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Date : 20220110


Dossier : IMM-1095-21

Référence : 2022 CF 27

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

LORRAINE JANET HEBBERD

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Lorraine Janet Hebberd, est une citoyenne des territoires d’outre-mer britanniques originaire des Bermudes. Elle sollicite le contrôle judiciaire, sur le fondement de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision du 15 février 2021 par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’elle avait présentée depuis le Canada.

[2] Dans sa demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire, Mme Hebberd a mentionné son établissement au Canada, mais s’est principalement fondée sur l’état de santé de sa fille adulte, une résidente permanente du Canada.

[3] Dans sa demande de dispense, Mme Hebberd a décrit les circonstances entourant la mort violente de son mari en 1993 et les répercussions de son décès sur la santé mentale de sa fille, qui était alors âgée de 8 ans. Mme Hebberd a indiqué que sa fille est venue au Canada en 2001, à l’âge de 17 ans, pour faire des études secondaires. Sa fille a terminé ses études au Canada, est devenue résidente permanente en 2013 et occupe un emploi au Canada. Mme Hebberd a déclaré qu’il y avait entre elle et sa fille un fort lien d’interdépendance, puisqu’elles ont toutes les deux subi un traumatisme. Elle a aussi expliqué que sa fille a récemment souffert de graves problèmes de santé physique, lesquels ont eu pour effet d’exacerber les problèmes de santé mentale de cette dernière. Elle a déclaré que sa fille ne bénéficie d’aucun soutien familial au Canada et qu’elle a besoin de sa présence à temps plein pour l’aider à gérer ses problèmes de santé physique et mentale. Les visites de courte durée ne sont plus viables, selon elle. Mme Hebberd a également fait valoir qu’elle est une retraitée de 74 ans et que sa fille ne satisfait pas aux exigences de revenu minimum pour la parrainer en vue d’obtenir la résidence permanente. Pour ces raisons, Mme Hebberd ne serait pas acceptée comme résidente permanente si elle présentait une demande depuis l’étranger et la dispense pour considérations d’ordre humanitaire était la seule option dont elle disposait pour obtenir la résidence permanente au Canada.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[4] Mme Hebberd soulève trois questions. Premièrement, elle soutient que l’agent n’a pas abordé de manière appropriée l’enjeu fondamental qui sous-tend la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : la violence familiale et les effets de cette violence sur elle, sa fille et leur lien. Deuxièmement, elle affirme que l’agent a conclu de manière déraisonnable que, si Mme Hebberd devait quitter le Canada, l’accessibilité des services de soins de santé au Canada suffirait à atténuer les répercussions sur l’état de santé de sa fille. Troisièmement, Mme Hebberd fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable, parce qu’il n’a pas tenu compte des observations et des éléments de preuve, qui démontraient qu’elle n’était pas en mesure de présenter une demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada.

[5] Les parties conviennent que la décision de refus de l’agent doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[6] Une décision raisonnable est justifiée, transparente, intelligible et fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15, 16 et 85 [Vavilov]). Les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties. Le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à « s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » (Vavilov aux para 127-128).

[7] Les deux premières questions soulevées pourraient bien être fondées, mais je n’ai pas à me prononcer sur celles-ci. Le fait que l’agent n’ait pas tenu compte de l’argument de Mme Hebberd selon lequel il ne lui était pas possible de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger est déterminant quant à l’issue de la demande.

III. Analyse

[8] En l’espèce, l’agent n’a pas réussi à s’attaquer de façon significative aux observations et aux éléments de preuve de Mme Hebberd concernant son incapacité à présenter une demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada. Dans les observations à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, il était expressément indiqué que la fille de Mme Hebberd ne satisfaisait pas aux exigences en matière de revenu pour parrainer sa mère depuis l’étranger et que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [TRADUCTION] « [était] donc le seul moyen dont [Mme Hebberd] disposait pour rester avec [sa fille] au Canada ». Le revenu touché par sa fille en 2018 était également précisé dans les observations et les éléments de preuve présentés à l’agent, et un avis de cotisation de 2018 y était joint. La preuve démontrait que la fille de Mme Hebberd n’atteignait pas le seuil de revenu exigé pour le parrainage parental en 2018.

[9] L’agent ne fait pas mention de ces observations ou de la preuve à l’appui. Dans son évaluation des liens de Mme Hebberd avec le Canada, l’agent fait plutôt référence à la capacité de cette dernière de retourner aux Bermudes et de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger. Or, les difficultés sont évaluées sous la rubrique [traduction] « Difficultés à présenter une demande depuis l’étranger ». Non seulement l’agent ne tient pas compte des observations présentées par Mme Hebberd quant au fait qu’il n’existe aucun autre moyen d’immigrer, mais il s’appuie sur l’existence d’un tel moyen pour justifier, du moins en partie, son refus.

[10] Lorsque des éléments de preuve montrent qu’un autre moyen d’immigrer n’est pas viable, le fait que l’agent se fonde sur l’existence d’un tel moyen pour évaluer une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire peut rendre sa décision déraisonnable (Luciano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1557 aux para 45-46; Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 715 au para 9). Je suis d’avis que tel est le cas en l’espèce. Comme l’agent n’a pas tenu compte des observations de Mme Hebberd, on peut se demander s’il a bien saisi la nature et le contexte de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ou s’il a reconnu la position de Mme Hebberd selon laquelle la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était le seul moyen dont elle disposait pour obtenir la résidence permanente au Canada.

[11] Le défendeur soutient que l’agent n’était pas tenu d’examiner la possibilité que la demanderesse obtienne la résidence permanente suivant la présentation d’une autre demande en ce sens, en s’appuyant sur la décision Garas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1247. Je ne suis pas en désaccord. Toutefois, il n’est pas question en l’espèce d’examiner les possibilités que la demande d’immigration soit accueillie par d’autres moyens. La présente affaire porte plutôt sur le fait que l’agent n’a pas tenu compte des observations selon lesquelles la demanderesse ne disposait tout simplement pas d’autres moyens d’immigrer. Il s’agissait là d’un point essentiel soulevé dans le contexte de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et le fait que l’agent n’en ait pas tenu compte dans son appréciation globale mine le caractère raisonnable de la décision.

IV. Conclusion

[12] La demande est accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1095-21

LA COUR STATUE :

1. La demande est accueillie;

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision;

3. Aucune question n’est certifiée.

Vide

« Patrick Gleeson »

Vide

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1095-21

 

INTITULÉ :

LORRAINE JANET HEBBERD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JANVIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Guilhem de Roquefeuil

Elizabeth Wozniak

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Heidi Collicutt

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

North Star Immigration Law Inc.

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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