Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20000503

Dossier : IMM-2785-99

ENTRE :

NAJMI SYED

NAHID ZAIDI SYEDA

SHAHRYAR SYED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire contre la décision, datée du 23 avril 1999, dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]         Le demandeur Najmi Syed, son épouse, Nahid Zaidi Syeda, et leur fils, Shahryar Syed, sont des citoyens du Pakistan.


[3]         Le demandeur soutient qu'il a suivi les traces de son père dans l'arène politique. Il a appartenu au Front de libération du Jammu et Cachemire (FLJC), puis au groupe Tehrike Jafaria.

[4]         En 1994, le chef du Sipah-i-Sabaha a été assassiné. La communauté sunnite a jugé que des Chiites étaient responsables de l'assassinat. Le demandeur dit avoir organisé une assemblée publique pour nier que des Chiites avaient commis ce meurtre, à laquelle environ 600 ou 700 personnes ont assisté. Le demandeur a été faussement accusé du meurtre du chef sunnite et il a été arrêté par les autorités policières, qui l'ont battu et détenu pendant plusieurs jours. Le demandeur a été libéré après qu'un pot-de-vin a été versé aux policiers. Après sa libération, il s'est rendu à Hyderabad avec les autres membres de sa famille pour y faire un court séjour.

[5]         La demanderesse quant à elle soutient qu'en 1995, elle a organisé, en compagnie d'autres femmes du Cachemire, une manifestation de réfugiés du Cachemire, à laquelle elle a pris la parole. Les autorités policières ont mis fin de force à la manifestation et la demanderesse a été arrêtée, détenue et battue. Elle a été libérée après qu'un pot-de-vin a été versé aux policiers.

[6]         En février 1997, le demandeur a de nouveau été arrêté lors d'une rassemblement politique; il a été détenu, torturé et privé de nourriture et d'eau pendant trois jours. Il a été libéré après que deux pots-de-vin, totalisant la somme de 80 000 roupies, ont été versés aux policiers. La demanderesse et son fils ont eux aussi pris part à ce rassemblement. Elle soutient qu'on a déchiré ses vêtements et que son fils s'est fait blessé au bras.


[7]         La demanderesse, qui prenait part à une procession de femmes chiites et de femmes du Cachemire, a été attaquée par des femmes sunnites. Elle soutient qu'on l'a battue et qu'on a déchiré ses vêtements.

[8]         Le demandeur a été agressé deux autres fois par des partisans du Sipah-i-Sahaba, et en juin 1997, il a vendu les intérêts qu'il avait dans Decent Motors Showroom après avoir été harcelé par des policiers.

[9]         La demanderesse dit qu'en février 1998, plusieurs femmes l'ont agressée chez elle; elle a fini par perdre connaissance. Quand elle a repris connaissance, elle s'est rendue à l'hôpital, mais elle a refusé d'y être traitée avant d'avoir déposé une plainte à la police. Cependant, les autorités policières ont refusé de l'aider.

[10]       En avril 1998, des hommes masqués du Sipah-i-Sahaba se sont introduits chez les demandeurs pour attaquer la famille. Le demandeur a subi plusieurs blessures et il a dû être hospitalisé pendant une semaine. La demanderesse a été blessée alors qu'elle tentait de venir en aide à son époux, et le jeune fils a dû se faire faire des points de suture au front. Ils soutiennent que les agresseurs ont mis le feu à leur demeure. L'incident a été rapporté aux autorités policières, mais ces dernières ont refusé d'intervenir.

[11]       Par suite de cet incident, les demandeurs se sont enfui du Pakistan. Ils sont arrivés au Canada en mai 1998 et y ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.


[12]       Monsieur Syed soutient qu'il a une crainte fondée d'être persécuté en raison de ses activités politiques, soit son appartenance au parti JKLF et au Tehrike Jafaria, un parti politique chiite.

[13]       Madame Syeda soutient qu'elle a une crainte fondée d'être persécutée en raison de la famille à laquelle elle appartient. Elle a également déposé une revendication distincte dans laquelle elle soutient qu'elle fait l'objet de discrimination et de persécution.

[14]       La crainte du jeune fils est fondée sur celle de son père.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[15]       #1         La Section du statut de réfugié a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en rejetant le rapport de Mme Herman et a-t-elle tiré la conclusion de fait sans tenir compte des documents dont elle disposait, dans la mesure où les motifs de décision ne mentionnent pas la preuve que le demandeur a produite, tel le rapport du Dr Wynne et la lettre du JKLF?

#2         La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit en appréciant la crédibilité du demandeur lorsqu'elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu'elle a tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

#3         La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l'État?

#4         La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'une possibilité de refuge intérieur s'offrait aux demandeurs?

L'ANALYSE


#1         La Section du statut de réfugié a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en rejetant le rapport de Mme Herman et a-t-elle tiré la conclusion de fait sans tenir compte des documents dont elle disposait, dans la mesure où les motifs de décision ne mentionnent pas la preuve que le demandeur a produite, tel le rapport du Dr Wynne et la lettre du JKLF?

[16]       Les demandeurs font valoir que la formation aurait dû accepter le rapport de Mme Herman.

[17]       Voici ce que la Section du statut de réfugié a dit dans ses motifs, qu'elle a exposés oralement :

[TRADUCTION] En ce qui concerne la preuve médicale que le revendicateur a produite, je fais remarquer que le rapport médical a été préparé par une médecin généraliste qui n'est pas une psychologue ou une psychiatre agréé, et que certains aspects des déclarations en page 3 de son rapport, dans lequel elle estime qu'il est extrêmement difficile, voire presque impossible, pour M. Syed d'inventer son récit ou de déformer la vérité est une déclaration que la formation trouve difficile à apprécier, vu qu'elle ignore la méthodologie ou la rigueur de l'examen.

[18]       Il ressort clairement des motifs que la formation était confuse au sujet des deux rapports qui ont été produits. Elle a renvoyé au rapport de Mme Herman en tant que rapport médical préparé par un médecin généraliste, alors que c'est le rapport du Dr Wynne, le médecin généraliste, qui était de nature médicale. Madame Herman était une conseillère qui avait lquivalent d'un diplôme de maîtrise en psychologie. Cependant, il ressort de la transcription qu'en fait, la formation traitait du rapport de Mme Herman.


[19]       Madame Herman a estimé que le demandeur était crédible et elle a rédigé son rapport en fonction des symptômes qu'elle avait identifiés chez lui. La Section du statut de réfugié n'a pas rejeté le rapport de Mme Herman. Cependant, elle a conclu qu'il était très difficile d'apprécier les conclusions de Mme Herman, selon laquelle le demandeur n'avait pas inventé son récit, en particulier vu que la formation a fait ressortir plusieurs incohérences et invraisemblances du récit du demandeur.

[20]       Le juge Reed a conclu dans Gosal c. Canada (M.C.I.), (11 mars 1998) IMM-2316-97 (C.F. 1re inst.) :

L'avocat du requérant fait valoir que la Commission a eu tort de n'avoir pas fait état d'un rapport psychiatrique qui avait été versé en preuve. Je ne suis pas persuadée que, dans tous les cas, la Commission doit faire état du rapport psychiatrique. Cela dépend de la qualité de cet élément de preuve et de la mesure dans laquelle il est essentiel à la revendication du requérant. Lorsque ces rapports ne sont rien d'autre qu'une récitation du récit du requérant, que la Commission ne croit pas, et une conclusion reposant sur des symptômes, dont le requérant a dit au psychiatre qu'il les connaissait, alors on ne saurait reprocher aux tribunaux d'avoir traité ces rapports avec un certain degré de scepticisme. Lorsqu'ils reposent sur un examen indépendant et objectif fait par un psychiatre, ils méritent alors plus de considération.

[21]       À mon avis, la Section du statut de réfugié n'a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu'elle a apprécié la preuve, comme elle devait le faire. La formation a examiné la preuve, mais elle hésitait à lui donner beaucoup de poids étant donné sa propre conclusion en ce qui concerne la crédibilité du demandeur. La formation ne voulait en rien céder à Mme Herman son rôle de juge des faits. Je suis convaincu qu'une erreur a été commise à cet égard.

[22]       Les demandeurs font également valoir que la formation a omis de mentionner certains documents qui lui ont été soumis, tel le rapport médical du Dr Wynne et la lettre du JKLF.

[23]       La Cour d'appel fédérale a conclu dans l'arrêt Florea c. Canada (M.C.I.), (11 juin 1993) A-1307-91 (C.A.F.) qu'il existe une présomption selon laquelle il a été tenu compte de toute la preuve documentaire. Le juge Hugessen a conclu :


Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. Les conclusions du tribunal trouvant appui dans la preuve, l'appel sera rejeté.

[24]       Le juge Evans a récemment conclu que l'omission, de la part de la formation, de mentionner un élément de preuve important qui a été produit pouvait justifier l'intervention de notre Cour. Dans Cepeda-Gutierrez c. M.C.I. (1998), 157 F.T.R. 35, il a expliqué :

La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.


[25]       En l'espèce, le rapport du Dr Wynne expose de façon détaillée le récit du demandeur et il conclut que les blessures de ce dernier sont compatibles avec son récit d'un point de vue médical. Pour rédiger son rapport, le Dr Wynne a présumé que le demandeur était crédible. Dans son rapport, elle tente dtablir un lien entre les cicatrices que le demandeur lui a montrées et les épisodes de persécution qu'il dit avoir subis. Dans ses conclusions, elle a dit que les cicatrices étaient compatibles avec un traumatisme. Le Dr Wynne ne pouvait catégoriquement affirmer que les blessures du demandeur avaient résulté des événements qu'il avait décrits, mais à son avis, elles étaient compatibles avec ceux-ci, tout comme elles auraient pu être compatibles avec des événements qui ne constituent pas de la persécution. La plus importante obligation qui incombait à la formation consistait à déterminer si le demandeur était crédible; comme elle a conclu qu'il ne ltait pas, elle a rejeté le rapport du Dr Wynne. À mon avis, il ne s'agit pas du type de renseignement pertinent auquel renvoyait le juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez, précitée.

[26]       Pour ce qui est de la lettre du JKLF, il ressort de la transcription que le dernier épisode de persécution a eu lieu en 1987. Voici ce que contient la transcription :

[TRADUCTION]

Comm. Vanderkooy :      Je voudrais vous poser une question pour bien comprendre cela, les problèmes, la raison pour lesquels vous avez quitté le Pakistan, ce n'est pas en raison du JKLF; c'est en raison du Sepah-i-Sahaba?

Revendicateur : Oui.

[...]

Comm. Vanderkooy :      La question peut être formulée autrement : Quel a été, selon le revendicateur, le dernier épisode de persécution ou problème qu'il aurait subi en raison du JKLF?

Revendicateur : Le principal incident en ce qui concerne ma participation au sein du JKLF a été l'arrestation et la détention de mon père. Voilà le principal incident.


Président :                      Ainsi, le dernier incident important s'est produit en 1987, en ce qui concerne le JKLF?

Revendicateur : C'est exact.

[27]       Comme le demandeur a été persécuté pour la dernière fois en 1987 et que ce dernier n'a pas quitté le Pakistan avant 1998, je ne vois absolument pas la pertinence de cette lettre de confirmation. La Section du statut de réfugié n'avait pas l'obligation de la mentionner dans ses motifs.

#2         La Section du statut de réfugiéa-t-elle commis une erreur de droit en appréciant la crédibilitédu demandeur lorsqu'elle a fondésa décision sur une conclusion de fait erronée qu'elle a tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

[28]       La Cour d'appel fédérale a conclu dans Aguebor c. M.E.I. (1993) 160 N.R. 315 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent. Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.


[29]       En l'espèce, la formation a souligné plusieurs incohérences de la revendication des demandeurs. Elle a fait remarquer que le demandeur a traité de façon évasive de la question des activités militantes du Tehrike Jafaria. Elle a conclu qu'il ntait pas plausible que le demandeur ait organiséun rassemblement de 600 à 700 personnes sans la présence du président de l'organisation ou d'un membre de l'exécutif de celle-ci. La formation a conclu que l'article de journal était particulièrement préjudiciable à la cause des demandeurs. Elle a souligné plusieurs incohérences de l'article en ce qui concerne les caractères utilisés, les dimensions du texte, la grammaire, l'orthographe et la qualité du texte et du journalisme, et elle a soulignéque l'alignement des lettres et des colonnes étaient incompatibles avec d'autres articles du même journal. La formation avait également des réserves au sujet de la crédibilité de la demanderesse. Elle a également fait remarquer que la demanderesse avait contredit son époux sur la question de la résidence.

[30]       À mon avis, la Section du statut de réfugié a fondé sa décision sur la preuve qui lui a été soumise. Elle a exposé des motifs détaillés et souligné l'invraisemblance du récit des demandeurs. C'est pourquoi notre Cour ne saurait intervenir en l'espèce.

#3         La Section du statut de réfugiéa-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de ltat?

[31]       Dans l'arrêt Canada (P.G.) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, le juge LaForest a dit, au nom de la Cour suprême du Canada :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit : l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.


Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées [sic], ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[32]       La Section du statut de réfugié a accepté la preuve documentaire des demandeurs qui décrivait la violence sectaire au Pakistan. Cependant, elle a souligné que de la preuve complémentaire égale établissait que le gouvernement pakistanais s'efforçait présentement de limiter les activités des groupes militants chiites et des groupes militants sunnites à l'aide de couvre-feu, de troupes et de financement aux autorités policières.

[33]       La formation a souligné que la violence sectaire est pire au Pendjab et dans la partie nord du pays. Sur le fondement de la preuve dont elle disposait, la formation a conclu que bien que la protection qu'offre ltat soit imparfaite, les Chiites du Pakistan peuvent s'en prévaloir.

[34]       À mon avis, la conclusion de la formation ntait pas déraisonnable.

#4         La Section du statut de réfugiéa-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'une possibilitéde refuge intérieur s'offrait aux demandeurs?

[35]       Dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589, la Cour d'appel fédérale a dit :


Le concept de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est « inhérent » à la définition de réfugié au sens de la Convention (voir les motifs du juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam, précité, à la page 710); il ne lui est pas du tout distinct. Selon cette définition, les demandeurs du statut doivent craindre avec raison d'être persécutés et, du fait de cette crainte, ils ne peuvent ou ne veulent retourner dans leur pays d'origine. S'il leur est possible de chercher refuge dans leur propre pays, il n'y a aucune raison de conclure qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays.

D'une part, pour établir le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, le demandeur, comme je l'ai dit plus haut, doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans son pays. Si la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est soulevée, il doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans cette partie de son pays qui offre prétendument une possibilité de refuge.

Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s'agit d'un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C'est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s'en prévaloir à moins qu'ils puissent démontrer qu'il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire.

[36]       La formation a souligné que la preuve documentaire établissait que la pire violence sectaire se produisait au Pendjab et dans la partie nord du pays. Elle a souligné l'existence de plusieurs régions du Pakistan où la majorité des Sunnites vivent et a donc conclu qu'une possibilité de refuge intérieur s'offrait aux demandeurs. La demandeur ne m'a pas convaincu du contraire.

[37]       La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[38]       Ni l'un ni l'autre avocat n'a proposé une question à certifier.

     « Pierre Blais »     

        JUGE


OTTAWA (ONTARIO)

Le 3 mai 2000

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                              IMM-2785-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :               NAJMI SYED et autres

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                   VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 26 AVRIL 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                                   3 MAI 2000

ONT COMPARU :                                       

SHANE MOLYNEAUX                                                                      POUR LE DEMANDEUR

MARK SHEARDOWN                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

McPHERSON, ELGIN & CANNON                                                 POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.