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Date : 20220114


Dossier : IMM-595-20

Référence : 2022 CF 38

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 14 janvier 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

DAUDA OLUWASANJO ADEKANBI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Dauda Oluwasanjo Adekanbi [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle sa demande d’asile fondée sur la persécution dont il ferait l’objet au Nigéria en raison de son orientation sexuelle n’est pas crédible. Le demandeur soutient que la décision de la SAR était déraisonnable compte tenu du traitement que cette dernière a réservé au dossier de preuve dont elle disposait. Le défendeur fait valoir que la décision de la SAR ne renfermait aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour. Pour les motifs suivants, je conclus que la décision est raisonnable et je rejette la demande.

II. Contexte

A. Contexte factuel

[2] Le demandeur est citoyen du Nigéria. Il soutient avoir entamé une relation avec un camarade de classe à l’université en décembre 2011 alors qu’il était âgé de 15 ans. Leur relation s’est poursuivie en secret jusqu’à l’été 2013.

[3] Le demandeur soutient qu’il a commencé à se faire insulter et à recevoir des menaces sur le campus en juillet 2013. Il affirme que les insultes, menaces et injures sont devenues si insupportables qu’il a préféré se cacher de peur que sortir ne provoque davantage d’abus. Il a donc décidé de quitter le campus et de rentrer chez lui. C’est à ce moment qu’il a tout expliqué à son père.

[4] Le demandeur soutient que, lorsque sa communauté a appris qu’il entretenait une relation homosexuelle, des membres de la famille de son père on fait savoir qu’ils prévoyaient le forcer à subir un rituel de purification afin de « guérir » son homosexualité, au risque de le blesser ou de le tuer.

[5] Le demandeur soutient que, même si son père était troublé par la nouvelle de sa relation homosexuelle, il craignait pour sa sécurité et a planifié leur départ immédiat pour les États‑Unis. À leur arrivée au pays, le père du demandeur a confié ce dernier à un agent qui l’a amené au Canada où sa belle‑mère, qui vivait déjà à Toronto avec ses frères et sœurs, l’a pris en charge. La belle‑mère du demandeur et ses enfants mineurs avaient obtenu le statut de réfugié au Canada pour d’autres motifs. Au moment de l’audience devant la SPR, le père du demandeur était également arrivé au Canada et avait déposé une demande d’asile. Cependant, il n’a pas témoigné à l’audience de son fils devant la SPR.

B. Instances antérieures

[6] Le demandeur a eu une première audience devant la SPR en juin 2014 et sa demande a été rejetée en juillet 2014. Par la suite, il a interjeté appel auprès de la SAR. Le commissaire de la SAR qui a entendu le premier appel du demandeur a renvoyé l’affaire à la SPR au motif que celle‑ci aurait dû tenir compte de son statut de mineur.

C. Décision de la SPR

[7] Le demandeur avait 21 ans lorsque la SPR a entendu l’affaire pour la deuxième fois. La SPR a conclu qu’il n’était pas un témoin crédible et que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer ses allégations relatives à son orientation sexuelle ou ses problèmes au Nigéria. Les conclusions défavorables tirées par la SPR en matière de crédibilité étaient notamment fondées sur les préoccupations suivantes :

  • Bien qu’il ait entretenu une relation homosexuelle avec T.A. pendant environ 20 mois, le demandeur a donné une description vague et générale de ce dernier, ce qui est incompatible avec l’allégation selon laquelle les deux hommes avaient noué une relation interpersonnelle étroite.

  • Dans son témoignage, le demandeur a donné des détails quant aux problèmes auxquels il a été confronté en juillet 2013, y compris les 20 menaces de mort qu’il a reçues, la perte d’amis proches, les menaces qui lui ont été proférées et le fait qu’on lui ait lancé des objets. La SPR a tiré une inférence négative en matière de crédibilité au motif que d’importants détails étaient absents de l’exposé circonstancié joint au formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] du demandeur. Même si le demandeur était traumatisé en 2013, il n’avait toujours pas apporté de changements à son formulaire FDA cinq ans plus tard malgré le fait qu’un avocat compétent lui avait conseillé de le faire.

  • Le fait que le demandeur ait omis de mentionner les problèmes de son partenaire dans son exposé circonstancié minait les allégations qui étaient au cœur de la demande.

  • L’affidavit non daté du père du demandeur n’est pas cohérent avec le formulaire FDA du demandeur en ce qui concerne le moment où il a appris que son fils était homosexuel et la manière dont cela s’est produit. Le père, qui était au Canada, n’a pas été appelé comme témoin pour expliquer davantage ce qui s’était passé et à quel moment.

  • Dans son affidavit, le voisin a affirmé que le demandeur avait été [traduction] « surpris en train d’avoir une relation sexuelle » en mai 2013, alors que le demandeur a affirmé que cela s’était produit sur le campus en juillet 2013.

  • Il n’y avait aucun document corroborant l’affiliation en cours avec l’organisme 519 Community Centre, un groupe LGBTQ basé à Toronto, hormis un document qui montrait que le demandeur s’y était rendu autour de janvier 2014. En outre, rien ne montrait que le demandeur avait déployé des efforts afin d’obtenir de tels documents.

  • Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas eu de relation homosexuelle au Canada même s’il se trouve au pays depuis quatre ans et demi.

[8] La SPR a accordé peu ou pas de poids à a) un rapport psychologique établissant un diagnostic de trouble lié à des facteurs de stress avec une durée prolongée et b) une lettre de l’organisme North York Community House.

[9] En fin de compte, la SPR a conclu qu’il existait moins qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté ou, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque de subir un préjudice aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

D. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] La SAR a conclu que la crédibilité du demandeur était une question déterminante. Elle a réalisé une évaluation indépendante de la preuve et a rejeté certaines conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Par exemple, la SAR n’a pas tenu compte des incohérences entre l’affirmation du demandeur selon laquelle il ne savait pas comment d’autres personnes avaient découvert l’existence de sa relation, d’une part, et les deux affidavits dans lesquels il avait affirmé avoir été « pris sur le fait », d’autre part. La SAR a rejeté le raisonnement de la SPR selon lequel les affidavits étaient frauduleux compte tenu de « la facilité avec laquelle de nombreux demandeurs d’asile nigériens peuvent obtenir des documents frauduleux pour renforcer leur demande d’asile », mais elle leur a accordé peu de poids en raison de contradictions entre ces documents et le témoignage du demandeur.

[11] Même si elle ne souscrivait pas à toutes les conclusions de la SPR, la SAR a conclu que le demandeur « n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est homosexuel », et elle a rejeté sa demande.

III. Questions en litige

[12] Le demandeur a soulevé les questions suivantes devant la Cour :

  1. La SAR a porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en soulevant une nouvelle question ayant déjà été confirmée par la SPR;

  2. La SAR a commis une erreur dans ses conclusions en matière de crédibilité;

  3. La SAR a mal évalué la preuve documentaire;

  1. La SAR a commis une erreur en faisant abstraction des Directives sur les OCSIEG

IV. Norme de contrôle

[13] La norme présumée s’appliquer au contrôle d’une décision administrative sur le fond est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25. La décision de la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 296 au para 8. Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov, au para 100.

[14] Les parties semblent convenir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Quoiqu’il en soit, j’estime qu’il n’y a aucune raison de s’écarter de la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer en l’espèce.

V. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en examinant une question qui ne faisait pas partie de la conclusion de la SPR et qui n’était pas comprise dans le moyen d’appel?

[15] Après avoir souligné l’affirmation du demandeur selon laquelle il a reçu 20 menaces de mort de la part de camarades de classe à partir de juillet 2013 ainsi que la conclusion de la SPR selon laquelle cette information aurait dû se retrouver dans le formulaire FDA, la SAR a conclu ce qui suit :

Je tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations de l’appelant en raison de l’omission importante susmentionnée. De plus, j’estime que l’appelant a fourni ce renseignement pour embellir son témoignage de vive voix, et je tire une autre conclusion défavorable quant à la crédibilité pour ce motif.

[16] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas compétence pour examiner une question qui, même si elle a été pleinement débattue devant la SPR, ne figurait pas dans sa décision et qui n’était donc pas visée par son appel. Le demandeur fait valoir que c’est exactement ce que la SAR a fait en concluant qu’il avait embelli son témoignage dans le but de renforcer sa demande.

[17] En toute déférence, je ne suis pas d’accord. La SPR avait bien soulevé la question de l’omission du demandeur d’évoquer les 20 menaces de mort dans son formulaire FDA :

[traduction]

Le fait d’avoir reçu plus de 20 menaces de mort constitue un élément important qu’une personne aurait pu mentionner dans son exposé initial ou dans la révision présentée ultérieurement.

Je souligne que le demandeur a signé son exposé aujourd’hui, en date du 13 avril 2018, et qu’il a affirmé quelques instants plus tard que celui‑ci était complet, véridique et exact. Ses allégations et son témoignage sous‑entendent clairement le contraire. Ses explications à savoir pourquoi il en est ainsi ne m’ont pas convaincu.

[18] La question des 20 menaces de mort faisait clairement partie de la conclusion en matière de crédibilité sur laquelle la SPR s’est fondée pour rejeter la demande du demandeur. Dans sa décision, la SAR a confirmé cette conclusion en y ajoutant son raisonnement.

[19] Le demandeur s’est fondé sur la décision Ugbekile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1397 [Ugbekile] pour faire valoir que, si la SAR avait conclu que la question de la crédibilité était nouvelle, elle aurait dû lui accorder la possibilité de présenter des observations à cet égard. La décision Ugbekile n’est d’aucun secours au demandeur. Dans cette affaire, la SPR n’avait pas tiré de conclusion en matière de crédibilité et la demande avait été rejetée pour d’autres motifs. En l’espèce, la question de la crédibilité était au cœur de la décision de la SPR relative à la demande du demandeur, et son omission de donner des détails sur les menaces de mort constituait l’une des nombreuses questions en matière de crédibilité sur lesquelles la SPR s’était fondée.

[20] Comme le confirme la décision Oluwaseyi Adeoye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 246 au paragraphe 13, lorsque le demandeur a déjà été informé que la crédibilité était une question à trancher dans la décision originale de la SPR, le fait que la SAR invoque un autre fondement pour remettre en cause sa crédibilité au moyen du dossier de la preuve dont disposait la SPR ne donne pas lieu à un manquement à l’équité procédurale. En l’espèce, la préoccupation de la SAR n’était pas fondée sur une nouvelle question, mais plutôt sur une question dont la SPR était déjà saisie. Par conséquent, j’ai conclu que la SAR n’avait aucune obligation d’accorder au demandeur l’occasion de présenter des observations supplémentaires à ce sujet.

B. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant les affidavits?

[21] Le demandeur soutient que la SAR a rejeté à tort l’affidavit du voisin en se fondant sur des « contradictions mineures ». La divergence en question renvoie au fait que le voisin a affirmé avoir appris que le demandeur était homosexuel et avait été surpris à l’école en mai 2013, alors que le demandeur a affirmé que cela s’était produit en juillet 2013. La SAR a conclu que l’incohérence était importante puisque le voisin a juré avoir pris connaissance de l’incident plusieurs mois avant qu’il se soit produit selon le témoignage du demandeur. Je conclus que l’analyse de la SAR est raisonnable. Plus précisément, la preuve par affidavit n’établissait pas les faits tels que le demandeur les a présentés.

[22] La même conclusion s’applique à l’examen de la SAR relatif à l’affidavit non signé du père du demandeur. Dans ce cas, les incohérences avaient trait au moment où le père du demandeur a découvert la relation homosexuelle de son fils et à la manière dont cela s’est produit. Le père a affirmé que les autorités de l’école l’avaient informé que son fils avait eu des « comportements inappropriés » avec un autre homme sur la propriété de l’école. Le demandeur a affirmé qu’il avait tout expliqué à son père lorsqu’il avait quitté l’école et était retourné à la maison. La SAR a également souligné que le demandeur avait soutenu avoir appris que l’école avait appelé son père lorsqu’il était aux États‑Unis, et qu’il n’avait pas mentionné cet événement dans son formulaire FDA. La SAR a conclu que cette divergence était importante puisqu’elle découlait de l’incident qui a poussé le demandeur à quitter le Nigéria. Je ne vois aucune erreur dans cette conclusion.

[23] J’ajouterais également que la conclusion défavorable de la SAR en matière de crédibilité ne se limite pas aux incohérences que j’ai déjà mentionnées, mais qu’elle est aussi fondée sur les nombreuses omissions dans l’exposé circonstancié joint au formulaire FDA du demandeur, lesquelles ont été portées à l’attention de celui‑ci à l’audience devant la SPR. Par la suite, la SAR a mené sa propre évaluation indépendante et a rejeté certaines conclusions de la SPR.

[24] « Il est bien établi que tous les faits et détails importants relatifs à une demande d’asile doivent figurer dans le FDA initial et que le fait qu’ils ne s’y trouvent pas, en tout ou en partie, peut affecter la crédibilité du demandeur d’asile » : Occilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 374, au para 20, citant Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547, au para 18, Zeferino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 456, au para 31.

[25] En l’espèce, le formulaire FDA du demandeur passait sous silence des faits et détails importants qui étaient au cœur de sa demande. Par conséquent, la conclusion de la SAR relative à la crédibilité du demandeur était raisonnable.

C. La SAR a‑t‑elle mal évalué la preuve documentaire?

[26] Le demandeur a présenté un rapport d’évaluation psychologique daté du 18 janvier 2014, qui confirmait qu’il [traduction] « répond[ait] aux critères diagnostiques du trouble lié à des facteurs de stress avec une durée prolongée » et « a[vait] besoin de traitements en santé mentale ». Le psychologue estimait que l’état du demandeur « [pouvait] s’améliorer par des soins adéquats et l’assurance de ne pas être renvoyé du Canada », mais qu’il « se détériorera si on lui refuse la permission de rester au pays ».

[27] Le demandeur soutient que la SAR aurait dû tenir compte de la preuve psychologique émanant d’un psychologue indépendant et impartial, laquelle leur aurait donné un aperçu de l’état de sa santé mentale. Selon le demandeur, la SAR a commis une erreur en faisant abstraction du rapport.

[28] Contrairement à l’allégation du demandeur, la SAR n’a pas omis d’examiner le rapport du psychologue et, dans les faits, elle a corrigé l’erreur de la SPR de ne pas l’avoir pris en compte. Cependant, dans sa décision, la SAR a également précisé que, au cours de l’audience en 2018, le demandeur a affirmé qu’il s’était senti mieux après avoir fréquenté l’organisme 519 Community Center en 2014. La SAR a donc conclu que la preuve du demandeur montrait que son bien‑être psychologique s’était amélioré depuis 2014. L’analyse de la SAR à cet égard était raisonnablement étayée par la preuve.

[29] Je reconnais que le demandeur a sollicité de l’aide psychologique et qu’il a probablement souffert d’une forme de traumatisme comme le souligne le rapport. Cependant, le demandeur n’indique pas clairement l’erreur qu’aurait commise la SAR en ce qui concerne l’évaluation psychologique. Il semble laisser entendre qu’il n’obtiendrait pas des soins de santé adéquats au Nigéria s’il était renvoyé dans ce pays. En tout respect, il ne s’agissait pas de la question déterminante devant la SAR. Les décisions Olalere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385 et Omekam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 331 citées par le demandeur portent sur la conclusion de la SAR quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) et sur l’omission de la Commission de prendre en compte l’état psychologique du demandeur en cas de renvoi vers l’endroit proposé comme PRI. Ces décisions ne s’appliquent pas en l’espèce.

D. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en faisant abstraction des Directives sur les OCSIEG?

[30] Le demandeur a cité la décision McKenzie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 555 [McKenzie] pour faire valoir que la SAR n’a pas tenu compte des Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation et les caractères sexuels ainsi que l’identité et l’expression de genre [les Directives sur les OCSIEG].

[31] Après avoir cité abondamment les paragraphes 35 à 48 de la décision McKenzie, le demandeur a soutenu que la SAR doit tirer ses conclusions en tenant compte du contexte social dans le cadre duquel les demandes d’asile sont déposées, et qu’il peut être nécessaire de prendre des mesures d’adaptation sur le plan procédural afin d’aider une personne à présenter ses arguments. Le demandeur, qui était représenté par un avocat à l’audience devant la SPR ainsi que devant la SAR, ne précise pas la nature des mesures d’adaptation procédurales qu’il aurait demandées et dont la SAR aurait fait abstraction.

[32] Le demandeur cite également le passage suivant tiré de la décision McKenzie :

[34] Il a été statué qu’une distinction doit être faite entre une modification apportée à un FRP pour ajouter une déclaration différente de celle qui a été formulée dans le document initial et une déclaration qui apporte tout simplement des précisions à l’information qui figure déjà dans le dossier : Diaz Puentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1335 au paragraphe 17. Suivant la logique de la décision Strugar, le récit figurant dans le dossier, comme l’a écrit la SAR, était « son affirmation selon laquelle il est homosexuel ». Les modifications n’ont pas changé le récit. Elles apportaient tout simplement plus de renseignements. Le fait que la SAR transforme les modifications visant la prestation de renseignements supplémentaires en omission est, selon les faits de l’espèce et à la lumière de la décision Strugar, déraisonnable.

[33] Je ne vois pas comment ce passage s’applique à la présente affaire. Les conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées par la SPR puis par la SAR n’étaient pas fondées sur une modification que le demandeur aurait tenté d’apporter à son formulaire FDA. Au contraire, à la deuxième audience du demandeur devant la SPR, on lui a demandé s’il souhaitait modifier son formulaire FDA et il a répondu par la négative. Même si je devais accepter qu’on ne devrait pas s’attendre à ce que le demandeur mentionne tous les détails de sa demande dans son formulaire FDA, y compris au sujet de son partenaire, celui‑ci demeure incapable d’expliquer en quoi le fait d’appliquer les Directives sur les OCSIEG permettrait de résoudre les incohérences entre son propre témoignage et les affidavits qu’il a présentés à l’appui de sa demande.

[34] À la lumière de l’analyse effectuée dans la décision McKenzie, le demandeur soutient également que, « pour une personne, la prise de conscience et l’acceptation de son OCSIEG constituent une preuve suffisante ». En toute déférence, l’analyse réalisée par la juge Elliott dans la décision McKenzie était beaucoup plus nuancée et se rapportait aux faits de l’affaire. Dans cette affaire, le demandeur était un pasteur – père de trois enfants – qui acceptait mal son orientation sexuelle. C’est dans ce contexte que la juge Elliott a fait référence à la section 3.1 des Directives sur les OCSIEG et a affirmé ce qui suit :

[41] Selon la section 3.1, l’acceptation de son identité peut être graduelle ou non linéaire. Dans son affidavit, M. McKenzie a affirmé qu’il éprouvait des difficultés à s’accepter. La section 3.1 prévoit aussi qu’il n’y a pas d’ensemble de critères normalisés à utiliser pour établir l’identité d’une personne. Dans le cas de M. McKenzie, celui-ci s’identifie comme un homme homosexuel. Faute d’une analyse approfondie par la SAR, il est impossible de comprendre pourquoi le fait qu’il ait eu une relation homosexuelle en 1994 et une relation homosexuelle avant 2014 signifie que M. McKenzie ne correspond pas au profil.

[35] En l’espèce, la SAR n’a pas rejeté la demande du demandeur parce qu’il « ne correspond[ait] pas au profil » d’un homosexuel. En outre, le demandeur n’a donné aucun exemple où la SAR se serait fondée sur des stéréotypes. En dépit des Directives sur les OCSIEG, il incombe au demandeur de prouver ses allégations, ce qu’il n’est tout simplement pas parvenu à faire en l’espèce.

E. Autres questions en litige

[36] Finalement, même si le demandeur a contesté l’adoption par la SAR de la conclusion de la SPR selon laquelle la description qu’il a fournie de son partenaire était « vague » et imprécise, je conclus, en appliquant la norme de la décision raisonnable, que la SAR n’a commis aucune erreur en s’attendant à ce que le demandeur fournisse « une description plus détaillée et spontanée » d’un partenaire avec qui il a été pendant 20 mois, au‑delà d’une description de sa taille, de sa maigreur et de son caractère doux, attentionné et intelligent.

[37] J’admets qu’il n’a pas dû être facile pour le demandeur de venir au Canada seul en tant que mineur et de naviguer dans un système juridique qui lui est étranger, particulièrement compte tenu de son traumatisme. Je reconnais que sa santé mentale s’est améliorée depuis qu’il est arrivé au Canada. Il a également poursuivi ses études afin de se bâtir un avenir meilleur. Cependant, en fin de compte, il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable et, malheureusement, il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

VI. Certification

[38] La Cour a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions à certifier. Ils ont tous deux répondu qu’il n’y en avait aucune et je suis du même avis.

VII. Conclusion

[39] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-595-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-595-20

 

INTITULÉ :

DAUDA OLUWASANJO ADEKANBI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 JANVIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Jerome Olorunpomi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jerome Olorunpomi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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