Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220119


Dossier : IMM-4966-20

Référence : 2022 CF 49

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

BILGE KAGAN EROGLU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Bilge Kagan Eroglu, est un ressortissant turc qui a présenté une demande d’asile parce qu’il craint d’être persécuté en raison de sa confession alévie. Il affirme courir un risque aux mains de son père, qui n’a jamais accepté son changement de religion, et faire l’objet de menaces de la part d’autres personnes en Turquie ainsi que de fonctionnaires.

[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur et la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté son appel. Il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande doit être accueillie.

I. Contexte

[3] L’exposé circonstancié du demandeur est relativement simple même si la preuve au sujet de plusieurs éléments clés ne l’est pas. Il affirme s’être converti à la religion alévie, que sa mère et sa sœur pratiquaient également à l’insu de son père, lequel était devenu un fervent musulman sunnite ainsi qu’un partisan du Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkinma Partisi - AKP), qui formait le gouvernement en Turquie.

[4] Le demandeur a soutenu avoir été attaqué physiquement en raison de sa religion. Il a affirmé que, en juin 2016, cinq de ses amis l’ont agressé après qu’il leur ait dit que la religion alévie en était une de paix véritable. Il a indiqué qu’en août 2017, deux fils des assistants de son père l’ont battu et ont menacé de dire à la police et aux services de renseignement qu’il était lié aux proséparatistes kurdes. Il a également affirmé que, en septembre 2017, la police a effectué une descente chez lui dans le but de le trouver et que, puisqu’il n’était pas là, elle a placé sa mère et sa sœur en détention afin de les interroger. Il s’est caché en attendant de pouvoir fuir le pays. Il a indiqué que la police a effectué une deuxième descente chez lui à la suite de son départ pour le Canada.

[5] La SPR a rendu sa décision oralement à la fin de l’audience. À la suite de l’audience, la SPR a admis des éléments de preuve supplémentaires à la demande de l’avocat du demandeur, puis elle a rendu sa décision écrite le 28 octobre 2019.

[6] La SPR n’a pas mis en doute la confession alévie du demandeur même si, dans ses motifs oraux, le tribunal a signalé que certaines préoccupations avaient été soulevées en raison d’incohérences entre son témoignage et la preuve objective au sujet de sa foi. En fin de compte, la SPR a accepté qu’il était alévi. Pour la SPR, la question déterminante était le manque de crédibilité de la preuve du demandeur relative aux menaces qu’il avait reçues.

[7] La SPR a conclu qu’il y avait plusieurs contradictions importantes dans la preuve du demandeur, en particulier entre son témoignage et l’exposé circonstancié figurant dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). Le demandeur a affirmé qu’il était nerveux lorsqu’il a témoigné et que c’est la raison pour laquelle ses réponses étaient embrouillées. La SPR a reconnu qu’il est stressant de témoigner dans une salle d’audience, mais a conclu que cela ne justifiait pas les divergences importantes entre son témoignage et son formulaire FDA, ni ses réponses contredisant son formulaire.

[8] La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi que son père avait suffisamment d’influence auprès de la police pour amener celle-ci à le persécuter, et qu’il était invraisemblable que son père ait orchestré les descentes dans la maison familiale qui ont mis sa femme et sa fille en danger. Dans l’ensemble, la SPR a conclu que la preuve du demandeur selon laquelle il risquait d’être persécuté en raison de sa religion manquait de crédibilité. Le tribunal a également examiné les risques résiduels auxquels il s’expose en tant qu’alévi et a conclu que la preuve objective ne montrait pas qu’il risquait sérieusement d’être persécuté pour cette raison. Compte tenu de ces conclusions, la SPR a rejeté sa demande.

[9] En appel, le demandeur a cherché à présenter de nouveaux éléments de preuve, qui ont pour la plupart été acceptés par la SAR. Le tribunal a conclu que l’affidavit du demandeur et la copie de la carte d’identité de son père étaient admissibles en tant que nouveaux éléments de preuve pertinents; ceux-ci ont donc été admis. La SAR a refusé d’admettre un article de journal présenté par le demandeur au motif qu’il n’était pas clair s’il avait été publié après l’audience devant la SPR.

[10] La SAR a conclu que la question déterminante était la crédibilité et a examiné en détail les arguments du demandeur au sujet des erreurs commises par la SPR. En somme, la SAR a convenu avec la SPR que plusieurs incohérences entre le témoignage du demandeur et les détails énoncés dans son formulaire FDA minaient sa crédibilité. La SAR a examiné chacune des conclusions de la SPR en matière de crédibilité et passé en revue les arguments du demandeur à leur encontre :

  • a) Dans son témoignage, le demandeur a affirmé avoir été battu par son père, mais il n’a pas mentionné cet événement dans son formulaire FDA. Le demandeur a expliqué que, lorsqu’il a indiqué avoir fait l’objet de menaces de la part de son père dans son formulaire FDA, cela comprenait les agressions physiques. La SAR a conclu que cette affirmation n’était pas raisonnable, en particulier parce que le demandeur différenciait les menaces et les agressions ailleurs dans son formulaire FDA;

  • b) La SAR a admis que des difficultés de traduction pourraient expliquer pourquoi le demandeur a affirmé qu’une agression avait eu lieu en juillet 2017 plutôt qu’en juin 2016. La SAR a accepté qu’il s’agissait peut-être d’une erreur anodine et n’a tiré aucune conclusion négative en raison de cette divergence;

  • c) La SAR a conclu que trois incohérences dans la preuve du demandeur étaient relativement mineures en tant que telles, mais que, prises dans leur ensemble, elles montraient qu’il avait de la difficulté à « s’en tenir à une seule version des faits », ce qui minait sa crédibilité. La SAR a reconnu qu’il était possible que la nervosité du demandeur ait eu des répercussions sur son témoignage, mais que cela ne saurait justifier toutes les divergences suivantes :

  1. Le demandeur a affirmé que les hommes qui l’ont battu étaient sunnites, mais qu’ils ne faisaient partie d’aucun groupe. Or, l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA indique qu’ils étaient membres d’un groupe appelé Halveti;

  2. Le témoignage du demandeur selon lequel il s’est fait battre en août 2017 parce qu’il avait révélé à ses agresseurs son choix d’être alévi était incompatible avec l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA, où il soutenait avoir été battu au motif qu’il avait demandé à ses agresseurs d’arrêter d’assister aux sermons de son père;

  3. Le témoignage du demandeur au sujet des menaces proférées contre lui voulant qu’il continuerait à se faire battre s’il adhérait toujours à la foi alévie ne concordait pas avec la déclaration contenue dans son formulaire FDA à savoir que ses agresseurs ont menacé de le dénoncer à la police et aux services de renseignement;

  • d) Dans son témoignage, le demandeur a affirmé que sa mère et sa sœur avaient été détenues pendant trois à cinq jours, alors qu’il a indiqué qu’elles l’avaient été pendant 15 heures dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA. La SAR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il avait estimé que la détention avait duré entre trois et cinq jours, car c’était la période normale de détention en Turquie. La SAR a conclu que, même s’il s’agissait d’une estimation, le fait qu’il ait fourni deux estimations très différentes quant à la durée de détention minait sa crédibilité;

  • e) Le demandeur avait soutenu que son père était une figure importante du parti AKP au pouvoir. Cependant, hormis les lettres de sa mère et de sa sœur, il a présenté peu d’éléments de preuve à l’appui de cette allégation. La SAR a conclu que, même si la copie de la carte d’identité du père présentée par le demandeur renforçait son allégation selon laquelle celui-ci travaillait avec les autorités, le fait qu’il n’ait présenté aucune autre preuve à l’appui de son allégation voulant que son père était si influent qu’il pourrait inciter les autorités turques à agir contre lui minait également sa crédibilité.

[11] En ce qui concerne les lettres de la mère et de la sœur du demandeur, la SAR n’était pas d’accord avec le fait que la SPR ait rejeté cette preuve corroborante en se fondant sur la conclusion selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité. La SAR a plutôt affirmé que cette preuve devait être évaluée en fonction de son bien-fondé, indépendamment de la crédibilité du demandeur, et que, par la suite, le tribunal effectuerait une évaluation globale de la crédibilité fondée sur son témoignage et les documents à l’appui.

[12] La SAR a souligné que les lettres d’appui de la mère et de la sœur du demandeur n’étaient pas attestées sous serment et qu’elles avaient donc moins de valeur probante que des documents assermentés. Elle a indiqué qu’elle « tiendrai[t] compte des documents à l’appui pour apprécier la crédibilité générale [du demandeur] » (décision de la SAR, au para 27).

[13] La SAR a ensuite énoncé sa conclusion :

[28] Lorsque j’apprécie les problèmes de crédibilité de l’appelant décrits plus haut par rapport aux documents à l’appui qu’il a présentés, je conclus que, dans l’ensemble, l’appelant manque de crédibilité. Selon moi, il n’est pas un converti alévi, et ni son père ni les autorités turques ne sont à sa poursuite pour cette raison. L’appelant n’est pas non plus perçu comme un converti alévi, un gauchiste ou un séparatiste par le gouvernement, par son père ou par des membres de la société.

[14] Puisque la SAR a conclu que le demandeur ne s’était pas converti à la religion alévie, le tribunal n’a pas examiné la question du risque résiduel qu’il courrait en Turquie. Par conséquent, la SAR a rejeté l’appel.

[15] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[16] La question déterminante en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAR satisfait à la norme de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[17] En résumé, selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, le rôle de la cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 2 [Postes Canada]). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans Postes Canada, au para 33).

[18] Lorsqu’elle examine les motifs et le processus de raisonnement, la cour de révision doit être en mesure de suivre la logique de l’analyse de sorte à « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11, cité avec approbation dans Vavilov, au para 97). L’arrêt Vavilov a fourni une clarification importante relativement à cette approche (au para 86) :

[I]l ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. Si certains résultats peuvent se détacher du contexte juridique et factuel au point de ne jamais s’appuyer sur un raisonnement intelligible et rationnel, un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être non plus tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné.

[En italique dans l’original.]

III. Analyse

[19] Je conclus que le demandeur s’est acquitté de son fardeau d’établir que la décision de la SAR n’est pas raisonnable. La décision de la SAR contient deux lacunes graves qui sont suffisamment centrales quant à l’issue de l’affaire pour rendre la décision déraisonnable.

[20] Comme je l’ai déjà mentionné, la SAR a conclu que la preuve du demandeur renfermait plusieurs contradictions, ce qui minait sa crédibilité. Bien que le demandeur ait contesté ces conclusions, je ne suis pas convaincu qu’elles étaient déraisonnables. La SAR a examiné les arguments présentés en appel par le demandeur à la lumière de son examen du dossier et a expliqué pourquoi elle est arrivée à la conclusion selon laquelle ces éléments minaient la crédibilité du demandeur. C’est là ce que commande le contrôle selon la norme de la décision raisonnable, et je conclus que ces aspects de l’analyse de la SAR satisfont à la norme établie dans l’arrêt Vavilov.

[21] Cependant, la SAR a indiqué qu’elle examinerait la preuve corroborante déposée par le demandeur plutôt que de la rejeter en raison d’un manque de crédibilité comme l’avait fait la SPR. Il s’agissait d’une approche raisonnable à la lumière de la jurisprudence.

[22] La décision pose problème, car lorsque la SAR a affirmé qu’elle ferait une analyse distincte de la preuve, elle n’a pas expliqué son raisonnement concernant le poids qu’elle a accordé à la preuve (le cas échéant), ainsi que la manière dont l’analyse a contribué au résultat global auquel elle est parvenue en l’espèce. La décision est déraisonnable puisqu’elle ne fournit aucune explication au demandeur à savoir pourquoi la preuve ne permettait pas de surmonter ou de contrebalancer les problèmes en matière de crédibilité.

[23] La preuve en question figurait dans les lettres de la mère et de la sœur du demandeur ainsi que dans un courriel rédigé par un de ses amis en Turquie. Les lettres correspondent à de nombreux éléments de l’exposé circonstancié du demandeur, qui indiquent ce qui suit :

  • a) Son père était un musulman modéré qui s’est acoquiné avec des fondamentalistes religieux qu’il accueillait chez lui dans le cadre de rencontres.

  • b) Son père entretenait des liens étroits avec le parti AKP au pouvoir, la police et des membres de l’armée;

  • c) Le demandeur a été menacé et attaqué parce qu’il a fait l’éloge de la religion alévie;

  • d) Les forces policières qui recherchaient le demandeur ont interrogé sa mère et sa sœur, et les ont placées en détention avant et après son départ de la Turquie;

  • e) Les autorités ont menacé la mère et la sœur du demandeur parce qu’elles ont refusé d’indiquer où il se trouvait.

[24] Le courriel de l’ami du demandeur était également conforme à l’exposé circonstancié de ce dernier concernant la façon dont il s’est caché et est parvenu à quitter la Turquie.

[25] Au paragraphe 27 de sa décision, la SAR a affirmé ce qui suit concernant ces documents :

[J]e crois qu’il est préférable d’examiner les documents indépendamment de la crédibilité de l’appelant, puis de procéder à une appréciation de la crédibilité générale en fonction de son témoignage et des documents à l’appui. Ci-dessous, je tiendrai compte des documents à l’appui pour apprécier la crédibilité générale [du demandeur].

[26] Cet énoncé est suivi de la déclaration suivante, qui figure sous la rubrique « Appréciation de la crédibilité générale [du demandeur] » : « Lorsque j’apprécie les problèmes de crédibilité [du demandeur] décrits plus haut par rapport aux documents à l’appui qu’il a présentés, je conclus que, dans l’ensemble, [le demandeur] manque de crédibilité » (décision de la SAR, au para 28). Cette déclaration et le commentaire de la SAR selon lequel ces documents étaient moins probants parce qu’ils n’avaient pas été assermentés forment l’ensemble de l’explication fournie par la SAR quant à la façon dont le tribunal a évalué ces documents et dont ceux-ci ont contribué à l’évaluation globale de la crédibilité du demandeur. Cette explication ne satisfait pas à la norme de justification énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[27] La SAR avait peut-être de bonnes raisons de conclure que la preuve n’était pas suffisante pour surmonter les nombreux problèmes de crédibilité qu’elle avait relevés dans la preuve du demandeur. Cependant, elle était tenue de justifier ses motifs, si ce n’est qu’en expliquant brièvement son raisonnement. Son omission de le faire laisse au demandeur – et à la Cour – le soin de deviner la nature de son raisonnement, ce qui n’est pas raisonnable.

[28] S’il s’était s’agit de la seule erreur commise par la SAR, cela n’aurait peut-être pas été suffisant pour justifier l’annulation de la décision. Cependant, lorsque l’on combine cette erreur aux autres lacunes importantes figurant dans l’analyse de la SAR, ce seuil est atteint.

[29] Le deuxième problème majeur dans la décision de la SAR se trouve dans l’énoncé suivant : « Selon moi, [le demandeur] n’est pas un converti alévi, et ni son père ni les autorités turques ne sont à sa poursuite pour cette raison » (décision de la SAR, au para 28). En l’espèce, la difficulté réside dans le fait qu’il n’y a absolument aucune discussion ou explication quant à la manière dont la SAR est arrivée à cette conclusion.

[30] La SPR avait exprimé des doutes quant au témoignage du demandeur concernant sa religion alévie, mais elle avait finalement admis qu’il s’y était converti. La décision de la SAR n’aborde aucune preuve à ce sujet et n’explique pas non plus comment les problèmes de crédibilité du demandeur étayaient la conclusion selon laquelle il ne s’était pas converti à la religion alévie.

[31] Une demande d’asile fondée sur la persécution religieuse peut être rejetée dans le cas où le demandeur ne convainc pas le décideur qu’il est membre d’un groupe confessionnel (ou qu’il s’est converti afin de le devenir). En outre, la demande pourrait être rejetée si le demandeur ne parvient pas à démontrer qu’il risque d’être persécuté parce qu’il est membre d’un groupe confessionnel même s’il fait la preuve qu’il est membre d’un tel groupe. Il s’agit de questions différentes. En outre, la preuve et l’analyse relatives à l’une des questions pourraient ne pas s’avérer pertinentes ou convaincantes en ce qui concerne l’autre question.

[32] En l’espèce, la décision de la SAR porte entièrement sur les risques auxquels le demandeur a affirmé faire face et n’explique pas le fondement de sa conclusion selon laquelle il n’était pas alévi. La SAR n’a tout simplement pas expliqué la nature des éléments de preuve à l’appui de cette conclusion ou la façon dont son analyse de la crédibilité l’a amenée à conclure ainsi. Ces omissions sont également déraisonnables à la lumière du cadre établi dans l’arrêt Vavilov.

[33] Ces deux erreurs se rapportent à des éléments centraux de la décision de la SAR. Le tribunal a conclu que la question déterminante était la crédibilité du demandeur, mais n’a pas expliqué de quelle manière il a analysé la preuve présentée par le demandeur à l’appui de son exposé circonstancié. La SAR a aussi conclu que le demandeur ne risquait pas d’être persécuté étant donné qu’il n’était pas de confession alévie, mais n’a pas expliqué son raisonnement ou la raison pour laquelle le tribunal n’était pas d’accord avec la SPR sur ce point.

[34] La décision de la SAR pourrait s’avérer justifiée à la lumière d’un examen minutieux et approfondi de l’ensemble du dossier factuel et de la jurisprudence applicable, et je tiens à souligner que la SAR a effectué ce genre d’analyse à bien des égards. Cependant, sa décision n’est pas justifiée au regard de son traitement de la preuve corroborante et de la conclusion selon laquelle le demandeur n’est pas un converti alévi, car elle n’explique pas au demandeur (la personne directement touchée par le résultat de la décision) de quelle manière le tribunal est parvenu à la conclusion relative à ces questions essentielles. Pour ce motif, la décision est déraisonnable à la lumière de l’arrêt Vavilov.

[35] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Par conséquent, la décision de la SAR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

[36] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4966-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4966-20

INTITULÉ :

BILGE KAGAN EROGLU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR Vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 septembre 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 JANVIER 2022

COMPARUTIONS :

Lani Gozlan

 

POUR LE DEMANDEUR

Bradley Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lani Gozlan

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.