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Date : 20041115

Dossier : IMM-4251-04

Référence : 2004 CF 1589

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                          ROKSANA ANTYPOV

                                                               DANIEL MALYY

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 15 avril 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a estimé que les demandeurs n'avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger.


LES FAITS

[2]                La demanderesse principale, Roksana Antypov, (la demanderesse) est une citoyenne israélienne âgée de 28 ans. Elle est arrivée au Canada le 2 décembre 2002 en compagnie de son fils, Daniel Malyy, qui est maintenant âgé de quatre ans. Le 12 décembre 2002, la demanderesse et son fils ont présenté une demande d'asile. Ils affirment craindre avec raison d'être persécutés du fait que la demanderesse a été victime de violence conjugale alors qu'elle vivait en Israël.

La décision

[3]                À l'ouverture de l'audience, la Commission a examiné la demande d'ajournement présentée par la demanderesse en vue de pouvoir retenir les services d'un avocat. La Commission a refusé cette demande au motif que la demanderesse avait déjà bénéficié de trois remises dans cette affaire. L'audience s'est donc poursuivie sans avocat.

[4]                En ce qui concerne la demande principale de la demanderesse, la Commission a refusé de reconnaître le statut de réfugiée à la demanderesse pour deux raisons. Elle a d'abord conclu que son témoignage n'était pas digne de foi parce qu'il renfermait plusieurs invraisemblances et contradictions. En second lieu, la Commission s'est dite d'avis que, même si le témoignage de la demanderesse avait été crédible, elle aurait quand même rejeté sa demande au motif que l'État était en mesure d'assurer la protection des femmes victimes de violence conjugale en Israël.


QUESTIONS

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d'ajourner l'audience pour permettre à la demanderesse d'obtenir les services d'un avocat?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l'État était en mesure d'assurer la protection de la demanderesse?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en estimant que la demanderesse n'était pas crédible en raison des invraisemblances et des contradictions que renfermait son témoignage?

ANALYSE

Première question

La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d'ajourner l'audience pour permettre à la demanderesse d'obtenir les services d'un avocat?

[5]                Les tribunaux administratifs, comme la Commission, sont maîtres de leur propre procédure et ils sont donc investis du pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser un ajournement ou une suspension d'audience. Dans l'arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 151 N.R. 76, la Cour d'appel fédérale a évoqué certains des facteurs dont un tribunal administratif doit tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire. Le tribunal administratif devrait notamment tenir compte des éléments suivants :

i.           la question de savoir si le demandeur a fait toutes les diligences nécessaires pour être représenté par un avocat;

ii.           le nombre d'ajournements ou de suspensions déjà accordés;

iii.          le délai pour lequel l'ajournement est demandé;


iv.          l'effet de l'ajournement sur le système d'immigration;

v.          la question de savoir si l'ajournement retarderait, empêcherait ou paralyserait indûment la conduite de l'enquête;

vi.          la faute ou le blâme à imputer au demandeur du fait qu'il n'est pas prêt;

vii.         la question de savoir si des ajournements ont déjà été accordés avec date péremptoire pour la reprise de l'audience;

viii.        tout autre facteur pertinent.

[6]                En l'espèce, les débats ont été suspendus à plusieurs reprises à cause de la demanderesse. Tout d'abord, la demanderesse a fait défaut de remplir son formulaire de renseignements personnels dans le délai prescrit, ce qui a donné lieu à une audience sur le désistement. Le 10 septembre 2003, date de sa première audience portant sur sa demande d'asile, la demanderesse a réclamé avec succès un ajournement pour tenir compte des besoins de l'avocat dont elle venait de retenir les services. Une date péremptoire pour la tenue de l'audience a été fixée à trois mois plus tard. La demanderesse n'a pas comparu à cette audience. Elle a alors été sommée de se présenter à une audience de justification. La Commission a estimé qu'une raison valable avait été invoquée et elle a fixé la tenue d'une autre audience au 6 avril 2004. La veille de l'audience, la demanderesse a envoyé à la Commission une lettre dans laquelle elle réclamait une autre remise pour se trouver un avocat. Elle a déclaré que, comme elle n'était pas admissible à l'aide juridique, l'avocat qu'elle avait engagé ne voulait plus la représenter et elle avait donc besoin de temps pour se trouver un nouvel avocat.

[7]                La Commission a refusé d'accorder un autre ajournement parce que la demanderesse avait déjà retardé le déroulement de l'instance à de nombreuses reprises, parce qu'elle avait été avisée longtemps à l'avance que l'audience du 6 avril 2004 se tiendrait qu'elle ait ou non un avocat et parce qu'il est nécessaire d'instruire avec célérité les audiences concernant le statut de réfugié. À mon avis, la Commission a correctement apprécié les facteurs énumérés dans l'arrêt Siloch, précité, et elle n'a pas commis d'erreur dans la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire. La demanderesse a retardé le déroulement de l'instance à de nombreuses reprises, elle avait déjà obtenu un ajournement assorti d'une date péremptoire pour la reprise de l'audience et elle avait eu amplement de temps pour se trouver un avocat.

Deuxième question

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l'État était en mesure d'assurer la protection de la demanderesse?

[8]                Ainsi que le juge O'Keefe l'a signalé récemment dans le jugement Balasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1763, la jurisprudence est partagée sur la question de savoir si l'appréciation de la protection de l'État devrait, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, être révisée en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable ou de la décision déraisonnable simpliciter. Toutefois, comme j'ai conclu qu'en l'espèce, la décision de la Commission était raisonnable sur la question de la protection de l'État, il n'est pas nécessaire de savoir quelle norme s'applique.

[9]                Il est de jurisprudence constante qu'à moins d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger ses citoyens. Pour pouvoir réfuter la présomption de la capacité de l'État de le protéger, le demandeur d'asile doit rapporter des éléments de preuve convaincants qui démontrent nettement que l'État n'est pas en mesure d'assurer sa protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RC.S. 689). Ainsi que la Cour d'appel fédérale l'a signalé dans l'arrêt Canada (MCI) c. Villafranca, (1992), 15 N.R. 232 :

Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver que l'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement [...] ou que le gouvernement lui-même ne peut d'aucune façon la lui accorder.

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation.

[10]            Selon la demanderesse, la Commission a commis en erreur en concluant qu'elle pouvait se réclamer de la protection de l'État parce qu'elle avait contacté la police à deux reprises et que la police s'était montrée peu disposée à l'aider. Ce fait suffisait à son avis à réfuter la présomption relative à la protection de l'État. La demanderesse soutient également que la Commission a commis une erreur en déclarant que [TRADUCTION] « le refus d'un agent d'intervenir ne saurait rendre l'État incapable d'assurer sa protection » . Sur ce dernier point, je suis convaincue, au vu de ses motifs, que la Commission a tenu compte du fait que la demanderesse avait contacté la police à deux reprises, mais je crois qu'elle songeait plutôt à l'incident plus grave au cours duquel l'agent l'avait accusée de chantage.

[11]            Sur le premier argument de la demanderesse, je suis également convaincu que la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l'État. La Cour a déclaré à plusieurs reprises que le fardeau de la preuve dont le demandeur d'asile doit se décharger est directement proportionnel au degré de démocratie de l'État en cause. Ainsi que la Cour d'appel l'a expliqué, dans l'arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général), (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 :

Dès lors qu'il est tenu pour acquis que l'État (en l'espèce Israël) possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d'intervenir ne saurait en lui-même rendre l'État incapable de le faire.

[...]

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui.


[12]            La preuve documentaire soumise à la Commission illustrait le fait qu'Israël prend au sérieux la question de la violence conjugale et qu'elle a pris des mesures pour venir en aide aux victimes. La Commission a notamment fait observer que le législateur israélien avait récemment adopté une loi imposant une peine minimale aux hommes violents. Elle a également signalé que des crédits supplémentaires avaient été affectés à la mise en oeuvre d'un programme de prévention de la violence conjugale, que le chef de police d'Israël avait déclaré que la violence conjugale était une priorité, que la police et les travailleurs sociaux avaient reçu une formation spéciale en matière de violence familiale et, finalement, qu'il existait de nombreux services d'assistance téléphonique d'urgence et de centres de prévention et de traitement de la violence conjugale en Israël. À mon avis, vu la preuve documentaire dont elle disposait et compte tenu du fait qu'Israël est un État démocratique, il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption relative à la capacité de l'État de la protéger. Ce n'est pas parce que la police a refusé à deux reprises de lui porter secours que l'on peut conclure pour autant que l'État, dans son ensemble, était incapable de l'aider ou refusait de le faire.

[13]            Comme la décision de la Commission sur la question de la protection de l'État est, d'après la preuve, raisonnable, la Cour rejettera la demande sans aborder la question de la crédibilité.

[14]            Aucune des deux parties n'a proposé de question à certifier.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »                    

                                                                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4251-04

INTITULÉ :                                                    ROKSANA ANTYPOV et autre c. MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MERCREDI 10 NOVEMBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE LUNDI 15 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

David Yerzy                                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Alison Engel                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Yerzy                                                                              POUR LA DEMANDERESSE

14, avenue Prince Arthur

Bureau 108

Toronto (Ontario) M5R 1A9

MINISTÈRE DE LA JUSTICE                                                 POUR LE DÉFENDEUR

130, rue King Ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20041115

                                            Dossier : IMM-4251-04

ENTRE :

ROKSANA ANTYPOV

DANIEL MALYY

                                                                demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                

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