Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision







     Date : 20000425

     Dossier : T-384-98



OTTAWA (Ontario), le mardi 25 avril 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED

ENTRE :



     11185740 ONTARIO LIMITED

                                         demanderesse


     -et-


     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                             intimés




     ORDONNANCE


     APRÈS avoir entendu la demande de contrôle judiciaire à Ottawa (Ontario) le 14 février 2000 visant à obtenir :

     1.      Une ordonnance annulant la décision du ministre du Revenu national, datée du 15 février 1998, de modifier l"agrément octroyé à la demanderesse, 1185740 Ontario Limited, pour l"exploitation d"une boutique hors taxes au pont Ambassador à Windsor en Ontario, en y précisant une limite quant à la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes à toutes les boutiques situées à la frontière terrestre en application de l"article 24 de la Loi sur les douanes L.R.C. (1985), ch. C-1 (2e suppl.);

     2.      Une ordonnance visant à interdire au ministre du Revenu national de modifier l"agrément octroyé à la demanderesse, 1185740 Ontario Limited, pour l"exploitation d"une boutique hors taxes au pont Ambassador à Windsor en Ontario, en vue d"y préciser une limite quant à la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes;
     3.      Un bref de mandamus enjoignant au ministre du Revenu national d"examiner de bonne foi et d"une manière compatible avec la pratique passée toute demande formelle de la demanderesse, 1185740 Ontario Limited, en vue d"obtenir une licence de marchand en gros ou d"intermédiaire en vertu de la Loi sur la taxe d"accise aux fins de la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes, et de délivrer cette licence dans le cadre normal de son administration;
     4.      Toutes autres mesures de redressement que la Cour juge indiquées.

ET pour les motifs prononcés en ce jour,

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

La demande est rejetée.

                             B. Reed
                        
                             Juge

Traduction certifiée conforme


C. Bélanger, LL.L.




    

     Date: 20000425

     Dossier: T-384-98

ENTRE:


     1185740 ONTARIO LIMITED

     demanderesse


     - et -


     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     intimés


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE REED


[1]          Il s"agit du contrôle judiciaire d"une décision du ministère du Revenu national, datée 5 février 1998, modifiant l"agrément octroyé à la demanderesse pour l"exploitation d"une boutique hors taxes au pont Ambassador à Windsor en Ontario. Le sous-ministre du Revenu national a procédé à la modification au moyen d"une lettre datée du 5 février 1998, dans laquelle il est énoncé qu"en vertu du paragraphe 7(1) du Règlement sur les boutiques hors taxes, l"agrément octroyée à la demanderesse avait été modifié afin d"interdire la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes et que, conformément au paragraphe 7(2) du Règlement , la limite entrerait en vigueur 90 jours suivant la date de la lettre. Je remarque que la lettre du sous-ministre en date du 5 février 1998 décrit la décision du ministre ou en donne avis, mais ne constitue pas la véritable décision. Cependant, les deux avocats ont traité la lettre du 5 février 1998 comme s"il s"agissait de la décision.


[2]          La boutique ne vendait pas à l"époque d"essence exempte de droits de douane et de taxes, mais des réservoirs de stockage d"essence et des aires de service avaient été installés pour la vente d"essence pour les automobiles. Ces installations ont été effectuées, dit-on, à la connaissance des fonctionnaires de Revenu Canada, lesquels avaient été avisés depuis au moins 1994 de l"intention de la Canadian Transit Company de procéder à ces installations. La Canadian Transit Company loue les terrains de la boutique hors taxes, ainsi que la boutique hors taxes et les réservoirs d"essence à la Ambassador Duty Free Management Services, filiale de la Canadian Transit Company. Une relation contractuelle lie la Ambassador Duty Free Management Services et la demanderesse. Cette dernière, 1185740 Ontario Limited, a été constituée en 1995. Son unique activité consiste à agir en qualité de société de portefeuille aux fins de l"agrément octroyé pour l"exploitation de la boutique hors taxes. Cet agrément était initialement détenu par M. Ianni, président de l"université de Windsor, en son propre nom. Il était projeté de transférer l"agrément à une personne morale une fois obtenue la constitution de l"entité. Le 22 septembre 1998, l"agrément octroyé à M. Ianni a été annulé et un agrément a été octroyé à la demanderesse.


[3]          La demanderesse conteste la décision du 5 février 1998 en invoquant quatre moyens principaux: (1) le ministre n"avait pas compétence pour rendre la décision en cause; (2) le ministre a examiné des éléments non pertinents et extérieurs et il n"a pas tenu compte de considérations pertinentes; (3) le ministre a contrevenu aux règles de justice naturelle en se fiant à un rapport auquel la demanderesse n"a pas eu la possibilité de répondre; (4) le ministre était empêché, par voie de préclusion, de rendre la décision parce que des fonctionnaires ont été mis au courant des projets de construction des réservoirs avant que ne débutent les travaux, et que ceux qui étaient alors engagés dans le projet n"ont pas été mis au fait de la politique interdisant la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes avant la construction des réservoirs de stockage.


[4]          Le premier moyen comporte des deux volets. Le premier est que le paragraphe 7(1) du Règlement sur les boutiques hors taxes, qui autorise la modification des agréments par le ministre, est ultra vires du pouvoir de réglementation accordé au gouverneur en conseil par l"article 30 de la Loi sur les douanes , L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch.1.

[5]          Le pouvoir réglementaire prévu à l"article 30 de la Loi sur les douanes est ainsi conçu :

30. The Governor in Council may make regulations

(a) prescribing qualifications as to citizenship and residence or any other qualifications that must be met by the operator of a sufferance warehouse or duty free shop;

30. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) fixer les conditions, notamment de citoyenneté et de résidence, à remplir par l'exploitant d'un entrepôt d'attente ou d'une boutique hors taxes;

(b) prescribing the terms and conditions on which licences for the operation of sufferance warehouses or duty free shops may be issued under section 24, including the security that may be required of operators of the warehouses or shops, the duration of the licences and the fees or the manner of determining fees, if any, to be paid for the licences;

b) fixer les conditions d'octroi de l'agrément prévu à l'article 24, notamment en ce qui concerne les garanties à souscrire par l'exploitant, la durée de validité de l'agrément et, éventuellement, les frais afférents et leur mode de détermination;

(c) prescribing the circumstances in which licences for the operation of sufferance warehouses or duty free shops may be issued, amended, suspended, renewed, cancelled or reinstated;


c) déterminer les circonstances de l'octroi, de la modification, de la suspension, du renouvellement, de l'annulation ou du rétablissement de l'agrément;


(d) establishing standards for the operation of and the maintenance of the facilities of sufferance warehouses or duty free shops;

     . . .


d) fixer les normes applicables à l'exploitation et à l'entretien des installations des entrepôts d'attente ou des boutiques hors taxes;

     . . .

(i) regulating the transfer of ownership of goods in duty free shops;

i) régir le transfert de propriété des marchandises placées en boutique hors taxes;

(j) prescribing, with respect to goods, or classes of goods, that are offered for sale in a duty free shop, minimum proportions, by reference to quantity, value or other like standard, that must be of domestic origin;


j) fixer, en termes de quantité, de valeur ou de norme comparable, les proportions minimales de marchandises ou catégories de marchandises offertes en vente dans une boutique hors taxes qui doivent être d'origine nationale;

(k) prescribing restrictions as to the classes of goods that may be received in sufferance warehouses;


k) fixer des restrictions quant à la catégorie de marchandises qui peuvent être reçues dans les entrepôts d'attente;

(l) prescribing circumstances in which goods shall not be received in sufferance warehouses;


l) déterminer les circonstances dans lesquelles des marchandises ne sont pas reçues dans des entrepôts d'attente;

(m) regulating the provision of information by the operator of a duty free shop; and

(n) otherwise regulating the operation of sufferance warehouses or duty free shops. [Underlining added.]


m) régir les renseignements à fournir par les exploitants de boutiques hors taxes;

n) autrement réglementer l'exploitation des entrepôts d'attente ou des boutiques hors taxes. [C'est moi qui souligne.]




[6]          L"article 7 du Règlement dispose :

7. (1) The Minister may amend a licence only for the following purposes:


(a) subject to subsection (2),

7. (1) Le ministre ne peut modifier l'agrément que pour l'une des raisons suivantes :

a) sous réserve du paragraphe (2),

(i) to change a restriction specified in the licence as to the classes of goods that may be received in the duty free shop, or to specify such a restriction,

(i) préciser une limite quant aux catégories de marchandises qui peuvent être reçues dans la boutique hors taxes ou modifier cette limite,

(ii) to change the circumstances specified in the licence in which goods may be received in the duty free shop, or to specify such circumstances; or

(ii) préciser les circonstances dans lesquelles les marchandises peuvent être reçues dans la boutique hors taxes ou modifier ces circonstances;

(b) to change the name of the licensee, where the name of the licensee is changed.

b) modifier le nom de l'exploitant lorsque ce nom a été changé.

(2) The Minister may amend a licence for the purposes set out in subparagraph (1)(a)(i) or (ii) only where he has given 90 days notice of the proposed amendment. [Underlining added.]

(2) Le ministre ne peut modifier un agrément pour les raisons énoncées aux sous-alinéas (1)a)(i) ou (ii) que s'il a fait part de son intention à l'exploitant en lui donnant un préavis de 90 jours. [Non souligné dans le texte original.]



[7]          On fait valoir que le pouvoir, conféré par l"alinéa 30c), de prendre des règlements pour " déterminer les circonstances " permettant de modifier les agréments des boutiques hors taxes, n"autorise pas le règlement pris en vertu de ce pouvoir, soit le sous-alinéa 7(1)a )(i), parce que la modification d"un agrément qui précise une " limite " quant aux catégories de marchandises pouvant être reçues dans la boutique hors taxes ne constitue pas une détermination des " circonstances " permettant de modifier les agréments.


[8]          À mon avis, les mots " déterminer les circonstances ", lorsqu"on les rapproche des autres pouvoirs réglementaires énumérés à l"article 30, sont assez larges pour viser l"insertion de limites quant aux catégories de marchandises qui sont reçues ou vendues dans une boutique hors taxes. En outre, les termes de l"alinéa 30n) , " autrement réglementer l"exploitation [...] des boutiques hors taxes ", sont de toute évidence suffisamment larges pour autoriser l"édiction du sous-alinéa 7(1)a) (i) du Règlement.


[9]          Même si l"interprétation susmentionnée n"est pas juste, le pouvoir du ministre d"octroyer et de modifier les agréments ne repose pas uniquement sur l"article 7 du Règlement . Ce pouvoir est conféré directement par l"article 24 de la Loi sur les douanes qui dispose :

Subject to the regulations, the Minister may, where he deems it necessary or desirable to do so, issue to any person

24. (1) Sous réserve des règlements, le ministre peut, à son appréciation, octroyer à toute personne qui remplit les conditions

qualified under the regulations a licence for the operation of any place

réglementaires l'agrément d'exploiter un emplacement :

(a) as a sufferance warehouse for the examination of imported goods that have not been released, or

a) soit comme entrepôt d'attente, en vue de la visite des marchandises importées non dédouanées;

(b) [Repealed, 1995, c. 41, s. 6]

b) [Abrogé, 1995, ch. 41, art. 6]

(c) as a duty free shop for the sale of goods free of duties or taxes levied on goods under the Customs Tariff, the Excise Tax Act (other than section 23.2 of that Act), the Excise Act, the Special Import Measures Act or any other law relating to customs, to persons who are about to leave Canada and may specify in the licence any restriction as to the classes of goods that may be received therein or the circumstances in which goods may be received therein.

c) soit comme boutique hors taxes, en vue de la vente de marchandises, en franchise des droits ou taxes imposés par le Tarif des douanes, la Loi sur la taxe d'accise (sauf l'article 23.2 de cette loi), la Loi sur l'accise, la Loi sur les mesures spéciales d'importation ou tout autre texte de législation douanière, à des personnes sur le point de quitter le Canada. Il peut en outre préciser, dans l'agrément, les limites et les circonstances de réception, dans l'entrepôt ou la boutique, des marchandises selon leur catégorie.

     . . .

(2) The Minister may, subject to the regulations, amend, suspend, renew, cancel or reinstate a licence issued under subsection (1). [Underlining added.]

     . . .

(2) Le ministre peut, sous réserve des règlements, modifier, suspendre, renouveler, annuler ou rétablir un agrément octroyé en vertu du paragraphe (1). [Non souligné dans le texte original.]


Par conséquent, le sous-alinéa 7(1)a)(i) du Règlement ne peut être ultra vives.


[10]          Le deuxième volet du premier argument de la demanderesse consiste à faire valoir que le ministre possède le pouvoir de modifier les agréments pour imposer des limites quant aux catégories de marchandises qui peuvent être reçues dans une boutique hors taxes, mais non sur les catégories de marchandises qui peuvent être vendues dans une telle boutique.


[11]          Dans la lettre du 5 février 1998, qui donne avis de la décision du ministre, il est dit que le [TRADUCTION] " ministre [...] a décidé d"exercer son pouvoir discrétionnaire de préciser une limite quant à la vente "; " en conséquence [...] votre agrément de boutique hors taxes est modifié pour préciser une limite quant à la vente..."; "Toutes les autres modalités de votre agrément stipulées dans la lettre du ministre en date du 22 septembre 1997 demeurent en vigueur. " Cette lettre n"a pas été versée au dossier, de sorte que les véritables modalités énonçant les limites ne font pas partie de la preuve.


[12]          Même si la lettre du 5 février 1998 aurait dû être formulée de la façon suivante: " votre agrément de boutique hors taxes est modifié afin de préciser une limite quant aux catégories de marchandises qu"elle peut recevoir, et la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes y sera par conséquent interdite ", il n"y a pas lieu d"annuler la décision contenue dans la lettre uniquement pour exiger une reformulation. Même si le libellé de la lettre du 5 février constituait une erreur, je la tiendrais pour une erreur insignifiante. Voir Schaaf c. Ministre de l" Emploi et de l"Immigration, [1984] 2 C.F. 334 (C.A.F.); Association canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada Inc., [1991] 3 C.F. 626 (C.A.F.). Je ne suis pas disposée à annuler une décision pour une erreur insignifiante.


[13]          Je me penche maintenant sur l"argument voulant que le ministre ait tenu compte de considérations non pertinentes tout en ignorant des considérations pertinentes. Cet argument repose sur la prétention qu"en suivant aveuglément la politique gouvernementale qui existait depuis au moins 1985, le ministre n"a pas exercé librement son pouvoir discrétionnaire de ne pas autoriser la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes, et qu"il n"a pas examiné véritablement les documents transmis par la demanderesse (les rapports de KPMG).


[14]          En juin 1995, un fonctionnaire de Revenu Canada a écrit à M. Ianni pour lui souligner que Revenu Canada avait conclu que l"université de Windsor et la Canadian Transit Company souhaitaient [TRADUCTION] " exploiter diverses avenues qui pourraient conduire à la vente d"essence au pont." Il poursuivait en disant qu"il souhaitait recevoir des nouvelles par écrit, tenant compte de la politique bien établie exprimée dans la lettre du sous-ministre ". Cette lettre a été acheminée à MM. Stamper et Mancini. M. Stamper a été président de Canadian Transit Company et à l"emploi de cette compagnie pendant 12 ans. Il a également été président de Ambassador Duty Free Management Services pendant environ douze mois jusqu"à la fin de juillet 1996. M. Mancini a été le chef de la direction de Canadian Transit Company et a agi en qualité de liaison pour Ambassador Duty Free Management Services. Il avait également été à l"emploi de Canadian Transit Company pendant quatre ans et trois mois.


[15]          La lettre dont il fait mention dans la lettre de juin 1995 était une lettre du sous-ministre du Revenu à M. Amos, président de Frontier Duty Free Association, en date du 24 octobre 1994. Elle mentionne que Revenu Canada avait entrepris des consultations avec six ministères et organismes fédéraux intéressés à la question, dont la Commission de la frontière internationale, afin que les propositions [TRADUCTION] " fassent l"objet du meilleur examen possible ". La lettre précisait trois questions qui intéressaient les ministères : le manque de moyens pour assurer le respect de la loi (soit empêcher les Canadiens d"acheter de l"essence pour revenir immédiatement au Canada); la perte de recettes fiscales qui s"en suit; l"incidence de la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes sur les détaillants d"essence des environs.


[16]      En novembre 1995, une réunion a eu lieu avec les fonctionnaires de Revenu Canada. Y assistaient MM. Mancini, Stamper, Ianni et Charles James. Les fonctionnaires ont réitéré les trois préoccupations exprimées dans la lettre de juin 1995. À la suite de cette réunion, les services de KPMG ont été retenus aux fins de l"étude de la proposition. Le rapport produit a été présenté à Revenu Canada en juin 1996 et a fait l"objet de discussions lors d"une réunion avec les fonctionnaires de Revenu Canada en août 1996. À cette réunion du mois d"août 1996 , il a été clairement précisé à MM. Stamper et Mancini que l"étude était déficiente.


[17]      À la suite de la réunion du mois d"août 1996, KPMG a été invité à rédiger un autre rapport (" le rapport enrichi "). Le rapport enrichi a été présenté à Revenu Canada en janvier 1997. Le rapport initial de KPMG et le rapport enrichi ainsi que les autres documents reçus par Revenu Canada ont fait l"objet d"une note de service datée du 20 octobre 1997 à l"intention du sous-ministre. Cette note de service, qui commentait le rapport initial de KPMG et le rapport enrichi, comportait notamment ce qui suit :

         [TRADUCTION] Le 27 août 1996, M. Gravelle [sous-ministre à Revenu Canada] a rencontré les membres de la CTC afin de discuter de l"étude de KPMG. M. Gravelle leur a recommandé de consulter tous les intervenants clés, notamment les villes de Windsor et de Detroit, les détaillants locaux et la province de l"Ontario, avant de rencontrer les ministères des Finances et de l"Industrie.
         M. Gravelle s"est également engagé à ce que les fonctionnaires de Revenu Canada continuent les discussions avec la CTC au sujet du flux de circulation et des questions liées à l"observation de la loi qui, aux yeux du ministère, constituent de sérieux obstacles à la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes à la frontière.
     Réactions à la proposition
         Les réactions à la proposition ont été très émotives et ont donné lieu à des points de vue contradictoires chez les entreprises locales de Windsor ainsi qu"à tous les échelons de la classe politique :
     "      Les maires de Windsor, Sarnia et Sault Ste-Marie, de même que M. R. Gallaway, député fédéral de Sarnia-Lambton, ont clairement indiqué qu"ils n"appuieraient pas la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxe à la boutique hors taxes du pont Ambassador;
     "      Une résolution pour que la ville de Windsor appuie la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes à la boutique hors taxes du pont Ambassador a été rejetée par le conseil municipal de Windsor le 20 janvier 1997 (six voix contre, quatre voix en faveur);
     "      L"exploitant de la boutique hors taxes du tunnel Windsor-Detroit estime que l"étude de KPMG est déficiente et que la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes au pont Ambassador aurait une incidence négative grave pour la région de Windsor. Dans le but d"étayer sa position, il a transmis au ministère une évaluation officielle de l"étude de KPMG;
     "      L"évaluation, qui a été réalisée par le professeur A.A. Kibursi [sic] de l"université McMaster, conclut que l"étude de KPMG ne peut servir de base adéquate pour rendre une décision favorable quant à la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes à l"installation du pont Ambassador;
         . . .
     "      Ils ont présenté une version enrichie de l"étude initiale de KPMG en croyant qu"elle éliminerait l"impact négatif éventuel d"une telle installation pour la région de Windsor.
         Plus précisément, l"étude initiale estimait que l"essence exempte de droits de douane et de taxes serait vendue 15 pour cent de moins que dans la région de Detroit. Selon la version enrichie de l"étude, l"essence serait vendue à des prix comparables à ceux que l"on trouve dans la région de Detroit. Le raisonnement repose sur l"hypothèse que cela éliminera l"incitatif pour les voyageurs de délaisser les détaillants canadiens au profit de l"installation du pont.
         . . .
             Le 7 février 1997, M. Allan J. Cocksedge, sous-ministre adjoint, Services frontaliers des douanes et application des pratiques commerciales, a rencontré M. D. Drummond, sous-ministre adjoint, Politique de l"impôt, ministère des Finances, et un haut fonctionnaire du ministère de l"Industrie, afin de discuter de la proposition en question.
         Sur la foi de leur examen de l"étude initiale de KPMG et de sa version enrichie ultérieure, toutes les parties ont jugé l"étude déficiente et ses conclusions peu fiables. De plus, rien dans la proposition n"indique que les principaux problèmes découlant des répercussions négatives pour les détaillants locaux, quant aux pertes de recettes et aux difficultés d"application, ont été atténués de quelque façon que se soit, si bien qu"elles réaffirment officiellement par écrit leur opposition à la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes.
         . . .

[18]          Le 19 novembre 1997, lors d"une réunion de la Frontier Duty Free Association, la direction de Ambassador Duty Free Management Services a appris de la part des fonctionnaires de Revenu Canada que le ministre ferait connaître sa décision dans les quatre semaines au sujet de leur proposition. La note de service du 20 octobre 1997 et une autre note de service du 2 février 1998 ont été transmises au ministre à cette dernière date. Ces documents étaient les seuls entre ses mains lorsqu"il a rendu sa décision. La note de service du 2 février 1998 renvoie à un examen du 7 février 1997 des rapports de KPMG par le sous-ministre adjoint de Revenu Canada, Direction générale des douanes et de l"administration des politiques commerciales, le sous-ministre adjoint des Finances, Politique de l"impôt, et un haut fonctionnaire du ministère de l"Industrie. La note de service mentionnait que toutes les parties jugeaient déficients les rapports de KPMG:

         [TRADUCTION] Sur la foi de leur examen de l"étude initiale de KPMG et de sa version enrichie ultérieure, toutes les parties ont jugé l"étude déficiente et ses conclusions peu fiables. De plus, rien dans la proposition n"indique que les principaux problèmes découlant des répercussions négatives pour les détaillants locaux, quant aux pertes de recettes et aux difficultés d"application, ont été atténués de quelque façon que se soit, si bien qu"elles réaffirment officiellement par écrit leur opposition à la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes.



[19]          Les principales préoccupations d"intérêt public, qui motivaient la position recommandée, étaient demeurées les suivantes : les problèmes d"application de la loi, les pertes de recettes fiscales éventuelles et les répercussions éventuelles sur les détaillants locaux d"essence. Le ministre a paraphé la note de service du 2 février, indiquant qu"il souscrivait au plan d"action que proposaient les fonctionnaires, soit des modifications précises à tous les agréments d"exploitation de boutiques hors taxes visant à empêcher la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes.


[20]          Il ressort clairement de ce qui précède que le ministre n"a pas omis d"exercer librement son pouvoir discrétionnaire en suivant aveuglément la politique gouvernementale existante. Il y a eu un processus de consultation approfondie avec la demanderesse et les autres parties intéressées; les hauts fonctionnaires du ministère du Revenu et d"autres ministères ont rencontré les demanderesses à maintes reprises. La demanderesse a été informée, lors de diverses réunions et par correspondance, des préoccupations d"intérêt public du gouvernement et elle a eu la possibilité de réagir.


[21]          Le ministre était en droit de se fonder sur la note de service rédigée à son intention et qui renfermait un résumé des rapports. Comme la Cour suprême du Canada l"a souligné dans Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 753 : " On ne peut priver l"Exécutif de son droit d"avoir recours à son personnel, aux fonctionnaires du ministère concerné, et surtout aux commentaires et aux avis des ministres membres du conseil ". Et dans l"arrêt R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238, à la page 245, la Cour suprême du Canada a conclu ainsi :

     Lorsque l"exercice d"un pouvoir discrétionnaire est confié à un ministre du gouvernement, on peut alors supposer que les mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires responsables du ministère et non par le ministre lui-même. De nos jours, les fonctions d"un ministre du gouvernement sont si nombreuses et variées qu"il serait exagéré de s"attendre à ce qu"il les remplisse personnellement. On doit présumer que le ministre nommera des sous-ministres et des fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux-ci, le ministre étant responsable de leurs actes devant la législature, s"acquitteront en son nom de fonctions ministérielles dans les limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre solution n"aboutirait qu"au chaos administratif et à l"incurie.




[22]          La nature de la décision rendue, en l"espèce une décision d"intérêt public applicable à l"ensemble des boutiques hors taxes, constitue un facteur autorisant à conclure que le ministre n"est pas lui-même tenu de lire intégralement tous les documents. Il n"a pas été démontré que les résumés des rapports de KPMG rédigés pour le ministre étaient inexacts. La procédure qui a été suivie n"a donné lieu à aucune entorse à la justice naturelle.


[23]          Le troisième argument de la demanderesse consiste à dire que le ministre s"est fondé sur le rapport Kubursi, lequel renferme une évaluation du rapport de KPMG, alors qu"elle n"a pas été avisée de l"existence de l"ancien rapport, ni n"a eu la possibilité de le commenter. La demanderesse aurait dû connaître les points soulevés par M. Kubursi dès le 20 janvier 1997 puisqu"il a participé à l"assemblée du conseil municipal de Windsor. M. Kubursi avait alors formulé des observations à l"encontre de la proposition de la demanderesse de vendre de l"essence exempte de droits de douane et de taxes et il avait exprimé des réserves sur plusieurs hypothèses formulées dans le rapport initial de KPMG.


[24]          Même si la demanderesse affirme dans ses prétentions que [TRADUCTION] " nulle personne associée à l"initiative de vendre de l"essence exempte de droits de douanes et de taxes ne possédait d"exemplaire du rapport [Kubursi] ", elle a refusé de s"engager à demander à KPMG si elle possédait un exemplaire du rapport. Le professeur James, le déposant pour le compte de la demanderesse, a convenu que KPMG avait eu plus de relations avec Revenu Canada qu"elle n"en a eu à l"égard de la proposition de la demanderesse. Il faut donc présumer la meilleure preuve n"a pas été présentée et il y a lieu de tirer une conclusion négative de l"affirmation de la demanderesse.


[25]          De plus, je souscris à la prétention de l"intimé que la demanderesse n"a pas à obtenir un exemplaire de chaque bout de papier remis aux fonctionnaires du ministre, pour autant qu"elle soit tenue informée des points qui y sont soulevés.


[26]          J"en viens maintenant aux prétentions voulant que le ministre était empêché d"agir par voie de préclusion parce que la demanderesse (ou plutôt la Canadian Transit Company) n"a pas été informée avant la construction des réservoirs de stockage dans le sol de la politique du gouvernement de ne pas autoriser la vente d"essence exempte de droits de douane et de taxes aux établissements hors taxes. La preuve déposée devant moi ne corrobore pas cette prétention. La politique gouvernementale existait depuis 1985. La construction de la boutique hors taxes en cause a eu lieu en 1995 et est l"oeuvre de la Canadian Transit Company. Le professeur James, déposant proposé par la demanderesse, a reconnu qu"il ne savait pas si la Canadian Transit Company était au courant de la politique gouvernementale lorsqu"il a commandé la construction des réservoirs d"essence. Le professeur James a affirmé que MM. Stamper et Mancini ont eu plus de relations directes avec Revenu Canada qu"il n"en a eu à l"égard de l"initiative proposée. Cependant, la demanderesse a refusé de vérifier si MM. Stamper et Mancini connaissaient la politique de Revenu Canada sur la vente d"essence exempte de droits de douane et de droits avant l"installation des réservoirs d"essence par la Canadian Transit Company.


[27]          La demanderesse n"a pas prouvé sa prétention voulant que les fonctionnaires de Revenu Canada ont laissé construire les réservoirs d"essence sans informer les intéressés de la politique gouvernementale. Il n"est pas nécessaire que j"examine les autres arguments présentés par l"intimé à l"égard de cette prétention.



[28]          Pour ces motifs, je dois rejeter la présente demande.


    

                                     Juge


OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 avril 2000


Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE


     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU DOSSIER:              T-384-98

INTITULÉ DE LA CAUSE:          1185740 Ontario Limited c.
                         Le ministre du Revenu national et autre
LIEU DE L"AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          Le 14 février 2000

________________________________________________________________________

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE REED

     EN DATE DU 25 Avril 2000

________________________________________________________________________


ONT COMPARU :

David Attwater                      pour la demanderesse

Karen Cooper

Christopher Rupar                      pour l"intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lang Michener                      pour la demanderesse

Avocats

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  pour l"intimé

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.