Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210712


Dossier : T-475-21

Référence : 2021 CF 732

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2021

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

SOPREMA INC

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

3313045 NOVA SCOTIA COMPANY

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une requête, déposée par 3313045 Nova Scotia Company [Nova Scotia], visant la radiation de l’Avis de demande de contrôle judiciaire [l’Avis] déposé par Soprema Inc [Soprema] le 15 mars 2021.

[2] Par sa requête, Nova Scotia soutient que la demande de contrôle judiciaire [la Demande] de Soprema n’a aucune chance de succès puisque (1) Soprema n’a pas la qualité pour agir, tel que l’exige le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, ch F-7), puisqu’elle n’est pas directement touchée par l’objet de la demande, que son intérêt est purement commercial et privé et qu’elle n’a pas un intérêt public; et (2) que la Demande est prescrite, ayant été déposée au-delà de la période de 30 jours prévue au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, puisque Soprema savait, au plus tard le 6 octobre 2020, qu’un permis avait été délivré à Nova Scotia [le Permis].

[3] Avec sa requête, Nova Scotia dépose l’affidavit de M. Jeffrey M. Hansbro, directeur au sein de DuPont, compagnie-mère de Nova Scotia, assermenté le 14 mai 2021, auquel trois pièces sont jointes.

[4] De façon préliminaire, Soprema demande à la Cour de radier l’affidavit de M. Hansbro puisqu’en règle générale, les affidavits ne sont pas recevables pour appuyer une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 aux para 51 et suivants [JP Morgan]). Nova Scotia répond à cet égard que l’affidavit de M. Hansbro vise surtout à répondre à une demande de prorogation de délai en témoignant du préjudice subi par Nova Scotia et résultant du délai encouru par Soprema pour initier son recours. Cependant, et tel que détaillé ci-après, puisque l’Avis de Soprema vise plutôt la décision qui a été communiquée à cette dernière le 12 mars 2021, et que son Avis a été déposé dans le délai imparti, la Cour comprend que la demande de prorogation de délai bene esse de Soprema n’est plus nécessaire et que l’affidavit n’est donc pas pertinent. Ainsi, la Cour ne le considèrera pas.

[5] Pour les motifs exposés ci-après, la requête en radiation de Nova Scotia sera accueillie. En bref, la Cour est convaincue que la Demande de Soprema est manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie puisque (1) Soprema n’a pas la qualité pour agir selon un intérêt direct ou public; et (2) l’Avis de Soprema est fatalement vicié, compte tenu que cette dernière a confirmé, lors de l’audience, qu’elle conteste la décision du Ministre de l’Environnement et du Changement climatique [le Ministre] de ne pas révoquer le Permis délivré à Nova Scotia.

II. La demande de contrôle judiciaire initiée par Soprema

[6] Au stade d’une requête préliminaire, les faits allégués dans l’Avis sont tenus pour avérés.

[7] Ainsi, selon l’Avis déposé par Soprema, cette dernière fabrique depuis plusieurs années des panneaux d’isolation en mousse rigide de polystyrène extrudé avec un hydrofluorocarbure comme agent de gonflement. Ces panneaux sont également fabriqués par quelques autres entreprises, incluant Nova Scotia, compétitrices directes de Soprema.

[8] En 2018, le Canada, dans le cadre de ses obligations internationales suivant la ratification du Protocole de Montréal, 16 septembre 1987, RTNU (ratifié par le Canada le 30 juin 1988) et de ses amendements, modifie le Règlement sur les substances appauvrissant la couche d’ozone et les halocarbures de remplacement, DORS/2016-137 [le Règlement]. Ce dernier prévoit, aux articles 64.5 et 65.03, que certains produits ne pourraient plus être fabriqués ou importés au Canada à compter du 1er janvier 2021 et octroie alors près de trois ans aux entreprises pour s’adapter, soit jusqu’au 31 décembre 2020.

[9] Soprema indique s’être assurée de respecter le Règlement. Cependant, en août 2020, elle est informée que le Ministre aurait délivré à Nova Scotia le Permis, d’une durée de deux ans, pour cause de « fin essentielle », sous l’égide des articles 66 et 69 du Règlement. Soprema indique que le 22 octobre 2020, un représentant du Ministre confirme par lettre que la décision de délivrer le Permis à Nova Scotia est en cours de révision selon le paragraphe 71(1) du Règlement. Le 12 février 2021, Soprema apprend que le Ministre n le Permis.

[10] Soprema soumet donc essentiellement que le Permis émis à Nova Scotia par le Ministre est illégal et contraire aux obligations du Canada en vertu du Protocole de Montréal, et elle cite les critères de l’article 66 du Règlement et les conditions de son article 69.

[11] L’Avis déposé par Soprema le 15 mars 2021 vise, selon l’énoncé de son paragraphe 1, la décision du Ministre d’émettre un permis pour panneaux d’isolation en mousse rigide de polystyrène extrudé [XPS] pour fin essentielle en vertu des articles 66, 69 et 70 du Règlement, à Nova Scotia.

[12] L’Avis réfère aussi, à son paragraphe 3, au fait que, malgré une demande à cet effet, le Ministre a refusé de révoquer ledit permis, tel qu’il a le pouvoir de le faire selon les termes du paragraphe 71(1) du Règlement.

[13] Au titre de l’objet de la Demande, Soprema recherche dix remèdes. Les six premiers remèdes (paragraphes 5 à 10) se rapportent exclusivement à la décision du Ministre d’émettre le permis, en juin 2020, et aux articles 66 (fin essentielle) et 69 (conditions de délivrance) du Règlement. Les paragraphes 11 à 12 visent des remèdes en lien avec la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis, en février 2021, et réfèrent aux mêmes allégations d’erreurs de droit et de faits que celles soulevées en lien avec la décision du Ministre d’émettre le Permis. Le paragraphe 13 vise l’obtention d’un remède en lien avec la décision du Ministre d’émettre le Permis et celle de refuser de le révoquer. Enfin, le paragraphe 14 vise des dommages-intérêts et Soprema en demande le retrait dans le cadre d’une autre requête.

[14] Aux paragraphes 4, 13, 20 et 77 de son Avis, Soprema allègue être directement impactée ou directement affectée ou avoir l’intérêt requis. L’Avis n’inclut aucune référence à la qualité pour agir selon un intérêt public ni aux critères qui y sont liés.

[15] Au titre des motifs de la Demande, Soprema ne réfère qu’à la décision du Ministre de délivrer le Permis et elle invoque les alinéas 18.1(4)(a), (b), (c), (d) et (f) de la Loi sur les Cours fédérales.

[16] Au titre des arguments à l’appui des motifs, Soprema traite de (1) ses produits et ceux du concurrent; (2) les obligations du Canada découlant du Protocole de Montréal; (3) l’interdiction prévue au Règlement; (4) ses démarches visant à respecter le Règlement; (5) l’émission par le Ministre de permis pour fin essentielle et l’opposition de Soprema; et (6) le non-respect des critères objectifs et cumulatifs des articles 66 et 69 du Règlement.

[17] Les sections de l’Avis dédiées aux éléments de preuve à l’appui de la Demande et à la demande de documents en vertu de la Règle 317 des Règles des Cours fédérales (DORS/98 106), ne font pas référence à la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis. Ainsi, Soprema y limite la preuve qu’elle déposera et les documents qu’elle obtiendra à la décision du Ministre de délivrer le Permis et aux documents liés à la demande de Permis. Soprema ne prévoit soumettre aucun élément de preuve et ne demande (en vertu de la Règle 317) aucun document en lien avec la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis.

III. La requête en radiation

A. Positions des parties

[18] Au soutien de sa requête en radiation, Nova Scotia soumet initialement que (1) Soprema n’a pas la qualité pour agir selon un intérêt direct, tel que l’exige le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, et n’a pas non plus la qualité pour agir dans l’intérêt public; et (2) la Demande de Soprema ne peut viser que la décision prise par le Ministre en juin 2020 d’émettre le Permis à Nova Scotia, et non pas celle prise par le Ministre en février 2021 de ne pas révoquer ledit Permis; la Demande est conséquemment hors délai selon le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

[19] Le Procureur général du Canada [le PGC], dans sa réponse, soumet, à titre préliminaire, qu’il plane une ambiguïté quant à la décision contestée par Soprema et suggère qu’il s’agit de la décision du Ministre d’émettre le Permis. Le PGC note que les deux décisions sont distinctes et régies par des régimes règlementaires différents. Le PGC note aussi au passage que la demande de documents en vertu de la Règle 317, contenue dans l’Avis, ne vise que l’octroi du Permis, et que l’Avis fait essentiellement part des motifs pour lesquels les articles 66 et 69 du Règlement ne sont pas rencontrés et qu’il ne fait pas mention de l’article 71 du Règlement. Le PGC note que Soprema n’a pas déposé de requête pour être relevée de son défaut de respecter le délai et que l’Avis de permet pas de conclure qu’une prorogation serait justifiée. Le PGC partage l’avis de Nova Scotia selon lequel Soprema n’a pas la qualité pour agir, bien qu’il n’adopte pas l’ensemble des arguments de Nova Scotia. Ayant soutenu son intention de contester l’absence d’intérêt de Soprema au stade du fond, les représentations du PGC sur cette question sont plutôt limitées.

[20] Dans son dossier de réponse, Soprema répond que la requête en radiation est prématurée et qu’elle est non fondée. Elle précise en effet qu’elle a la qualité pour agir selon un intérêt direct ou, subsidiairement, selon un intérêt public.

[21] Quant au délai, Soprema indique, dans ses prétentions écrites, que sa Demande vise « l’acte continu » d’émettre le Permis et de refuser de le révoquer deux décisions au sujet desquelles les situations factuelles, le type de réparation et les questions juridiques qui se posent seraient les mêmes, soit l’exception pour fins essentielles prévue à l’article 66 du Règlement. Selon Soprema, la décision définitive est celle de février 2021 et son Avis n’a donc pas été présenté hors délai. De façon subsidiaire, si la Cour devait conclure qu’il ne s’agit pas d’un acte continu et qu’une prorogation de délai ne doit pas être accordée, Soprema soumet que la révision effectuée par le Ministre est en soi une « décision » visée par sa Demande, qui n’est pas hors délai.

[22] Cependant, lors de l’audience, Soprema a confirmé, à plusieurs reprises, que son Avis vise une seule décision, soit la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis, décision rendue en février 2020. Soprema précise alors que la décision du Ministre d’émettre le Permis, en juin 2020, est par ailleurs aussi incorporée à sa Demande en raison du libellé de l’article 71 qui réfère notamment à l’article 69 du Règlement.

[23] Lors de l’audience, en réaction à la confirmation précitée de Soprema quant à l’identité de la décision effectivement contestée, Nova Scotia a souligné que l’Avis ne soulève aucun argument sur le test qu’il convient d’appliquer en lien avec l’article 71 du Règlement, et que cette omission est fatale. Le PGC a quant à lui souligné que la demande en vertu de la Règle 317, contenue dans l’Avis, est limitée aux documents en lien avec la demande de Permis et avec la décision du Ministre d’émettre le Permis en juin 2020, et que ces documents ne sont pas pertinents dans le cadre d’une demande qui vise la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis.

[24] D’abord, compte tenu que Soprema a clairement confirmé que la décision contestée est celle du Ministre de ne pas révoquer le Permis, et que cette décision lui a été communiquée le 12 février 2021, je constate que le délai pour déposer l’Avis n’est pas en jeu. Je n’en traiterai donc pas.

[25] Par ailleurs, et tel que soulevé lors de l’audience, il conviendra d’examiner l’impact pour Soprema de ne pas avoir, dans son Avis, (1) traité de sa qualité d’agir dans l’intérêt public; (2) traité de l’article 71 du Règlement prévoyant le pouvoir du Ministre de révoquer un permis et du test qui y est applicable; (3) référé à des éléments de preuve en lien avec la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis; et (4) demandé de documents, en vertu de la Règle 317, en lien avec la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis.

B. Test applicable

[26] Tel que l’a énoncé la Cour d’appel fédéral dans la décision JP Morgan: « La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est "manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli". Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande » (au para 47 [références omises]).

C. Qualité pour agir de Soprema

(1) Qualité pour agir fondée sur un intérêt direct

[27] Je souscris à la position de Nova Scotia et conclus que Soprema n’a pas la qualité pour agir fondée sur un intérêt direct, peu importe, à cet égard, qu’il s’agisse de la décision du Ministre d’émettre le Permis en juin 2020 ou celle de ne pas le révoquer. En effet, la jurisprudence confirme que Soprema, vu les faits, n’est pas « directement touchée » par la décision tel que l’exige le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[28] Effectivement, tel que la Cour l’a confirmé au paragraphe 13 de la décision CanWest MediaWorks Inc c Canada (Santé), 2007 CF 752 (confirmée en appel dans 2008 CAF 207) citée par Soprema, de façon générale, « la jurisprudence reconnaît qu’un demandeur est "directement touché" lorsque la demande vise un acte portant atteinte à ses droits, lui imposant des obligations juridiques ou lui causant directement préjudice (au para 13 [références omises]) ». En l’espèce, Soprema ne satisfait pas à cette définition.

[29] Au surplus, l’émission d’un permis à une partie n’impose pas de droits ou d’obligations à une autre partie (Ultima Foods Inc c Canada (Procureur Général), 2012 CF 799) et un préjudice commercial ou économique est insuffisant pour octroyer la qualité pour agir selon un intérêt direct (Novo Nordisk Canada Inc c Canada (Santé), 2019 CF 822).

[30] En l’instance, et selon la jurisprudence précitée, la Décision n’a pas porté atteinte aux droits de Soprema, ne lui a pas imposé d’obligations juridiques ou ne lui a pas causé préjudice tel que l’exige la jurisprudence (voir aussi Bernard c Close, 2017 FCA 52).

[31] Les arguments soulevés par Soprema ne sont pas soutenus par la jurisprudence établie et ils n’ont aucune chance de succès.

(2) Qualité pour agir fondée sur un intérêt public

[32] Dans son Avis, Soprema ne traite pas de la qualité pour agir dans l’intérêt public, se limitant à affirmer qu’elle est directement impactée ou affectée par la Décision, tel que je l’ai mentionné plus haut. Soprema n’a pas soumis de demande de modification pour palier à cette omission dans son Avis. En outre, et tel que décrit ci-après, Soprema ne satisfait pas au test pour être reconnue comme ayant la qualité pour agir fondée sur l’intérêt public.

[33] Les parties s’entendent quant au test qui s’applique afin de reconnaitre la qualité pour agir dans l’intérêt public. Il a été formulé ainsi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society 2012 CSC 45 au para 37 (références omises) [Downtown Eastside]:

Lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public, les tribunaux doivent prendre en compte trois facteurs : (1) une question justiciable sérieuse est‑elle soulevée? (2) le demandeur a‑t‑il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question? et (3) compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux? Le demandeur qui souhaite se voir reconnaître la qualité pour agir doit convaincre la cour que ces facteurs, appliqués d’une manière souple et téléologique, militent en faveur de la reconnaissance de cette qualité. Toutes les autres considérations étant égales par ailleurs, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré.

[34] Or, en l’instance, Soprema ne rencontre pas le test applicable. En effet, la question soulevée n’atteint pas, même lorsqu’examinée de façon préliminaire, le seuil de question justiciable sérieuse, tel qu’établi par la Cour suprême au paragraphe 42 de l’arrêt Downtown Eastside. Tel que le souligne Nova Scotia, il s’agit ici de la contestation d’un permis temporaire, émis dans un contexte de dispositions transitionnelles; il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle les intérêts de tous les Canadiens sont en jeu à un degré inhabituel (Globalive Wireless Management Corp c Public Mobile Inc, 2011 FCA 194 [Globalive]).

[35] De plus, rien n’indique que Soprema ait un intérêt réel dans les procédures ou qu’elle soit engagée quant aux questions qu’elles soulèvent, tel que le requiert la jurisprudence. Bien qu’elle soulève des questions liées à la protection de l’environnement et au respect, par le Canada, de ses obligations internationales, et bien qu’elle ait choisi de respecter la récente modification règlementaire, rien n’indique que l’intérêt de Soprema déborde le cadre commercial. Les décisions sur lesquelles s’appuient Soprema, soit Oceanex Inc c Canada (Transports), 2018 CF 250 et Globalive traitent, tel que l’a plaidé Nova Scotia, de questions d’un autre ordre et ne s’appliquent pas en l’espèce.

[36] Enfin le recours proposé, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, ne constitue pas une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour.

D. L’Avis de demande de contrôle judiciaire

[37] De plus, je conclus que la demande de contrôle judiciaire de Soprema, telle que constituée, est vouée à l’échec. En effet, Soprema a confirmé sans équivoque, lors de l’audience, que la décision contestée est celle du Ministre de ne pas révoquer le Permis selon le pouvoir prévu à l’article 71 du Règlement, alors que son Avis omet de plaider les éléments qui y sont liés. Les parties ont eu l’occasion d’aborder cette question lors de l’audience et n’ont pas demandé l’opportunité de soumettre des représentations additionnelles.

[38] Monsieur le juge Stratas, dans l’arrêt JP Morgan, nous rappelle que : « Dans un avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit présenter un énoncé "précis" de la mesure demandée et un énoncé "complet et concis" des motifs qu’il entend invoquer: Règles des Cours fédérales, DORS/98 106, alinéas 301d) et 301e) » (au para 38). Ainsi, en sus de la réparation demandée, le demandeur se doit d’inclure un énoncé des motifs qui, bien que concis, demeure exhaustif. Les faits pertinents au soutien des motifs doivent également être inclus. Le demandeur ne devra toutefois pas inclure l’entièreté de la preuve qu’il soumettra au dossier, ni même énoncer l’identité des individus qui produiront des déclarations sous serment au soutien de la demande (voir par exemple Simpson Strong-Tie Company Inc c Peak Innovations Inc, 2008 CF 52; JP Morgan aux para 40-41).

[39] Alors que l’entièreté de la preuve ne figurera évidemment pas dans l’avis de demande de contrôle judiciaire, les motifs doivent tous être énoncés à ce stade préliminaire. La jurisprudence confirme effectivement qu’un motif qui n’a pas été énoncé dans l’avis de demande ne peut être soulevé dans le mémoire de faits et du droit de la partie, voir par exemple l’arrêt Tl’azt’en Nation c Sam, 2013 CF 226 aux para 6 et 7.

[40] Or, et tel que soulevé lors de l’audience, l’Avis de Soprema (1) ne traite pas de sa qualité d’agir fondée sur l’intérêt public; (2) ne traite pas de l’article 71 du Règlement, qui prévoit le pouvoir de révocation du Ministre et du test qui y est applicable; (3) ne mentionne aucun éléments de preuve à l’appui de la Demande en lien avec la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis ou avec l’article 71 du Règlement; et (4) ne demande aucun document, en vertu de la Règle 317, en lien avec la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis.

[41] En lien avec la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis en vertu de l’article 71 du Règlement, l’Avis se limite à demander à la Cour de déclarer que cette décision est entachée des mêmes erreurs de droit et de faits que la décision du Ministre d’émettre le Permis.

[42] Soprema soutient que la mention d’allégués factuels suffit pour satisfaire la Règle 301 et qu’il ne s’agit que de demander un amendement, au niveau du droit, pour pouvoir ensuite le plaider. Même si cette proposition s’avérait fondée, Soprema n’a, en l’instance, soumis aucune demande de modification de son Avis en lien avec les omissions précitées.

[43] Tel que l’ont soulevé les défendeurs, la décision du Ministre de ne pas révoquer le Permis est fondée sur un pouvoir règlementaire distinct de celui d’accorder un permis. Cette décision est rendue à la lumière de nouveaux faits et de nouvelles soumissions, et a, en l’instance, été prise plusieurs mois après la décision du Ministre d’émettre le Permis (paragraphe 17, prétentions écrites du PGC). Tel que le souligne le PGC, les deux décisions émanent de processus décisionnels distincts portant sur des critères règlementaires et analytiques différents. Au stade de l’émission du permis, le Ministre doit s’attarder sur les conditions prévues aux articles 66 et 69 du Règlement. Ces conditions incluent notamment la nécessité d’utilisation du produit pour certaines fins ainsi que le contexte technologique ou économique des solutions de rechange. Au stade de la révocation du Permis, l’analyse est plutôt axée sur les conditions prévues à l’article 71 du Règlement, et notamment sur la question à savoir si des renseignements faux ou trompeurs ont été fournis lors de l’émission du permis (paragraphe 22, prétentions écrites du PGC).

[44] Le défaut de plaider le test applicable à l’article 71 dans l’Avis, de même que celui de demander des documents en lien avec cette décision de ne pas révoquer le Permis, sont fatals. Il sera impossible pour Soprema de soutenir sa demande de contrôle judiciaire.

[45] Le paragraphe 71(1) du Règlement prévoit que le Ministre révoque le permis si l’une des conditions prévues à l’article 69 n’a pas été respectée ou s’il a des motifs raisonnables de croire que le titulaire du permis lui a fourni des renseignements faux ou trompeurs. Soprema a plaidé, lors de l’audience, que la décision d’émettre le Permis est en fait incorporée dans celle de ne pas révoquer le Permis et pourrait donc, lors de l’audience, être aussi examinée.

[46] Cependant, même en acceptant sans décider, pour les fins de la présente, que cet argument soit juste; le problème soulevé demeure entier. Soprema a confirmé que la décision contestée est celle du Ministre de ne pas révoquer le Permis, mais elle ne l’a pas prévu dans son Avis.

[47] L’Avis est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli (JP Morgan au para 47).


ORDONNANCE dans T-475-21

LA COUR ORDONNE que :

  1. La Requête en radiation est accueillie.

  2. L’Avis de demande de contrôle judiciaire est radié.

  3. Les dépens sont accordés en faveur de Nova Scotia.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-475-21

INTITULÉ :

SOPREMA INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, 3313045 NOVA SCOTIA COMPANY

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC) PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JUIN 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUILLET 2021

COMPARUTIONS :

Me Christine Duchaine

Me Catherine Boisvenue

Me Jonathan Coulombe

Pour le demandeur

Me Michelle Kellam

Me Andrea Shahin

Pour leS défendeurS

Me Guillaume Pelegrin

Me Rosalind Cooper

Me Mélina Cardinal-Bradette

POUR LE DÉFENDEUR 3313045 NOVA SCOTIA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sodavex Inc.

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

Fasken Martineau Dumoulin

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR 3313045 NOVA SCOTIA

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.