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Date : 20220106


Dossier : IMM-2018-20

Référence : 2022 CF 12

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

BASIL CARLTON CLARKE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] M. Clarke [le demandeur] sollicite, au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire d’une décision du 3 mars 2020 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté son appel en matière de parrainage. La SAI a conclu que l’article 4.1 (intitulé « Reprise de la relation ») du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], empêche le demandeur de parrainer son épouse au titre de la catégorie du regroupement familial. Le demandeur soutient que la relation avec son épouse n’est pas nouvelle parce qu’elle date de 1997 et n’a jamais été interrompue depuis, malgré un mariage de convenance qui a eu lieu entre-temps.

[2] Je conclus que l’article 4.1 du Règlement s’applique. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[3] Le demandeur est citoyen de la Jamaïque et résident permanent du Canada depuis 2017. La mère du demandeur a déménagé au Canada en 1990. En 1997, le demandeur a rencontré une femme qui est devenue plus tard sa seconde épouse [Mme Clarke]. À cette époque, Mme Clarke avait deux enfants. En 1998, le couple a emménagé ensemble et, en 1999, leur fils est né.

A. Mariage de convenance et perte du statut de résident permanent

[4] En 2005, la mère du demandeur lui a dit qu’une femme vivant au Canada [la première épouse] souhaitait contracter un mariage de convenance avec lui et le parrainer pour qu’il vive au Canada. Le demandeur s’est marié avec sa première épouse et, en 2007, est venu au Canada à titre de résident permanent. Le demandeur n’a pas eu d’enfant avec sa première épouse. Par la suite, il a pu faire venir son fils au Canada pour qu’il vive avec lui. Le demandeur n’a jamais vécu avec sa première épouse, mais a habité avec sa mère jusqu’à ce qu’il trouve un appartement pour son fils et lui.

[5] Il a divorcé de sa première épouse en 2008 et s’est marié avec Mme Clarke en Jamaïque en 2009. En 2010, lorsque le demandeur a présenté une demande en vue de parrainer Mme Clarke pour qu’elle obtienne la résidence permanente, des agents d’immigration ont ouvert une enquête sur la nature de son mariage avec sa première épouse. En 2011, aux termes de l’enquête, un rapport d’interdiction de territoire pour fausses déclarations a été établi contre le demandeur en vertu de l’article 44 de la LIPR. Le demandeur a alors perdu son statut de résident permanent. Son fils n’a pas perdu le sien et les deux ont continué à vivre ensemble à Toronto.

B. Demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire

[6] Après avoir vécu au Canada sans statut, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demande a été accueillie et le demandeur a récupéré son statut de résident permanent en 2017. Par la suite, il a présenté une nouvelle demande en vue de parrainer Mme Clarke.

[7] En 2018, après avoir interrogé Mme Clarke, un agent des visas en Jamaïque a conclu que le mariage du demandeur et de Mme Clark n’était pas authentique et a rejeté la demande de parrainage au titre du paragraphe 4(1) du Règlement. Le demandeur a interjeté appel de la décision de l’agent à la SAI.

C. Audiences devant la SAI

[8] La SAI a consacré deux audiences à l’appel. La première audience, qui a eu lieu en octobre 2019, portait sur l’appel de la décision fondé sur le paragraphe 4(1) du Règlement. Vers la fin de l’audience, l’avocate du ministre a présenté une demande en vue d’ajouter un deuxième motif de refus, fondé sur l’article 4.1 du Règlement.

[9] Entre la première et la deuxième audience, le ministre a présenté une demande en vue d’ajouter un troisième motif de refus fondé sur l’alinéa 117(9)d) du Règlement. La SAI a rejeté la demande et a poursuivi l’instruction en partant du principe que la demande de parrainage pouvait être rejetée au titre du paragraphe 4(1) ou de l’article 4.1 du Règlement.

[10] Lors de la seconde audience, le demandeur et Mme Clarke ont déclaré que leur relation avait commencé en 1997 et qu’elle s’était poursuivie de façon ininterrompue. Leur fils a également témoigné au sujet de leur relation.

[11] Dès le départ, le demandeur a admis que son mariage avec sa première épouse n’était pas authentique. Il a reconnu sa responsabilité et a présenté des excuses. Il a également déclaré qu’il avait payé pour ses erreurs, ayant perdu son statut de résident permanent et fait l’objet d’une interdiction de territoire, qui l’ont empêché d’aller en Jamaïque pour voir Mme Clarke pendant environ sept ans. Avant de perdre son statut, le demandeur voyageait régulièrement en Jamaïque pour voir Mme Clarke, ce qu’il a recommencé à faire lorsqu’il a récupéré son statut en 2017.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[12] Le défendeur a reconnu et la SAI a conclu que le mariage entre le demandeur et Mme Clarke était authentique. La SAI a jugé que leur fils et eux étaient des témoins crédibles. La SAI a indiqué que le demandeur et Mme Clarke ont reconnu « ne pas avoir véritablement dissous leur relation » et a donc conclu que l’article 4.1 du Règlement s’appliquait.

[13] La SAI a mentionné que, selon l’article premier du Règlement, le terme « conjoint de fait » s’entend d’une « [p]ersonne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an ». Elle a indiqué que, depuis 1998 environ, le demandeur et Mme Clarke (qui n’avait pas encore épousé le demandeur) étaient considérés comme formant un couple par leurs familles, les membres de leur église et les membres de la collectivité dans son ensemble. Elle a conclu qu’ils entretenaient une relation de conjoints de fait dans les années qui ont précédé le moment où le demandeur a immigré au Canada.

[14] Elle a estimé que la relation entre le demandeur et Mme Clarke (qui était alors sa conjointe de fait) « a duré jusqu’à ce que [le demandeur] parte pour le Canada en 2007 ». La SAI a décrit la situation dans laquelle le demandeur était quand il est venu au Canada en 2007 de la façon suivante :

[Le demandeur] a déclaré qu’il avait été réticent à accepter de marier sa première épouse parce qu’il ne voulait pas mettre en péril sa relation avec [Mme Clarke]. Il a dit qu’il n’avait pu se résoudre à parler à [Mme Clarke] du projet de se séparer d’elle et de partir pour le Canada de sorte que c’est sa mère à lui qui avait appelé [Mme Clarke] pour le lui annoncer au téléphone. [Le demandeur] a affirmé que son plan consistait à s’établir au Canada, puis à retourner au pays pour se marier avec [Mme Clarke]. [Il lui a dit] qu’il lui était dévoué, et elle a répondu qu’elle attendrait son retour.

[15] Devant la SAI, l’avocate du ministre a fait valoir que la relation entre le demandeur et Mme Clarke avait été dissoute en 2007 du fait du mariage du demandeur avec sa première épouse. Compte tenu des aveux du demandeur au sujet de son mariage avec sa première épouse, le ministre a soutenu que tous les éléments nécessaires pour que soit invoquée l’application de l’article 4.1 du Règlement étaient réunis.

[16] L’article 4.1 du Règlement dispose :

Reprise de la relation

4.1 Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne s’il s’est engagé dans une nouvelle relation conjugale avec cette personne après qu’un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure avec celle-ci a été dissous principalement en vue de lui permettre ou de permettre à un autre étranger ou au répondant d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

[17] Le demandeur a affirmé que l’article 4.1 du Règlement ne s’appliquait pas parce que son mariage non authentique avec sa première épouse n’équivalait pas nécessairement à une dissolution de la relation avec Mme Clarke. Il fait valoir que la preuve appuie son argument portant que Mme Clarke et lui ont poursuivi leur relation à distance tout au long de son mariage non authentique avec sa première épouse.

[18] La SAI a souscrit à la position du ministre et a conclu que le demandeur et Mme Clarke :

avaient l’obligation continue de répondre véridiquement aux questions posées par les autorités canadiennes de l’immigration, mais ce n’est pas ce qu’ils ont fait jusqu’à ce que [le demandeur] fasse ses aveux à l’audience. S’il avait révélé plus tôt qu’il poursuivait sa relation avec [Mme Clarke] et que cette relation n’avait pas été dissoute en dépit de son mariage avec [sa première épouse], [il] aurait pu faire l’objet d’un contrôle plus approfondi de la part des autorités canadiennes de l’immigration. Or, [ses] fausses déclarations en ce qui concerne la poursuite de sa relation avec [Mme Clarke] et son mariage avec [sa première épouse] ont fait en sorte que les autorités canadiennes de l’immigration n’ont pas poursuivi certaines avenues d’enquête légitimes.

[19] La SAI a également conclu que :

L’article 4.1 du [Règlement] a pour objet d’empêcher les étrangers de faire précisément ce que [le demandeur] et [Mme Clarke] ont fait : un étranger ne peut pas [traduction] « officiellement » dissoudre une relation de conjoints de fait, mais, en réalité, poursuivre cette relation afin de pouvoir contracter un mariage de convenance et obtenir le statut de résident permanent au Canada puis, après coup, changer de cap et présenter la relation qui s’est poursuivie comme s’il s’agissait d’une nouvelle relation. Accepter l’interprétation de l’article 4.1 du [Règlement] que propose [l’avocate du demandeur] irait à l’encontre de l’objet de la législation.

[Non souligné dans l’original.]

[20] Étant donné que le ministre a reconnu l’authenticité du mariage entre le demandeur et Mme Clarke, et que la SAI l’a confirmée, l’appel fondé sur le paragraphe 4(1) du Règlement a été accueilli.

[21] En ce qui a trait au bien-fondé de l’appel relatif à l’article 4.1 du Règlement, la SAI a conclu qu’il incombait au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Clarke et lui n’avaient pas dissous leur relation pour lui permettre d’acquérir le statut de résident permanent au Canada. La SAI a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau. Dans l’ensemble, la SAI a conclu que le demandeur et Mme Clarke « [avaient] eu une relation de conjoints de fait antérieure qui a été dissoute principalement en vue de permettre [au demandeur] d’acquérir le statut de résident permanent au moyen d’un mariage avec une tierce partie ». La SAI a donc jugé que Mme Clarke ne pouvait pas être parrainée à titre d’épouse du fait de l’application de l’article 4.1 du Règlement et a rejeté l’appel.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[22] La seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAI est raisonnable.

[23] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, car aucune des situations qui permettent de réfuter la présomption d’application de cette norme n’est présente en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17) [Vavilov]; Fang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 851 au para 10 [Fang]).

[24] Pour établir si une décision est raisonnable, la Cour doit se demander si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99). Une décision est déraisonnable lorsqu’elle « est indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, au para 101).

V. Analyse

[25] Le demandeur souligne à juste titre que les faits en l’espèce sont uniques. Selon moi, la présente affaire repose principalement sur l’interprétation de l’article 4.1 du Règlement et sur la question de savoir si la relation entre le demandeur et Mme Clarke a été dissoute du fait du mariage du demandeur avec sa première épouse. Je suis d’avis que la relation a été dissoute. Par conséquent, je conclus que le mariage entre le demandeur et Mme Clarke constitue une nouvelle relation au sens de l’article 4.1 du Règlement.

[26] Les deux parties s’entendent pour dire que, conformément à la méthode moderne d’interprétation des lois, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21). L’interprétation par la SAI de l’article 4.1 du Règlement est exposée ci-dessus au paragraphe 19.

[27] Le demandeur fait valoir que Mme Clarke et lui n’ont jamais dissous leur relation ou n’y ont jamais mis fin en dépit du mariage de convenance qui a eu lieu entre-temps avec sa première épouse. En conséquence, selon lui, l’article 4.1 du Règlement ne s’applique pas, et Mme Clark peut être considérée comme son épouse. Le demandeur soutient également que le raisonnement de la SAI selon lequel l’article 4.1 s’applique n’a pas de fondement juridique et que sa décision est donc déraisonnable.

[28] Le défendeur affirme que l’interprétation par le demandeur de l’article 4.1 du Règlement n’est pas conforme aux principes d’interprétation des lois. Il soutient que cette disposition n’exige pas que le demandeur ait dissous le lien affectif qu’il a maintenu avec Mme Clarke tout au long de son mariage avec sa première épouse. Même si le demandeur a maintenu un lien affectif avec Mme Clarke tout au long de son mariage avec sa première épouse, leur relation de conjoints de fait antérieure a été dissoute en vue de lui permettre de se marier avec sa première épouse et ainsi d’obtenir un statut au Canada. Il s’ensuit qu’après que le demandeur a divorcé de sa première épouse, Mme Clarke et lui se sont engagés dans une nouvelle relation conjugale lorsqu’ils se sont épousés. En bref, la LIPR et le Règlement ne permettent pas les relations simultanées. L’application de l’interprétation de l’article 4.1 que propose le demandeur irait à l’encontre de l’objet de cette disposition, comme l’a indiqué la SAI.

[29] Je souscris à l’interprétation que le défendeur fait de l’article 4.1. L’article 4.1 porte sur la situation qui s’est produite en l’espèce : le maintien « informel » de la relation initiale après que l’époux a obtenu un statut au Canada. La SAI a conclu que tel était l’objet de l’article 4.1. La SAI disposait de peu de jurisprudence sur laquelle s’appuyer, car il n’existe pas beaucoup de décisions comportant des faits identiques ou similaires.

[30] Malgré les faits uniques de la présente affaire, la position du défendeur est étayée par la jurisprudence limitée concernant l’interprétation ou l’application de l’article 4.1 du Règlement.

[31] Dans la décision Fang, la juge Walker a expliqué que l’article 4.1 du Règlement « empêche un couple de faire semblant de dissoudre une relation préexistante afin de permettre à un conjoint d’acquérir un statut d’immigration au Canada, par exemple, au moyen d’une relation non authentique avec un citoyen canadien, pour ensuite reprendre la première relation amoureuse » (Fang, au para 12). Il incombe au demandeur d’établir que Mme Clarke n’est pas visée par l’article 4.1 (Fang, au para 12).

[32] Dans la décision Fang, la juge Walker a également indiqué que l’article 4.1 reposait sur trois éléments conjonctifs dont il faut tenir compte pour établir si un demandeur est visé par la disposition. Ce critère a été récemment confirmé dans la décision Zheng c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2021 CF 616 au para 12 [Zheng]. En l’espèce, l’application du critère établi dans la décision Fang signifie que Mme Clarke ne sera pas considérée comme une épouse si :

1. M. Clarke et elle ont déjà eu un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure;

2. le mariage antérieur ou la relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure a été dissous principalement en vue de permettre au demandeur ou à Mme Clarke d’acquérir un statut ou un privilège d’immigration au Canada;

3. le demandeur et Mme Clarke ont ensuite commencé une nouvelle relation conjugale.

[33] Je juge que les trois éléments du critère sont réunis en l’espèce. En ce qui a trait au premier élément, la preuve démontre clairement que le demandeur et Mme Clarke entretenaient une relation de conjoints de fait depuis 1998 environ. La SAI a établi que cette relation s’est poursuivie jusqu’en 2007, année au cours de laquelle le demandeur est venu au Canada et s’est marié avec sa première épouse.

[34] En ce qui concerne le deuxième élément, le demandeur soutient que Mme Clarke et lui n’ont pas mis fin à leur relation cette année-là, mais plutôt qu’ils l’ont poursuivie de façon ininterrompue jusqu’à ce jour. Par conséquent, selon lui, ils ne se sont pas engagés dans une « nouvelle relation ». L’argument principal soulevé par le demandeur est que l’article 4.1 s’applique seulement aux relations qui ont pris fin et qui ont repris en tant que « nouvelles » relations, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[35] Je ne souscris pas à l’argument du demandeur. L’interprétation par notre Cour de l’article 4.1 du Règlement indique que le maintien de la relation, en dépit du mariage contracté entre-temps, ne signifie pas que Mme Clarke n’était pas visée par cette disposition. Dans les affaires concernant l’article 4.1 du Règlement, les couples ont nié que leur relation s’était poursuivie en dépit du fait qu’une des parties avait contracté un mariage de convenance. Dans ces affaires, lorsque la preuve démontrait, selon la prépondérance des probabilités, que la relation du couple avait persisté tout au long du mariage de convenance, la Cour a conclu que l’article 4.1 s’appliquait et empêchait l’étranger d’être considéré comme un « époux ».

[36] Par exemple, dans l’affaire Fang, la Cour était saisie du contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la SAI avait conclu que la relation de conjoints de fait entre M. Fang et Mme Chen n’avait pas pris fin et que le premier mariage de M. Fang n’était pas authentique. M. Fang a voulu contester ces conclusions, mais la Cour a jugé que l’article 4.1 du Règlement s’appliquait et que Mme Chen n’était pas considérée comme son épouse.

[37] En l’espèce, le demandeur a fait valoir que sa relation avec Mme Clark n’avait pas pris fin ou été dissoute, mais qu’elle persistait à ce jour. Le demandeur admet aussi que le mariage avec sa première épouse n’était pas authentique. Ces faits ressemblent aux conclusions que la SAI a tirées dans la décision Fang, que la Cour a confirmées par la suite.

[38] Enfin, pour ce qui est du troisième élément, compte tenu de la façon dont notre Cour a interprété l’article 4.1, je conclus que le mot « nouvelle » se rapporte au fait que le mariage du demandeur avec sa première épouse a eu pour effet de mettre fin à la relation entre Mme Clark et lui, ou de la dissoudre. Il était donc raisonnable de la part de la SAI, à la lumière du dossier dont elle disposait, de conclure que la relation entre le demandeur et Mme Clarke est devenue « nouvelle » au sens de l’article 4.1 en raison du mariage du demandeur avec sa première épouse et du divorce qui a suivi. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le fait d’accepter l’interprétation de l’article 4.1 proposée par le demandeur irait à l’encontre de l’objet de l’article 4.1.

[39] Même si l’analyse de la SAI était brève, son interprétation de l’article 4.1 du Règlement était raisonnable et conforme à l’objet de la LIPR, qui est de protéger l’intégrité du système d’immigration.

[40] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’article 4.1 du Règlement s’applique en l’espèce.

VI. Conclusion

[41] La décision contestée est raisonnable. La SAI a adéquatement examiné l’ensemble des éléments de preuve et est parvenue à une décision qui appartient aux issues raisonnables. Sa décision est transparente, intelligible et justifiée. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[42] Avant l’audience, le défendeur a proposé une question à certifier à l’avocate du demandeur, qui s’y est opposée. À l’audience, le défendeur a déclaré qu’il enverrait une question révisée à l’avocate du demandeur, mais celle-ci a répondu qu’elle n’accepterait aucune question à certifier. J’ai indiqué au défendeur qu’il pouvait soumettre la question à la Cour et que le demandeur pourrait aussi présenter des observations en réponse. Le défendeur a proposé la question suivante :

Pour l’application de l’article 4.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, le mariage antérieur ou la relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure peut-il se poursuivre et ne pas être « dissous » lorsque la personne s’est mariée ou s’est engagée dans une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux par la suite dans le but d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi?

[43] La Cour n’a pas reçu d’observations de la part du demandeur.

[44] Les critères pour la certification ont été réitérés récemment par la juge Roussel dans la décision Dor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 892 au paragraphe 97 :

Les critères pour la certification d’une question sont bien établis. La question proposée doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. De plus, la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur l’affaire. Une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont propres à l’affaire ne peut soulever une question dûment certifiée (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, aux para 46‑47; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au para 36; Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, aux para 15‑17; Lai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au para 4; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au para 9; Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, aux par[a] 28‑29; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, aux para 11‑12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637 (CAF) (QL), au para 4).

[45] La Cour refuse de certifier la question proposée. Comme je l’ai mentionné précédemment, je conviens avec le demandeur que la présente affaire comporte des faits uniques qui diffèrent de ceux d’une affaire typique. La question proposée ne transcende pas les intérêts des parties et ne serait pas déterminante quant à l’issue de l’appel. Je suis également d’avis que la question proposée est de la nature d’un renvoi et qu’il ne convient donc pas de la certifier (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au para 46).


JUGEMENT dans le dossier IMM-2018-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2018-20

INTITULÉ :

BASIL CARLTON CLARKE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUILLET 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JANVIER 2022

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crossley Law

Avocats

North York (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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