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Date : 20020711

Dossier : T-37-01

Référence neutre : 2002 CFPI 782

Ottawa (Ontario), ce 11e jour de juillet 2002

En présence de M. le juge MICHEL BEAUDRY                             

ENTRE :

                                                                 Dr CRIS BASUDDE

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise à annuler une décision rendue le 3 janvier 2001 par la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission » ), soit le rejet de la plainte présentée par le demandeur.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                 Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable à cette décision?


[3]                 En rendant sa décision, la Commission a-t-elle violé les principes de l'équité procédurale?

[4]                 L'enquête sur laquelle la Commission a fondé sa décision manquait-elle de rigueur?

[5]                 La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

CONTEXTE

[6]                 Le demandeur est un travailleur scientifique qui fait partie d'une minorité visible et qui travaille au Bureau des médicaments vétérinaires ( « BMV » ). Le Bureau constitue un secteur de la Direction des aliments de Santé Canada ( « SC » ). Le demandeur occupe ce poste depuis 1990.

[7]                 Dans sa plainte, le demandeur rapporte deux incidents qui, selon lui, constituent des infractions aux obligations de SC de lui fournir un lieu de travail exempt de harcèlement. En février 1998, le nouveau directeur du BMV s'est adressé au personnel de ce bureau. Le directeur, le Dr André Lachance, aurait dit : [traduction] : « J'aime les minorités visibles » .


[8]                 Le demandeur considère cette remarque comme offensante et inappropriée. La Commission a mené une enquête relativement à cet incident. Elle a conclu qu'une majorité des membres du personnel ayant entendu la remarque s'était senti un peu mal à l'aise et a jugé que la remarque relative aux minorités visibles était inappropriée. La plupart des témoins ont indiqué que le Dr Lachance avait fait allusion au personnel du ministère pour lequel il avait auparavant travaillé. Il semble que ce ministère était ouvert à la diversité culturelle, ce qu'avait apprécié le directeur pendant qu'il s'était trouvé à cet endroit.

[9]                 Bien qu'aux yeux du personnel du BMV, aucun mal n'ait été fait, le supérieur du Dr Lachance, le Dr George Paterson, s'est engagé à offrir une formation psychosociale aux gestionnaires du BMV. Cette formation a été offerte ultérieurement.

[10]            Le deuxième incident jugé offensant par le demandeur s'est produit en juillet 1998. Le demandeur s'est plaint de remarques que lui avait faites son superviseur, le Dr Man Sen Yong. Ce dernier aurait utilisé les mots « les gens comme vous » lorsqu'il s'est adressé au demandeur. Au cours d'une rencontre entre le demandeur, le Dr Lachance, un représentant du syndicat du demandeur et un représentant du Service des ressources humaines de SC permettant de discuter des plaintes déposées contre le Dr Yong, le Dr Lachance aurait affirmé : [traduction] « Il existe une mentalité des personnes d'une minorité visible qui imprègne ces choses » .

[11]            Le demandeur s'est objecté à ces commentaires, mais SC n'y a pas répondu. La Commission a décidé qu'aucun acte discriminatoire ne s'était produit étant donné que le Dr Lachance avait immédiatement mis fin à ses commentaires relatifs aux minorités visibles lorsqu'il avait compris que la race et la couleur n'avaient rien à voir avec les différences d'opinion entre le demandeur et le Dr Yong.


[12]            Le demandeur a présenté sa plainte à la Commission. La Commission a mené sa propre enquête. De plus, SC a utilisé les services d'un enquêteur externe afin de mener sa propre enquête parallèle.

[13]            La Commission a mené une enquête relativement aux plaintes du demandeur en ce qui concerne les deux incidents ainsi que ses hypothèses de discrimination systématique à SC. En

février 1999, Mme Nicole Kennedy, de la Commission, avait tout d'abord été désignée pour procéder à une enquête sur la plainte. Environ trois mois plus tard, on a transmis ce dossier à une autre enquêteuse, Mme Cindy Read Hartman.

[14]            Au cours de la période pendant laquelle la Commission a entrepris son enquête, SC avait retenu les services de M. Rod Grainger pour son enquête. En septembre 1999, il a présenté son rapport final à SC, dans lequel il indiquait que, selon lui, les éléments de preuve n'appuyaient pas la plainte.

[15]            En juin 2000, Mme Read Hartman a recommandé à la Commission de rejeter la plainte. Toutefois, en octobre 2000, la Commission a décidé de reformuler la plainte. On a informé le demandeur de cette décision, mais on ne lui a pas demandé d'autres commentaires. En janvier 2001, la Commission a décidé de rejeter la plainte.


DÉCISION DE LA COMMISSION

[16]            La décision de la Commission de rejeter la plainte était fondée sur les conclusions de l'enquêteuse acceptées par la Commission voulant que [traduction] « les éléments n'appuient pas l'allégation du plaignant selon laquelle le défendeur n'avait pas réussi à lui fournir un milieu de travail exempt de harcèlement » (paragraphe 30 du rapport d'enquête déposé comme preuve sous la cote pièce GG à l'affidavit du Dr Cris Basudde).

[17]            Les motifs susmentionnés de la Commission indiquaient qu'elle était convaincue qu'une enquête n'était pas nécessaire.

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[18]            Le premier argument du demandeur visait la norme de contrôle que la présente Cour devrait appliquer à la décision de la Commission. La Commission devait en fait décider si les éléments de preuve présentés justifiaient la constitution d'un tribunal qui entendrait la plainte. Bien que la norme habituelle de contrôle judiciaire appliquée à une décision et voulant que l'on passe de l'étape d'enquête à l'étape de la présentation devant un tribunal constitue une décision raisonnable simpliciter, la norme de décision correcte doit être appliquée.


[19]            La position du demandeur est qu'il s'agit d'une affaire dans laquelle la Commission a enfreint des règles d'équité procédurale et que, par conséquent, le caractère exact de la décision devrait faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[20]            On allègue qu'une infraction à l'équité procédurale a été commise de plusieurs façons. En ce qui concerne la période qui a suivi la réouverture de l'enquête, le demandeur a présenté, comme pièce LL, une lettre dans laquelle on indiquait, dans le cadre de ce processus : [traduction] « Vos commentaires ne seront pas nécessaires » . Au cours de cette période, on ne lui a donné aucune autre indication quant à la nature de l'enquête, et, selon le demandeur, à la fin de cette période, le rapport a été retourné à la Commission sans que l'on n'y ait apporté de modification.

[21]            Selon les observations du demandeur, lorsque la Commission a indiqué que l'on procéderait à une nouvelle enquête relativement à sa plainte, il s'attendait raisonnablement à ce que l'on communique avec lui à ce sujet et à ce qu'on lui demande d'examiner toute question qui en découlerait.

[22]            La Commission n'a fourni aucun motif quant à la décision initiale de l'enquêteuse, c'est-à-dire le rejet de la plainte. En fait, la décision a été suivie de la réouverture de l'enquête. Le demandeur croit qu'il n'a pas eu l'occasion de discuter des inquiétudes de la Commission lorsqu'elle a rendu cette décision, ce qui aurait pu lui permettre d'influencer la décision finale. On a donc violé son droit d'être entendu, et cela justifie selon lui l'annulation de cette décision.


[23]            Selon le demandeur, l'enquête qui a conduit à la décision de rejeter la plainte n'était pas assez approfondie pour respecter l'équité procédurale. La Commission a entièrement mis l'accent sur deux incidents particuliers sans tenir compte de la nature systémique de la discrimination à laquelle avait fait allusion le demandeur. Ce dernier croit que cette approche n'était pas correcte.

[24]            De plus, au cours de l'enquête sur les remarques faites par le Dr Lachance en février 1998, on a tenu compte de l'intention du Dr Lachance relative à ces remarques plutôt que de l'incidence de celles-ci sur le demandeur. L'enquêteuse a conclu que la remarque ne constituait pas un acte discriminatoire. Le demandeur soutient que l'enquêteuse a concentré son attention sur le mauvais aspect de la plainte et qu'ainsi, elle n'a pas mené son enquête de façon approfondie et adéquate.

[25]            Une observation semblable a été faite en ce qui concerne la remarque du Dr Lachance de juillet 1998. L'enquêteuse a décidé qu'il n'y avait pas eu acte discriminatoire, étant donné que l'aspect de la race avait été abandonné lorsque l'on avait compris qu'il ne s'agissait pas d'un facteur pertinent dans la dispute entre le demandeur et son superviseur immédiat. Le demandeur soutient qu'une telle analyse ne tient pas compte de l'incidence sur le demandeur ni de la possibilité que l'incident fasse partie d'une forme de harcèlement ou qu'il constitue un signe de discrimination systémique au sein de SC.


[26]            Le demandeur soutient que la réouverture de l'enquête confirme le caractère incomplet de cette dernière. Il affirme également qu'aucune autre enquête n'a été menée avant que la deuxième et dernière décision ne soit rendue, qu'il s'agit de la raison pour laquelle il prétend que l'enquête n'était pas complète et qu'elle manquait suffisamment de rigueur pour être injustifiable.

ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[27]            La position du défendeur est que la Commission doit s'en tenir à une norme de contrôle judiciaire manifestement déraisonnable et que sa décision doit être maintenue parce qu'elle n'était pas manifestement déraisonnable.

[28]            La Commission a publié son rapport ainsi que les commentaires fournis par SC. Le demandeur a donc eu l'occasion d'y répondre. À cet égard, elle a donc respecté ses obligations en matière d'équité procédurale.

[29]            La Commission a traité la plainte telle qu'elle avait été présentée, c'est-à-dire comme l'allégation de deux incidents. Selon le défendeur, la Commission a appliqué de façon appropriée ce que le défendeur appelle un critère subjectif d'évaluation du harcèlement. Il permet de voir si une personne raisonnable aurait su que la conduite était inopportune ou indiquait la présence d'un préjugé fondé sur un motif de distinction illicite, et on a conclu qu'une enquête devant un tribunal n'était pas justifiée.


[30]            Le rôle de la Commission, à ce stade, consiste à décider si les éléments de preuve présentent un fondement raisonnable permettant de procéder à la convocation d'un tribunal afin de régler la plainte. On décide si les éléments de preuve étaient suffisants pour soutenir la plainte plutôt que d'accorder une importance respective aux témoignages du demandeur et du défendeur. Selon le défendeur, dans la présente affaire, le Parlement ne prévoyait pas que les tribunaux prendraient ce rôle à la légère.

[31]            L'enquêteuse a effectué un examen approfondi des incidents et a recueilli l'opinion d'un grand nombre de personnes visées par les prétendus incidents tout en gardant en mémoire le climat particulier de ce milieu de travail. La Commission était ainsi libre de conclure que les éléments de preuve n'appuyaient pas une plainte de harcèlement. En appliquant la norme de ce qu'une personne raisonnable faisant ces commentaires aurait pu croire, la conclusion de la Commission n'était pas manifestement déraisonnable et ne devrait pas par conséquent faire l'objet d'une intervention judiciaire.

[32]            Le défendeur soutient que le fait que le demandeur s'attendait à être de nouveau consulté à la suite de la décision de rouvrir l'enquête n'était pas légitime. Au paragraphe 43 de son mémoire, le défendeur suggère que le demandeur espérait simplement avoir une seconde chance de prouver son point.

[33]            Le défendeur soutient également que la Commission a examiné les renseignements obtenus, qui peuvent avoir indiqué qu'il y avait une discrimination systémique à SC. L'argument du demandeur voulant que l'enquête manque de rigueur parce que l'on n'avait pas tenu compte de cela devrait donc être rejeté.


ANALYSE

1. Lois applicables

[34]            La plainte était fondée sur le paragraphe 14(1) du Code canadien des droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (le « Code » ). Ce paragraphe indique ceci :


14.(1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

[...] c) en matière d'emploi

14.(1) It is a discriminatory practice

[...] (c) in matters related to employment,

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.


[35]            L'alinéa 44(3)b) du Code indique que, lorsque la Commission reçoit le rapport d'enquête relatif à la plainte, elle


[la Commission] rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) [...] que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié [...]

[....] shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted [...].


2. Norme de contrôle judiciaire

[36]            Le demandeur soutient que la norme de la décision correcte doit être appliquée parce que l'on a rendu la décision sans tenir compte des principes de l'équité procédurale, qu'exige la norme de la décision correcte. Le demandeur se fonde sur la plaidoirie de la Cour suprême du Canada de l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1989] 2 R.C.S. pages 879 à 899.


[37]            Le demandeur s'est également fondé sur la plaidoirie de l'arrêt Singh c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 367 pour soutenir l'application de la norme de la décision correcte. Toutefois, au paragraphe 13 de l'arrêt Singh, précité, on reconnaît l'application de la norme de la décision raisonnable simpliciter dans le cadre de l'examen des décisions de la Commission pour lesquelles la plainte est rejetée.

[38]            Le défendeur soutient que je devrais appliquer la norme de contrôle judiciaire manifestement déraisonnable. L'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté), [1998] 1 R.C.S. 982 comprend toute la jurisprudence principale qui a précédé cette décision relative au contrôle judiciaire.

[39]            La détermination de la norme de contrôle judiciaire à appliquer dépend de l'intention législative de la loi qui a amené la convocation du tribunal dont la décision fait l'objet du contrôle (au paragraphe 26 de l'arrêt Pushpanathan, précité). Afin d'avoir recours à l'approche pragmatique et fonctionnelle utilisée tout d'abord dans l'arrêt Union des employés de service, local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048 et améliorée plus tard dans l'arrêt Pushpanathan, il faut tenir compte d'un éventail de facteurs dans le cadre du processus d'interprétation des lois. Les quatre facteurs à examiner sont la présence ou l'absence d'une clause privative, l'expertise du tribunal, l'intention générale de la loi visée et la disposition précise en litige ainsi que la nature du problème, c'est-à-dire s'il s'agit d'une question liée à la loi ou à un fait.


[40]            La décision rendue par le juge McKeown dans l'arrêt Singh soutient la règle voulant que « la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission consistant à savoir si la plainte doit être rejetée [soit] celle de la décision raisonnable simpliciter » (Singh, au paragraphe 13). Dans l'arrêt Singh, on traite également d'une décision de la Commission qui fait l'objet d'un contrôle dans l'affaire en l'espèce.

[41]            La norme raisonnable simpliciter est justifiée dans l'affaire en l'espèce, étant donné que la même Loi est appliquée dans l'arrêt Singh. L'absence d'une clause privative, l'expertise de la Commission, l'intention de la Loi et le sous-alinéa 44(3)b)(i) en particulier sont les mêmes dans la présente affaire que dans l'arrêt Singh, tout comme la nature du problème.

[42]            La définition de la norme raisonnable simpliciter a été élaborée dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748. Cette norme exige que l'on fasse preuve d'un niveau plus élevé de déférence envers le tribunal en cause que celui dont on ferait preuve dans le cas de la norme de la décision correcte. En fait, s'il y a, dans la décision, un défaut évident, ce défaut rend la décision manifestement déraisonnable. S'il faut procéder à un examen afin de découvrir le défaut, la décision est seulement considérée comme déraisonnable (Southam, précité, au paragraphe 57).


[43]            Au cours d'un contrôle fondé sur la norme du caractère raisonnable, il faut examiner la décision afin de voir si elle peut être soutenue par des motifs qui résisteront à un examen quelque peu poussé. Une lacune du fondement probatoire de la décision ou du processus par lequel on a tiré les conclusions constitue le genre d'erreur qui ne serait discernable que par un examen poussé et qui rendrait la décision déraisonnable, mais pas manifestement déraisonnable (Southam, au paragraphe 56).

[44]            J'appliquerai donc la norme raisonnable simpliciter.

3. Équité procédurale

[45]            Pour les besoins de plaidoirie, il est nécessaire de reproduire la lettre envoyée au demandeur par la Commission le 4 octobre 2000.

[traduction]

Je vous écris afin de vous informer de la décision prise par la Commission canadienne des droits de la personne en ce qui concerne votre plainte (H48496) contre Santé Canada.

Avant de rendre leur décision, les membres de la Commission ont examiné le rapport qui vous avait déjà été fourni et toute observation présentée relativement au rapport. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé d'ouvrir une nouvelle enquête sur la plainte.

L'enquêteur communiquera avec vous afin de vous expliquer les prochaines étapes du processus. (Je souligne)

[46]            Les deux conseils ont admis que l'on n'avait jamais communiqué avec le demandeur après le 4 octobre 2000. Selon moi, même si le dossier indique qu'aucune autre enquête ou élément de preuve n'a été examiné par la Commission, le demandeur s'attendait raisonnablement à ce que l'enquêteuse communique avec lui avant que la Commission ne rende sa décision. Par conséquent, je conclus que l'équité procédurale n'a pas été respectée dans la présente affaire.


4. Rigueur de l'enquête

[47]            Le demandeur soutient que la décision de la Commission n'a pas été prise avec suffisamment de rigueur et que, par conséquent, cela constitue une violation de l'équité procédurale.

[48]            À mon avis, la rigueur de l'enquête constitue une question en litige relative au fait de savoir si la décision était raisonnable pour les besoins du contrôle judiciaire.

[49]            L'enquête manquait de rigueur parce que l'on a examiné deux incidents particuliers et que l'on est parvenu à la conclusion qu'aucun acte discriminatoire n'avait été commis, étant donné l'absence d'intention de discrimination. La jurisprudence canadienne a depuis longtemps établi qu'une intention de faire preuve de discrimination ne constitue pas nécessairement un élément permettant de décider si un acte discriminatoire a été commis. Cela a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536.


[50]            La lecture du dossier permet de voir que beaucoup de choses ont été dites à propos des conditions de travail défavorables et de la culture organisationnelle de SC. Bien qu'il n'incombe pas à une cour qui procède à un contrôle judiciaire de revoir l'importance accordée aux éléments de preuve examinés par la Commission afin de prendre sa décision, la Cour peut vérifier s'il y avait des défauts dans le fondement de la décision, comme cela est indiqué dans l'arrêt Southam, précité.

[51]            Comme on l'indique dans l'arrêt Simpsons-Sears, précité, l'intention ne constitue pas une condition préalable à une conclusion de harcèlement. Ainsi, l'enquêteuse aurait dû effectuer un examen plus poussé des commentaires ayant fait l'objet de contestations afin de déterminer ce qu'ils représentaient pour le demandeur. En analysant la plainte relative aux déclarations faites par le Dr Lachance sans examiner le contexte dans lequel elles ont été faites ainsi que l'effet général de ces paroles et de ce contexte sur le demandeur, la Commission est responsable de cette omission.

[52]            Dans l'arrêt Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), le juge Nadon (ce qu'il était alors) a indiqué qu'il fallait faire preuve de déférence envers l'enquêteuse en ce qui concerne son évaluation de la valeur probante des éléments de preuve. Selon le juge Nadon, la Cour ne devrait intervenir, relativement à la décision, que lorsque les omissions de l'enquêteur ne peuvent être rectifiées par la réponse aux arguments du demandeur qui demandent qu'une cour intervienne dans la décision (Slattery, précité, à la page 600).


[53]            L'affaire en l'espèce en est sans doute une de ce genre. Le dossier montre que le demandeur avait fait référence à une discrimination systémique et à un milieu de travail malsain présents à SC. L'enquête n'accorde pas une attention adéquate aux prétentions du demandeur à cet égard, ce qui suggère que l'enquête et la décision ultérieure de la Commission étaient fondées sur une enquête qui manquait de rigueur. Étant donné qu'il est possible de contester la conclusion quant à son fondement probatoire et au processus par lequel on est parvenu à cette conclusion, la décision de la Commission est déraisonnable.

CONCLUSION

[54]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission de rejeter la plainte du demandeur est annulée, et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'une nouvelle enquête soit menée par un autre enquêteur. Dans le cadre de l'enquête, il faut examiner le contexte dans lequel les remarques ont été faites. Pour cet examen du contexte, on doit tenir compte des opinions du demandeur et d'autres témoins en ce qui concerne la discrimination systémique qui existait dans le milieu de travail du demandeur.

[55]            Le contrôle judiciaire est accueilli avec dépens.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                    la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission par laquelle on rejette la plainte du demandeur est annulée, et l'affaire renvoyée à la Commission afin qu'une nouvelle enquête soit menée par un autre enquêteur. Dans le cadre de l'enquête, on doit examiner le contexte dans lequel les remarques ont été faites. Pour cet examen du contexte, on doit tenir compte des opinions du demandeur et d'autres témoins en ce qui concerne la discrimination systémique qui existait dans le milieu de travail du demandeur;

2.                    la cour accueille la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

(signé) Michel Beaudry

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                                            T-37-01

INTITULÉ :                                           Dr CRIS BASUDDE et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 27 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                        Le 11 juillet 2002

COMPARUTIONS :

David Yazbeck                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Alain Préfontaine

Ministère de la Justice                                                        POUR LE DÉFENDEUR        

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Yazbeck                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada       

Toronto (Ontario)

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