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Date : 20001025


Dossier : T-1558-99


Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2000

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :



MARITIME TELEPHONE AND TELEGRAPH CO. LTD.


demanderesse


- et -


MARTIN ANTHONY HOWARD


défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE O'KEEFE


LES FAITS



[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée à l'encontre de la décision rendue par l'arbitre Peter Darby en date du 27 juillet 1999, par laquelle ce dernier a conclu que le défendeur Martin Anthony Howard (ci-après M. Howard ou le défendeur) avait été injustement congédié par la demanderesse Maritime Telephone and Telegraph Co. Ltd. (ci-après Maritime ou la demanderesse) aux termes du paragraphe 240(1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (ci-après le Code). M. Howard s'est vu accorder un montant rétroactif représentant son salaire de la date de son congédiement jusqu'au 30 juin 1999, de même que 50 % des dépens procureur-client.

[2]      Employé de Maritime du 3 mai 1970 au 13 mars 1998, M. Howard a occupé diverses fonctions. Le dernier poste qu'il a occupé était celui de gestionnaire des immeubles, poste qui lui conférait la responsabilité générale de l'actif immobilier de l'employeur. De plus, M. Howard a effectué un nombre considérable d'heures supplémentaires pour participer au déménagement des employés (mobilier de bureau, etc.) vers différents immeubles de la société et pour en assurer la supervision. Maritime fusionnait alors ses opérations et certains de ses immeubles n'hébergeaient désormais plus d'employés.

[3]      Tout au long de sa période d'emploi, les évaluations relatives au rendement de M. Howard ont été positives. Cependant, au début de l'année 1998, en raison d'une rationalisation plus poussée et d'une réorganisation de la société, Maritime a envisagé la suppression d'un poste de gestionnaire (sept gestionnaires étaient alors en poste) de ses opérations. Un certain M. Bowlin a décidé que l'employé visé serait M. Howard.


[4]      Le 23 février 1998, Maritime a fait parvenir une lettre de congédiement à M. Howard lui indiquant qu'en raison de la réorganisation la société n'avait plus besoin de lui. La lettre faisait également mention d'une offre d'indemnité de cessation d'emploi.

[5]      M. Howard estimait qu'il avait fait l'objet d'un congédiement injuste et a déposé une plainte en vertu du Code. Le professeur Peter Darby a été désigné pour procéder à l'instruction de la plainte.

La décision de l'arbitre

[6]      L'audience a eu lieu le 25 novembre 1998, puis les 24, 25 et 29 mars 1999. La décision a été rendue le 27 juillet 1999.

[7]      L'arbitre Darby a conclu que M. Howard avait été injustement congédié. En dépit des contestations de Maritime fondées sur le défaut de compétence de l'arbitre, l'arbitre Darby a estimé que M. Howard n'avait pas été congédié en raison du « manque de travail » ou de la « suppression d'un poste » . L'arbitre Darby a cependant conclu qu'en définitive M. Howard aurait été licencié pour manque de travail le 30 juin 1999. L'arbitre Darby était au fait du pouvoir qu'a l'employeur de supprimer un poste ou de répartir certaines tâches parmi d'autres employés. Cependant, avec les faits dont il disposait, l'arbitre Darby était d'avis que les fonctions de M. Howard ont simplement été confiées à un autre employé. L'arbitre Darby estimait en outre qu'une telle mesure n'avait pas donné lieu au licenciement de M. Howard; à son avis, M. Howard a été licencié pour des motifs d'ordre « budgétaire » . En ce qui concerne le déménagement effectué en dehors des heures normales de travail, l'arbitre Darby a noté que cette activité s'est poursuivie après le congédiement de M. Howard (les heures qu'il y consacrait ont toutefois beaucoup diminué, puis l'activité a complètement cessé deux mois après le congédiement).

[8]      De plus, l'arbitre Darby a déclaré que les motifs du congédiement doivent être clairement énoncés dans la lettre de congédiement. La lettre en l'espèce ne faisait nullement mention de la suppression d'un poste, pas plus que du manque de travail : les motifs qui, mis à part le congédiement justifié, auraient précisément enlevé à l'arbitre toute compétence, comme il ressort de l'alinéa 242(3.1)a) du Code, n'apparaissaient nulle part.

[9]      L'arbitre Darby est arrivé à la conclusion selon laquelle lorsque Maritime a réalisé, après coup, que M. Howard avait déposé une plainte, elle a « fabriqué » différents motifs de congédiement. Selon l'arbitre Darby et contrairement à ce qu'alléguait le gestionnaire, que l'arbitre trouvait manquer de crédibilité, le travail ne manquait pas. Le motif invoqué à l'appui du congédiement, soit « manque de travail » , était un mensonge.

[10]      Ces conclusions tirées, l'arbitre Darby a estimé que M. Howard ne pouvait réintégrer son poste car celui-ci n' « existait » plus. Il a toutefois ordonné que l'on verse à M. Howard le salaire que celui-ci aurait dû recevoir du 13 mars 1998 au 30 juin 1999, de même que 50 % des frais d'avocat que M. Howard a dû débourser.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[11]      Les deux parties conviennent que l'arbitre doit interpréter de façon correcte la disposition législative qui établit sa compétence, sous peine de voir ses décisions être assujetties au contrôle judiciaire. Par conséquent, en ce qui a trait aux questions de compétence, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[12]      La demanderesse soutient que le Code permet aux employeurs de réagir aux forces du marché et exclut le recours au processus d'arbitrage, comme mesure de redressement, aux employés licenciés en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste. S'il en était autrement, l'arbitre se trouverait à substituer sa propre décision à celle de l'employeur. Le licenciement n'a rien à voir avec le congédiement, ce dernier étant au coeur de la compétence attribuée à l'arbitre.

[13]      Selon la demanderesse, la question de savoir si l'alinéa 242(3.1)a) du Code s'applique dans un cas donné comporte deux volets : s'agit-il d'un véritable licenciement? Dans l'affirmative, l'employeur a-t-il agi correctement en choisissant de licencier le plaignant en question plutôt qu'une autre personne? : ce qui met en cause la bonne foi de l'employeur. La demanderesse note que l'arbitre a jugé qu'on avait fait preuve de bonne foi en l'espèce.

[14]      Les tribunaux ont conclu que l'expression « manque de travail » pouvait comprendre des contraintes budgétaires ou des mesures de rationalisation entraînées par des pressions économiques auxquelles l'employeur réagit en déterminant que le travail effectué à l'heure actuelle peut être effectué par moins d'employés. La demanderesse fait valoir que M. Howard a été clairement licencié en raison du manque de travail. Selon elle, l'arbitre Darby a eu tort de conclure que M. Howard n'avait pas été licencié pour cause de manque de travail.

[15]      En ce qui concerne le motif relatif à la suppression d'un poste, la demanderesse plaide que l'employeur peut, s'il agit de bonne foi, répartir le travail entre un moins grand nombre d'employés. Selon elle, l'arbitre Darby a eu tort de conclure qu'il n'y a pas eu suppression d'un poste.

[16]      En outre, la demanderesse se plaint du fait que l'arbitre a ajouté au dépôt de l'avis de licenciement une exigence qui n'est pas prévue dans le Code, à savoir qu'une obligation d'équité procédurale incombe à l'employeur et que celui-ci doit faire état du motif exact du licenciement. L'arbitre a estimé qu'il existait un « droit » , pour l'employé, d'obtenir des motifs détaillés justifiant son licenciement.

[17]      La demanderesse affirme que M. Howard a perdu son emploi parce que son superviseur a dû réduire son budget, et non pas parce que le travail manquait ou parce que son poste a été supprimé. M. Howard a continué d'effectuer les tâches qui relevaient normalement de son poste jusqu'au 30 juin 1999. L'arbitre a eu raison de conclure que le motif cité, soit « manque de travail » , était un mensonge.

[18]      Le défendeur reconnaît qu'il est loisible à l'employeur de réorganiser et de restructurer son entreprise. Ce faisant, l'employeur peut licencier des employés dans la mesure où la restructuration entraîne un manque de travail ou la suppression d'un poste. Cependant, comme ce n'était pas le cas pour M. Howard, la décision de l'arbitre doit être maintenue.

QUESTIONS EN LITIGE

[19]      1.      Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l'arbitre en ce qui concerne la question de savoir s'il a compétence pour connaître du litige?

     2.      Le paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985),          ch. L-2, fait-il obstacle à la compétence de l'arbitre pour connaître du          litige?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20]      Les dispositions pertinentes du Code prévoient :

Complaint to inspector for unjust dismissal

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person




(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,


may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

Plainte


240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si_:

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

Reasons for dismissal

241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

Motifs du congédiement

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

Reference to adjudicator

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

. . .

Renvoi à un arbitre

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.


. . .

Decision of adjudicator

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

Décision de l'arbitre

(3) Sous réserve du paragraphe(3.1), l'arbitre_:



a) décide si le congédiement était injuste;



b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

Limitation on complaints

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

. . .

Restriction

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants_:


a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;


. . .

Where unjust dismissal

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;


(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

Cas de congédiement injuste

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur_:




a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;




b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

[21] Enfin, le paragraphe 243(1) constitue la clause privative qui rend la décision de l'arbitre non susceptible de contrôle judiciaire (sauf pour ce qui est des questions touchant à la compétence de l'arbitre) :


Decisions not to be reviewed by court

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

Caractère définitif des décisions


243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

Analyse et décision

[22] Le paragraphe 242(3.1) du Code constitue la disposition critique en l'espèce. C'est cette même disposition qui enlève à l'arbitre la compétence pour procéder à l'instruction d'une plainte de congédiement injuste lorsque le congédiement fait suite à un licenciement causé par le « manque de travail » ou par la « suppression d'un poste » . Autrement dit, l'arbitre Darby n'est pas habilité à se prononcer sur la question de savoir si M. Howard « a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste » .

[23]      Question en litige 1

     Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l'arbitre en ce qui concerne la question de savoir s'il a compétence pour connaître du litige?

     Je partage l'avis des deux parties selon lequel la norme de contrôle applicable à la décision relative à la compétence d'un arbitre pour connaître du litige est celle de la décision correcte. L'arbitre doit tirer une conclusion correcte lorsqu'il s'agit de sa compétence.



[24]      Question en litige 2

     Le paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985),          ch. L-2, fait-il obstacle à la compétence de l'arbitre pour connaître du          litige?

     Les décisions rendues par notre Cour et par d'autres tribunaux établissent une distinction entre, d'une part, le contrôle de la décision de l'arbitre quant à savoir s'il a compétence pour agir et, d'autre part, la conclusion qu'il tire relativement aux faits qu'il doit examiner afin de décider s'il a compétence ou non pour instruire la plainte. En l'espèce, l'arbitre doit d'abord trancher certains faits pour ensuite être en mesure de déterminer si M. Howard a été licencié « en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste » . Ce principe a été énoncé par le juge Strayer (aujourd'hui juge à la Cour d'appel) dans l'affaire Sedpex, Inc. c. Canada (Un arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289 (C.F. 1re inst.), aux pages 296 à 298 :

En ce qui a trait à l' « exactitude » des faits, toutefois, l'on doit reconnaître que ni un tribunal ni une cour ne peuvent jamais être considérés comme ayant donné une version incontestablement exacte d'événements passés. Jamais ces événements peuvent-ils être reproduits. Au lieu de cela, les organismes chargés de statuer sur les faits prononcent des conclusions de faits destinées à remplacer les faits eux-mêmes. De telles conclusions sont tributaires des processus utilisés pour y parvenir et sont susceptibles de correspondre plus ou moins à la réalité des événements. Nous surévaluerions outrageusement les capacités des tribunaux en présumant qu'ils seront toujours mieux placés que ces organismes pour prendre de telles conclusions. Notre régime juridique reconnaît que certaines procédures et institutions ont de meilleures chances que d'autres de prendre des conclusions de fait exactes. Ainsi, par exemple, les conclusions de fait tirées par les tribunaux de première instance, à moins d'être « manifestement erronées » , seront-elles ordinairement respectées par les cours d'appel, en particulier lorsque sont en jeu des questions de crédibilité, considérées comme pouvant être mieux appréciées par le juge qui a entendu et vu les témoins. Il a également été dit au sujet des situations où aucune question de crédibilité n'était soulevée :
Toutefois, même dans cette circonstance, une Cour d'appel n'est pas habilitée à substituer ses vues à celles du juge de première instance simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente; il lui faudrait conclure que celui-ci a commis une erreur.

L'on notera que les cours d'appel maintiennent cette approche prudente même si elles bénéficient normalement d'une transcription complète des dépositions faites devant le tribunal de première instance.
Il ressort des propos qui précèdent qu'une cour ne devrait s'engager qu'avec précaution dans l'appréciation de l' « exactitude » des faits attributifs de compétence sur lesquels a statué un tribunal. À plus forte raison lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, je ne bénéficie pas d'une transcription de la preuve orale recueillie devant l'arbitre et, pour autant que je sache, je ne suis saisi d'aucun nouvel élément de preuve non soumis à l'arbitre. En effet, la seule preuve qui me soit présentée consiste en deux affidavits signés par des employés de la requérante qui décrivent brièvement les éléments de preuve qu'ils ont présentés de façon beaucoup plus complète et de vive voix devant l'arbitre. Le juge Dickson a énoncé ce principe de la manière suivante dans l'arrêt Jacmain c. Procureur général (Can) et autre :
La grande difficulté est la suivante : il est difficile de concevoir que le législateur puisse créer un tribunal à compétence limitée et qu'en même temps, il lui accorde un pouvoir illimité pour fixer l'étendue de sa compétence. Par contre, si l'exactitude de chaque détail dont dépend la compétence du tribunal est susceptible d'examen par une juridiction supérieure et si l'opinion d'un seul juge est alors substituée à celle du tribunal, on peut perdre le bénéfice de l'expérience et des connaissances spéciales des membres de ce tribunal et l'avantage qu'ils ont d'entendre et de voir les témoins. Le pouvoir de contrôle sur les questions de juridiction fournit aux cours de justice un bon outil pour s'assurer que les tribunaux connaissent du genre de litiges que le législateur leur a confié. Il leur permet de contrôler les tentatives d'usurpation de pouvoir. Mais, à mon avis, les cours de justice devraient hésiter à déclarer un tribunal incompétent quand sa décision est honnête et équitable et qu'il a correctement pris en considération la documentation qui lui a été soumise. Dans l'exercice de son contrôle sur les conclusions en matière de compétence, la Cour doit laisser place à une certaine latitude. Elle doit se demander si la preuve est suffisante pour étayer les conclusions de fait et si les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit sont logiques. L'erreur doit être manifeste. La Cour a un rôle de révision; elle ne doit pas faire un nouveau procès.
Mon point de vue est en harmonie avec cette façon d'aborder la question. Je crois que l'objet de l'article 61.5 serait trahi si la Division de première instance de cette Cour s'adonnait de façon systématique à une appréciation nouvelle des faits aux fins de l'alinéa 61.5(3)a) sur la question de savoir si une personne a été mise à pied par suite de manque de travail avant que l'arbitre n'ait eu la chance d'entendre toute la preuve et de prononcer une décision définitive susceptible de la révision par la Cour d'appel fédérale prévue à l'article 28.
Je conclus donc à partir des propos qui précèdent que l'alinéa 61.5(3)a) concerne effectivement une question de compétence et que je puis examiner les conclusions de l'arbitre afin de déterminer s'il possède la compétence voulue pour instruire la plainte. Ce faisant, j'ai la possibilité de former mes propres opinions sur les questions de droit pertinentes mais, en ce qui a trait à ses conclusions de fait, je ne devrais substituer mon propre point de vue au sien que s'il est démontré que son opinion est manifestement erronée.

C'est dans ce contexte que je suis appelé à me prononcer sur l'exactitude de la décision rendue par l'arbitre Darby portant que le paragraphe 242(3.1) du Code ne l'empêchait pas d'être habilité à instruire la plainte.

[25] C'est seulement dans le cas où M. Howard aurait été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste que l'arbitre Darby n'aurait pas compétence aux termes du paragraphe 242(3.1) du Code. L'expression « manque de travail » est relativement claire et comprend les contraintes budgétaires ou les mesures de rationalisation entraînées par des pressions économiques auxquelles l'employeur réagit en déterminant que le travail effectué à l'heure actuelle peut être effectué par moins d'employés. L'arbitre Darby a affirmé que les éléments de preuve ne renvoient aucunement à [TRADUCTION] « une réduction, en général, de la quantité de travail du LARE - Logistics and Real Estate Department - (département de la logistique et des immeubles), de la division des immeubles, de M. Howard ou de l'un des huit gestionnaires, et, clairement, le déménagement du mobilier de bureau en temps supplémentaire s'est poursuivi au-delà du 13 mars 1998 (la dernière journée de travail de M. Howard) » . Je suis d'avis que l'arbitre Darby a eu raison de conclure que le licenciement de M. Howard n'était pas dû au manque de travail.

[26] L'interprétation de l'expression « suppression d'un poste » n'est cependant pas aussi limpide, mais la Cour suprême du Canada s'est exprimée en ces termes dans l'arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651, aux pages 663 et 664 :

Comment alors devrait-on définir l'expression « suppression d'une fonction » ? Le mot « suppression » indique manifestement la fin de quelque chose qui est appelé une fonction. Une « fonction » doit être le « poste » , c'est-à-dire l'ensemble de responsabilités, de tâches et d'activités dont s'acquitte un employé en particulier ou un groupe donné d'employés.
C'est cette définition du mot « fonction » , au sens de « poste » , qui s'accorde le mieux avec l'environnement du milieu de travail. Le mot « emploi » en soi indique l'existence d'un employé et d'un employeur. Un terme comme « fonction » ou « poste » doit avoir un sens pour l'une et l'autre de ces parties. Par exemple, une personne peut occuper le « poste » de surintendant d'usine. La personne qui agit comme surintendant d'usine exerce un groupe ou un ensemble d'activités et de tâches qui forme ce poste. L'employeur comme l'employé comprennent ce qui est nécessaire pour que soit occupé ou rempli ce poste précis. De même, le « poste » de secrétaire ou de mécanographe comporte un ensemble particulier d'activités et de tâches. Il faut posséder un ensemble donné d'habiletés pour être en mesure d'exercer les tâches et les activités exigées par chacun de ces postes. Encore une fois, l'employeur et l'employé connaissent exactement ce qui est nécessaire pour l'exercice des activités du poste particulier.
Par conséquent, il y a « suppression d'une fonction » lorsque cet ensemble d'activités qui constitue un poste n'est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l'employeur. Par exemple, si un ensemble donné d'activités est tout simplement confié intégralement à une autre personne, ou si l'activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à
pouvoir figurer dans une autre description de poste, alors on ne pourrait parler de la « suppression d'une fonction » . En revanche, si les activités qui font partie de l'ensemble ou du groupe d'activités sont réparties entre d'autres personnes, comme ce fut le cas dans Mudarth, précité, il y aurait « suppression d'une fonction » . Il y aurait également « suppression d'une fonction » si les responsabilités sont décentralisées, comme ce fut le cas dans Coulombe, précité.

[27] La décision rendue par l'arbitre Darby repose sur certaines conclusions (1 - 7) et la demanderesse a fait circuler une note de service à l'interne, dont certains extraits sont reproduits à la conclusion 8 ci-dessous :


1.      Avant de lui faire parvenir la lettre de licenciement, on a seulement indiqué à M. Howard que son licenciement était dû à des motifs d'ordre budgétaire.


2.      M. Bowlin n'a pas indiqué, au nom de la demanderesse, la date exacte à laquelle il a procédé à l'évaluation des employés en vue de déterminer ceux qui seraient licenciés.


3.      Dans le rapport d'évaluation du personnel concernant M. Howard pour l'année 1997, daté du 3 février 1998, on a inscrit dans son dossier la note « RA » - retain on assignment - pour indiquer qu'on le retenait pour un projet en cours. M. Bowlin et M. Howard ont discuté de l'évaluation le 11 février 1998 et il n'a aucunement été fait mention, à ce moment-là, de la possibilité d'une cessation d'emploi ou de quelque décision définitive à ce sujet.


4.      Aucun élément de preuve n'a été produit pour montrer que M. Bowlin aurait informé M. Howard qu'il serait licencié en raison du « manque de travail » ou de la « suppression d'un poste » .


5.      Seulement 5 % des fonctions normales de M. Howard a trait au déménagement du mobilier. Le reste du travail de déménagement du mobilier a été effectué en temps supplémentaire. L'aspect relatif au déménagement du mobilier, dans le cadre de son emploi, a été diminué de façon substantielle en 1998, mais n'a pas été entièrement éliminé.


6.      Les principales fonctions relevant du poste de M. Howard n'ont pas changé.


7.      Dans le plan d'entreprise réalisé par M. Bowlin en date du 23 février 1998, M. Howard figurait encore au poste de [TRADUCTION] « Soutien technique - Immeubles » dans l'organigramme de l'entreprise.


8.      Le 23 mars 1998, Maritime a envoyé une note de service qui indiquait notamment :

[TRADUCTION] Tim Laplante, Soutien technique - Immeubles, remplace Tony Howard qui vient récemment de prendre sa retraite, et est en charge des opérations et de l'entretien des immeubles au sein du district central.

[28] Parce qu'elle cherche à se prévaloir des exemptions prévues au paragraphe 242(3.1) du Code, la demanderesse doit démontrer que les restrictions s'appliquent de manière à priver l'arbitre de sa compétence.

[29] Je ne dispose d'aucune transcription et je dois par conséquent me fier sur les faits exposés dans la décision de l'arbitre et dans les documents.

[30] En me reportant aux faits dont je dispose, l'arbitre Darby avait-il raison de conclure que M. Howard n'a pas été licencié en raison du manque de travail? Les éléments de preuve montrent que M. Laplante a remplacé Tony Howard, qui prenait sa retraite. Si M. Laplante a remplacé M. Howard, comment se peut-il qu'il manque de travail pour M. Howard, comme le fait remarquer l'arbitre Darby? La plupart des éléments de preuve portant sur la diminution de la quantité de travail étaient liés au travail de déménagement effectué, en temps supplémentaire, en dehors des heures normales de travail, et non pas à « l'emploi régulier » de M. Howard. M. Howard n'a pas été avisé par M. Bowlin que son licenciement était dû à un manque de travail. M. Bowlin n'a jamais employé ces termes, soit dans la lettre de cessation d'emploi, soit selon le témoignage de l'arbitre Darby. À l'instar du juge Strayer dans l'arrêt Sedpex, précité, je suis d'avis qu'il faut faire preuve de prudence à l'égard des conclusions de fait tirées par l'arbitre en vue de déterminer sa propre compétence. Je suis cependant conscient de l'exigence selon laquelle l'arbitre doit rendre une décision correcte lorsqu'il conclut que le défendeur n'a pas été licencié en raison du manque de travail. Je suis convaincu que l'arbitre avait raison de conclure que le défendeur n'a pas été licencié en raison du manque de travail.

[31] La deuxième question à l'égard de laquelle l'arbitre doit rendre une décision correcte consiste à savoir s'il y a eu suppression d'un poste. Comme je l'ai mentionné précédemment, la suppression d'un poste peut survenir lorsque l' « ensemble d'activités » qui constitue le poste d'un employé n'est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l'employeur. Par exemple, si un ensemble donné d'activités est tout simplement confié intégralement à une autre personne, ou si l'activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à pouvoir figurer dans une autre description de poste, on ne pourrait alors parler de la suppression d'un poste. En revanche, il y aurait suppression d'un poste si les activités qui font partie de l'ensemble des activités exercées par l'employé sont réparties entre d'autres personnes (voir Mudarth c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1989] C.F. 371 (C.F. 1re inst.). Cela m'apparaît très juste car si l'ensemble des activités d'un employé était confié à une autre personne, le poste (par exemple, de gestionnaire de bureau) existerait encore.

[32] Après avoir examiné la décision de l'arbitre Darby et les autres documents, il est à mon avis manifeste qu'il n'y a pas eu suppression de poste dans le cas de M. Howard. M. Bowlin n'a pas témoigné que le poste de M. Howard avait été supprimé. En fait, M. Bowlin a préparé un plan d'entreprise, en date du 23 février 1998, dans lequel M. Howard figure sur l'organigramme de l'entreprise sous le poste [TRADUCTION] « Soutien technique - Immeubles » . On peut difficilement avancer qu'au 23 février 1998 il y a eu suppression d'un poste (celui de M. Howard) au sens du paragraphe 242(3.1) du Code. Je partage le point de vue de l'arbitre Darby qu'il n'y a pas eu, au 23 février 1998, suppression d'un poste (celui de M. Howard). Le témoignage de M. Bowlin, qui a déposé que M. Laplante et M. Howard [TRADUCTION] « étaient tous deux disponibles pour un seul poste, et j'ai choisi Laplante » , vient étayer cette conclusion. Cela montre d'autant plus qu'il n'y a pas eu « suppression d'un poste » au sens du paragraphe 242(3.1) du Code.

[33] En examinant la décision rendue par l'arbitre Darby, je note que celui-ci a affirmé que l'employeur avait agi de bonne foi et qu'il avait suivi, comme il se devait de le faire, toutes les procédures pertinentes; cependant, l'examen de l'ensemble de sa décision m'amène à penser qu'il ne faisait pas référence à la démarche entreprise à la date de la cessation d'emploi, mais bien à la démarche entreprise après la date de la cessation d'emploi.

[34] La note de service envoyée par M. Bowlin à M. Roberts en date du 10 mars 1998 a été préparée après la date de la cessation d'emploi et est rédigée en des termes très vagues. Il ne s'agit pas de la note de service typique qui établit qu'un employé a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste au sens du paragraphe 242(3.1) du Code.

[35] De plus, on a fait valoir qu'une lettre provenant de Linda L. Pirard adressée à M. Dugas de Développement des Ressources humaines du Canada, en date du 17 mars 1998, démontre que M. Howard a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste. Je ne suis pas de cet avis. Bien que cette lettre fasse partie du dossier présenté devant l'arbitre (paragraphe 242(1) du Code), je ne peux accepter qu'elle donne ouverture à l'application du paragraphe 242(3.1) du Code. Il n'existe absolument aucun élément de preuve qui étaye la participation de Mme Pirard dans le processus ou qui fait état de la source des renseignements à la base de ses déclarations. En outre, même si le Code prévoit la communication des motifs à une date ultérieure au licenciement, je suis d'avis que si ces motifs sont communiqués soit par écrit soit oralement au moment du licenciement, les motifs cités subséquemment doivent être compatibles avec les motifs cités précédemment.

[36] À mon avis, si une partie souhaite se prévaloir du paragraphe 242(3.1) du Code, elle doit démontrer que le licenciement en question tombe sous le coup de cette disposition. Cela ne peut se faire au moyen de termes vagues. Prenons par exemple la situation dans l'arrêt Jindal c. Énergie Atomique du Canada Limitée (1998), 98 C.L.L.C. 220-047 (C.A.F.), dans lequel on a conclu que le paragraphe 242(3.1) s'appliquait. Dans cet arrêt, l'employeur a produit des éléments de preuve portant que les 17 départements ont été réduits à 5 départements. Il y avait 87 postes répartis dans les 17 départements et, par suite de la restructuration, il y aurait 62 postes à pourvoir dans les 5 départements. Cette démarche a été complétée avant le début des licenciements. Lorsqu'on examine la décision de l'arbitre Darby, la question de savoir si l'évaluation des employés a été faite avant ou après le licenciement de M. Howard n'est pas claire. La même démarche générale a été utilisée par l'employeur dans l'arrêt Gonthier et al c. Canada (1986) 77 N.R. 386 (C.A.F.). L'employeur avait simplement besoin de démontrer, en l'espèce, que les contraintes budgétaires auraient entraîné un manque de travail ou la suppression d'un poste. J'estime que l'employeur ne s'est pas acquitté de cette tâche puisqu'on a affirmé que M. Laplante remplaçait M. Howard qui prenait sa retraite, et puisque la majeure partie de l'emploi régulier qu'occupait M. Howard a été confiée à M. Laplante, sauf pour ce qui est du travail supplémentaire, ce qui n'équivaut pas à mon avis à la suppression du poste de M. Howard.

[37] Comme j'ai conclu que le paragraphe 242(3.1) ne s'appliquait pas à la présente affaire, l'arbitre n'est pas par conséquent privé de sa compétence pour instruire la plainte. Deuxièmement, M. Howard n'a pas été licencié « en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste » . L'arbitre Darby avait raison de conclure comme il l'a fait à l'égard de ces questions.

[38] En raison de ma décision sur les autres questions, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur la question de l'équité procédurale aux termes de l'alinéa 242(3.1)a).

[39] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont alloués au défendeur.



ORDONNANCE

[40] LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et que les dépens soient alloués au défendeur.

     « John A. O'Keefe »

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 25 octobre 2000


Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-1558-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      MARITIME TELEPHONE AND TELEGRAPH CO. LTD. c. MARTIN ANTHONY HOWARD
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 9 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS

PAR LE JUGE O'KEEFE

EN DATE DU :              25 octobre 2000


ONT COMPARU :

Jan E. McKenzie                  Pour la demanderesse
A. Douglas Tupper, c.r.              Pour le défendeur     

Melanie Comstock



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox Hanson O'Reilly Matheson          Pour la demanderesse

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Patterson Palmer Hunt Murphy          Pour le défendeur

Halifax (Nouvelle-Écosse)






                                     Dossier : T-1558-99

ENTRE :



MARITIME TELEPHONE AND TELEGRAPH CO. LTD.


demanderesse


- et -


MARTIN ANTHONY HOWARD


défendeur


         JE CERTIFIE PAR LA PRÉSENTE que, le 25 octobre 2000, la Cour (le juge O'Keefe) a délivré l'ordonnance suivante au terme des Motifs de l'ordonnance :


         « LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et que les dépens soient alloués au défendeur. »


                                

                                 P. Lavoie

                                 Agent du greffe

CERTIFIÉ À Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2000


Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

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