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Date : 20041112

Dossier : IMM-287-04

Référence : 2004 CF 1591

Ottawa (Ontario), ce 12ième jour de novembre, 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                         SHEIKH MAZHAR ALI,

FARWA MAZHAR,

PARVEEN AKHTAR et

MEESAM ALI

                                                                                                                                       Demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (le « tribunal » ) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « CISR » ), rendue le 5 décembre 2003, à l'effet que puisqu'il existait la possibilité de refuge interne ( « PRI » ) au Pakistan, les demandeurs ntaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ( « L.I.P.R. » ). Les demandeurs cherchent à faire infirmer la décision du tribunal, et à renvoyer l'affaire pour une nouvelle audience devant une formation différente.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Est-ce que le tribunal a commis une erreur en rejetant certains documents importants au soutien de la crainte de persécution des demandeurs, soit le « First Information Report » ( « FIR » ), le mandat d'arrestation et la lettre de l'avocat pakistanais?      

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs exposés ci-dessous, je réponds à cette question par la négative.

LES FAITS

[4]                Le demandeur, Sheikh Mazhar Ali (M. Ali, ou le « demandeur » ), âgé de 40 ans, est citoyen pakistanais. Les autres demandeurs, soit sa femme Farwa Mazhar (Mme Mazhar), sa belle-mère Parveen Akhtar (Mme Akhtar) et son fils Meesam Ali, fondent leur demande d'asile sur celle du demandeur (ensemble, les « demandeurs » ). Ils craignent la persécution en raison de leur religion (ils sont tous musulmans chiites) ainsi qu'en raison de leur appartenance à un groupe social particulier, soit celui de la famille.

[5]                Il y a plus de soixante ans, le père de Mme Akhtar a fondé une « Imambargah » , qui est un lieu religieux dans la religion chiite. Mme Akhtar a travaillé à l'Imambargah pendant toute sa vie. En 1997, M. Ali a été nommé administrateur de l'Imambargah. Le demandeur a témoigné qu'il était la cible constante de menaces de la part des membres du Sipah-e-Sahaba Pakistan (le « SSP » ). En juin 1997, l'Imambargah a été attaqué par des membres du SSP et le cousin du demandeur a été tué. M. Ali a porté plainte à la police et selon son témoignage il s'est informé à plusieurs reprises auprès du bureau de police pour savoir s'il y avait des développements dans l'enquête, mais personne n'a jamais été arrêtée pour ce meurtre.

[6]                En août 2000, face à d'autres menaces du SSP, M. Ali a quitté le Pakistan avec sa famille et s'est installé aux États-Unis. Toutefois, ils sont retournés au Pakistan en novembre 2000 puisque les sages de son ancienne communauté chiite lui avaient dit que la situation avait changé et qu'il n'était plus dangereux de vivre au Pakistan. Par contre, cela s'est avéré ne pas être le cas. En décembre 2000, les menaces contre M. Ali et sa famille ont recommencé. Le 4 janvier 2001, le demandeur a été battu par trois membres du SSP. Par la suite, il a essayé de déposer une plainte auprès de la police mais puisqu'il n'avait pas deux témoins pour corroborer son histoire, la police a refusé de prendre sa plainte. Suite à d'autres menaces en janvier 2001, la communauté chiite de la région a décidé d'organiser une manifestation contre le SSP et la police. Deux jours avant que la manifestation ait lieu, l'Imambargah a été attaqué de nouveau. Les demandeurs se sont cachés par la suite.

[7]                Après avoir de nouveau tenté d'obtenir de l'aide policière, mais sans succès, les demandeurs ont appris qu'une plainte avait été déposée contre eux le 12 février 2001. Ils ont quitté le Pakistan le 20 février et sont arrivés encore une fois aux États-Unis. Le beau-frère de M. Ali a essayé en vain de les parrainer aux États-Unis. Finalement, ayant peur de rester illégalement aux États-Unis après les événements du 11 septembre 2001, les demandeurs ont quitté pour le Canada où ils ont revendiqué le statut de réfugié le 1er octobre 2002.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[8]                Le tribunal a accepté toute l'histoire du demandeur, incluant le fait qu'il ait été persécuté par le SSP et qu'il était incapable d'obtenir de l'aide policière dans sa communauté. Le fait que M. Ali soit retourné au Pakistan en novembre 2000 a été jugé raisonnable par le tribunal étant donné que les sages de sa communauté l'avaient avisé que la situation n'était plus dangereuse. Quant au délai de 15 mois aux États-Unis, pendant lequel ils n'ont jamais revendiqué le statut de réfugié, celui-ci a été jugé raisonnable compte tenu du fait que le beau-frère du demandeur pensait qu'il serait capable de les parrainer. (Ceci n'a pas fonctionné puisque son beau-frère ne détenait qu'une « green card » , ce qui ne permettait pas le parrainage.)

[9]                Le tribunal a conclu que le récit du demandeur était crédible en ce qui concerne certains éléments d'importance de la revendication et il a constaté qu'il existait un risque raisonnable de persécution et de traitements ou peines cruels et inusités si M. Ali et sa famille retournaient dans leur communauté au Pakistan puisqu'ils étaient ciblés par le SSP. Néanmoins, le tribunal a déterminé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger étant donné qu'il existait une PRI au Pakistan.

[10]            Pour en arriver à conclure à une PRI, le tribunal a rejeté le FIR qui aurait été déposé contre les demandeurs le 12 février 2001 ainsi qu'un mandat d'arrestation dirigé contre M. Ali le 14 mai 2001. Le tribunal a noté que le demandeur n'avait pas indiqué sur son formulaire de renseignements personnels (le « FRP » ) qu'il était recherché dans son pays. Le tribunal trouva non crédible l'explication du demandeur qu'il n'avait pas bien compris les questions 37 et 38 du FRP ainsi que son explication à propos du mandat d'arrestation :

"With regard to the warrant of arrest (P16), the panel notes that the issuing date was May 14, 2001. The claimant testified that he learned about the warrant on September 7, 2003 or more than 15 months later. When asked if he had had ongoing contact with his brother, who knew about the warrant, he responded "yes". The panel finds it implausible that, while having contact with his brother over 15 months, no mention would be made of an arrest warrant. When asked how his brother had found out about the arrest warrant, the claimant responded "when he contacted the lawyer". The lawyer's letter (P8) is dated September 18, 2003. The putative warrant, however, indicates that the arresting officer "...came to know through his (the claimant's) brother...that the accused...went abroad". The claimant hastily attempted to reconstruct his response indicating that his brother had found out about the warrant upon receiving the FIR (February, 2001) thus, creating a still more implausible timeline.

Based upon these numerous contradictions around the FIR as well as the arrest warrant, in the context of the significant problem of easily obtainable fraudulent documents from Pakistan, the panel concludes that exhibits P-15, P-16 and P-8, the FIR, warrant of arrest and lawyer's letter, have no probative value."


[11]            Puisque le tribunal était d'avis que la police ne le recherchait pas et puisque la preuve documentaire démontrait que l'État était capable de protéger ses citoyens contre des menaces posées par une organisme comme le SSP, le tribunal a conclu que M. Ali pourrait vivre ailleurs au Pakistan en sécurité. En conséquence, il n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Les mêmes conclusions s'appliquent aux autres demandeurs.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les demandeurs

[12]            Les demandeurs soutiennent que la décision du tribunal est viciée parce que le commissaire a commis une erreur déraisonnable en rejetant le FIR, le mandat d'arrestation et la lettre de l'avocat pakistanais (qui fait référence au FIR et au mandat d'arrestation). Tenant compte que le tribunal a accepté tout le reste du récit du demandeur, les demandeurs argumentent que le tribunal ne pouvait pas, à bon droit, rejeter ces trois documents. Les demandeurs prétendent que les explications du demandeur à propos de ces documents sont crédibles et non contredites. De plus, même si le demandeur avait coché « non » en réponse aux questions 37 et 38 de son FRP, sa réponse à la question 41 indique que des accusations de blasphème avaient été portées contre lui, ce qui démontre qu'il était possible qu'il aurait véritablement mal compris les questions 37 et 38 :


"Unfortunately, instead of providing justice and protection to us by the higher authorities, the police came to our house and imambargah in the second week of February 2001, to investigate about us. They told Imam of the Imambargah that there is a complaint of blasphemy against us. Police also said that if we do not appear, they will track us down and arrest us and then no one can save us that we would be rotten in prison for the rest of our lives, we were very much despaired to know about this [sic]."

[13]            Les demandeurs argumentent que dans les circonstances, il n'y avait aucune raison pour le tribunal de ne pas croire leurs explications dans ce contexte.

[14]            Les demandeurs font aussi valoir que, malgré le fait que M. Ali ait été jugé très crédible quant à la majorité de son récit, il est déraisonnable que le tribunal ait trouvé le demandeur non crédible lorsqu'il a déposé des documents pour étayer sa crainte de persécution. Les demandeurs ne contestent pas qu'il est facile d'obtenir de faux documents au Pakistan mais soutiennent en l'absence de preuve contraire, qu'il est illogique de mettre la crédibilité du demandeur en doute lorsqu'il dit que ces documents sont authentiques. Même si le demandeur s'est contredit en expliquant pourquoi son frère ne lui a pas mentionné qu'il y avait un mandat d'arrestation contre lui, plusieurs autres preuves confirmaient le témoignage et elles auraient dû être prises en considération par le tribunal (à titre d'exemple, sa réponse à la question 41).


Le défendeur

[15]            Le défendeur est d'avis que le tribunal n'a commis aucune erreur de droit ou de fait et que sa décision n'est pas manifestement déraisonnable. Le défendeur soutient que la question à savoir si une PRI existait pour les demandeurs est une question de fait et par conséquent, au niveau du contrôle judiciaire, la Cour doit accorder beaucoup de déférence au tribunal.

[16]            Le fardeau de démontrer qu'il serait manifestement déraisonnable pour les demandeurs de chercher refuge dans une autre partie du pays repose sur ces derniers (Ranganathan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2001] 2 C.F. 164 à 171; Chorny, pré-cité au par. 8; Thirunavukkarasu, pré-cité à 594-95). Selon le défendeur, les demandeurs ne se sont pas déchargés de ce fardeau.

[17]            Compte tenu des contradictions qui entachaient le FIR et le mandat d'arrestation, il était loisible pour le tribunal de conclure que ces documents n'étaient pas authentiques, et donc, conclure à l'existence d'une PRI. Lors de la plaidoirie, l'avocate du défendeur attire l'attention du tribunal à des extraits des notes sténographiques qui pouvaient démontrer que la crédibilité du demandeur et de Mme Mazhar a été sérieusement touchée à l'égard de certains sujets d'importance. Toutefois, la décision du tribunal n'abordait pas ces sujets.


La norme de contrôle

[18]            L'existence d'une PRI est une question de fait. Ainsi, le contrôle des motifs d'une telle décision doit être fait selon la norme de la décision manifestement déraisonnable : Mohammed c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2003] F.C. 954 au par. 4 (1ère inst.);    Sivasamboo c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1995] 1 C.F. 741 aux par. 9-25.

L'ANALYSE

[19]            Le témoignage du demandeur concernant le FIR, le mandat d'arrestation et la lettre de son avocat soulève des préoccupations. La question 37 dans le FRP est claire et ne porte pas à l'interprétation. Cependant, M. Ali a répondu « non » à cette question, malgré le fait qu'il ait témoigné qu'il était au courant de l'existence du FIR avant son départ en février 2001. Son explication est boiteuse. Il est difficile d'accepter que M. Ali ne comprenait pas la question lorsqu'il a lui-même signé le FRP en indiquant que ses réponses étaient vraies et que le tout lui avait été traduit.


[20]            Encore plus édifiant est la réponse du demandeur lorsqu'il a été demandé quand son frère a-t-il appris l'existence du mandat d'arrestation. Initialement le demandeur répondit que c'était en septembre 2003 lorsque son frère a contacté l'avocat. Toutefois, le mandat d'arrestation indique que la connaissance était en mai 2001, quand un policier est venu visiter son frère pour avoir des renseignements à propos de M. Ali. Le demandeur tenta avec difficulté de réconcilier ces deux périodes mais sans succès.

[21]            Une simple lecture des notes sténographiques permet de constater l'hésitation et le manque de clarté des réponses du demandeur (voir dossier du tribunal pages 582 à 585, 564 à 567). Le tribunal pouvait en tirer des constatations négatives affectant ainsi la crédibilité du demandeur à ce sujet.

[22]            Un tribunal peut croire un demandeur sur certains points et ne pas le croire à d'autres sujets. En autant que le tribunal explique ses constatations et que celles-ci sont raisonnables, une cour n'interviendra pas. La présente décision démontre que la conclusion qu'une PRI existe est raisonnable.

[23]            Les parties furent invitées à soumettre des questions pour certification mais aucune ne fut suggérée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

-           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

-           Aucune question ne sera certifiée.

                "Simon Noël"                 

         Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                IMM-287-04

INTITULÉ :               Sheikh Mazhar Ali et al

c.

Ministre de la citoyenneté et

de l'immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                            10 novembre 2004

MOTIFS :                  L'Honorable Juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :                                   Le 12 novembre 2004


COMPARUTIONS :

Me Eveline Fiset                                     POUR LES DEMANDEURS

Me Andrea Shahin                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

477, rue Saint-François-Xavier

Montréal (Québec)         POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Montréal (Québec)         POUR LE DÉFENDEUR


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