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Date : 20220106


Dossier : IMM‑7266‑19

Référence : 2022 CF 9

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

RAMON ALEJANDRO BARROS BARROS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Barros, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 16 juillet 2019, par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2] M. Barros, un citoyen de la Colombie, croit qu’un groupe paramilitaire appelé Los Urabeños pourrait s’en prendre à lui. La SPR a conclu que M. Barros disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] et qu’il n’avait pas établi que la ville proposée comme PRI était déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. La SPR a raisonnablement conclu que M. Barros n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque prospectif s’il retournait en Colombie ni que la ville proposée comme PRI était déraisonnable.

I. Le contexte

[4] M. Barros vivait dans le district de Santa Marta, dans le département de Magdalena, en Colombie, où il exerçait la profession d’avocat.

[5] M. Barros s’intéressait à la politique locale et a agi brièvement en qualité de conseiller local en 2000. Il soutient qu’il s’est appuyé sur cette expérience pour donner des conseils politiques à son frère en 2015, lorsque ce dernier avait l’intention de se présenter comme conseiller local.

[6] M. Barros affirme s’être rendu à une fête avec son frère le 4 mars 2014. Il est parti tôt de cette fête, mais son frère est resté. Le lendemain, il a appris que des membres armés de Los Urabeños avaient tué cinq personnes à cette fête, dont son frère. Il prétend qu’il a accompagné l’épouse de son frère au poste de police, mais que la police ne l’a pas interrogé.

[7] M. Barros soutient que, le 14 mars 2014, deux hommes qui prétendaient être membres du groupe Los Urabeños l’ont approché, lui ont dit qu’il avait eu de la chance de quitter la fête plus tôt, et l’ont menacé de s’en prendre à lui et à sa famille s’il ne quittait pas Santa Marta.

[8] M. Barros allègue qu’il a demandé l’aide des autorités pour obtenir une protection et des renseignements sur le décès de son frère. À la fin mars 2014, il a déposé une dénonciation au Bureau du procureur général afin qu’une enquête soit ouverte.

[9] M. Barros dit avoir reçu un appel téléphonique le 31 mars 2014 d’un homme qui prétendait être membre du groupe Los Urabeños et qui l’a menacé de s’en prendre à lui s’il ne retirait pas sa dénonciation.

[10] M. Barros affirme avoir quitté Santa Marta et s’être déplacé de façon constante tout au long de 2014 et être revenu régulièrement dans le district pour rendre visite à sa famille. Il soutient qu’à chacun de ses retours à Santa Marta, il a reçu des menaces par téléphone de la part du groupe Los Urabeños.

[11] En novembre 2014, M. Barros a porté plainte au Bureau de l’ombudsman.

[12] M. Barros fait remarquer qu’en décembre 2014, des agents de la police métropolitaine de Santa Marta lui ont fourni des renseignements sur des mesures d’autodéfense et de protection. Pour lui, cela signifiait que la police ne serait pas en mesure de lui offrir une protection adéquate. M. Barros précise qu’il a ensuite déposé des dénonciations au bureau de district chargé de la protection des droits de la personne et qu’il a fait une autre dénonciation au Bureau du procureur général.

[13] M. Barros soutient qu’il a décidé de fuir la Colombie, parce qu’il n’avait reçu aucune réponse des autorités. Il est arrivé au Canada par les États‑Unis avec sa conjointe et leur fils le 2 janvier 2015 et a présenté une demande d’asile.

[14] La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Barros le 11 mars 2015, au motif qu’il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Le 3 novembre 2015, sa demande de contrôle judiciaire, qui incluait alors la demande d’asile de son fils, a été accueillie sur consentement et a été renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue. La Cour ne dispose d’aucun renseignement concernant la raison pour laquelle cette demande de contrôle judiciaire a été renvoyée, sur consentement, pour faire l’objet d’une nouvelle décision. La demande d’asile de la conjointe de M. Barros avait précédemment été dissociée de celle de ce dernier, et la demande d’asile du fils de M. Barros a été dissociée de sa demande ultérieurement. Ce n’est qu’en 2019 qu’une nouvelle décision a été rendue concernant la demande d’asile de M. Barros.

II. La décision de la SPR faisant l’objet du présent contrôle

[15] La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Barros au motif qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi. La SPR a déclaré que les questions en litige concernaient la crédibilité et l’existence d’une PRI.

[16] La SPR a fait remarquer qu’aucune contradiction ou incohérence flagrante n’avait été relevée dans le témoignage de M. Barros. Toutefois, elle a constaté un manque d’éléments de preuve concernant le risque prospectif auquel M. Barros serait continuellement exposé s’il retournait en Colombie. La SPR a expliqué que, compte tenu du temps écoulé, elle s’était demandé si M. Barros était exposé à un risque prospectif lors de la tenue de l’audience.

[17] La SPR a examiné les articles de journaux fournis par M. Barros et a accepté le fait qu’ils confirmaient que son frère avait été tué. Elle a reconnu que M. Barros avait affirmé qu’il était désormais une cible parce qu’il avait fait des dénonciations afin de tenter de connaître l’identité des auteurs du meurtre de son frère et leur motif, et qu’il ne croyait pas que la police avait fait un suivi. La SPR a fait observer que M. Barros n’avait fourni aucun autre élément de preuve concernant la réponse de la police. Elle a souligné que les articles de journaux « divergent » sur la question de savoir si les auteurs de l’attaque de mars 2014 ont été appréhendés ou non et si le frère de M. Barros était effectivement une cible. Elle a en outre ajouté que les articles laissent entendre qu’une enquête de la police était en cours, ce qui allait à l’encontre du témoignage de M. Barros, qui avait déclaré que sa demande d’enquête n’avait eu aucun résultat.

[18] La SPR était d’avis que M. Barros n’avait pas prouvé de façon convaincante qu’il était recherché en Colombie depuis son arrivée au Canada. Elle a souligné que le seul élément de preuve qui indiquait que les agents de persécution présumés de M. Barros – Los Urabeños – le recherchaient toujours et continuaient de s’intéresser à lui était son propre témoignage selon lequel sa sœur et ses amis en Colombie l’avaient averti de la situation.

[19] La SPR a déclaré ce qui suit : « Le tribunal accorde le bénéfice du doute au demandeur d’asile, à savoir qu’il continuerait d’être exposé à un risque à Santa Marta et, puisqu’il n’existe aucun élément de preuve convaincant à cet égard, le tribunal a examiné la viabilité d’une [PRI]. »

[20] La SPR a appliqué un critère à deux volets pour déterminer la viabilité de la ville proposée comme PRI. Elle était d’avis que M. Barros n’était pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution ou à une menace à sa vie dans la ville proposée comme PRI. Elle a fait remarquer que, malgré ce qu’avait affirmé M. Barros dans son témoignage au sujet de la présence du groupe Los Urabeños dans l’ensemble du pays, le cartable national de documentation [le CND] indique que ce groupe n’est pas actif dans la ville proposée comme PRI ni dans le département où est située cette ville. La SPR a conclu que, en l’absence d’éléments de preuve crédibles ou corroborants suffisants qui démontrent que la ville proposée comme PRI n’est pas sûre pour lui, le CND l’emporte sur le témoignage de M. Barros.

[21] La SPR a également fait état de l’absence d’éléments de preuve établissant que le groupe Los Urabeños s’intéresse toujours à M. Barros et continuera de le rechercher dans la ville proposée comme PRI s’il retourne en Colombie.

[22] En ce qui concerne le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SPR était d’avis qu’il n’était pas déraisonnable que M. Barros déménage dans la ville proposée comme PRI. La SPR a reconnu que M. Barros craignait de ne pas être en mesure de pratiquer le droit dans la ville proposée comme PRI, mais elle a souligné qu’il ne pouvait pas non plus exercer sa profession au Canada. Elle a conclu que M. Barros n’avait pas établi qu’il se heurterait à de graves obstacles sociaux, économiques ou autres s’il déménageait dans la ville proposée comme PRI.

[23] La SPR a reconnu que, s’il retournait en Colombie et, plus précisément, s’il devait s’installer dans la ville proposée comme PRI, M. Barros pourrait devoir atterrir dans un aéroport international qui se trouve sur le territoire contrôlé par les Urabeños. Après avoir fait état de l’absence d’éléments de preuve selon lesquels le groupe Los Urabeños continue de s’intéresser à lui et serait toujours à sa recherche, la SPR a conclu qu’il ne serait pas déraisonnable que M. Barros passe, au besoin, par un territoire contrôlé par les Urabeños pour se rendre à la ville proposée comme PRI.

III. Les arguments du demandeur

[24] M. Barros soutient que la SPR a mis en doute sa crédibilité, mais qu’elle n’a jamais tiré de conclusions claires à cet égard. Il affirme que, contrairement à ce qu’elle avait déclaré, la SPR ne lui a pas réellement accordé le « bénéfice du doute » en ce qui concerne le risque auquel il serait exposé.

[25] M. Barros conteste toutes les inférences quant à sa crédibilité qu’a tirées la SPR après avoir conclu que les articles de journaux présentés contredisaient son affirmation selon laquelle la police n’avait pas mené d’enquête. Il souligne que les articles en question, qui étaient datés du 6 mars 2014, avaient été publiés immédiatement après l’attaque, mais avant qu’il fasse ses dénonciations et qu’il demande aux autorités d’enquêter sur le meurtre de son frère et de le protéger contre les menaces qu’il avait reçues. Il prétend que la police n’a pas répondu à ses demandes et souligne qu’il a fait des dénonciations à la fin mars 2014 et en décembre 2014 et qu’il a également porté plainte à l’ombudsman en novembre 2014, mais qu’aucun autre renseignement ne lui a été fourni au sujet de l’enquête.

[26] M. Barros affirme également que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a mis en doute sa crédibilité en se fondant sur sa conclusion selon laquelle il n’avait présenté aucun élément de preuve pour corroborer le fait que le groupe Los Urabeños était toujours à sa recherche. Il reconnaît que le seul élément de preuve qui indiquait que le groupe le recherchait toujours — à savoir son témoignage au sujet des avertissements que lui avait transmis sa sœur — n’était que du ouï‑dire. Cependant, il soutient que la SPR a commis une erreur en rejetant ce témoignage. Il avance que la présomption de véracité s’applique et qu’elle n’a pas été réfutée, parce qu’aucun autre élément de preuve ne contredisait son témoignage sous serment.

[27] M. Barros fait en outre valoir que la conclusion de la SPR selon laquelle il dispose d’une PRI est illogique. Il soutient que si la SPR avait conclu sans équivoque qu’il n’était pas crédible ou qu’il n’était pas exposé à un risque, elle aurait rejeté sa demande d’asile sans se demander s’il bénéficiait d’une PRI. D’après lui, lorsque la SPR a examiné la question de la PRI, elle a probablement accepté le fait qu’il était exposé à un risque, puisqu’elle a déclaré qu’elle lui avait accordé le « bénéfice du doute ». De plus, comme le groupe Los Urabeños est un puissant cartel de la drogue à l’échelle nationale et internationale, M. Barros affirme qu’il serait exposé à un risque aux mains de Los Urabeños partout en Colombie.

[28] Selon M. Barros, la SPR s’est appuyée sur ses vagues conclusions quant à sa crédibilité lorsqu’elle a procédé à son appréciation du premier volet du critère relatif à la PRI, car elle ne croyait pas que le groupe Los Urabeños le rechercherait, même s’il avait mentionné l’avertissement de sa sœur à cet égard durant son témoignage sous serment.

[29] M. Barros soutient que la SPR a erronément confondu la question de savoir si le groupe Los Urabeños a une présence active et permanente dans la ville proposée comme PRI et celle de savoir si ce groupe avait la capacité de le trouver dans cette ville et de lui porter préjudice. Il affirme que, comme il est souligné dans le CND, le groupe Los Urabeños est présent partout en Colombie grâce à ses réseaux de petits gangs locaux.

IV. Les arguments du défendeur

[30] Le défendeur fait valoir que la SPR n’a pas tiré de vagues inférences défavorables quant à la crédibilité, mais qu’elle a plutôt conclu que M. Barros n’avait pas présenté des éléments de preuve crédibles suffisants pour démontrer qu’il serait continuellement exposé à un risque prospectif. Le défendeur soutient que la SPR pouvait apprécier le caractère raisonnable de la preuve sans tirer des conclusions précises ou générales en ce qui a trait à la crédibilité de M. Barros.

[31] Le défendeur invoque les conclusions de la SPR selon lesquelles les articles de journaux ne corroboraient pas — et contredisaient parfois — le témoignage de M. Barros concernant la cible de l’attaque, l’enquête menée et la capture des personnes responsables.

[32] Le défendeur fait également remarquer que le témoignage de M. Barros selon lequel le groupe Los Urabeños s’intéresse toujours à lui n’est étayé par aucun élément de preuve documentaire.

[33] Eu égard à la ville proposée comme PRI, le défendeur soutient que M. Barros a mal interprété la décision de la SPR. D’après lui, la SPR n’a pas reconnu que M. Barros serait exposé à un risque partout en Colombie; au contraire, elle lui a accordé le bénéfice du doute uniquement en ce qui a trait au risque auquel il serait exposé à Santa Marta. Le défendeur souligne également que M. Barros prétendait que le groupe Los Urabeños avait menacé de s’en prendre à lui s’il ne quittait pas Santa Marta.

[34] Le défendeur fait observer que la SPR n’a pas confondu la question de savoir si le groupe Los Urabeños était présent (ou non) dans la ville proposée comme PRI et celle de savoir s’il avait la capacité de trouver M. Barros dans cette ville. La SPR était d’avis que M. Barros n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le groupe continuait de s’intéresser à lui et qu’il le rechercherait ailleurs qu’à Santa Marta. Le défendeur affirme en outre que la SPR a jugé de manière raisonnable que M. Barros devrait transiter par un territoire contrôlé par les Urabeños, mais qu’elle a conclu que la ville proposée comme PRI était toujours viable, compte tenu de l’absence d’éléments de preuve selon lesquels le groupe s’intéressait toujours à M. Barros.

V. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[35] La question en litige consiste à savoir si la conclusion déterminante de la SPR selon laquelle M. Barros disposait d’une PRI viable dans la ville proposée est raisonnable.

[36] La norme de la décision raisonnable s’applique : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov].

[37] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105‑107). Une cour ne doit pas juger des motifs au regard d’une norme de perfection et ne devrait pas infirmer une décision si elle n’est pas convaincue que les lacunes qu’invoque la partie contestant la décision sont suffisamment capitales ou importantes pour qu’on puisse dire que la décision ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, aux para 91, 100).

VI. Le caractère raisonnable de la décision

A. La SPR n’a pas tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité

[38] La SPR a reconnu que le frère de M. Barros a été assassiné, que M. Barros a porté plainte à la police et à l’ombudsman dans le but d’obtenir des renseignements et une protection, et que M. Barros alléguait que c’est ce qui a fait de lui une cible de Los Urabeños. Dès le début de sa décision, la SPR a souligné qu’elle avait constaté un manque d’éléments de preuve concernant ce qui s’était produit depuis l’arrivée de M. Barros au Canada. Elle a exposé clairement ses doutes quant à la suffisance de la preuve fournie pour établir l’existence d’un risque prospectif, ce qui est un élément clé de la demande d’asile de M. Barros.

[39] Contrairement à ce qu’affirme M. Barros, la SPR n’a pas [traduction] « mis en doute » son témoignage sans fournir d’explications. La SPR a mentionné les incohérences qui existaient entre certaines parties de son témoignage et les éléments de preuve documentaire présentés. M. Barros a déclaré qu’il croyait que son frère était la cible de l’attaque de mars 2014, parce qu’il avait dénoncé l’infiltration des autorités par des groupes criminels. Il a également précisé que les autorités [traduction] « n’avaient pas été en mesure de trouver » les personnes responsables du meurtre de son frère. La SPR a fait remarquer que ces déclarations étaient incompatibles avec les articles de journaux fournis par M. Barros. En effet, ces articles indiquaient que la police croyait qu’une autre personne impliquée dans le trafic de drogues était la cible de l’attaque et que l’un des dirigeants de Los Urabeños appelé La Vaca, qui était soupçonné d’avoir dirigé l’attaque, avait été arrêté.

[40] Bien que les articles de journaux soient datés du 6 mars 2014 et qu’ils aient été publiés avant que M. Barros fasse ses dénonciations et demande un suivi à la police et une protection contre les menaces qu’il avait reçues, il s’agit des seuls éléments de preuve documentaire dont disposait la SPR concernant l’enquête policière. M. Barros n’a présenté aucun autre élément de preuve concernant l’enquête (ou l’absence d’une enquête, comme il le sous‑entend) ni aucun élément de preuve pour étayer sa conviction que son frère était la cible de l’attaque, ce qui était un point central de son allégation selon laquelle le groupe Los Urabeños risquait de s’en prendre à lui.

[41] La SPR était également d’avis que le témoignage de M. Barros au sujet de ses appels téléphoniques avec sa sœur, qui l’aurait averti que le groupe Los Urabeños s’intéressait toujours à lui, n’était pas suffisant pour démontrer qu’il était exposé à un risque continu. Il ressort de la transcription de l’audience que M. Barros a déclaré que, durant ses appels téléphoniques avec sa sœur, cette dernière lui avait [traduction] « mentionné ce qui se passait effectivement » en faisant référence à l’infiltration des forces policières et de l’appareil judiciaire par des organisations criminelles dans sa [traduction] « ville natale ». La SPR a averti M. Barros qu’il lui incombait de présenter des éléments de preuve et que rien dans la preuve fournie ne laissait croire que le groupe Los Urabeños était toujours à sa recherche. M. Barros a répondu qu’il ne croyait pas [traduction] « qu’on lui enverrait une lettre », car il avait cru ce que lui avait dit sa sœur. Comme le récit de M. Barros au sujet de l’avertissement de sa sœur concernait une situation plus générale qui prévalait à Santa Marta et non le fait qu’on était à sa recherche, la conclusion de la SPR était clairement justifiée.

B. L’analyse de la SPR concernant l’existence d’une PRI était raisonnable

[42] Les conclusions de la SPR concernant l’existence d’une PRI ne sont ni contradictoires ni illogiques. La SPR a raisonnablement conclu et a clairement indiqué qu’aucun élément de preuve convaincant ne laissait entendre que M. Barros continuerait d’être exposé à un risque à Santa Marta. Néanmoins, elle a accordé le « bénéfice du doute » à M. Barros, à savoir qu’il continuerait d’être exposé à un risque à Santa Marta, mais pas dans toute la Colombie. La SPR s’est ensuite penchée sur la question de savoir si M. Barros serait exposé à un risque dans un autre district que Santa Marta.

[43] Tel qu’il est souligné dans la jurisprudence concernant la notion de PRI, le demandeur d’asile est un réfugié qui fuit l’ensemble de son pays, et non seulement une ville ou une région du pays. Le demandeur d’asile ne peut pas demander l’asile dans un autre pays tant qu’il existe un endroit dans son propre pays – même si ce n’est pas celui où il souhaite vivre – où il serait protégé contre le risque auquel il prétend être exposé, et qui ne serait pas déraisonnable, eu égard à l’ensemble des circonstances.

[44] La SPR a appliqué le critère à deux volets bien établi pour trancher la question de savoir si la ville proposée comme PRI à M. Barros était viable.

[45] Dans un premier temps, ce critère exige que le décideur soit convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté à l’endroit proposé comme PRI. Dans un deuxième temps, la situation à l’endroit proposé comme PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile, compte tenu de toutes les circonstances, y compris de sa situation personnelle, de s’y réfugier (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 CF 706 (CAF); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1994] 1 CF 589 aux para 2, 12, 1993 CanLII 3011 (CAF)).

[46] Il incombe au demandeur d’asile de démontrer que l’endroit proposé comme PRI est déraisonnable et la barre est placée « très haut » lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 au para 15, 2000 CanLII 16789 (CAF)).

[47] M. Barros soutient qu’il est exposé à une possibilité sérieuse de persécution et à une menace à sa vie de la part du groupe Los Urabeños partout en Colombie. Cependant, comme je l’ai mentionné, le seul élément de preuve indiquant qu’il était exposé à un risque constant — et qui, selon la SPR, n’était pas suffisant — était le témoignage de M. Barros au sujet de ce que lui avait dit sa sœur.

[48] M. Barros affirme que la présomption de véracité s’applique à son témoignage sous serment (en s’appuyant sur la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 CF 302, [1979] ACF no 248 au para 5 (QL) (CA) [Maldonado]) et que cette présomption n’a pas été réfutée, puisqu’aucun élément de preuve ne contredit son témoignage. M. Barros s’appuie également sur la décision Pooya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1019, aux para 26‑27, pour avancer que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il devait présenter des éléments de preuve pour corroborer son témoignage sous serment. L’argument de M. Barros — qui donne à penser que le principe établi dans la décision Maldonado l’emporte sur le fardeau qui incombe à un demandeur d’asile de présenter des éléments de preuve suffisants et crédibles pour étayer sa demande d’asile — ne saurait être retenu.

[49] M. Barros oublie que même si la présomption de véracité s’applique à son témoignage sous serment, au cours duquel il s’est contenté de dire qu’il croyait les propos que lui avait tenus sa sœur au téléphone, son témoignage ne suffit pas pour établir son allégation voulant que le groupe Los Urabeños s’intéresse toujours à lui et le recherche à Santa Marta plus de cinq ans après son départ. Durant son témoignage, M. Barros a relaté ce que sa sœur lui avait dit au sujet de la situation générale dans sa [traduction] « ville natale ». Aucun des renseignements fournis par M. Barros — que ce soit le récit des propos tenus par sa sœur ou par une autre personne — n’indique qu’il serait particulièrement exposé à un risque aux mains du groupe Los Urabeños ou d’autres organisations criminelles. La SPR avait averti M. Barros qu’il devait présenter des éléments de preuve pour étayer son allégation, et elle a raisonnablement conclu qu’il ne l’avait pas fait.

[50] Ce n’est pas parce que la présomption de véracité s’applique au témoignage sous serment d’un demandeur que ce dernier est dispensé de présenter des éléments de preuve suffisants pour étayer les points centraux de sa demande d’asile. La SPR n’avait nul besoin de douter de la véracité du témoignage de M. Barros pour conclure que ce témoignage ne suffisait pas à établir son allégation selon laquelle le groupe Los Urabeños était toujours à sa recherche. Comme il a été souligné dans la décision Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 au para 34, « [d]écider si la preuve est suffisante est un jugement pratique qui doit être établi au cas par cas ». De plus, des éléments de preuve peuvent être jugés insuffisants s’ils ont peu de valeur probante, s’ils ne sont pas corroborés ou s’ils contiennent trop peu de détails (Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 aux para 26‑28; Azzam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 549 au para 33).

[51] La SPR a jugé que M. Barros disposait d’une PRI viable après avoir conclu que le groupe Los Urabeños n’était pas présent dans la ville proposée comme PRI et que M. Barros n’avait pas présenté des éléments de preuve suffisants pour démontrer que le groupe s’intéressait toujours à lui et demeurait motivé à le chercher plus de cinq ans après le meurtre de son frère. Comme M. Barros n’a pas établi qu’il continuait d’être exposé à un risque aux mains du groupe Los Urabeños, l’influence de ce groupe à l’échelle nationale ou internationale ou sa capacité potentielle de le trouver n’est pas une raison pour écarter la ville proposée comme PRI.

[52] Enfin, la SPR a raisonnablement conclu que M. Barros ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la ville proposée comme PRI était déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7266‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7266‑19

 

INTITULÉ :

RAMON ALEJANDRO BARROS BARROS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JANVIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Amedeo Clivio

 

POUR LE DEMANDEUR

 

James Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clivio Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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