Hongrie ».

[25] L’agent s’est appuyé sur un rapport rédigé quatre ans plus tôt pour tirer des conclusions à propos des capacités linguistiques de l’enfant. Il devait savoir que l’enfant avait fréquenté une école anglophone au Canada durant ces quatre années. De plus, il n’a pas expliqué pourquoi l’élément de preuve à propos du recours à un interprète du hongrois lors d’une évaluation de l’aîné par un psychologue avait été utilisé pour tirer des conclusions concernant les capacités linguistiques des autres enfants de la famille.

[26] En outre, l’agent n’a pas analysé les conclusions de l’évaluation du psychologue selon lesquelles l’aîné était aux prises avec des difficultés d’apprentissage et d’adaptation sociale touchant au comportement. Il n’a utilisé le rapport du psychologue que pour tirer des conclusions à propos des capacités linguistiques des enfants. Les difficultés d’apprentissage de l’aîné décrites dans le rapport du psychologue de 2015 et le plan d’enseignement individuel du Conseil scolaire du district de Toronto (le plan d’enseignement) daté de 2017 n’ont été ni analysés ni mentionnés.

[27] En 2015, l’évaluation du psychologue avait été effectuée [traduction] « en raison de préoccupations continues à propos des progrès scolaires de [l’aîné] et en vue d’aider le personnel de l’école et les parents à déterminer les moyens répondant le mieux à ses besoins ». Cette année‐là, le professeur de l’enfant, alors en troisième année, avait constaté qu’il [traduction] « [avait] de grandes difficultés à retenir des choses aussi simples que les sons des chiffres et des lettres ou des mots à vue simples », et le psychologue avait conclu qu’il avait [traduction] « des scores très élevés dans plusieurs domaines, y compris les comportements de défiance, les difficultés scolaires et l’hyperactivité ». En 2017, le plan d’enseignement élaboré pour ce même enfant, alors en sixième année, indiquait qu’il présentait une [traduction] « déficience intellectuelle légère » et qu’on l’intégrait à une [traduction] « classe d’éducation spécialisée à plein temps ». Le rapport indiquait qu’un des objectifs était que l’enfant [traduction] « reconnaisse les mots fréquents que connaît un enfant à la maternelle avant la fin de l’année scolaire ».

[28] L’agent n’a mentionné ni le plan d’enseignement, qui était pourtant détaillé, ni le fait que l’aîné avait été intégré à un programme d’éducation spécialisée en raison d’une déficience intellectuelle. Il n’y a donc aucune évaluation de la façon dont les besoins particuliers de l’aîné seraient comblés ou dont son plan d’enseignement serait affecté s’il devait être intégré dans un nouveau système scolaire en Hongrie. Les besoins en matière d’éducation spécialisée et la déficience intellectuelle de l’aîné sont des facteurs pertinents de la demande que l’agent n’a pas appréciés.

[29] L’agent a examiné les besoins en matière d’éducation des enfants collectivement, et il a conclu qu’à cet égard, les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils seraient privés de possibilités. Dans l’examen qui l’a mené à cette conclusion, l’agent n’a analysé adéquatement aucun des besoins en matière d’éducation propres à l’aîné, comme je l’ai mentionné ci‐dessus, ni ce qui se rapportait à la qualité de l’enseignement offert aux enfants roms en Hongrie dans la preuve relative aux conditions dans le pays.

[30] L’agent a renvoyé à la phrase suivante du rapport du département d’État des États‐Unis : [traduction] « Les lois prévoient que la scolarité est gratuite et obligatoire pour les enfants de trois à seize ans et elles interdisent la ségrégation scolaire, mais des organisations non gouvernementales ont néanmoins rapporté que des enfants roms étaient victimes de ségrégation dans des écoles et que de nombreux enfants roms recevaient un diagnostic erroné de déficience intellectuelle, ce qui limitait leur accès à un enseignement de qualité et accroissait l’écart entre les Roms et le reste de la population. » Plus bas dans la même page du rapport, il est écrit que [traduction] « le sixième rapport périodique du Comité des droits de l’homme des Nations Unies fait état de préoccupations à propos de la ségrégation dans les écoles qui demeure répandue, surtout par suite de l’augmentation du nombre d’écoles confessionnelles, et du nombre encore disproportionné d’enfants roms envoyés dans des écoles pour enfants présentant une déficience légère ». L’agent a pris acte de cet élément de preuve, mais, plutôt que d’évaluer la pertinence de ces renseignements dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants, il a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que les enfants seraient privés de leur [traduction] « droit fondamental d’aller à l’école ».

[31] La qualité de l’enseignement offert aux enfants roms était un facteur pertinent soulevé par la demande. L’agent n’a pas examiné adéquatement cette question, car, pour lui, il ne s’agissait que de savoir si les enfants seraient privés de la possibilité d’aller à l’école. Le juge Barnes a précisé le sens de l’exigence exposée dans l’arrêt Kanthasamy de « véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents » (au para 25) de la façon suivante : « Lorsqu’un enfant doit être envoyé à un endroit où les conditions sont bien inférieures aux normes canadiennes et que les difficultés attendues sont tout de même considérées comme insuffisantes pour soutenir la dispense, il doit y avoir un engagement important avec la preuve » (Aguirre Renteria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 133 au para 8). L’analyse effectuée par l’agent quant à la qualité de l’enseignement va à l’encontre à la fois de l’exigence générale de « véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents » et de l’exigence selon laquelle les intérêts des enfants doivent être « “bien identifié et défini”, puis examiné “avec beaucoup d’attention” eu égard à l’ensemble de la preuve » (Kanthasamy au para 39).

[32] Le défendeur soutient que la décision est raisonnable compte tenu du dossier limité dont disposait l’agent. Je ne partage pas cet avis. L’agent a mal interprété des faits essentiels, il n’a pas traité de facteurs pertinents soulevés par la demande et il a tiré des conclusions non étayées par le dossier. Il est vrai que l’on peut concevoir un dossier plus exhaustif, contenant plus de renseignements sur la vie des enfants au Canada, mais l’agent n’était pas pour autant dispensé d’examiner ce qu’il avait sous les yeux et de fournir des motifs étayés par la preuve.

[33] Je juge également que l’agent a fait part d’une considération inopportune dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants. En deux endroits dans celle‐ci, il a formulé des commentaires au sujet du choix des parents d’emmener leurs enfants au Canada : [traduction] « Il est indiqué que les demandeurs adultes ont choisi d’emmener leurs enfants au Canada », et, au paragraphe suivant : [traduction] « La décision de déraciner la famille a été prise par [les demandeurs adultes] ». Ces commentaires sont inopportuns dans le cadre de l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants. La mention, deux fois plutôt qu’une, du « choix » des parents d’emmener leurs enfants au Canada donne à penser que, pour l’agent, la famille était responsable de ses malheurs. Un pareil raisonnement n’a pas sa place dans une analyse de l’intérêt supérieur des enfants. Comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy, et comme l’a également mentionné la Cour à maintes reprises, « [l]es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés » (au para 41).

[34] Dans l’ensemble, je juge que l’agent, dans son analyse, est loin d’avoir satisfait à l’exigence d’examiner les intérêts des enfants directement touchés « avec beaucoup d’attention ». Après examen des motifs de l’agent et du dossier, je ne suis pas convaincue que l’agent a suffisamment pris en considération les intérêts des quatre enfants touchés par sa décision, comme il était tenu de le faire.

[35] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐6070‐19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’une nouvelle décision soit rendue;

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

[M. Deslippes]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐6070‐19

 

INTITULÉ :

ROLAND RUSZO ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 décembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Peter G. Ivanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

Alex Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter G. Ivanyi

Rochon Genova LLP

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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