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Date : 20220105


Dossier : IMM‑3952‑20

Référence : 2022 CF 3

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

HAMZA OMAR BAPIR AGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Hamza Omar Bapir Agh [M. Agh], sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 7 août 2020, qui a rejeté sa demande d’appel et confirmé la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SPR avait conclu que M. Agh n’était pas crédible et qu’il n’avait pas réussi à démontrer les éléments essentiels de sa demande d’asile pour risque de persécution, présentée au titre de l’article 96, et de sa demande de protection, présentée au titre de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. La SAR a évalué la preuve de façon indépendante et a raisonnablement conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en statuant que le demandeur n’avait pas su établir les éléments essentiels de sa demande.

I. Contexte

[3] M. Agh est un citoyen kurde de l’Iraq. Il craint d’être persécuté en Iraq par un groupe intégriste islamique. M. Agh explique qu’il travaillait comme comptable au ministère iraquien des finances et de l’économie [le ministère] et qu’il était habilité à débourser des fonds pour des projets gouvernementaux à Erbil, dans la région kurde de l’Iraq. Il raconte qu’en avril 2015, il a été approché par une personne prétendant être un vieil ami et agissant au nom d’un groupe intégriste islamique. Cette personne a exigé que M. Agh émette au nom du ministère un chèque de 500 000 USD au bénéfice du groupe intégriste islamique.

[4] M. Agh affirme avoir refusé de le faire, ce qui lui a valu des menaces de mort de la part du groupe en question. Il raconte qu’après avoir ensuite promis de reconsidérer son refus, il a pu partir sans être blessé et a rapidement signalé l’incident à la police. Il atteste que des policiers ont assuré la surveillance de son domicile et de son lieu de travail.

[5] M. Agh raconte aussi qu’en juin 2015, alors qu’il participait à un pique‑nique familial, il a été kidnappé par des hommes masqués, enfermé dans le coffre d’une voiture, battu puis abandonné au bord de la route, en représailles de son signalement à la police. Il déclare avoir passé deux semaines en convalescence à l’hôpital. Il raconte que des policiers se sont rendus à l’hôpital et que des agents de surveillance ont de nouveau été envoyés à son domicile et sur son lieu de travail, mais n’ont rien constaté.

[6] M. Agh atteste que suite à un appel téléphonique reçu le 8 octobre 2016 (plus d’un an plus tard), durant lequel son interlocuteur lui a demandé s’il était toujours en vie, il a décidé de quitter l’Iraq. Il a obtenu un visa américain le 18 octobre 2016 et il a déménagé sa famille chez son frère, dans une autre ville d’Iraq. M. Agh est venu au Canada en transitant par les États‑Unis, et il a présenté une demande d’asile dès son arrivée.

A. La décision de la SPR (19 mai 2017)

[7] La SPR a jugé que la question déterminante était celle de la crédibilité de M. Agh. La SPR n’a pas cru que M. Agh avait reçu les menaces ou subi les traitements allégués, car son témoignage et ses documents contenaient des incohérences, des omissions et des invraisemblances, et certains documents étaient peu fiables.

[8] La SPR a convenu que M. Agh travaillait pour le ministère, mais n’a pas cru qu’il ait été approché par des intégristes islamiques exigeant de l’argent, ni qu’il ait été menacé pour son refus d’obtempérer. La SPR a estimé que le rapport de police relatif à la tentative d’extorsion était probablement frauduleux, car il était écrit à la main et semblait être un original, bien que M. Agh ait déclaré qu’il s’agissait d’une copie obtenue par son frère, qui le lui avait envoyé. La SPR a également constaté qu’il manquait des détails importants dans le rapport de police.

[9] La SPR a également tiré des inférences négatives quant à la crédibilité du rapport médical fourni par M. Agh, appelé rapport du [traduction] « médecin légiste », relativement aux blessures qu’il aurait subies lors de l’enlèvement. La SPR a noté qu’il était peu probable qu’il n’existe aucun autre dossier médical, si M. Agh a effectivement passé deux semaines en convalescence à l’hôpital.

[10] La SPR a également trouvé le récit de l’enlèvement de M. Agh incohérent. La SPR a noté que le formulaire « Fondement de la demande d’asile » (FDA) de M. Agh indiquait que, lors d’un pique‑nique familial, il avait été abordé et empoigné par ses agresseurs puis placé dans le coffre d’une voiture. Cependant, lors de l’audience, il a raconté s’être éloigné de sa famille pour ramasser du bois et avoir été approché et appréhendé par des hommes qui attendaient dans une voiture. La SPR a noté qu’étant donné l’importance de cet événement, elle se serait attendue à ce que les détails du récit soient racontés de manière cohérente.

[11] En ce qui concerne l’intervention et la surveillance des policiers après l’enlèvement, la SPR souligne que M. Agh a déclaré que les policiers ne lui avaient rendu visite qu’une seule fois. La SPR a noté que le rapport de police sur l’enlèvement ne mentionnait aucun lien entre l’enlèvement et la tentative d’extorsion. La SPR a estimé qu’il était peu probable que les services de police aient assuré une surveillance au domicile de M. Agh sans l’interroger après l’enlèvement. La SPR a également observé que M. Agh a modifié son témoignage lorsque cette question a été soulevée, déclarant qu’il n’était pas certain que les services de police avaient assuré une surveillance à son domicile, mais plutôt qu’il croyait qu’ils l’avaient fait. La SPR a pris note de ce changement dans le témoignage de M. Agh et a estimé que cela confirmait la thèse voulant qu’il ne soit pas crédible.

[12] La SPR a également relevé des incohérences dans le récit des événements donné par M. Agh concernant sa décision de quitter l’Iraq suite à un appel téléphonique, qu’il avait perçu comme menaçant. Dans son FDA, M. Agh a déclaré qu’il avait demandé un visa américain et envoyé sa famille chez son frère le 18 octobre 2016; cependant, la lettre du frère en question indique que la famille de M. Agh a déménagé le 9 octobre 2016. La SPR n’a pas été convaincue par l’explication de M. Agh relativement à cette incohérence : ce dernier a dit avoir déplacé sa famille le 9 octobre 2016, mais être ensuite retourné seul à Erbil pour rester avec son oncle.

[13] La SPR a fait observer que les problèmes de crédibilité qu’elle a relevés n’étaient pas complets, car il existait plusieurs autres incohérences et invraisemblances. La SPR a conclu que M. Agh avait probablement fourni de faux documents et que ses incohérences dans le récit d’événements importants étaient suffisamment nombreuses pour qu’elle ne puisse pas se fier à son témoignage ou aux autres documents à l’appui à sa demande.

[14] La SPR a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, M. Agh manquait de crédibilité et que son témoignage était insuffisant pour conclure qu’il était la victime des menaces et préjudices allégués. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté et qu’il ne risquait pas d’être personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou d’être soumis à la torture.

[15] M. Agh a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR, en faisant valoir que de graves erreurs d’interprétation avaient eu lieu lors de l’audience de la SPR, menant cette dernière à tirer des conclusions erronées quant à la crédibilité. M. Agh a également fait valoir que la SPR avait mal interprété la preuve relative à la protection policière, et qu’elle avait commis une erreur lors de son évaluation du rapport de police sur la tentative d’extorsion, de même que de la lettre du frère de M. Agh.

B. Première décision de la SAR (24 avril 2018)

[16] La SAR a rejeté la demande d’appel de M. Agh, estimant que la décision de la SPR ne comportait aucune erreur importante. La SAR a conclu au manque d’éléments de preuve concernant les erreurs d’interprétation présumément survenues lors de l’audience de la SPR, notant que le seul exemple d’erreur donné n’était pas significatif et que celle‑ci n’avait eu aucune conséquence sur le résultat.

C. La première décision de la SAR a été jugée déraisonnable.

[17] Dans sa première demande de contrôle judiciaire, M. Agh a fait valoir que la SAR n’avait pas procédé à un examen indépendant des preuves, qu’elle avait mal interprété ou ignoré certains éléments de preuve et qu’elle avait formulé des conclusions spéculatives.

[18] Dans la décision Agh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1086, la Cour a conclu que la SAR avait failli à ses obligations en ne s’étant pas livrée à un examen exhaustif en appel. La Cour a noté qu’il n’était nulle part indiqué que la SAR avait écouté l’enregistrement audio de l’audience de la SPR, et que l’examen des motifs de la SPR par la SAR avait été limité. La Cour a noté que la SAR n’avait pas répondu à deux des questions soulevées par M. Agh au sujet du traitement du rapport de police et du rapport médical, et qu’elle avait tout simplement confirmé les conclusions de la SPR. La Cour a conclu que la SAR avait également commis une erreur en n’analysant pas les autres conclusions de la SPR quant à la crédibilité, mais en les jugeant simplement raisonnables, malgré le fait que la SPR ne jouissait d’aucun avantage particulier à tirer ces conclusions. La Cour a renvoyé l’affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci statue de nouveau.

II. La décision de la SAR faisant l’objet du présent contrôle

[19] La SAR a pris note du fondement de la demande d’asile de M. Agh et du fait que la SPR avait jugé que celui‑ci n’était pas crédible. La SAR a résumé les conclusions de la SPR ainsi : le rapport de police était probablement frauduleux; le rapport médical (rapport du médecin légiste) n’était pas fiable car certains détails qui figuraient dans le formulaire du FDA n’y étaient pas; la crédibilité de M. Agh était minée à cause de son témoignage changeant au sujet de la réponse des policiers et des incohérences entre son FDA, son témoignage et la lettre de son frère concernant le moment où sa famille a déménagé chez son frère.

[20] La SAR a résumé les questions soulevées par M. Agh en appel : des erreurs d’interprétation ont conduit la SPR à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité; la SPR a commis une erreur en concluant que le rapport de police était probablement frauduleux; la SPR a commis une erreur en relevant des incohérences fondées sur une analyse excessivement minutieuse du récit de l’enlèvement; la SPR a commis une erreur en accordant un poids excessif à la divergence mineure existant entre la lettre de son frère et son témoignage et relativement à la date du déménagement de sa famille au domicile de son frère.

[21] La SAR a déclaré qu’elle avait examiné l’ensemble du dossier pour déterminer si la décision de la SPR était correcte, de même que le témoignage et les documents déposés par M. Agh, et la documentation objective. La SAR a conclu que la SPR ne jouissait pas d’un avantage particulier sur la SPR dans l’évaluation de la preuve et, par conséquent, la SAR n’a pas fait preuve de retenue quant aux conclusions de la SPR.

[22] La SAR a admis une nouvelle preuve déposée par M. Agh, constituée de l’affidavit d’un interprète, M. Abu‑Baker, et d’un tableau censé exposer les erreurs d’interprétation commises lors de l’audience de la SPR. M. Agh n’a pas demandé d’audience devant la SAR.

[23] La SAR a noté que le tableau incluait les commentaires de M. Abu‑Baker à propos de la compréhension de la preuve par M. Agh. La SAR n’a pas tenu compte de ces commentaires, notant qu’ils n’étaient pas fiables, qu’ils ne relevaient pas du rôle d’un interprète et qu’ils allaient au‑delà de l’exposé des erreurs alléguées.

[24] La SAR a estimé que M. Agh n’avait été lésé par aucune interprétation erronée. La SAR a écouté l’enregistrement audio intégral de l’audience de la SPR et l’a comparé au tableau censé décrire les erreurs. La SAR a constaté que le tableau ne reflétait pas fidèlement les questions posées en anglais par la SPR. Quoi qu’il en soit, la SAR a abordé chacune des erreurs alléguées.

[25] En ce qui concerne les dossiers médicaux, la SAR a estimé qu’il n’y avait pas eu confusion entre les termes [traduction] « dossiers », « rapports » et « ordonnances », et que M. Agh avait bien compris que la question posée était de savoir s’il disposait d’autres dossiers médicaux suite à son séjour à l’hôpital. La SAR a fait remarquer que M. Agh a répondu [traduction] « [qu’]ils n’ont conservé que ce rapport [attestant] que j’[avais été] admis à l’hôpital et qu’ils l’ont ensuite envoyé au poste de police » (en référence au rapport du « médecin légiste » figurant au dossier). En outre, la SAR a noté que les observations de M. Agh dans son mémoire d’appel – à savoir qu’il a eu accès aux ordonnances et aux dossiers indiquant quels traitements il a reçus – sont contraires à la preuve manifeste qu’il a présenté lors de l’audience de la SPR.

[26] La SAR a également abordé les erreurs alléguées relativement à la demande des intégristes islamiques, en notant que la SPR a donné à M. Agh l’occasion de préciser si on lui avait demandé de faire un chèque ou d’encaisser un chèque, ce à quoi il a répondu : [traduction] « ils voulaient que je fasse le chèque ».

[27] La SAR a convenu que M. Agh travaillait pour le ministère et que son témoignage concernant sa carte d’identité expirée, s’il avait été mal interprété, n’avait eu aucune incidence sur la décision de la SPR.

[28] En ce qui concerne la surveillance policière et les agissements des policiers après l’enlèvement, la SAR a estimé que l’allégation de M. Agh selon laquelle l’interprète avait mal traduit la question n’était pas fondée. La SAR a comparé le tableau à l’enregistrement audio de l’audience de la SPR et a conclu que le tableau n’était pas exact, notant que la SPR avait clairement demandé à M. Agh si les policiers l’avaient interrogé à nouveau ou si leur visite à l’hôpital avait été leur seule interaction. M. Agh a distinctement déclaré qu’il n’avait parlé aux policiers qu’une seule fois. La SAR a toutefois noté que M. Agh avait déclaré, dans ses observations formulées lors de l’appel, que la police lui avait rendu visite à quatre autres reprises.

[29] Quant à la question de savoir si les policiers avaient assuré une surveillance, la SAR a estimé que l’allégation de M. Agh, selon laquelle l’interprète avait mal traduit sa réponse comme étant [traduction] « je ne sais pas », ne correspondait pas à l’échange entendu lors de l’audience de la SPR. La SAR a énoncé le compte rendu textuel des questions, qui incluait la remarque d’un des commissaires de la SPR au sujet du nombre limité de détails fournis à la police, et qui se demandait pourquoi les policiers auraient offert d’assurer une surveillance s’ils avaient reçu si peu de détails. M. Agh a répondu : [traduction] « [l]orsque nous avons fait un rapport à la police, les policiers ne nous ont rien dit, mais ils surveillaient probablement notre maison » et, plus tard, : [traduction] « [o]ui, la police m’a dit qu’ils allaient surveiller et que vous resterez [sic] deux semaines à l’hôpital ».

[30] La SAR a estimé que l’allégation de mauvaise interprétation était sans fondement. La SAR a ajouté que M. Agh n’avait pas abordé la question au cœur de la conclusion de la SPR, à savoir que la police ne semblait avoir fait aucun effort pour obtenir plus de détails sur son enlèvement et son passage à tabac.

[31] La SAR a conclu que M. Agh n’avait pas réussi à établir l’existence d’erreurs graves dans l’interprétation. De plus, la SAR a conclu qu’aucune des erreurs alléguées n’avait pu influencer la décision de la SPR.

[32] En ce qui concerne l’argument de M. Agh selon lequel la SPR a commis une erreur en concluant que le rapport de police sur la tentative d’extorsion était probablement frauduleux, la SAR n’est pas d’accord avec le raisonnement de la SPR voulant qu’il puisse être frauduleux, étant donné qu’il est écrit à la main. Cependant, la SAR a fait remarquer que la SPR avait d’autres raisons de conclure qu’il s’agissait probablement d’une fraude, dont le fait que le rapport de police manquait de détails et que l’explication de M. Agh – à savoir qu’il ne voulait pas [traduction] « faire un drame » de la tentative d’extorsion et des menaces – était insensée. La SAR a estimé que le rapport de police n’était pas fiable.

[33] La SAR s’est ralliée à la SPR pour dire que le récit de l’enlèvement de M. Agh contenu dans son FDA et dans son témoignage oral était incohérent, bien que cette incohérence soit mineure.

[34] La SAR a conclu que la SPR n’avait pas accordé un poids excessif à l’incohérence existant entre le témoignage de M. Agh et la lettre de son frère concernant la date à laquelle la famille de M. Agh a déménagé dans la maison de son frère. La SAR a estimé qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité était justifiée car, lorsque l’incohérence a été présentée à M. Agh lors de l’audience, ce dernier a fourni une autre version des événements.

[35] La SAR a conclu que M. Agh n’avait pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, les événements essentiels sur lesquels sa demande d’asile était fondée. La SAR a confirmé les conclusions de la SPR selon lesquelles M. Agh n’est pas exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté et qu’il ne risque pas d’être personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou d’être soumis à la torture.

III. Les observations du demandeur

[36] M. Agh fait valoir que la SAR a commis une erreur en jugeant que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient correctes. M. Agh soutient que la SAR a simplement confirmé les problèmes de crédibilité mineurs, et par ailleurs non précisés, soulevés par la SPR, ce qui ne peut raisonnablement appuyer la conclusion globale de la SAR quant au manque de crédibilité.

[37] Il affirme que la SAR s’est engagée dans un [traduction] « raisonnement circulaire » en concluant que les conclusions mineures quant à la crédibilité n’ont eu aucune incidence sur la décision globale de la SPR, mais en jugeant néanmoins que la SPR n’avait pas commis d’erreur. Il ajoute que si l’une des nombreuses conclusions mineures quant à la crédibilité est erronée, cela a une incidence sur la conclusion générale.

[38] M. Agh fait valoir que la SAR a commis une erreur en exigeant des dossiers médicaux complémentaires. Il fait valoir que, puisque la SAR a accepté son unique rapport médical et ne l’a pas jugé frauduleux, ce dernier aurait dû être suffisant pour étayer son récit selon lequel des extrémistes l’ont agressé comme il l’a prétendu. Il soutient que le fait qu’il n’ait pas fourni d’autres rapports médicaux ne peut justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[39] En ce qui concerne le rapport de police sur la tentative d’extorsion, M. Agh fait valoir que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas fiable parce qu’il manquait de détails. M. Agh ajoute que le rapport de police décrivant le récit de son enlèvement par des inconnus dans une voiture noire contenait le nom du lieutenant de police et du département de police l’ayant rédigé, et il soutient que la SAR aurait pu vérifier ces informations. M. Agh soutient qu’un document est présumé authentique et doit être évalué pour ce qu’il contient, et non pour ce qu’il ne contient pas.

[40] Il soutient également qu’il n’y a pas d’incohérence entre son FDA et son témoignage à propos de son enlèvement, mais qu’il a simplement fourni plus de détails dans son témoignage.

[41] M. Agh fait valoir qu’il a fourni une explication pour l’incohérence des dates indiquées dans la lettre de son frère et dans son témoignage, relativement au moment où sa famille a déménagé. Il affirme de nouveau avoir fourni davantage de détails dans son témoignage, au sujet de son retour à Erbil pour rester avec son oncle.

IV. Les observations du défendeur

[42] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que M. Agh n’avait pas établi sa demande d’asile au moyen de preuves crédibles ou fiables. Le défendeur affirme que M. Agh cherche à obtenir une nouvelle appréciation de la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour.

[43] Le défendeur note que M. Agh soulève lors du contrôle judiciaire les mêmes questions que devant la SAR, à l’exception des allégations concernant les erreurs d’interprétation de sa preuve à l’audience de la SPR.

[44] Le défendeur conteste l’affirmation de M. Agh selon laquelle la SAR n’a pas évalué sa crédibilité de façon indépendante, en faisant remarquer que l’examen par la SAR de toutes les erreurs d’interprétation alléguées comprenait l’évaluation de la crédibilité de ces aspects distincts de son témoignage.

[45] Le défendeur soutient que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité sont étayées par des omissions et des incohérences quant à des aspects importants des éléments essentiels de la demande d’asile de M. Agh. Le défendeur fait valoir que l’évaluation de la crédibilité relève de l’expertise de la SAR et que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de ces conclusions. Il souligne que la SAR a écouté l’enregistrement audio du témoignage rendu par M. Agh lors de l’audience de la SPR.

[46] Le défendeur fait remarquer que, bien que la SPR ait jugé que le rapport de police concernant la tentative d’extorsion présumée était frauduleux, la SAR a conclu de façon indépendante que le rapport de police n’était pas fiable en raison de son manque de détails. Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement rejeté l’explication de M. Agh selon laquelle il ne voulait pas « faire un drame » de l’incident.

[47] Le défendeur soutient en outre que la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant, lors de son évaluation du rapport médical, qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves concernant le séjour de M. Agh à l’hôpital. Le défendeur note que toute conclusion défavorable sur la crédibilité découlant du rapport médical n’était pas fondée sur l’erreur d’interprétation alléguée, comme l’a soutenu M. Agh, puisqu’on lui avait clairement demandé s’il disposait d’autres dossiers et qu’il avait répondu que non.

[48] Le défendeur conteste l’affirmation de M. Agh selon laquelle le raisonnement de la SAR est circulaire, car celle‑ci a jugé que les incohérences invoquées par la SPR étaient mineures, tout en approuvant la conclusion globale de la SPR. Le défendeur note que la seule incohérence mineure concerne le récit de l’enlèvement fait par M. Agh, qui ne correspond pas au récit contenu dans son FDA.

[49] Le défendeur fait valoir que la SAR a abordé tous les arguments lors de l’appel, qu’elle a procédé à sa propre évaluation et tiré ses propres conclusions sur la crédibilité et la suffisance de la preuve. Le commentaire de la SAR indiquait simplement qu’elle aurait préféré que la SPR énumère toutes les autres conclusions sur la crédibilité, plutôt que de faire une affirmation générale. Cela ne signifie pas que la SAR est d’avis que la SPR a commis une erreur.

V. Questions en litige

[50] La question à trancher consiste à déterminer si la décision de la SAR était raisonnable. Cela comporte l’examen des observations présentées en l’espèce par M. Agh, à savoir : est‑ce que la SAR a effectué une évaluation indépendante; est‑ce que la SAR a commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité; est‑ce que la SAR a rejeté de manière déraisonnable les explications de M. Agh concernant les omissions et les incohérences qui sous‑tendent les conclusions de la SAR quant à la crédibilité; est‑ce que la SAR a commis une erreur dans son évaluation du rapport de police et du rapport médical.

VI. La norme de contrôle applicable

[51] Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 103, la Cour d’appel fédérale a précisé que la SAR est un tribunal d’appel et qu’elle doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. La SAR a procédé à une appréciation indépendante des éléments de preuve. Toutefois, la SAR doit faire preuve d’une certaine retenue envers la SPR pour ce qui est des conclusions quant à la crédibilité « si la SPR a joui d’un véritable avantage » (par 70).

[52] La Cour contrôle judiciairement une décision de la SAR sur le critère du caractère raisonnable.

[53] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada formule à l’intention des cours de révision des instructions sur l’approche à suivre pour mener un contrôle selon la norme du caractère raisonnable.

[54] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105‑107). La Cour n’évalue pas les motifs au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au para 91).

VII. La décision de la SAR est raisonnable.

[55] D’emblée, il est important de rappeler que la demande d’asile de M. Agh était fondée sur le risque qu’il courait face aux intégristes islamiques, parce qu’il avait refusé de leur faire un chèque de 500 000 $ du ministère des finances et de l’économie, où il travaillait comme comptable. Le fardeau incombait à M. Agh d’appuyer sa demande d’asile avec des preuves crédibles et suffisantes. La SAR a raisonnablement conclu que la SPR avait correctement jugé que M. Agh n’avait pas su établir les éléments essentiels de sa demande.

[56] La SAR a rempli sa fonction d’instance d’appel; elle a abordé tous les arguments de M. Agh en appel et a procédé à une évaluation approfondie et indépendante de tous les éléments de preuve, notamment en examinant l’enregistrement audio du témoignage rendu par M. Agh lors de l’audience de la SPR et les nouveaux éléments de preuve soumis par ce dernier. La SAR n’a pas ignoré ni mal interprété les preuves. Elle n’a pas analysé les incohérences de manière excessivement minutieuse et ne s’est pas attardée sur des preuves non pertinentes.

[57] En ce qui concerne les erreurs d’interprétation alléguées qui se seraient produites lors de l’audience de la SPR, la SAR a conclu de façon raisonnable que le tableau de M. Agh était trompeur et qu’il présentait de manière inexacte les questions qui lui avaient été posées par la SPR. Quoi qu’il en soit, la SAR a examiné chaque erreur alléguée et a conclu de façon raisonnable qu’il n’y avait pas d’erreur d’interprétation ayant pu conduire à des conclusions erronées sur la crédibilité.

[58] Contrairement à l’argument de M. Agh selon lequel la SAR a écarté les conclusions défavorables plus générales et non précisées de la SPR sur la crédibilité, la SAR a clairement indiqué qu’elle ne s’en remettait pas aux conclusions de la SPR. La SAR a refait une analyse complète et a tiré ses propres constatations quant à la crédibilité, dont beaucoup étaient conformes à celles de la SPR ou les confirmaient.

[59] La SAR n’a pas conclu que la SPR avait commis une erreur en ne décrivant pas d’autres incohérences ou invraisemblances. Le commentaire de la SAR selon lequel il aurait été préférable que la SPR identifie les incidents auxquels elle faisait référence a été formulé dans le contexte de l’examen par la SAR de l’argument de M. Agh, qui affirmait qu’il existait des erreurs d’interprétation. La SAR a ajouté : [traduction] « [t]outefois, [nous avons] examiné la bande sonore et l’[avons] comparée au tableau fourni par l’appelant; ces deux éléments ont été considérés à la lumière des motifs de la SPR ». En d’autres termes, la SAR a évalué les incohérences non spécifiées ou additionnelles en examinant l’enregistrement audio.

[60] Il est bien établi que les commissions et les tribunaux – c’est‑à‑dire les décideurs qui entendent les témoignages et examinent les preuves – sont dans la meilleure position pour évaluer la crédibilité : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL), au para 4, 160 NR 315 (CA). Leurs conclusions quant à la crédibilité doivent faire l’objet d’une grande retenue : Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052 au para 13; Fatih c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857 au para 65; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 au para 7; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 aux para 41‑46.

[61] Il existe une abondante jurisprudence qui guide l’appréciation de la crédibilité et l’examen par la Cour des conclusions relatives à la crédibilité. Par exemple, dans la décision Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118, au paragraphe 4, le juge Rennie a résumé les principes de la jurisprudence, dont plusieurs s’appliquent en l’espèce :

a. Une commission peut à bon droit tirer des conclusions sur la crédibilité sur la base des invraisemblances, du bon sens et de la raison : Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[1991] ACF no 228; Lubana, précité;

b. La preuve non contredite peut être rejetée si elle ne s’accorde pas avec les probabilités de l’affaire dans son ensemble, ou si des incohérences sont relevées dans la preuve : Akinlolu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) , [1997] ACF no 296;

c. Les inférences doivent être raisonnables et formulées en termes clairs et explicites : Hilo;

d. Toutes les incohérences et invraisemblances ne justifient pas une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Ce type de conclusion ne devrait pas se fonder sur un examen microscopique de questions sans pertinence ou périphériques eu égard à la demande d’asile : Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444;

e. La preuve ou les témoignages ayant trait à la question de savoir si un demandeur d’asile voyage avec de faux documents, détruit ses documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée sont accessoires et ont une valeur très limitée aux fins de l’évaluation de la crédibilité : Lubana;

f. L’évaluation des témoignages doit prendre en compte l’âge, la culture, l’origine et les antécédents sociaux du témoin, ainsi que son manque de cohérence lorsque des éléments de preuve médicale établissent qu’il souffre d’un problème psychologique.

g. De même, lorsqu’il s’agit d’évaluer les déclarations des réfugiés aux agents d’immigration à leur arrivée au Canada, le juge des faits doit garder à l’esprit que [traduction] « la plupart des réfugiés ont vécu dans leur pays d’origine des expériences qui leur donnent de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux personnes en autorité » : professeur J.C. Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto, Butterworths) (1991), aux pages 84 et 85, tel que cité par le juge Martineau dans Lubana.

h. Lorsqu’une conclusion quant à la crédibilité repose sur les incohérences du demandeur, il convient d’en donner des exemples spécifiques. Celles‑ci doivent avoir trait à d’autres éléments de preuve reconnus comme dignes de foi. En d’autres mots, les incohérences peuvent se présenter sous deux formes : la preuve issue du témoignage du témoin est intrinsèquement incohérente; ou, la preuve contredit les documents ou le témoignage d’autres témoins. Dans ce dernier cas, la preuve qui se trouve contredite doit être reconnue comme digne de foi.

i. L’effet cumulatif d’incohérences et de contradictions mineures peut justifier une conclusion d’ensemble défavorable quant à la crédibilité du demandeur d’asile : Feng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 476;

j. Une conclusion générale d’absence de crédibilité peut théoriquement s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents émanant du témoignage d’un témoin : Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1990 CanLII 8017 (FCA), [1990] 3 CF 238.

[62] Dans la décision Vazquez Bizarro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 140, au paragraphe 18, le juge Noël a également expliqué que les omissions et les contradictions peuvent servir de fondement à des conclusions défavorables sur la crédibilité :

Il a été reconnu à maintes reprises par cette Cour que la SPR peut raisonnablement fonder ses conclusions négatives au sujet de la crédibilité sur les omissions et les contradictions qu’elle relève au sujet de faits importants allégués dans le Formulaire de renseignements personnels et le témoignage de vive voix (voir Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF 1867 au para 33, 52 ACWS (3d) 165; Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101 au para 18, 154 ACWS (3d) 1183). De plus, il est loisible à la SPR de rejeter une explication fournie au sujet de telles omissions lorsqu’elle n’est pas raisonnable (Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87 au para 10). Ainsi, les conclusions de la SPR au sujet des omissions dans le récit écrit de la demanderesse ainsi que son refus des explications de la demanderesse au sujet de ces omissions sont bien fondées.

[Non souligné dans l’original.]

[63] En l’espèce, la SAR a formulé des conclusions quant à la crédibilité fondées sur des incohérences et des omissions qui étaient pertinentes en ce qui concerne la demande d’asile de M. Agh, – à savoir qu’il a été menacé par des intégristes islamiques pour avoir refusé d’accéder à leur demande de leur fournir 500 000 $ du ministère où il travaillait – dont : le témoignage changeant de M. Agh sur les questions de savoir si une surveillance policière a été ou non effectuée, si les policiers lui ont rendu visite une ou plusieurs fois après l’enlèvement allégué, et si d’autres rapports médicaux étaient disponibles. Cela inclut également les incohérences du récit de son enlèvement et des dates auxquelles sa famille aurait déménagé à Erbil. La SAR a clairement exposé les incohérences et a identifié celles qui étaient mineures et celles qui ne l’étaient pas.

[64] La SAR ne s’est pas engagé dans un raisonnement circulaire, comme l’a soutenu M. Agh. Elle a formulé des conclusions spécifiques quant à la crédibilité, lesquelles ont appuyé la conclusion générale selon laquelle M. Agh manquait de crédibilité. La SAR a également estimé que des documents importants déposés à l’appui de la demande d’asile – en particulier le rapport de police concernant la tentative d’extorsion, incident déclencheur des allégations qui ont suivi – n’étaient pas fiables. Contrairement à l’argument de M. Agh selon lequel la [traduction] « plupart » des questions de crédibilité étaient mineures, la SAR a conclu que plusieurs questions de crédibilité étaient au cœur de la demande.

[65] De plus, l’effet cumulatif des incohérences, même si elles sont mineures, peut appuyer une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité. En l’espèce, deux incohérences ont été qualifiées comme étant mineures par la SAR, soit celles qui concernent la date à laquelle la famille de M. Agh a déménagé et la description de l’enlèvement faite par ce dernier. Cependant, ces deux événements étaient pertinents quant à la demande d’asile de M. Agh. Il était loisible à la SAR d’examiner ces incohérences de même que : le récit changeant et incohérent de M. Agh quant à savoir si la police a assuré une surveillance; la question de savoir si M. Agh a parlé aux policiers une seule fois ou à quatre reprises; l’absence de toute mention dans le rapport de police concernant l’enlèvement allégué, la tentative d’extorsion alléguée ou les agresseurs; l’absence d’une explication raisonnable pour ne pas avoir fourni à la police de détails concernant la tentative d’extorsion alléguée; les incohérences des observations de M. Agh quant à savoir si d’autres rapports médicaux étaient disponibles.

[66] Les conclusions faites par la SAR quant à la crédibilité et découlant de l’incohérence des dates données par M. Agh pour le déménagement de sa famille ont été fondées non seulement sur la divergence des dates indiquées, mais aussi sur l’explication donnée par M. Agh qui, en fait, n’en était pas vraiment une. La SAR a de façon raisonnable estimé que cette explication – soit que M. Agh était retourné à Erbil pour rester avec son oncle – était une [traduction] « troisième version » des événements, et que cette troisième version était aussi clairement incompatible avec la déclaration que le demandeur a faite dans son FDA, selon laquelle il était resté chez son frère jusqu’à son départ pour les États‑Unis.

[67] En ce qui concerne le rapport de police sur la tentative d’extorsion, la SAR n’a pas conclu qu’il était frauduleux, contrairement à la SPR, mais plutôt qu’il n’était pas fiable parce que de nombreux détails de l’incident allégué avaient été omis. En outre, la SAR n’a pas trouvé raisonnable l’explication donnée par M. Agh pour le manque de détails, faisant remarquer que sa déclaration selon laquelle il ne voulait pas « faire un drame » et voulait simplement assurer sa sécurité ne correspondait pas à sa décision de rapporter l’événement à la police, ni à la nature présumée de la menace.

[68] M. Agh soutient que les conclusions de la SAR concernant le rapport de police et le rapport médical sont des conclusions d’invraisemblance, fondées sur le fait que la SAR impose son point de vue quant à ce que ces rapports auraient dû contenir selon les normes canadiennes. M. Agh rappelle le principe énoncé dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7 :

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur. [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22]

[69] Bien qu’un rapport de police en Iraq puisse différer d’un rapport de police canadien typique, la SAR est au courant de ces différences. D’ailleurs, M. Agh n’a pas fait valoir cet argument devant la SAR. Il a plutôt cherché à expliquer le manque de détails dans le rapport de police comme étant dû à son désir de ne pas « faire un drame » de la tentative d’extorsion et de simplement obtenir une certaine protection. Son explication est illogique et a été de façon raisonnable rejetée par la SAR : s’il était justifié de faire rapport auprès de la police pour obtenir une protection, comme il le prétend, alors il était justifié de fournir tous les détails. Les policiers ne pouvaient pas assurer sa protection sans savoir de qui ils devaient le protéger.

[70] M. Agh cite également le cartable national de documentation pour l’Iraq, en particulier le rapport de Human Rights Watch intitulé « Flawed Justice : Accountability for ISIS Crimes in Iraq », publié en décembre 2017, qui affirme que la participation des victimes aux poursuites en matière de lutte contre le terrorisme n’est pas encouragée. Ce document ne soutient pas les arguments actuels de M. Agh relativement à l’appréciation par la SAR du rapport de police comme étant non fiable. M. Agh n’a pas dit à la police que la tentative d’extorsion avait été perpétrée par des intégristes islamiques. Le rapport de Human Rights Watch, qui note que les observations des victimes ne sont pas prises en compte dans les poursuites, n’explique pas pourquoi M. Agh n’a pas fourni ces informations.

[71] En avançant que les documents qu’il a soumis devraient être acceptés pour ce qu’ils contiennent, et non pour ce qu’ils ne contiennent pas, M. Agh oublie qu’il lui incombe d’appuyer ses affirmations avec des preuves crédibles et suffisantes. Les rapports de police concernant la tentative d’extorsion et l’enlèvement allégués n’en disent tout simplement pas assez. Le rapport de police sur l’enlèvement allégué ne fait aucun lien avec la tentative d’extorsion alléguée qu’auraient fait des intégristes islamiques, qui est le fondement de la demande d’asile. Étant donné que M. Agh affirme craindre d’être persécuté au point de vouloir, comme il l’a déclaré, déplacer sa famille hors d’Erbil et fuir l’Iraq, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait signalé à la police les circonstances de la tentative d’extorsion qui a conduit aux menaces et à son enlèvement allégués.

[72] En ce qui concerne le rapport médical (le rapport du médecin légiste), la SAR a examiné les allégations concernant les erreurs d’interprétation et a conclu qu’il n’y en avait pas. On a demandé de façon clair à M. Agh s’il avait d’autres dossiers en sa possession, et il a répondu que non.

[73] Bien que M. Agh fasse de nouveau valoir qu’un document doit être évalué pour ce qu’il contient, l’unique rapport médical ne décrit que vaguement les blessures de M. Agh et n’apporte aucun élément au sujet des responsables de l’agression, ni des raisons pour lesquelles elle se serait produite. En outre, la conclusion de la SAR à propos du rapport médical indique non seulement qu’il n’est pas fiable, mais aussi que M. Agh a là encore déposé des preuves incohérentes. En effet, dans les observations qu’il a fournies à la SAR, celui‑ci a déclaré avoir accès à d’autres dossiers concernant son traitement; dans son témoignage devant la SPR, toutefois, il a déclaré ne disposer d’aucun autre dossier. S’il avait accès à d’autres dossiers, il aurait dû les fournir.

[74] En conclusion, la SAR a de façon raisonnable déterminé, suite à ses propres constats quant à la crédibilité fondés sur les incohérences existantes dans la preuve relativement à des aspects pertinents de la demande d’asile, et en raison de l’insuffisance de la preuve, que la SPR avait conclu à juste titre que M. Agh n’avait pas établi le bien‑fondé de sa demande d’asile au titre des articles 96 ou 97.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3952‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3952‑20

 

INTITULÉ :

HAMZA OMAR BAPI AGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 décembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

La juge Kane

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Nilofar Ahmadi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NK Lawyers

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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