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     Date : 19880812

     Dossier : T-2288-87

ENTRE

     LEROY HILL,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WETSTON

[1]      Il s'agit d'une action en vue de l'obtention d'un jugement déclaratoire portant que la soi-disant cession par les Six Nations de la rivière Grand du droit que celles-ci possèdent sur certaines terres est déclarée nulle et non avenue.

[2]      Au cours des années 1870, certaines terres sur lesquelles se trouvait la réserve indienne des Six nations de la rivière Grand ont été prises aux fins d'un chemin de fer. En 1985, aucun instrument de la Couronne autorisant la prise de possession n'avait encore été trouvé, et les terres en question n'avaient jamais encore été cédées.

[3]      Les Six nations de la rivière Grand forment une "bande" au sens de la Loi sur les Indiens , et la Cour d'appel de l'Ontario a statué que leur territoire était une "réserve" au sens de la Loi sur les Indiens .

[4]      Les représentants du conseil de la bande des Six nations ont présenté une revendication à Sa Majesté à l'égard de la prise de possession de certaines terres aux fins d'un chemin de fer, et Sa Majesté a accepté la revendication aux fins de la négociation conformément à la "politique sur les revendications particulières" du gouvernement du Canada.

[5]      Les représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministère) et le conseil de la bande ont négocié un projet de règlement de la revendication.

[6]      Le projet d'entente portant règlement renfermait une disposition prévoyant la cession des terres en question, et l'affaire a donc fait l'objet d'un référendum conformément à l'article 39 de la Loi sur les Indiens. Le scrutin portait sur l'approbation du projet d'entente portant règlement, et notamment sur la cession des terres.

[7]      Le 2 février 1985, le conseil de la bande a tenté d'obtenir une cession au moyen d'une assemblée générale de la bande. Cependant, cette tentative n'a entraîné aucune cession valide.

[8]      Dans une note d'information datée du 25 février 1985 adressée au ministre, on recommandait la tenue d'un deuxième scrutin au sujet de la cession.

[9]      Le 19 mars 1985, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, David Crombie, a envoyé la lettre suivante à Bruce Rawson, sous"ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien :

     [TRADUCTION]

     Je souscris à votre recommandation, mais je n'ai pas encore reçu de demande du conseil des Six nations en vue d'ordonner qu'une seconde assemblée ait lieu.                 
     J'aimerais que les fonctionnaires sachent que, si à la prochaine assemblée générale, une majorité des électeurs de la bande ne votent pas, je prendrai personnellement la décision de convoquer une autre assemblée en vertu du paragraphe 39(2).                 

[10]      Le ministre David Crombie a envoyé la lettre suivante au chef, Wellington Staats, le 22 mai 1985 :

     [TRADUCTION]

     Compte tenu des nombreux problèmes qui se sont posés lors de la tenue du premier scrutin, ainsi que du fait que le règlement projeté visait à remédier à des mesures prises par le gouvernement, je crois qu'une nouvelle assemblée devrait être convoquée au sujet de la cession sur la base de documents qui conviennent tant au conseil de la bande qu'au ministère. Les fonctionnaires du ministère sont disponibles pour discuter du contenu de ces documents de façon à s'assurer qu'ils sont acceptables et conformes aux dispositions de la Loi sur les Indiens. Toutefois, je crois comprendre que le conseil de la bande hésite à le faire. Par conséquent, il se peut que je renonce au règlement de la revendication qui a été négocié avec le Bureau des revendications des autochtones.                 
     Je regrette que nous nous trouvions dans cette malheureuse situation. À mon avis, le règlement est fort favorable à la bande. De son côté, le Canada exige une cession et une libération complètes et satisfaisantes. Je tiens à m'assurer que j'assume la responsabilité qui m'incombe envers la bande dans son ensemble, que la cession et le règlement de la revendication seront effectués correctement, et que tant la bande que le ministère seront assurés que cette revendication est réglée d'une façon définitive.                 

[11]      Le 10 juin 1980, John C. Munro, qui était alors ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, a signé un document qui était ainsi libellé :

     [TRADUCTION]

     [...] J'autorise les agents désignés ci"dessous aux pages 2 à 15 du présent document par la marque X ou N et notamment, en leur absence, toute personne agissant en leur nom, à accomplir et exercer tout pouvoir que je peux ou dois accomplir ou exercer aux termes des dispositions mentionnées ci"dessous de la Loi sur les Indiens et de son règlement d'application ou de toute autre loi fédérale concernant les affaires indiennes.                 

[12]      Plus loin dans le document, ils est stipulé que les pouvoirs que possède le ministre en vertu du sous"alinéa 39(1)b )(ii) (le pouvoir de convoquer une assemblée spéciale en vue d'examiner la proposition de cession), et du paragraphe 39(2) (le pouvoir de convoquer une autre assemblée ou de faire tenir un autre référendum en vue d'examiner la proposition de cession) sont délégués, sous "Réserves et fiducies", au "directeur général" et au "directeur, Services fonciers". Encore plus loin, il est stipulé que le pouvoir que possède le ministre conformément au Règlement sur les référendums des Indiens (à l'exception de l'article 32) est délégué au directeur général, Réserves et fiducies, au directeur, Terres, réserves et fiducies, et au directeur, Effectif et exigences statutaires, Réserves et fiducies. Le document ne renferme aucune autre explication au sujet de ces titres.

[13]      Le 30 septembre 1985, Hubert J. Ryan, directeur intérimaire, Services fonciers, ministère des Affaires indiennes, a envoyé la lettre suivante à E.G. Morton, directeur, Réserves et fiducies, de la région de l'Ontario du ministère :

     [TRADUCTION]

     Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien juge opportun, conformément au paragraphe 3(1) du Règlement sur les référendums des Indiens, d'ordonner la tenue d'un référendum le 2 novembre 1985 pour déterminer si la majorité des électeurs de la bande indienne des Six nations de la rivière Grand sont en faveur de la cession des terres désignées dans un projet d'entente intitulé : "Entente portant règlement de la revendication relative aux terres de la bande indienne des Six nations de la rivière Grand prises aux fins d'un chemin de fer".                 
     Le ministre a également désigné Stephen Bomberry, gestionnaire intérimaire de district, Réserves et fiducies, district de Brantford, à titre d'agent du ministère chargé de superviser le référendum qui sera tenu à l'égard de la cession.                 

[14]      Le 28 octobre 1985, Murray Inch, négociateur du gouvernement du Canada dans les négociations auxquelles avait donné lieu la revendication relative aux terres destinées au chemin de fer, a rédigé la note de service suivante :

     [TRADUCTION]

     J'ai parlé aux Six nations de la tenue d'un autre scrutin le 2 novembre. Selon M. Montour, ma présence n'est pas nécessaire. Il a discuté de la chose avec les membres du conseil de la bande. Tout est organisé.                 
     Les documents sont également prêts en vue de la tenue du deuxième scrutin, compte tenu du fait que moins de 30 p. 100 des électeurs se prévalent de leur droit de vote. Le chef et le conseil doivent signer l'entente dès que le deuxième scrutin aura été tenu, de façon que les achats de terres soient conclus à temps.                 

[15]      Lors du référendum du 2 novembre 1985, 278 personnes en tout ont voté. Deux cent soixante"huit personnes étaient en faveur de l'entente et de la cession projetées, et neuf personnes ont voté à l'encontre. Un bulletin de vote a été gâté.

[16]      La liste des électeurs qui a été utilisée aux fins de la tenue du scrutin était une liste des membres des Six nations de la rivière Grand qui avaient plus de dix"huit ans. Selon la déclaration solennelle de Stephen Bomberry, 4 742 personnes étaient habiles à voter au référendum du 2 novembre 1985.

[17]      Le 1er novembre 1985, le conseil de la bande a adopté une résolution qui était ainsi libellée :

     [TRADUCTION]

     Suite au référendum relatif à la cession qui a été tenu le 2 novembre 1985, nous demandons par les présentes au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien d'ordonner la tenue d'un autre référendum, conformément au paragraphe 39(2) de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chapitre I"6, et au Règlement sur les référendums des Indiens y afférent, pour déterminer si la majorité des électeurs de la bande indienne des Six nations de la rivière Grand revendiquent un règlement à l'égard des terres destinées au chemin de fer et sont en faveur de la cession de certaines terres à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, laquelle est nécessaire pour que les conditions de ladite entente soient en partie remplies.                 
     [...] Le deuxième référendum doit avoir lieu de 9 h à 18 h le 7 décembre 1985.                 

[18]      Le 5 novembre 1985, Hubert J. Ryan a envoyé un message à Edward G. Morton, lequel était ainsi libellé :

     [TRADUCTION]

     Le Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien juge opportun, conformément au paragraphe 3(1) du Règlement sur les référendums des Indiens et au paragraphe 39(2) de la Loi sur les Indiens, d'ordonner la tenue d'un deuxième référendum le 7 décembre 1985 pour déterminer si la majorité des électeurs de la bande indienne des Six nations de la rivière Grand sont en faveur de la cession des terres désignées dans le projet d'entente intitulé : "Entente portant règlement de la revendication relative aux terres de la bande indienne des Six nations de la rivière Grand prises aux fins d'un chemin de fer".
     Le Ministre :
     a) désigne Stephen Bomberrry, gestionnaire intérimaire de district, Réserves et fiducies, district de Brantford, à titre d'agent en présence duquel la cession doit avoir lieu;                 
     b) désigne ledit Stephen Bomberry à titre de président d'élection agissant sous la direction du ministre aux fins de ladite cession.                 

[19]      Lors de la tenue du deuxième scrutin, le 7 décembre 1985, 297 personnes en tout ont voté. Deux cent quatre"vingts personnes étaient en faveur de l'entente et de la cession. Quatorze ont voté à l'encontre, et trois bulletins de vote ont été rejetés. La liste d'électeurs qui avait été utilisée pour le premier référendum a également été utilisée pour le deuxième référendum. Quatre mille huit cent cinquante"deux électeurs étaient inscrits.

[20]      Le ministre n'a pas ordonné la tenue des deux référendums. C'est Hubert Ryan, directeur intérimaire, Services fonciers, qui l'a fait.

[21]      Le chef du conseil de la bande, Wellington Staats, et l'agent désigné le 5 novembre 1985, Stephen Bomberry, ont souscrit des affidavits au sujet des deux scrutins. Les affidavits étaient datés du 7 décembre 1985. L'auteur de chaque affidavit a déclaré qu'il était [TRADUCTION] "présent lorsqu'une majorité des électeurs de la bande indienne des Six nations de la rivière Grand ont donné leur assentiment à la cession" lors du deuxième référendum. Un appendice joint aux affidavits, signé par les deux hommes, indiquait le nombre de personnes qui avaient voté, le nombre de personnes qui avaient voté en faveur et le nombre de personnes qui avaient voté à l'encontre. Dans leurs affidavits, les deux hommes ont également déclaré que [TRADUCTION] "la tenue dudit scrutin a été ordonnée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien au moyen d'un préavis d'au moins trente jours".

[22]      Dans leurs affidavits, Wellington Staats et Stephen Bomberry ont déclaré que [TRADUCTION] "les conditions de ladite cession ont été expliquées auxdits électeurs par un interprète ayant la compétence voulue".

[23]      L'entente portant règlement de la revendication territoriale a été signée par le conseil de la bande le 7 décembre 1985.

[24]      Le 12 décembre 1985, le directeur, Réserves et fiducies, de la région de l'Ontario du ministère, Edward G. Morton, a envoyé une lettre à Frederick J. Singleton, directeur, Direction des terres, du ministère, à Ottawa, et y a joint les documents relatifs au référendum; dans la lettre, il déclarait ceci : [TRADUCTION] "[É]tant donné que les documents ci"joints semblent être en règle, nous recommandons que le projet de cession soit soumis au gouverneur en conseil pour acceptation."

[25]      Le 10 décembre 1985, le sous"ministre adjoint des Affaires indiennes, Donald G. Goodwin, a envoyé une lettre au sous"ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, et y a joint des copies de ladite entente portant règlement pour signature par le ministre. La note de service était ainsi libellée :

     [TRADUCTION]

     Vous trouverez ci"jointes deux copies de l'entente portant règlement à transmettre au ministre pour signature. L'entente a été signée par le conseil de la bande le 7 décembre 1985, à la suite de la tenue d'un scrutin par lequel la bande a ratifié le règlement. Le Conseil du Trésor a approuvé les fonds le 28 novembre 1985.                 
     Le ministre doit absolument signer l'entente le plus tôt possible, étant donné que le règlement est conditionnel à l'achat de certaines terres, et que l'achat doit être conclu au plus tard le 30 décembre 1985.                 

[26]      Le 12 décembre 1985, l'avocat du Conseil traditionnel des chefs de la Confédération iroquoise, Paul Williams, a écrit au ministre pour l'informer que son client s'opposait à la cession pour le motif qu'une minorité des électeurs seulement avait voté.

[27]      Le 17 décembre 1985, Paulette Francoeur, chef de l'Unité de la correspondance du Bureau du ministre, a écrit à Paul Williams pour confirmer la réception de la lettre du 12 décembre 1985 et lui faire savoir que la lettre serait portée à l'attention du ministre et qu'il recevrait une réponse à bref délai.

[28]      Le 24 décembre 1985, le ministre, David Crombie, a signé l'entente portant règlement. Paulette Francoeur a attesté la signature.

[29]      Le 8 janvier 1986, une délégation du Conseil traditionnel des chefs de la Confédération iroquoise s'est présentée à la résidence du gouverneur général, à Ottawa, et a présenté au personnel du gouverneur général des documents signés par plus de 300 personnes. Les documents disaient que ces personnes avaient le droit de voter aux référendums, qu'elles n'avaient pas voté et qu'elles s'opposaient à la cession.

[30]      Le 7 mars 1986, Hubert J. Ryan a écrit à Edward G. Morton, en y joignant une [TRADUCTION] "note d'information qui traite des questions soulevées par Paul Williams". La lettre était ainsi libellée :

     [TRADUCTION]                 
     Vous vous rappellerez que l'entente portant règlement prévoit entre autres que la cession qui vient d'être effectuée ne peut pas être soumise au gouverneur général tant que les propriétés Lock, Papple et CN n'auront pas été acquises et mises de côté à titre de réserve. À mon avis, il faut absolument que nous agissions le plus rapidement possible en vue de compléter l'acquisition de la propriété du CN (les propriétés Lock et Papple ont déjà été acquises), compte tenu en particulier des questions qui ont été soulevées par M. Williams. J'attends donc que vous me fassiez savoir à quel moment l'acquisition de la propriété du CN devrait être effectuée.                 

[31]      La "note d'information" du 25 février 1986, sur laquelle est apposé le timbre du directeur des terres, Frederick Singleton, énonçait les faits relatifs aux scrutins tenus à l'égard de la cession; voici ce qu'elle disait :

     [TRADUCTION]

     Autres facteurs :
     Les chefs traditionnels ne souscrivent pas à l'avis selon lequel la Loi sur les Indiens, et notamment les dispositions concernant la cession, s'appliquent à leurs terres; ils croient plutôt avoir droit à un gouvernement local autonome. Malgré l'appui populaire général des membres de la bande dont les chefs traditionnels jouissent, le Canada a toujours maintenu que la Loi sur les Indiens s'applique sans exception aux Iroquois de la rivière Grand.                 
     L'examen préliminaire des nouveaux documents relatifs à la cession n'a pas permis de déceler une irrégularité qui puisse invalider la cession. Le fait qu'environ 300 membres de la bande ont signé des affidavits dans lesquels ils déclaraient ne pas avoir voté lors des deux dernières assemblées et déclaraient en outre ne pas être en faveur de la cession semblerait à première vue être un argument convaincant permettant de ne pas accepter la cession. Toutefois, il faut reconnaître que les dissidents ont amplement eu l'occasion de faire connaître leur avis. Le fait qu'ils n'ont pas manifesté leur dissidence de la façon prévue par la loi ne devrait pas maintenant leur permettre légitimement de ne pas sanctionner la cession.                 
     Situation                 
     Les chefs traditionnels n'ont pas encore demandé au gouverneur en conseil de ne pas accepter la cession. Sous réserve de l'approbation du ministre, la présentation appropriée au gouverneur en conseil sera effectuée d'ici trois ou quatre semaines.                 
     Recommandation
     Le ministre devrait recommander l'acceptation de la cession par le gouverneur en conseil malgré les observations présentées par les chefs traditionnels.                 

[32]      Le 14 mars 1986, le ministre a répondu à la lettre du 12 décembre 1985, dans laquelle Paul Williams disait qu'étant donné que la Confédération des chefs avait présenté ses observations au gouverneur général, rien ne l'empêchait plus de faire les recommandations appropriées au gouverneur en conseil.

[33]      Le gouverneur en conseil a accepté la cession le 2 avril 1987 au moyen du décret C.P. 1987"687.

[34]      L'entente portant règlement a été mise en oeuvre et une partie de l'indemnité versée en espèces stipulée dans l'entente a servi à l'achat de terres qui devaient être ajoutées à la réserve des Six nations.

[35]      L'indemnité en espèces stipulée dans l'entente portant règlement, à l'égard des terres qui étaient prises, était de 610 000 $, dont 28 600 $ étaient destinés au remboursement d'un prêt que le conseil de la bande avait contracté en vue de couvrir les frais de négociation de la revendication. La superficie des terres qui avaient été prises était de 80,616 acres.

LES POINTS LITIGIEUX

[36]      Deux questions sont ici en litige :

     1.      Une majorité des électeurs de la bande a"t"elle sanctionné la cession projetée, conformément au paragraphe 39(3) de la Loi sur les Indiens , L.R.C. (1985), ch. I"6?
     2.      Le directeur intérimaire, Terres et fiducies, M. H. Ryan, a"t"il validement ordonné la tenue des référendums en vertu des pouvoirs que le ministre lui avait délégués en permanence conformément au paragraphe 3(2) de la Loi sur les Indiens ?

LE PARAGRAPHE 39(3)

[37]      La défenderesse soutient qu'il a déjà été déterminé que les terres des Six nations peuvent être cédées si la cession est réputée avoir été sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande, conformément à l'ancien paragraphe 39(3) : Logan v. Styres (1959), 20 D.L.R. (2d) 416 (H.C. Ont.).

[38]      La défenderesse affirme en outre que la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Logan, supra, est tout à fait conforme à l'approche que la Cour suprême du Canada a récemment adoptée à l'égard de la cession de terres en vertu de la Loi sur les Indiens dans l'affaire Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344.

[39]      Il est soutenu que les membres de la bande savaient qu'un règlement avait été négocié et qu'une cession était envisagée, que les détails et les conséquences de la cession avaient été pleinement expliqués aux membres de la bande et que les membres de la bande étaient au courant de ce qu'il obtenaient en échange de la cession. La défenderesse affirme également que les conditions de la cession montrent que la bande avait l'intention de céder les terres en question. En ce qui concerne le faible nombre d'électeurs qui se sont présentés lors des deux référendums, la défenderesse affirme que, même si le paragraphe 39(3) ne s'appliquait pas, il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve pour déterminer quelles étaient réellement les intentions de la majorité des électeurs au sujet de la cession.

[40]      La défenderesse soutient que la décision que la Cour suprême a rendue dans l'affaire Blueberry River, supra, étaye la thèse selon laquelle, hormis quelque empêchement prescrit par la loi, il faut laisser l'intention des membres de la bande produire ses effets juridiques lorsqu'une proposition particulière de cession de terres est examinée. En outre, il est reconnu que dans l'examen des effets juridiques des opérations conclues par les peuples autochtones et la Couronne relativement à des terres faisant partie de réserves, la Cour suprême a statué qu'il suffit d'observer, pour l'essentiel, les exigences de forme en matière de cession prévues par la Loi sur les Indiens afin de respecter l'intention de la bande de céder les droits qu'elle possède sur une réserve et d'y donner effet.

[41]      Il est donc soutenu que toute violation mineure de la Loi qui peut avoir été commise dans ce cas"ci n'est pas suffisante pour influer sur la validité du présumé assentiment de la majorité des électeurs de la bande.

[42]      Le demandeur affirme que pour un certain nombre de raisons, je devrais conclure qu'il n'y a pas eu en fait un présumé assentiment d'une majorité des électeurs de la bande. Il avance les motifs suivants :

a) Une majorité des électeurs de la bande avaient en fait l'intention de ne pas sanctionner la cession projetée;

b) Des erreurs de rédaction ont été commises de sorte que le paragraphe 39(3) est ambigu;

c) Des erreurs de forme ont été commises lors de la tenue des référendums. Le demandeur se fonde sur l'arrêt Blueberry River, supra, pour étayer l'argument selon lequel la bande avait en fait l'intention de ne pas céder les terres.

[43]      Le demandeur soutient que les traités et les lois concernant les terres des autochtones doivent être interprétés de manière à préserver l'intégrité de la Couronne, c'est"à"dire qu'aucune apparence de manoeuvres malhonnêtes ne doit être tolérée au moyen de l'interprétation adoptée, que toute ambiguïté doit être résolue en faveur des autochtones et que toute restriction aux droits des autochtones doit être interprétée de façon restrictive : R. c. Badger , [1996] 1 R.C.S. 771, à la page 794; R. v. Taylor and Williams [1981] 34 O.R. (2d) 360. En outre, il est soutenu que les lois relatives aux autochtones doivent recevoir une interprétation libérale, et que les ambiguïtés doivent être résolues en faveur des autochtones : Badger, supra, aux pages 793"794; R. c. Sioui , [1990] 1 R.C.S. 1025, à la page 1035.

[44]      En outre, il est soutenu qu'en ce qui concerne toute cession des terres d'une réserve indienne, la Couronne a une obligation de fiduciaire générale et qu'en s'acquittant de cette obligation, elle doit veiller à porter le moins possible atteinte aux droits de la bande touchée : Guérin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; Semiahmoo Indian Band c. Canada, [1988] 1 C.N.L.R. 250 (C.A.F.). Il est en outre soutenu que la Couronne doit respecter les voeux de la bande lorsqu'elle donne effet à la cession des terres d'une réserve indienne : Blueberry River, supra, à la page 31.

[45]      Le demandeur affirme que puisqu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve tendant à montrer que la bande avait l'intention de céder les terres en question, et que la Couronne a une obligation de fiduciaire de respecter les voeux de la bande, toute ambiguïté dans le libellé du paragraphe 39(3), ou toute erreur de forme dans l'application du paragraphe 39(3) (ou dans le Règlement sur les référendums des Indiens), devrait être interprétée en faveur de la bande.

[46]      En outre, le demandeur affirme qu'étant donné que le paragraphe 39(3) renferme une erreur de rédaction apparente (c'est"à"dire que les mots "ou référendum" ne figurent pas à la première ligne de la disposition), il devrait être interprété de façon qu'un résultat ne soit pas présumé dans le cas où un référendum, au lieu d'une assemblée, est tenu en vue d'obtenir l'assentiment de la majorité des électeurs de la bande à l'égard de la cession projetée. De même, le demandeur soutient que les légères erreurs de procédure qui ont été commises dans ce cas"ci lors de la tenue des référendums (à savoir le fait qu'aucun interprète n'était présent, ou qu'on a omis de donner un préavis suffisant de la tenue du deuxième référendum) peuvent être considérées, comme invalidant la présumée cession, étant donné que la majorité de la bande avait en fait l'intention de ne pas céder les terres et que la Couronne avait l'obligation de fiduciaire de respecter la véritable intention de la bande : Blueberry River , supra.

[47]      Le demandeur a également affirmé que le ministre et les fonctionnaires du ministère ont agi hâtivement en vue de faciliter le processus menant au présumé assentiment de la majorité des électeurs de la bande. Il est soutenu que, ce faisant, la Couronne n'avait pas l'intention de s'assurer de l'intention réelle des membres de la bande, et qu'elle préférait plutôt s'empresser de procéder aux référendums, en sachant que pour des raisons culturelles et traditionnelles, la plupart des membres de la bande ne voteraient pas. Il est soutenu que cette conduite a eu pour effet de vicier le processus de cession, et que la Couronne n'a pas respecté l'obligation qu'elle avait de veiller à ce que la véritable intention de la bande à l'égard de la cession soit respectée : Blueberry River, supra.

[48]      À mon avis, il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve pour qu'il soit possible de conclure que le ministre ou les fonctionnaires du ministère ont agi d'une façon qui a eu pour effet de vicier le processus de cession. Le ministre avait peut"être intérêt à tenter d'obtenir l'assentiment de la bande au moyen d'une série d'assemblées destinées à permettre d'en arriver à un consensus, au lieu de tenir des référendums, mais rien ne montre que le ministre ou les fonctionnaires du ministère aient eu des motifs illégitimes, et aient ainsi vicié le processus de cession. Il semble plutôt que le ministre et les fonctionnaires du ministère aient agi hâtivement en réponse au programme mis en place par le conseil de la bande à l'égard de l'achat de nouvelles terres étant donné que le conseil de la bande craignait de perdre les options relatives aux nouvelles terres de la réserve.

[49]      L'article 39 est en partie ainsi libellé :

     39. (1) Une cession à titre absolu ou une désignation n'est valide que si les conditions suivantes sont réunies :                 
         a) elle est faite à Sa Majesté;                 
         b) elle est sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande :                 
             (i) soit à une assemblée générale de la bande convoquée par son conseil,                 
             (ii) soit à une assemblée spéciale de la bande convoquée par le ministre en vue d'examiner une proposition de cession à titre absolu ou de désignation,                 
             (iii) soit au moyen d'un référendum comme le prévoient les règlements;                 
         c) elle est acceptée par le gouverneur en conseil.                 
     (2) Lorsqu'une majorité des électeurs d'une bande n'ont pas voté à une assemblée convoquée, ou à un référendum tenu, selon le paragraphe (1), le ministre peut, si la proposition de cession à titre absolu ou de désignation a reçu l'assentiment de la majorité des électeurs qui ont voté, convoquer une autre assemblée en en donnant un avis de trente jours, ou faire tenir un autre référendum comme le prévoient les règlements.                 
     (3) Lorsqu'une assemblée est convoquée en vertu du paragraphe (2) et que la proposition de cession à titre absolu ou de désignation est sanctionnée à l'assemblée ou lors du référendum par la majorité des électeurs votants, la cession ou la désignation est réputée, pour l'application du présent article, avoir été sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande.                 

[50]      Le demandeur affirme que la disposition relative à la présumée majorité s'applique uniquement aux assemblées et non à un référendum. Il est soutenu que le paragraphe 39(3) est ambigu et que le ministre n'était donc pas en mesure de faire une recommandation au Cabinet. Il est soutenu qu'aucun règlement ne régit les assemblées et que l'article 39 n'exige pas la tenue d'un scrutin à une assemblée. Il y a le Règlement sur les référendums des Indiens, C.R.C. 1978, ch. 957, mais le deuxième scrutin a eu lieu dans le cadre d'un référendum et non d'une assemblée et il ne pouvait donc pas y avoir majorité présumée.

[51]      La défenderesse soutient que l'article 3 renferme cinq paragraphes et que le paragraphe particulier concernant les assemblées générales ne dit rien au sujet de la tenue d'un scrutin, mais que les autres paragraphes en parlent. Il est par ailleurs soutenu que la proposition de cession à titre absolu ou de désignation sanctionnée par la bande conformément à l'article 39 ne prévoit pas la tenue d'un scrutin. Il est uniquement question de l'assentiment, mais partout, à l'article 39, il est présumé qu'un scrutin est tenu pour que la cession soit valide.

[52]      M. Williams invoque un argument intéressant, mais je ne suis pas convaincu que le paragraphe 39(3) doive être interprété de la façon dont il l'a proposé. Il aurait été préférable d'inclure le mot "référendum" au paragraphe 39(3), mais je ne suis pas d'accord pour dire que l'absence de ce mot crée une ambiguïté comme l'affirme le demandeur. Le paragraphe 39(3) doit être interprété dans le contexte immédiat des mots figurant "dans la loi", dans la disposition pertinente, et compte tenu de toute disposition voisine étroitement liée : Driedger on the Construction of Statutes , 3e éd., à la page 194. L'approche appropriée en matière d'interprétation consiste en premier lieu à tenir compte de ce que le législateur a en fait dit, mais il faut également interpréter les mots employés selon leur sens grammatical clair dans la mesure où cela est conforme à l'esprit et à l'objectif de la loi elle"même. Je ne puis constater l'existence d'aucune incohérence entre les mots employés et le soi"disant objectif de la législation lorsque le paragraphe 39(3) est considéré par rapport à l'article 39 en entier. Dans Driedger , supra, à la page 131, voici ce qui est dit :

     [TRADUCTION]

     L'interprétation appropriée est celle qui peut être justifiée a) au point de vue de sa vraisemblance, c'est"à"dire qu'elle est conforme au texte législatif; b) au point de vue de son efficacité, c'est"à"dire qu'elle encourage le but de la loi; et c) au point de vue de son acceptabilité, c'est"à"dire que le résultat est raisonnable et juste.                 

[53]      À mon avis, l'interprétation prônée par le demandeur n'est ni vraisemblable, ni efficace ni acceptable, au sens où l'entend Driedger, supra.

[54]      Je conclus en outre que les jugements qui ont été cités à l'appui de l'approche que le demandeur a adoptée à l'égard de l'interprétation du paragraphe 39(3), c'est"à"dire que l'intégrité de la Couronne doit être maintenue, que les ambiguïtés doivent être résolues en faveur des autochtones, et que les restrictions auxquelles sont assujettis les droits des autochtones doivent être interprétées strictement, tout en énonçant des principes importants, ne nous sont pas utiles en l'espèce. Contrairement à la présente espèce, les affaires Badger , supra, et Taylor and Williams, supra, portent sur l'interprétation des dispositions législatives par rapport à des dispositions figurant dans des traités relatifs aux terres des autochtones.

[55]      Par conséquent, en ce qui concerne la première question, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas approprié de donner effet à l'intention de la bande. Le législateur a légiféré la façon dont il faut déterminer l'intention de la bande. En l'espèce, il n'y a pas de contestation de nature constitutionnelle. Je ne puis constater l'existence d'aucun fait ou d'aucune lacune législative qui m'amènerait à déclarer la cession nulle et non avenue.

Délégation de pouvoirs

[56]      Le demandeur soutient également que la présumée cession est invalide parce que la personne qui a en fait ordonné la tenue des référendums, M. H. Ryan, directeur intérimaire, Services fonciers, n'était pas autorisée à le faire en vertu de la Loi sur les Indiens. En d'autres termes, le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre en vertu de l'article 39 pouvait"il être délégué au directeur ou au directeur intérimaire, Services fonciers, et pouvait"il être exercé par celui"ci? Le demandeur affirme que le paragraphe 3(2) de la Loi sur les Indiens permet uniquement au ministre de déléguer au sous"ministre ou, dans ce cas"ci, au sous"ministre adjoint, un pouvoir qui lui est conféré par la Loi , sauf indication contraire. Il est soutenu que la soi"disant délégation du pouvoir d'ordonner la tenue d'un référendum au directeur, Services fonciers, au moyen de la note de service du 10 juin 1980, excède donc le pouvoir de délégation que possède le ministre en vertu du paragraphe 3(2) et de l'article 39 de la Loi sur les Indiens .

[57]      Subsidiairement, le demandeur affirme que dans sa lettre du 19 mars 1985, le ministre révoque expressément la délégation du pouvoir d'ordonner la tenue d'un référendum. Dans cette lettre, le ministre a dit ceci :

     [TRADUCTION]

     Toutefois, j'aimerais que les fonctionnaires sachent que, si à la prochaine assemblée générale, une majorité des électeurs de la bande ne votent pas, je prendrai personnellement la décision de convoquer une autre assemblée en vertu du paragraphe 39(2).                 

[58]      Le demandeur soutient que cette lettre visait clairement à assurer que la tenue d'un deuxième scrutin soit ordonnée par le ministre lui"même. Toutefois, à mon avis, cette lettre n'indique pas clairement que le ministre avait l'intention de révoquer la délégation de pouvoirs. Elle indique plutôt qu'il avait l'intention de convoquer une deuxième assemblée lui"même. De toute évidence, en déléguant le pouvoir général de convoquer une assemblée ou d'ordonner la tenue d'un référendum, le ministre n'a pas perdu le pouvoir d'exercer lui"même pareil pouvoir. Le fait qu'il ne l'a pas fait personnellement ne veut pas pour autant dire que l'autorisation avait été révoquée, comme le soutient le demandeur.

[59]      La défenderesse soutient que le ministre ne peut pas exercer personnellement chaque pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la Loi sur les Indiens. Il faut plutôt supposer que les mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires responsables du ministère : R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238, à la page 245; Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1977] 1. R.C.S. 12, à la page 22.

[60]      La défenderesse se fonde essentiellement sur l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd., supra, à la page 22 :

     L'appelante a fait valoir que le Ministre avait, aux termes de l'art. 7, le pouvoir d'autoriser la délivrance d'un permis ou de délivrer effectivement le permis, et que s'il choisissait d'autoriser la délivrance d'un permis, il n'avait plus aucun rôle à jouer concernant un permis autorisé. Je ne suis pas de cet avis.                 
     Si le législateur a choisi de conférer au Ministre un pouvoir de délivrance et un pouvoir d'autorisation de délivrer, il doit alors avoir voulu que les deux pouvoirs soient distincts. Cependant, l'effet de la distinction est plus clair si on l'envisage sous un angle historique.                 
     La délégation explicite de pouvoirs à des agents du Ministère, qui est effectuée à l'art. 7, peut sembler inutile aujourd'hui. Lorsqu'un pouvoir est conféré à un ministre, les mesures nécessaires seront prises généralement non pas par le ministre lui"même, mais par les fonctionnaires compétents de son ministère, en vertu d'une délégation de pouvoir : Carltona, Ltd. c. Commissioners of Works , [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.); R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238, aux pp. 245 et 246. À l'époque où l'art. 7 a été adopté pour la première fois, la présomption prima facie d'interprétation législative qui s'est développée au sujet de la maxime latine delegatus non potest delegare et qui voulait qu'[TRADUCTION]"[u]n pouvoir discrétionnaire conféré par une loi [soit] [...] destiné à être exercé par l'autorité à qui la loi l'a conféré et par personne d'autre", pouvait s'appliquer avec plus de rigueur. La délégation explicite était généralement jugée nécessaire. Voir John Willis, "Delegatus non potest delegare" (1943), 21 R. du B. can. 257, à la p. 259, et de manière générale, pour un examen de la jurisprudence et de la doctrine antérieures.                 

[61]      Toutefois, il est intéressant de noter que le juge Major a également fait la remarque suivante, à la page 23 :

     Il est évident que l'objet de l'art. 7 est la délivrance de permis. À mon avis, la délégation de pouvoir aux fonctionnaires du Ministre n'est rien de plus qu'un moyen, pour ce dernier, de délivrer des permis par l'intermédiaire de personnes déléguées. L'article ne vise pas l'autorisation de permis; ce n'est là ni son objet ni son but ultime. Il vise plutôt la délivrance de permis qui, une fois délivrés, nécessitent le recours à des dispositions particulières pour être révoqués. Peu importe que le Ministre décide initialement d'autoriser la délivrance d'un permis, cette autorisation n'est irrévocable pour aucune des parties concernées tant et aussi longtemps que le permis n'est pas finalement délivré. C'est en fonction de l'objet de l'article qu'il nous faut examiner si le Ministre pouvait révoquer l'autorisation pendant qu'elle était en vigueur.                 

[62]      En outre, la défenderesse soutient que cette cour a statué que la délégation générale de pouvoir effectuée par le ministre en 1980 est valide et explicite, dans le cadre de l'exercice du pouvoir qui est conféré à celui"ci en vertu du paragraphe 3(2) : Badger c. Canada , [1991] 1 C.F. 191, aux pages 196"197 (1re inst.) :

     Le pouvoir de délégation au sous"ministre que le paragraphe 3(2) donne au ministre a une portée illimitée s'appliquant à tout "pouvoir et fonction" que le ministre peut exercer en vertu de cette Loi. Une copie certifiée de l'acte de délégation de pouvoir daté du 10 juin 1980, et qui était en vigueur en 1982 au moment où le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a publié le décret, autorisait le sous"ministre entre autres choses à :                 
         ... exercer tous devoirs, pouvoirs et fonctions que peut ou doit accomplir ou exercer le Ministre aux termes de la présente Loi...                         
     Il est difficile d'imaginer une autorisation plus catégorique du pouvoir de déléguer que celle qu'on trouve au paragraphe 3(2) de la Loi sur les Indiens ni un exercice plus catégorique de ce pouvoir de déléguer que celle qui est exprimée dans cet acte de délégation. Tout en acceptant l'argument du procureur de la défenderesse selon lequel dans certaines circonstances un pouvoir de déléguer ne peut pas être accordé de façon implicite, j'estime qu'il n'y a pas lieu de considérer ici un tel pouvoir comme implicite, car il est explicitement accordé en des termes très larges et il a été exercé en des termes tout aussi explicites et tout aussi larges. Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire de chercher un autre pouvoir implicite comme celui que confère l'alinéa 24(2)c) de la Loi d'interprétation et de la disposition correspondante de la version antérieure de cette Loi, ce sur quoi se fonde la défenderesse.                 

     La défenderesse soutient que le directeur intérimaire, Services fonciers, possédait donc le pouvoir nécessaire pour ordonner la tenue des référendums, et que le présumé assentiment était donc valide.

[63]      Le paragraphe 3(2) est ainsi libellé :

     3.(2) Le ministre peut autoriser le sous"ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ou le fonctionnaire qui est directeur de la division du ministère relative aux affaires indiennes à accomplir et exercer tout pouvoir et fonction que peut ou doit accomplir ou exercer le ministre aux termes de la présente loi ou de toute autre loi fédérale concernant les affaires indiennes.                 

[64]      Étant donné le sens clair du paragraphe 3(2), je ne puis retenir les arguments de la défenderesse. En premier lieu, Monsieur le juge Strayer a rendu sa décision sur la validité de l'acte de délégation signé par le ministre en 1980 dans le cadre de l'examen d'une délégation de pouvoir du ministre au sous"ministre, laquelle est expressément prévue au paragraphe 3(2) de la Loi sur les Indiens . En l'espèce, la soi"disant délégation a été effectuée en faveur du directeur, Services fonciers, soit un poste dont il n'est pas expressément fait mention au paragraphe 3(2). Un acte de délégation expresse existe, soit la délégation générale de pouvoirs de 1980, mais le paragraphe 3(2) ne confère aucun pouvoir exprès de déléguer pareil pouvoir au fonctionnaire concerné. Par conséquent, s'agit"il d'un pouvoir de délégation implicite?

[65]      Dans l'arrêt Ramawad c. le ministre de la Main"d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 2 R.C.S. 375, à la page 382, une disposition presque identique de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, ch. I"2, art. 67, a été interprétée de façon à nier au ministre le pouvoir de déléguer certains pouvoirs à des personnes qui n'y sont pas mentionnées. Il semblerait que si la loi confère expressément certains pouvoirs à des fonctionnaires précis, tout en réservant certaines questions importantes au ministre ou à des fonctionnaires désignés, le ministre ne soit peut"être pas implicitement autorisé à déléguer ces pouvoirs à des subalternes; Blake, S., Administrative Law in Canada , 2e éd., page 129.

[66]      Dans l'arrêt Ramawad, supra, aux pages 381 à 383, le juge Pratte, pour le compte de la Cour suprême du Canada, a dit ceci :

     Dans R. c. Harrison1, mon collègue le juge Dickson, parlant au nom de la Cour, dit à la p. 245 : "Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d'agir". L'existence de ce pouvoir ou, en d'autres termes, la présomption que l'acte sera posé non pas par le Ministre mais par des fonctionnaires responsables de son ministère dépend toutefois de l'intention du législateur que l'on peut déterminer à partir du texte de la loi comme de l'objet du pouvoir discrétionnaire conféré au Ministre.                 
     Dans la Loi sur l'immigration, le Parlement reconnaît l'existence de plusieurs niveaux d'autorité : le gouverneur en conseil, le Ministre, le directeur, le fonctionnaire supérieur à l'immigration, l'enquêteur spécial et le fonctionnaire à l'immigration. La Loi définit clairement les pouvoirs conférés à chaque niveau par le Parlement. Dans certains cas, la Loi permet que l'autorité puisse être exercée par plusieurs niveaux. Par exemple, l'art. 12 prévoit que les agents de la paix doivent exécuter tout mandat rendu en vertu de la Loi en vue de l'arrestation, la détention ou l'expulsion "s'ils en sont requis par le Ministre, le sous"ministre, le directeur, un enquêteur spécial ou un fonctionnaire à l'immigration". De même le par. 36(2) autorise "le Ministre, le directeur, un enquêteur spécial, ou un fonctionnaire à l'immigration" à donner des directives à l'égard de l'expulsion d'une personne frappée d'une ordonnance d'expulsion.                 
     De même, les règlements d'application de la Loi font une distinction nette entre les pouvoirs conférés au Ministre et les pouvoirs conférés aux fonctionnaires.                 
     Bien entendu, dans la Loi et le Règlement, les fonctions les plus importantes ont été réservées au pouvoir discrétionnaire du Ministre alors que les pouvoirs dans les autres domaines ont été délégués directement à des fonctionnaires spécifiquement désignés.                 
     L'économie générale de la Loi et du Règlement révèle clairement l'intention du Parlement et du gouverneur général en conseil, savoir que les pouvoirs conférés au Ministre doivent être exercés par lui plutôt que par des fonctionnaires agissant en vertu d'une délégation implicite, sous réserve bien sûr de dispositions législatives contraires. En d'autres termes, la législation en question, en raison de sa structure particulière et peut"être aussi de son objet, ne permet absolument pas de dire, comme c'était le cas dans Harrison , que le pouvoir de délégation du Ministre est implicite. Bien au contraire.                 
     À l'appui de cela, je citerai l'art. 67 de la Loi qui dispose :                 
         "Le Ministre peut autoriser le sous"ministre ou le directeur à remplir et exercer les devoirs, pouvoirs et fonctions qu'il est ou qu'il peut être tenu de remplir ou d'exercer aux termes de la présente loi ou des règlements et tout devoir, pouvoir ou fonction rempli ou exercé par le sous"ministre ou par le directeur sous l'autorité du Ministre est réputé l'avoir été par le Ministre."                         
     Cet article a nécessairement pour effet d'interdire au Ministre de déléguer des pouvoirs qui lui ont été conférés à des personnes qui n'y sont pas mentionnées.                 
     Je conclus donc que le pouvoir discrétionnaire confié au Ministre par l'al. 3Gd) du Règlement doit être exercé par lui ou, si elle est dûment autorisée, par une des personnes mentionnées à l'art. 67, ce qui exclut l'enquêteur spécial qui a rendu l'ordonnance d'expulsion en cause.                 
     En conséquence, on ne peut considérer la décision de l'enquêteur spécial en l'espèce, selon laquelle "il n'y a aucune circonstance particulière qui justifierait l'application de l'al. 3Gd ) du Règlement sur l'immigration comme le demande l'avocat" comme une décision du Ministre. Elle est donc invalide.                 
     Mais l'ordonnance d'expulsion est"elle viciée par l'invalidité de la décision de l'enquêteur spécial en vertu de l'al. 3Gd) du Règlement? À mon avis, oui. [Je souligne.]                 
     Aux termes de l'al. 3Gd), l'appelant a droit à une décision du Ministre sur "l'existence de circonstances particulières". L'appelant tire ce droit directement du Règlement et l'enquêteur spécial n'a aucun pouvoir de l'abroger directement ou indirectement.                 
     ________________                 
     1 [1977] 1 R.C.S. 238                 

[67]      La défenderesse soutient que contrairement à ce qui s'était produit dans l'affaire Ramawad, supra, il n'existait aucune délégation expresse de pouvoir (l'acte de délégation de 1980) et que la Cour devait donc déterminer si la délégation de pouvoir était implicite. À cet égard, la défenderesse affirme qu'il faut tenir compte du libellé de la disposition prévoyant la délégation ainsi que l'objet du pouvoir discrétionnaire. La défenderesse affirme que le pouvoir d'ordonner la tenue d'un deuxième scrutin conformément au Règlement sur les référendums des Indiens n'était pas un droit fondamental, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, une cession valide peut être effectuée sans que le ministre convoque une assemblée, à savoir au moyen d'une assemblée générale convoquée par le conseil de la bande. En l'espèce, cette procédure a échoué. En second lieu, il est soutenu que le pouvoir que possède le ministre d'ordonner la tenue d'un deuxième scrutin n'est pas un droit fondamental, mais une exigence procédurale que le législateur considérait comme importante aux fins de la détermination de l'intention de la bande. En d'autres termes, les exigences de forme en matière de cession prévues par la Loi sur les Indiens ont, pour l'essentiel, été respectées : Blueberry River, supra, pages 362 et 373. Il est donc essentiellement soutenu que la délégation était valide et que si elle ne l'était pas, elle ne devrait pas être annulée pour une question de forme n'ayant pas un caractère obligatoire.

[68]      Le demandeur affirme que compte tenu de l'économie de la Loi sur les Indiens, le législateur voulait de toute évidence traiter de la question de la délégation des responsabilités au moyen d'une série de dispositions expresses, et notamment du paragraphe 3(2), plutôt qu'au moyen d'un pouvoir de délégation implicite. Le libellé du paragraphe 3(2) est clair en ce qui concerne la personne à laquelle le ministre peut déléguer les responsabilités qui lui incombent en vertu de la loi. La Loi sur les Indiens renferme également de nombreuses autres dispositions (art. 7 à 16, 34, 53, 56, 63, 92) qui prévoient la délégation de responsabilités précises différentes des pouvoirs généraux conférés au paragraphe 3(2), ou qui autorisent un autre fonctionnaire du ministère à assumer ou à déléguer une responsabilité particulière.

[69]      Je suis convaincu que le libellé du paragraphe 3(2) et de l'article 39 montre que le législateur voulait que le ministre ou les fonctionnaires désignés, s'ils étaient autorisés à le faire, exercent personnellement le pouvoir prévu au paragraphe 39(2). Cette conclusion découle de l'arrêt Ramawad, supra. Le libellé, l'objectif et la portée du texte administratif ne peuvent pas en l'espèce être considérés comme remplaçant la règle générale d'interprétation de la loi selon laquelle une personne qui se voit conférer un pouvoir discrétionnaire doit l'exercer personnellement; Harrison, supra.

[70]      J'ai tenu compte de l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd., supra, qui, bien sûr, renferme un examen plus récent des principes qui s'appliquent à la délégation de pouvoirs aux fonctionnaires d'un ministère. Dans l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd., supra, il n'a pas été tenu compte de l'arrêt Ramawad, supra. Compte tenu des faits et des questions qui se posaient dans l'affaire Comeau's Sea Foods Ltd., supra, je ne crois pas que la présente affaire étaye la thèse selon laquelle toutes les mesures prises par le ministre peuvent implicitement être déléguées aux fonctionnaires responsables du ministère.

[71]      J'ai conclu que la délégation du pouvoir au directeur intérimaire, Services fonciers, en l'espèce est invalide, mais cela veut"il nécessairement dire que la cession des terres est de ce fait nulle? Je ne le crois pas. Dans l'arrêt Ramawad , supra, il a été conclu qu'un droit fondamental de l'appelant qui lui était directement conféré était abrogé. Dans cette affaire"là, une fois que la mesure d'expulsion était prise, le ministre ne pouvait plus empêcher le demandeur d'être expulsé même s'il avait conclu que, compte tenu de circonstances spéciales, le demandeur aurait dû bénéficier d'une renonciation à une disposition particulière du Règlement .

[72]      À mon avis, ce n'est pas ici le cas. Le directeur intérimaire, Services fonciers, a ordonné la tenue du référendum, mais compte tenu de la preuve dont je dispose, il est passablement certain que le ministre ainsi que le sous"ministre avaient toujours été directement en cause dans cette affaire. Cela ne règle pas pour autant l'affaire, mais il est clair que le conseil de la bande voulait que la cession ait lieu et que le fait que le ministre ne considérait pas l'assemblée du 2 février comme valide l'avait fort mécontenté. De fait, il a menacé d'intenter une action par la voie d'un bref de mandamus en vue de contraindre le ministre à reconnaître la validité de cette assemblée. Le conseil de la bande a fait savoir qu'il s'inquiétait de ce que, si cette assemblée n'était pas reconnue, l'entente ne puisse pas être conclue.

[73]      Le ministre a refusé de convoquer une deuxième assemblée à cause de certaines irrégularités dans la procédure de cession et de certaines inexactitudes dans les documents qui avaient été soumis à la première assemblée. Étant donné les nombreux problèmes qui s'étaient posés lors de la tenue du premier scrutin et puisque le règlement projeté visait à remédier aux mesures prises par le gouvernement, le ministre croyait donc qu'une nouvelle assemblée devait être convoquée sur la base de documents qui convenaient tant au conseil de la bande qu'au ministère. Par la suite, la bande et le ministère se sont entendus sur la documentation relative au nouveau scrutin qui a été tenu le 2 novembre 1985 conformément au règlement sur les référendums. De fait, le 1er novembre 1985, le conseil de la bande a adopté une résolution dans laquelle il demandait au ministre d'ordonner la tenue d'un deuxième référendum. Comme il en a ci"dessus été fait mention, la cession était à mon avis valide et conforme au droit, sous réserve de l'acceptation par le gouverneur en conseil.

[74]      Dans l'arrêt Blueberry River, supra, aux pages 358"359, 360 et 362, la Cour suprême du Canada a dit qu'il faudrait adopter une approche fondée sur l'intention en ce qui concerne la validité du processus de cession de terres en vertu de la Loi sur les Indiens . Dans cette affaire"là, il a été statué que compte tenu du caractère sui generis du titre autochtone, les tribunaux doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law, ou de l'inobservation de certaines exigences établies dans la Loi sur les Indiens en ce qui concerne le processus de cession, afin de donner effet à l'objet véritable des opérations.

[75]      En conclusion, le ministre n'a pas ordonné la tenue du premier ou du deuxième référendum, mais compte tenu de l'intention de la bande, déterminée conformément à la loi, la tenue du scrutin était une exigence qui, à mon avis, n'était pas fatale. Considérer le contraire serait ne pas tenir compte de la façon appropriée de l'arrêt Blueberry River, supra, qui montre clairement qu'il faut tenir compte de l'intention de la bande, telle qu'elle est déterminée conformément au droit, et non des exigences de forme de la Loi sur les Indiens. Le ministre a clairement toujours été en cause. Que ce soit le ministre ou le directeur intérimaire, Services fonciers, qui ait ordonné la tenue des référendums, la cession ne devient définitive que sur acceptation par le gouverneur en conseil. Dans ce cas"ci, aucun droit fondamental n'a été abrogé par suite de la délégation de pouvoir invalide.

[76]      Je tiens à féliciter les deux avocats qui ont présenté d'excellentes observations et qui se sont efforcés d'accélérer le procès.

Conclusion

[77]      Par conséquent, l'action est rejetée. Les dépens sont adjugés à la défenderesse.

     "Howard I. Wetston"

     Juge

Toronto (Ontario)

Le 12 août 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :          T"2288"87
INTITULÉ DE LA CAUSE :          LEROY HILL
                     et
                     SA MAJESTÉ LA REINE
DATE DE L'AUDIENCE :          LES 23 ET 24 JUIN 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Wetston en date du 12 août 1998

ONT COMPARU :

                     Paul Williams
                                 pour le demandeur
                     Gary Penner
                                 pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                     Paul Williams
                     Avocat

                     Case postale 91

                     Territoire de la rivière Grand
                     Ohsweken (Ontario)

                     N0A 1M0

                                 pour le demandeur

                     Morris Rosenberg

                     Sous"procureur général

                     du Canada

                                 pour la défenderesse


                                                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                                                          Date : 1980812
                                                          Dossier : T"2288"87
                                                                          ENTRE
                                                                          LEROY HILL,
                                                          demandeur,
                                                     et
                                                     SA MAJESTÉ LA REINE,
                                                          défenderesse.
                                                    
                                                          MOTIFS DU JUGEMENT
                                                    
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