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Date : 20220113


Dossier : IMM‑6097‑20

Référence : 2022 CF 32

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

GOPINATH PATHMANATHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Gopinath Pathmanathan, est un citoyen du Sri Lanka. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 2 octobre 2020 [la décision] par un agent principal de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agent] relativement à sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. L’agent a rejeté la demande, estimant que les risques allégués par le demandeur étaient essentiellement les mêmes que ceux qui avaient été examinés précédemment par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Après avoir examiné attentivement le dossier et les observations des deux parties, pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I. Contexte

[3] Le demandeur est un Sri‑Lankais d’origine tamoule. Selon son dossier, le demandeur n’est pas marié, n’a pas d’enfants et travaille comme charpentier sous la direction de son oncle, au Canada. Il habite avec sa sœur et la famille de celle‑ci. Ses parents et ses autres frères et sœurs vivent à Jaffna, au Sri Lanka.

[4] Le demandeur est arrivé au Canada à bord du MV Sun Sea le 13 août 2010 et a présenté une demande d’asile. Il a réclamé la protection du Canada en invoquant trois motifs : la race, la nationalité et l’appartenance à un groupe social particulier. Le demandeur a affirmé qu’il craignait l’armée sri‑lankaise, la police, les groupes militants pro‑gouvernementaux et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET]. Dans une décision rendue le 2 août 2012, la SPR a rejeté sa demande. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR, mais la demande d’autorisation a été rejetée dans une décision datée du 18 février 2013 (dossier IMM‑8852‑12).

[5] Une mesure de renvoi est en vigueur et, en juillet 2019, le demandeur a eu la possibilité de soumettre une demande d’ERAR. Comme l’a fait remarquer mon collègue le juge Little, l’ERAR est la dernière évaluation officielle des risques dont fait l’objet une personne admissible avant son renvoi du Canada (Ghandi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1132, au paragraphe 10 [Ghandi]). Comme l’explique le juge Little :

[11] L’ERAR vise à déterminer si le degré de risque ou la nature du risque auxquels serait exposé le demandeur s’il est renvoyé dans son pays d’origine ont changé, à la suite de l’évolution de la situation du pays en cause ou de nouveaux éléments de preuve mis en lumière depuis la décision rendue par la SPR. L’ERAR reconnaît que le principe du non‑refoulement reconnu en droit international – qui interdit de renvoyer des réfugiés vers un territoire où ils risquent d’être victimes de violations des droits de la personne – est prospectif et qu’en raison du délai qui s’écoule entre la décision et le renvoi, un deuxième examen de la situation dans le pays en cause peut, dans certains cas, s’avérer nécessaire pour déterminer si la situation a évolué ou si de nouveaux risques se sont manifestés (Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 (le juge Rennie), aux paras 4 et 116).

[12] La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue ni un appel ni un réexamen de la décision par laquelle la SPR a rejeté sa demande d’asile. Néanmoins, une demande d’ERAR peut nécessiter l’examen de quelques‑uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (la juge Sharlow), au para 12). […] L’agent chargé de l’ERAR doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision défavorable rendue par la SPR et ne peut y déroger que s’il existe une situation différente ou un risque nouveau (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 RCF 230 (le juge de Montigny), au para 47).

[6] La demande d’ERAR du demandeur a été reçue par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada le 8 août 2019. Il a soumis de nouvelles observations les 28 octobre et 27 novembre 2019. La demande du demandeur comprenait de nouveaux éléments de preuve : un affidavit assermenté le 31 juillet 2018 et des documents concernant la situation du pays datant d’après la décision de la SPR.

[7] Dans sa demande d’ERAR, le demandeur a allégué qu’il risquait d’être persécuté s’il était renvoyé au Sri Lanka en raison de son origine tamoule, de son affiliation présumée aux TLET, de son statut de demandeur d’asile débouté, de son voyage à bord du MV Sun Sea et du fait qu’il serait un rapatrié involontaire muni d’un document de voyage. Le demandeur n’est pas réellement affilié aux TLET. Il craint plutôt que, en raison de son origine ethnique, de son voyage à bord du MV Sun Sea et du rejet de sa demande d’asile au Canada, il soit perçu par les autorités comme étant affilié aux TLET.

[8] Dans sa décision rendue le 2 octobre 2020, l’agent a rejeté la demande d’ERAR.

II. Décision

[9] L’agent a résumé la demande d’asile du demandeur auprès de la SPR, signalant que le demandeur avait fait état de plusieurs incidents au cours desquels il avait été interrogé et maltraité par les autorités avant d’obtenir un passeport et de partir pour la Thaïlande, où il a finalement embarqué à bord du MV Sun Sea à destination du Canada.

[10] L’agent a noté que la SPR avait conclu que le témoignage du demandeur n’était pas crédible. L’agent a souligné que la SPR avait noté que le demandeur a pu voyager librement à travers tout le Sri Lanka, obtenir sans difficulté un passeport sri‑lankais authentique et quitter le pays sans entrave avec ce passeport. La SPR avait donc conclu qu’il n’était vraisemblablement pas soupçonné d’avoir des liens avec les TLET ni autrement recherché par les autorités sri‑lankaises. L’agent a également noté que la SPR avait estimé qu’il n’y avait aucune preuve indiquant que le voyage du demandeur à bord du MV Sun Sea était connu du gouvernement sri‑lankais, et que, même si c’était le cas, il n’y avait aucune preuve qu’il serait traité différemment étant donné qu’il n’entretenait aucun lien avec les TLET. La SPR avait également considéré que l’extorsion dont le demandeur craignait d’être victime constituait un risque généralisé.

[11] L’agent a ensuite énuméré les craintes alléguées par le demandeur en lien avec son renvoi au Sri Lanka : (i) les Tamouls continuent de faire l’objet de discriminations au Sri Lanka; (ii) les demandeurs d’asile déboutés subissent de mauvais traitements à leur retour ou après leur retour; (iii) les réfugiés sont soupçonnés de soutenir les TLET; (iv) les passagers du MV Sun Sea courent un risque particulier de subir de mauvais traitements; (v) les rapatriés sont victimes d’actes d’extorsion commis par des groupes militaires et paramilitaires.

[12] L’agent a indiqué que, par application de l’alinéa 113a) de la LIPR, sa capacité à évaluer de nouveaux éléments de preuve était limitée, et il a estimé que les risques allégués par le demandeur étaient essentiellement les mêmes que ceux qu’il avait présentés à la SPR et qui avaient été rejetés par celle‑ci. L’agent a noté que le demandeur n’avait présenté aucune preuve qu’il était perçu comme un membre ou un partisan des TLET ni de preuves qu’il était [traduction] « recherché par les forces de sécurité sri‑lankaises pour des raisons liées à l’émigration, à la criminalité ou au terrorisme ». L’agent a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves indiquant que le profil du demandeur avait changé depuis la décision de la SPR.

[13] L’agent a examiné les nouveaux documents concernant la situation du pays soumis par le demandeur, mais a affirmé (i) qu’il n’était pas convaincu que la situation s’était détériorée depuis la décision de la SPR pour une personne ayant le profil du demandeur, et (ii) qu’il préférait s’appuyer sur les documents plus récents se trouvant dans le cartable national de documentation [CND] pour effectuer l’examen des risques, les jugeant plus précis et plus fiables.

[14] Après avoir examiné les documents concernant la situation du pays, c’est‑à‑dire un rapport du ministère de l’Intérieur britannique daté du 20 janvier 2020 et un rapport d’information australien daté du 4 novembre 2019, l’agent a conclu (i) qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves que le demandeur serait perçu comme un membre des TLET, et (ii) que même s’il était perçu comme tel, compte tenu de la situation du pays, la simple adhésion à ce groupe serait insuffisante pour attirer l’attention des autorités responsables de la sécurité. L’agent a également estimé que le risque d’extorsion ou d’enlèvement était faible et qu’il n’existait aucune information indiquant que les Tamouls faisaient l’objet de mauvais traitements depuis les attentats de Pâques.

[15] L’agent a conclu que les éléments de preuve fournis n’appuyaient pas l’allégation selon laquelle [traduction] « il existe[rait] plus qu’une simple possibilité que, en cas de renvoi au Sri Lanka, le demandeur risquerait d’être persécuté pour des motifs prévus par la Convention, au sens de l’article 96 de la LIPR », et que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur ne [traduction] « risque[rait] [pas] d’être torturé » ni ne serait « expos[é] à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités, au sens de l’article 97 de la LIPR ».

III. Points litigieux

[16] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A. La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?

B. Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

IV. Analyse

(1) La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?

[17] Pour que la cour de révision tranche en sa faveur, la partie qui conteste la décision doit la convaincre « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances alléguées « ne [sont] pas simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 100). L’arrêt Vavilov indique que la cour de révision ne doit pas examiner le raisonnement sous‑jacent à la décision dans l’intention de mener une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (paragraphe 102), mais plutôt se demander si « la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (paragraphe 15).

[18] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable commande la retenue, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12 et 13). La cour doit donc faire preuve de déférence à l’égard de la décision, en particulier en ce qui concerne les conclusions de fait et l’appréciation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, une cour de révision ne modifie pas les conclusions de fait (Vavilov, au para 125). En effet, il n’appartient pas la cour de révision, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125; Palumbo c Canada (Procureur général), 2005 CAF 117, au para 11).

[19] Lors de l’audience et dans ses observations écrites, le demandeur a fait valoir un certain nombre d’arguments. Tout d’abord, il affirme que l’agent aurait dû prendre explicitement en compte certains paragraphes de son affidavit daté du 31 juillet 2018. Le demandeur affirme qu’il s’agit d’une erreur grave, car on ne sait pas si l’agent a pris ces éléments de preuve en considération. Il soutient que, en tout état de cause, la décision n’en tient pas compte. En particulier, le demandeur se réfère aux paragraphes 18 et 19 de son affidavit dans lequel il déclare, entre autres, que (i) son frère a été détenu par les forces de sécurité en juin 2017, et a été interrogé au sujet du demandeur, suite à quoi il a fui le Sri Lanka à deux reprises, mais a été expulsé de Singapour et de la Turquie avant de revenir au Sri Lanka, et que (ii) les forces de sécurité se sont rendues [traduction] « [à] leur domicile et ont posé des questions à [son] sujet », qu’« [e]lles savaient qu[‘il] [s’est] rendu au Canada à bord du Sun Sea », et qu’« [il] n[‘est] pas sûr de ce qui a été dit ni de quand cela a eu lieu. »

[20] Le défendeur soutient que l’agent a de façon raisonnable déterminé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves démontrant l’existence d’une possible menace. Le défendeur affirme que, à l’exception de la phrase précitée, il n’y a aucune preuve dans l’affidavit ni dans le dossier indiquant l’intérêt allégué des forces de sécurité.

[21] Je ne considère pas que l’agent a commis une erreur. Un décideur est présumé avoir soupesé et considéré toute la preuve qui lui a été présentée, et le défaut de mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il a été négligent (Burai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 966 au para 38). Les cours de révision ne peuvent pas s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Vavilov, aux para 91 et 128). En l’espèce, il est clair que l’agent a lu l’affidavit, car il mentionne un certain nombre de déclarations du demandeur et en résume certaines parties en utilisant un libellé semblable, et parfois identique, à celui de l’affidavit du demandeur. Il est indiqué, à la page 4 de la décision :

[traduction]

Dans sa demande, le demandeur affirme que les Tamouls continuent d’être victimes de discrimination et que les demandeurs d’asile déboutés subissent de mauvais traitements à leur retour ou après leur retour, les rapatriés étant soupçonnés de soutenir les TLET. Le demandeur fait valoir qu’il courrait un danger, notamment parce qu’il a voyagé à bord du MV Sun Sea. Le demandeur affirme qu’il continue à craindre les groupes militaires et paramilitaires sri‑lankais, le PDPE et le groupe Karuna, qui ciblent les rapatriés pour les extorquer. Le demandeur indique également qu’il a entendu parler du groupe AAVA, qui tenterait de reconstituer les TLET. Le demandeur mentionne son frère qui a tenté à plusieurs reprises de s’échapper du pays, mais qui a été expulsé (une fois de Singapour et une fois de Turquie), emmené à la prison de Negombo, et libéré seulement après avoir dû payer un pot‑de‑vin […]

[22] Le paragraphe précité reproduit les informations et le libellé des paragraphes 18, 20, 21 et 22 de l’affidavit du demandeur. Il ne fait aucun doute que l’agent a pris en considération l’affidavit du demandeur et son contenu. Le fait que l’agent ne se réfère pas expressément à la déclaration figurant au paragraphe 19 de l’affidavit du demandeur ne constitue pas, comme le soutient le demandeur, [traduction] « une erreur grave ».

[23] Il est clair que l’agent s’est penché sur la question de savoir si le demandeur courait un risque lié au fait qu’il était perçu comme un ancien membre ou un membre des TLET, ou s’il était recherché par les forces de sécurité sri‑lankaises pour des raisons liées à [traduction] « l’émigration, la criminalité ou le terrorisme ». L’agent a indiqué que [traduction] « les preuves sont insuffisantes pour établir qu’il est recherché par les forces de sécurité sri‑lankaises pour des questions liées à l’émigration, à la criminalité ou au terrorisme, et qu’il est perçu comme un membre des TLET ». Le défendeur se concentre sur la phrase précédente, en particulier sur le mot « insuffisantes ». Le demandeur, quant à lui, se concentre sur la déclaration suivante de l’agent : [traduction] « le demandeur ne présente pas de preuves qu’il est perçu comme un membre ou un partisan des TLET, qu’il est recherché par les forces de sécurité sri‑lankaises pour des questions liées à l’émigration, à la criminalité ou au terrorisme […] ». Le demandeur souligne l’utilisation de la formulation « ne présente pas de preuves » et fait valoir qu’il existe une distinction entre « pas » de preuves et des preuves « insuffisantes ».

[24] Après avoir examiné le dossier, je ne suis pas convaincue que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents. L’affidavit du demandeur indique qu’on lui a dit que les forces de sécurité étaient venues à son domicile et avaient posé des questions à son sujet, mais il déclare ne pas savoir ce qui a été dit ni quand cela a eu lieu. L’affidavit ne contient aucune information sur les raisons de cette visite par les forces de sécurité. Ainsi, la décision semble indiquer que l’agent a examiné l’affidavit du demandeur et a estimé que les preuves étaient insuffisantes. La question de savoir si je serais parvenue à la même conclusion que l’agent n’est pas pertinente. À la suite de mon examen de la décision et du dossier qui a été présenté à l’agent, je ne suis pas convaincue que la conclusion de l’agent était déraisonnable au sens où l’entend la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov.

[25] Outre ce qui précède, le demandeur fait valoir que l’agent a ignoré ou omis de mentionner les éléments de preuve dont il disposait, à savoir une lettre d’Amnistie internationale datée de 2017 concernant des hommes tamouls, anciens passagers du MV Sun Sea ou du MV Ocean Lady, qui étaient retournés au Sri Lanka et qui étaient soupçonnés d’avoir soutenu les TLET. Le défendeur soutient que l’agent a expressément indiqué qu’il préférait s’appuyer sur les documents plus récents contenus dans le CND. En outre, le défendeur fait valoir que la lettre d’Amnistie internationale ne concerne pas des personnes ayant le profil du demandeur, à savoir quelqu’un (i) qui n’est pas un partisan des TLET ou (ii) qui n’a pas fourni de preuves suffisantes qu’il est perçu comme ayant des liens avec les TLET. L’arrêt Vavilov indique clairement que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, les cours de justice doivent s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (au para 125). Le fait que l’agent ait préféré s’appuyer sur les documents plus récents du CND pour prendre sa décision ne la rend pas déraisonnable.

[26] Le demandeur fait valoir que la présente affaire est semblable à celle de l’arrêt Jeyaredsagathas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1238 [Jeyaredsagathas] et que l’agent aurait dû prendre en compte la lettre d’Amnistie internationale. Dans l’arrêt Jeyaredsagathas, la Cour a estimé que la lettre d’Amnistie internationale n’aurait pas dû être écartée au motif qu’elle n’était « pas neutre » et qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce que M. Jeyaredsagathas fasse de fausses déclarations sur son passé aux agents d’immigration du Sri Lanka. En l’espèce, l’agent ne s’est pas fondé sur l’hypothèse que le demandeur mentirait aux autorités. Si l’agent s’était attendu à ce que le demandeur ne soit pas franc et honnête au sujet de son voyage au Canada, cela aurait constitué une erreur susceptible de contrôle (Seeniyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 746 au para 13). L’agent a plutôt considéré que le demandeur divulguerait son passage à bord du MV Sun Sea, et que même s’il était perçu comme entretenant des liens avec les TLET en raison de son voyage à bord de ce navire, la simple appartenance à ce groupe n’était pas susceptible d’attirer l’attention des autorités responsables de la sécurité. Contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire Jeyaredsagathas, l’agent a déclaré avoir lu les documents qui lui ont été soumis concernant la situation du pays et préférer s’appuyer sur des informations plus récentes pour effectuer l’examen des risques, les jugeant plus précises et plus fiables.

[27] Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte du fait que des élections ont eu lieu au Sri Lanka en 2019, et que les résultats de ces élections, remportées par Gotabaya Rajapaksa, vont entraîner une détérioration de la situation des Tamouls au Sri Lanka. Les documents soumis par le demandeur font référence à de nombreuses reprises aux [traduction] « anciens combattants des TLET ». Cela vient appuyer l’argument principal du défendeur, selon lequel le demandeur n’a pas le profil d’une personne affiliée aux TLET et, par conséquent, l’agent a correctement évalué le risque.

[28] Compte tenu du dossier qui m’a été soumis, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent de conclure ne pas être convaincu que la situation d’une personne ayant le profil du demandeur s’était détériorée depuis que la SPR avait rejeté sa demande en 2012. Une grande partie des arguments du demandeur porte sur la situation générale du pays, notamment les élections de 2019 et les attentats de Pâques 2019. Le défendeur s’appuie sur l’arrêt Gandhi, précité, dans lequel le juge Little a indiqué que « [la] Cour a jugé qu’il incombait au demandeur d’établir un lien entre les éléments de preuve documentaires généraux et sa situation personnelle » (au para 61). Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas établi pareil lien. Je suis du même avis que le défendeur. Les extraits mis en évidence par le demandeur font référence aux anciens membres des TLET, aux anciens combattants des TLET et à ceux qui faisaient partie de leur administration civile. En outre, le document du DFAT indique que l’ampleur de la surveillance exercée par le gouvernement à l’égard d’une personne est liée à son ancienneté au sein des TLET, ainsi qu’à son implication continue dans des affaires politiquement sensibles, tandis que les anciens membres des TLET qui sont moins connus sont moins susceptibles d’être surveillés. En l’espèce, il a été admis que le demandeur n’était pas lié aux TLET. L’agent s’est demandé si le profil du demandeur, en particulier son voyage à bord du MV Sun Sea, pouvait donner à penser qu’il fût un membre ou un partisan des TLET, et a estimé, en se fondant sur les informations tirées du CND, qu’il n’y avait pas de preuve suffisante que le demandeur était exposé à un risque.

[29] Le demandeur soutient que l’agent aurait dû prendre en compte l’ensemble des facteurs de risque, notamment le fait qu’il soit un homme d’origine tamoule, qu’il a voyagé à bord du MV Sun Sea, qu’il soit perçu comme un partisan des TLET en raison de ce voyage, que sa demande d’asile a été rejetée et qu’il serait un rapatrié involontaire muni d’un document de voyage temporaire, advenant un retour au pays. Le demandeur fait valoir que le fait de ne pas considérer ces facteurs combinés comme un ensemble constitue une erreur.

[30] L’arrêt Vavilov indique qu’une cour de révision doit examiner la décision qu’elle contrôle dans son ensemble, plutôt que de mener une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (aux para 15 et 102). L’agent a pris en compte chacun des facteurs de risque. Considérant sa décision dans son ensemble, je ne crois pas que l’agent a commis une erreur. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où l’agent a « tronqué [l]e profil [du demandeur] de parties essentielles », omettant ainsi de tenir compte de l’ensemble des aspects de son profil de risque (Vilvarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 349 aux para 21‑23). J’estime qu’en l’espèce, l’agent a effectivement pris en compte tous les aspects du profil du demandeur ainsi que les risques que ce dernier avait soulevés.

(2) Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[31] Dans sa lettre du 28 octobre 2019 qu’il a soumise dans le cadre de sa demande d’ERAR, le demandeur a noté que des mesures de sécurité avaient été mises en place au Sri Lanka à la suite des attentats de Pâques 2019, et a demandé à être informé s’il était mis fin à l’état d’urgence avant son audience d’ERAR. Le demandeur a également indiqué dans sa lettre qu’à compter du 22 juillet 2019, l’état d’urgence avait été prolongé pendant un mois.

[32] Dans sa décision, l’agent a noté que l’état d’urgence avait pris fin le 22 août 2019. L’agent a également noté que le demandeur n’avait fourni aucune information sur les mauvais traitements infligés aux Tamouls après les attentats de Pâques et que la documentation concernant la situation du pays n’en comprenait pas non plus.

[33] Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de l’informer que l’état d’urgence mis en place après les attentats de Pâques de 2019 avait pris fin. Le demandeur ne fournit aucune référence indiquant que l’agent avait l’obligation de l’aviser ou de répondre à sa demande formulée dans la lettre. De plus, la lettre du demandeur indique qu’il suivait la situation au pays et qu’il savait que les mesures d’urgence étaient prolongées pendant un mois supplémentaire (c’est‑à‑dire jusqu’au 22 août 2019).

[34] Le demandeur soutient en outre que l’agent a commis une erreur, car, si l’état d’urgence avait pris fin, la Prevention of Terrorism Act no 48 de 1979 du Sri Lanka autorise néanmoins la détention de personnes soupçonnées d’être impliquées dans les attentats de Pâques 2019. Le demandeur ne fournit toutefois aucune indication sur la manière dont cela le concerne, ou concerne quelqu’un ayant le même profil que lui. Comme il a été mentionné précédemment, il incombe au demandeur d’établir un lien entre les éléments de preuve documentaires généraux et sa situation personnelle (Gandhi, au para 61). Le demandeur était au Canada au moment des attentats. L’agent a tenu compte du traitement que subissaient généralement les Tamouls, en particulier à la suite des attentats de Pâques. Par conséquent, j’estime que l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale, contrairement à ce qu’affirme le demandeur.

[35] Le demandeur soutient également que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale au motif qu’il a procédé de façon déraisonnable à une lecture sélective des documents. Je ne crois pas que ce soit le cas. De nombreux extraits cités par le demandeur font référence à l’arrestation ou à la détention d’anciens combattants des TLET ou de personnes cherchant à réformer les TLET. Comme il a été mentionné précédemment, il a été admis que le demandeur n’était pas membre des TLET et n’entretenait aucun lien réel avec eux. En fin de compte, l’argument du demandeur constitue une demande d’évaluer de nouveau les éléments de preuve examinés par l’agent. Sauf en cas de circonstances exceptionnelles, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve examinée par l’argent (Vavilov, au para 125). J’estime donc que l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale dans son examen des documents concernant la situation du pays.

V. Conclusion

[36] Le demandeur n’a pas établi que la décision de l’agent était déraisonnable ou que ce dernier avait manqué à l’obligation d’équité procédurale. Par conséquent, pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[37] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question à certifier, et à mon avis, aucune question de ce genre ne se pose en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6097‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6097‑20

INTITULÉ :

GOPINATH PATHMANATHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO) (par vidéoconférence)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 septembre 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 13 janvier 2022

COMPARUTIONS :

Michael Crane

POUR LE DEMANDEUR

Erin Estok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Erin Estok

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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