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Date : 20210702


Dossiers : T-129-21

T-127-21

T-128-21

T-132-21

Référence : 2021 CF 700

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

MOWI CANADA WEST INC., CERMAQ CANADA LTD., GRIEG SEAFOOD B.C. LTD. ET 622335 BRITISH COLUMBIA LTD.

demanderesses

et

LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

défendeur

et

ALEXANDRA MORTON, FONDATION DAVID SUZUKI, GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LIVING OCEANS SOCIETY ET WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY

intervenantes


ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le 18 janvier 2021, les sociétés Cermaq Canada Ltd. [Cermaq] (T-129-21), Mowi Canada West Inc. [Mowi] (T-127-21), Grieg Seafood B.C. Ltd [Grieg] (T-128-21) et 622335 British Columbia Ltd. [Saltstream] (T-132-21) ont chacune déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le ministre des Pêches, des Océans et la Garde côtière canadienne [le ministre], en date du 17 décembre 2020, d’éliminer progressivement, d’ici le 30 juin 2022, les fermes salmonicoles situées dans les îles Discovery, et d’interdire entre‑temps le transfert en milieu marin de poissons vivants [la décision du ministre, ou la décision contestée]. Le 2 février 2021, avec le consentement de toutes les parties, les quatre demandes ont été regroupées et leur instruction conjointe a été ordonnée.

[2] Je suis maintenant saisie d’une requête en injonction interlocutoire présentée par la société Cermaq, qui me demande d’interdire au ministre de mettre en œuvre sa décision d’éliminer progressivement les installations salmonicoles existantes dans les îles Discovery – dans la mesure où cette décision interdit le transfert de poissons dans les deux sites aquacoles de Cermaq pendant la période d’élimination progressive de 18 mois – en attendant qu’il soit statué sur sa demande sous‑jacente de contrôle judiciaire de la décision du ministre. La requête est fondée sur les articles 18 et 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[3] Ce n’est pas la première requête en injonction visant le transfert de poissons qui est présentée dans le cadre des présentes demandes conjointes, en attendant l’issue du contrôle judiciaire de la décision prise par le ministre d’éliminer progressivement les fermes salmonicoles dans les îles Discovery. Le 5 avril 2021, dans la décision Mowi Canada West Inc c Ministre des Pêches, des Océans et Garde côtière canadienne, 2021 CF 293 [Mowi], le juge Pamel a accordé aux sociétés Mowi et Saltstream la mesure interlocutoire qu’elles sollicitaient. Cermaq a appuyé Mowi et Saltstream dans cette requête (Mowi, au para 50).

Contexte factuel

[4] La société Cermaq et le Canada ont présenté des observations écrites détaillées sur le contexte factuel, procédural et juridique de la présente requête. Ces observations sont exposées dans leur mémoire respectif. Dans les paragraphes qui suivent, je me propose de décrire dans les grandes lignes le cadre législatif régissant la délivrance de permis de pêche et la suite d’événements qui ont conduit à la requête en injonction dont je suis saisie, afin de la situer dans son contexte.

[5] L’article 7 de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14 [Loi sur les pêches], dispose qu’en l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, délivrer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêches – ou en permettre la délivrance – indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche. Lorsqu’il prend une telle décision, le ministre doit tenir compte des effets préjudiciables qu’elle peut avoir sur les droits des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Loi sur les pêches, art 2.3, 2.4). Le ministre peut également prendre en considération les éléments énoncés à l’article 2.5 de la Loi sur les pêches, notamment les facteurs sociaux, économiques et culturels, dans la gestion des pêches (art 2.5g)).

[6] L’article 43 autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements d’application de la Loi.

[7] Au nombre de ces règlements, mentionnons le Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, DORS/2010-270, qui régit la délivrance des permis d’aquaculture en Colombie-Britannique. C’est en vertu de ce règlement que le MPO a délivré à Cermaq (et aux autres demanderesses) les permis d’aquaculture en milieu marin qui l’autorise à pratiquer des activités d’aquaculture. Le Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53, établit le cadre général applicable à la gestion des pêches. L’article 55 de ce règlement interdit à quiconque de libérer des poissons vivants dans tout habitat du poisson ou de transférer des poissons vivants dans des installations d’élevage, à moins d’y être autorisé en vertu d’un permis. On appelle généralement « permis de transfert » ce type de permis. L’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) précise les conditions auxquelles le ministre peut délivrer un permis de transfert :

56 Le ministre peut délivrer un permis dans le cas où :

a) la libération ou le transfert des poissons est en accord avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches;

b) les poissons sont exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces;

c) la libération ou le transfert ne risque pas d’avoir un effet néfaste sur la taille du stock de poisson ou sur les caractéristiques génétiques du poisson ou des stocks de poisson.

[8] En 2003, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada ont conjointement mis en œuvre le Code national sur l’introduction et le transfert d’organismes aquatiques [le Code national sur l’ITOA]. Il s’agit d’un document évolutif, dont la plus récente version a été publiée le 28 juin 2017. Selon ses propres termes, le Code national sur l’ITOA établit « un cadre décisionnel objectif, de même qu’un processus national uniforme d’évaluation et de gestion des risques de maladies et des risques génétiques et écologiques potentiels associés aux déplacements délibérés d’organismes aquatiques vivants dans les bassins versants, dans les installations d’élevage du Canada ou entre ceux-ci ». Il prévoit par ailleurs que, lorsque le Règlement de pêche (dispositions générales) s’applique, le directeur général régional de Pêches et Océans Canada peut exercer, au nom du ministre des Pêches et des Océans, le pouvoir de délivrance de permis de transfert prévu à l’article 56 du Règlement; pour les déplacements à faible risque, un représentant ministériel compétent peut exercer le pouvoir de délivrance de permis (art 6.2.1 et 7.2.3). Le Code national sur l’ITOA énonce que l’autorité décisionnelle ou son délégué ne devrait pas être membre du comité des introductions et des transferts étant donné que le Code permet de considérer, dans le cadre du processus décisionnel, des renseignements qui ne sont pas compris dans le mandat du comité pour les transferts nécessitant des évaluations des risques officielles (comme les critères socioéconomiques et les intérêts des peuples autochtones) (art 6.2.3). L’autorité décisionnelle tiendra compte de l’évaluation des risques fournie par le comité des introductions et des transferts, ainsi que du niveau de certitude associé. L’autorité décisionnelle peut aussi prendre en compte des facteurs socioéconomiques, de même que des considérations liées aux peuples autochtones, et établira si les risques sont acceptables ou non (art 6.3.14). Les demandeurs à qui on a refusé un permis peuvent présenter une nouvelle demande. Le comité examinera celle-ci à la lumière de nouveaux renseignements se rapportant directement aux risques concernés par la décision initiale (art 6.3.15).

[9] Cermaq (ainsi que les autres demanderesses) est assujettie au cadre réglementaire décrit précédemment dans ses grandes lignes. Les activités d’aquaculture sont également assujetties à divers autres textes réglementaires et législatifs qui ne s’appliquent pas directement à la présente requête en injonction.

[10] Cermaq possède trois sites aquacoles dans un groupe d’îles situées entre la côte est de l’île de Vancouver et la partie continentale de la Colombie-Britannique : les îles Discovery. Mowi possède treize sites semblables dans les îles Discovery, tandis que Grieg, Saltstream et une autre entreprise en comptent un chacune.

[11] Cermaq, ou ses prédécesseurs, exploitent les sites aquacoles de l’île Brent et de Venture Point depuis 1989.

[12] Le cycle de production des sites aquacoles de Cermaq comporte plusieurs étapes, qui s’échelonnent sur sept à huit années, et nécessite une planification et une programmation poussées. D’abord, les œufs du stock de géniteurs (les saumons sélectionnés pour engendrer les prochaines générations de poissons) sont recueillis et transférés vers les écloseries, où ils sont incubés jusqu’à leur éclosion (alevins). Les alevins sont ensuite transférés dans des réservoirs d’eau douce où ils poursuivent leur croissance jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille de petits poissons (tacons). Le processus de smoltification des tacons se déclenche après qu’ils ont passé environ 14 mois dans l’écloserie : ils doivent alors migrer vers les eaux salées dans les deux à trois semaines qui suivent (période propice au passage à l’environnement marin). C’est à ce moment que les poissons (devenus des saumoneaux) sont transférés des écloseries jusqu’aux parcs en filet marins. Certains poissons grandissent dans un seul site marin jusqu’à ce qu’ils soient prêts pour la capture, alors que d’autres commencent par croître dans un site en mer (une alevinière) avant d’être déplacés vers un autre site marin pour terminer leur croissance. Quel que soit le cas, le temps de croissance nécessaire pour qu’un saumoneau passe à l’état d’adulte prêt pour la capture dans un site en mer est de 18 à 22 mois environ.

[13] Les sites de l’île Brent et de Venture Point accueillent des saumons juvéniles (et non des saumoneaux) qui ont été élevés en alevinière pendant quelques mois. Selon la preuve produite par Cermaq, le cycle de production des poissons destinés aux sites de l’île Brent et de Venture Point en 2021 a débuté en 2017, lorsque le stock de géniteurs de cette génération de poissons a frayé, et ces sites fonctionnent sur un cycle de plus ou moins deux années, au cours desquelles les poissons sont transférés vers les sites, à la même époque, tous les deux ans.

[14] La preuve de Cermaq révèle que, depuis au moins 2018, il était prévu dans son plan de production que le transfert programmé des jeunes saumons vers les fermes de l’île Brent et de Venture Point aurait lieu en mai ou juin 2021, et qu’au départ, la capture des poissons devait se faire entre la fin de 2022 et février 2023. En date du 20 juin 2021, l’alevinière de l’île Cecil héberge 1 487 926 poissons appartenant à Cermaq. Ces poissons se trouvent à l’île Cecil depuis leur transfert en février et mars de l’année en cours. Actuellement, leur poids moyen est de 360 g, et leur taille atteint environ 35 cm. Le permis d’aquaculture de l’île Cecil est assorti d’une condition concernant la biomasse : celle-ci ne doit pas dépasser 650 TM. Si Cermaq continuait de nourrir le poisson selon la procédure habituelle, il lui faudrait cesser de le faire après le 3 juillet 2021, au plus tard, afin d’éviter le dépassement de la biomasse maximale permise. Moyennant une réduction de l’alimentation de l’ordre de 25 %, la biomasse limite sera atteinte le 9 juillet 2021.

[15] Cermaq affirme que si on ne lui accorde pas le permis de transfert des poissons de l’île Cecil vers l’île Brent et Venture Point, elle sera forcée d’éliminer tous ces poissons, car aucune autre installation ne peut réalistement les recevoir et qu’il est impossible de les laisser croître dans l’alevinière de l’île Cecil.

[16] Il ressort de la preuve présentée par Cermaq que celle‑ci a régulièrement présenté des demandes de permis de transfert de poissons, soit environ 15 par année, et que le MPO délivrait ces permis dès lors que les exigences liées à la santé du poisson étaient remplies. Avant le 27 avril 2021, le MPO n’avait jamais refusé à Cermaq les permis de transfert demandés. Ces permis étaient généralement délivrés environ 20 jours ouvrables après le dépôt de la demande, conformément aux Normes de service pour les déplacements courants, qui constituent l’annexe 8 du Code national sur l’ITOA.

[17] Dans un communiqué de presse daté du 28 septembre 2020, le ministre a annoncé que le MPO entamerait immédiatement des consultations avec les sept Premières Nations nommées au sujet des sites aquacoles des îles Discovery. Il a ajouté que « [l]es informations échangées permettront au gouvernement de décider de renouveler ou non les licences d’aquaculture dans la région, avant la date limite de décembre 2020 ».

[18] Le communiqué de presse précisait également que le MPO avait réalisé neuf évaluations scientifiques des risques révisées par des pairs, lesquelles ont révélé que le transfert des agents pathogènes étudiés posait un risque minimal pour l’abondance et la diversité du saumon rouge du fleuve Fraser en migration dans la région des îles Discovery. Le communiqué indiquait que le MPO continuerait d’adopter une approche de gestion et de prise de décision en matière d’aquaculture qui serait fondée sur la collaboration et les zones. Cette approche par zone tiendrait compte des connaissances autochtones, ainsi que des facteurs sociaux, économiques, géographiques et environnementaux. Elle permettrait d’accroître la collaboration entre les parties, alors que le gouvernement poursuivrait son engagement à créer un plan responsable pour mettre un terme à l’élevage du saumon en parcs en filet marins dans les eaux côtières de la Colombie‑Britannique. Cette approche permettrait au MPO de travailler en étroite collaboration avec la Province de la Colombie-Britannique, les Premières Nations, l’industrie et d’autres parties intéressées à une conception globale et pragmatique de l’aquaculture pendant que les travaux essentiels se poursuivent dans les domaines clés. Le communiqué de presse citait les propos suivants du ministre :

Ce gouvernement est résolument engagé à adopter une approche de gestion de l’aquaculture par zone, et nous reconnaissons les préoccupations soulevées par les partenaires selon lesquelles ces fermes aquacoles particulières ne sont peut-être pas les mieux adaptées à cet endroit ni aux collectivités adjacentes. Nous consulterons chaque Première Nation de la région des îles Discovery, pour que l’information et les points de vue qu’elles nous fourniront me permettent de décider si je dois ou non renouveler les permis de ces exploitations en décembre prochain et à l’avenir.

[19] Par lettre en date du 24 novembre 2020, dans laquelle il faisait référence à l’annonce du 28 septembre 2020 du ministre, le MPO invitait Cermaq à lui faire parvenir, en tant qu’élément du processus décisionnel, tout renseignement susceptible d’orienter la décision. Le 30 novembre 2020, Cermaq lui a transmis un document auquel elle a annexé quatre rapports. Toutefois, elle affirme que le manque de renseignements concernant le processus décisionnel, la nature ou la portée de la décision et les préoccupations formulées par les Premières Nations, avait rendu difficile la préparation du document.

[20] Le 8 décembre 2020, le sous-ministre a préparé un mémoire à l’intention du ministre en vue d’une décision sur la question de la délivrance des permis de pisciculture marine dans les îles Discovery [le mémoire]. L’objet et la portée de ce mémoire sont exposés dans le résumé qu’il contient :

[traduction]

Résumé

L’objet du présent exposé est d’obtenir une décision sur la délivrance des permis concernant 19 sites de pisciculture dans les îles Discovery en Colombie-Britannique. Les permis actuels expirent le 18 décembre 2020. La décision est demandée pour le 15 décembre 2020 au plus tard.

Pour donner suite à la Recommandation 19 de la Commission Cohen et permettre la prise d’une décision éclairée, le Secteur des sciences de Pêches et Océans Canada (le MPO) a réalisé neuf évaluations scientifiques des risques, qui ont été examinées par des pairs, afin de déterminer l’incidence des agents pathogènes provenant des exploitations salmonicoles sur le saumon rouge du fleuve Fraser. Ces évaluations ont permis de conclure que le transfert éventuel de ces agents pathogènes des poissons d’élevage aux poissons sauvages posait un risque minime pour les saumons rouges du fleuve Fraser en migration.

En outre, les données recueillies par le MPO dans le cadre du programme de réglementation de l’aquaculture en C.‑B. de 2011 à 2020 montrent que, pour l’ensemble des paramètres, les fermes des îles Discovery enregistrent en général de bons résultats, ayant réduit au minimum les effets de leurs activités sur le poisson et son habitat. Ces données tiennent compte de la gestion du pou du poisson : les fermes salmonicoles de la région des îles Discovery ont maintenu leurs interventions (p. ex. traitement ou capture) en deçà des seuils prévus dans les conditions de leur permis, sauf certaines exceptions en 2015 et en 2020.

Entre octobre et décembre 2020, le Ministère a consulté les Premières Nations dont les territoires chevauchent les sites aquacoles des îles Discovery. Celles-ci ont exprimé divers points de vue concernant le maintien des permis d’aquaculture dans la région, mais toutes ont dit craindre que ces exploitations puissent avoir des conséquences dommageables sur les stocks de saumon sauvage dans les territoires qu’elles revendiquent. Toutes les Premières Nations ont dit souhaiter la prolongation de la période de consultation et espérer prendre part aux processus de surveillance et de gestion des sites. Elles ont aussi demandé des mesures d’accommodement particulières destinées à tenir compte des atteintes possibles à leur droit ancestral de pêcher.

Il est recommandé de délivrer aux installations des îles Discovery des permis expirant le 30 juin 2022, ce qui répond à la demande des Premières Nations, qui souhaitent que l’échéance soit reportée afin de permettre la tenue de consultations utiles sans pour autant ralentir les efforts d’instauration d’un système de gestion de l’aquaculture par zone. La date retenue, qui tient compte du cycle de vie du saumon d’élevage, vise à permettre aux poissons actuellement en production dans la région des îles Discovery de parvenir à maturité pour ensuite être capturés. Le calendrier permettra aussi la mise en place du processus harmonisé de demandes de permis dont ont convenu le MPO et la Colombie‑Britannique dans le protocole d’entente (PE) de 2010, en ce sens qu’il cadre avec la politique décisionnelle que la province a adoptée au sujet des tenures et qui entrera en vigueur en juin 2022. Il s’agit en outre d’un préavis suffisant qui permettra à l’industrie de se préparer à l’échéance de 2022 et de travailler à la conclusion d’accords avec les Premières Nations si possible.

[21] Le mémoire renferme des renseignements généraux sur les sujets suivants : les permis d’aquaculture dans les îles Discovery; le rapport final de la Commission d’enquête Cohen (L’avenir incertain du saumon rouge du fleuve Fraser), en particulier la recommandation no 19, qui demande au ministre de déterminer, au plus tard le 30 septembre 2020, si la pisciculture en filet dans les îles Discovery pose plus qu’un risque minime de préjudice grave pour la santé du saumon rouge du Fraser; les résultats publiés des neuf évaluations des risques réalisées par les scientifiques de Pêches et Océans Canada afin de déterminer les risques que les pathogènes découverts dans les fermes salmonicoles des îles Discovery posent pour le saumon rouge du fleuve Fraser; enfin, les données recueillies par Pêches et Océans Canada dans le cadre du programme de réglementation de l’aquaculture en C.‑B. (PRACB), qui ont servi à analyser le rendement et le respect des mesures environnementales visant les fermes salmonicoles dans les îles Discovery entre 2011 et 2020. Tous les documents auxquels renvoie le mémoire y sont annexés.

[22] Le mémoire expose ensuite l’analyse et les observations du MPO, y compris les résultats des consultations que le Ministère a menées entre les mois d’octobre et de décembre 2020, et renvoie à un document joint en annexe, intitulé [traduction] « Compte rendu des consultations : permis d’exploitation aquacole dans les îles Discovery » [compte rendu des consultations]. Le compte rendu des consultations présente un résumé des consultations que le MPO a effectuées auprès des sept Premières Nations dont les territoires chevauchent les sites aquacoles des îles Discovery, ainsi que des commentaires de Premières Nations vivant hors des îles Discovery et des consultations faites auprès d’acteurs de l’industrie aquacole de la Colombie‑Britannique, dont Cermaq et les autres demanderesses.

[23] On peut lire dans l’analyse présentée dans le mémoire, entre autres choses, que les sept Premières Nations ont des points de vue différents concernant la question du renouvellement des permis et la poursuite des activités des fermes salmonicoles sur leurs territoires. Les réactions sont variées, allant du dépôt d’un plan de désaffection visant l’ensemble des sites d’élevage à la présentation de demandes formelles de mesures d’accommodement détaillées, en passant par la manifestation d’intérêt pour la cogestion d’activités aquacoles. Du côté de l’industrie, la décision de ne pas délivrer de nouveaux permis pour ces sites aquacoles aurait d’importantes répercussions financières sur les titulaires de permis actuels. Le mémoire fait état d’un chiffre d’affaires combiné de l’ordre de 105 à 130 millions de dollars pour les fermes de la région des îles Discovery (d’après les données de 2017-2019), et d’importants investissements de capitaux dans chacun des sites. On estime que la perte indirecte de contribution économique pour la région serait supérieure à 150 millions de dollars. La décision entraînerait également la perte de plus de 900 emplois dans les collectivités côtières et rurales de la Colombie-Britannique, dont plus de 200 emplois dépendant directement des fermes d’élevage. Par ailleurs, compte tenu des contraintes liées à la planification de la production, les poissons juvéniles qui se trouvent actuellement dans les écloseries et qui sont destinés aux installations d’élevage des îles Discovery devraient être éliminés si les permis n’étaient pas renouvelés.

[24] Le mémoire présente au ministre les options qui s’offrent à lui, les recommandations du sous‑ministre et les prochaines étapes. Il y est recommandé de délivrer aux installations actuellement autorisées des îles Discovery des permis expirant le 30 juin 2022 et de prendre les mesures complémentaires qui sont énoncées.

[25] Le 16 décembre 2020, le ministre a noté sur le mémoire qu’il n’acceptait pas les recommandations. Il expose sa décision en ces termes :

[traduction]

Je choisis plutôt de confirmer la directive discutée lors de la rencontre bilatérale du 11 décembre 2020 avec le sous‑ministre :

Je tranche en faveur du renouvellement temporaire (18 mois) des permis d’aquaculture des installations en exploitation dans les îles Discovery. Toutes les fermes d’élevage de cette région devront avoir cessé de garder des poissons dans des parcs au plus tard le 30 juin 2022.

- Entre la date du renouvellement des permis et le 30 juin 2022, aucun saumoneau provenant d’une écloserie ne pourra être introduit.

- L’intention est de laisser aux poissons qui se trouvent déjà dans les parcs le temps d’atteindre leur pleine croissance et d’être capturés, et ce, pour éviter que le respect des échéanciers doive passer par leur élimination.

[26] Le 17 décembre 2020, un communiqué de presse faisant état de la décision du ministre a été publié :

[...] Aujourd’hui, l’honorable Bernadette Jordan, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, a annoncé son intention :

- d’éliminer progressivement les exploitations de salmoniculture existantes dans les îles Discovery, en tenant compte que la période de 18 mois à venir est la dernière fois que des permis seront délivrés pour cette zone.

- de stipuler qu’aucun nouveau poisson, quelle que soit sa taille, ne puisse être introduit dans les exploitations des îles Discovery pendant cette période.

- d’exiger que toutes les exploitations soient exemptes de poissons d’ici le 30 juin 2022; mais de préciser que les poissons existants sur les sites peuvent achever leur cycle de croissance et être capturés.

Ces exploitations font partie des plus anciens sites de la côte ouest, et sont situées sur le territoire traditionnel des Premières Nations Homalco, Klahoose, K’ómoks, Kwaikah, Tla’amin, We Wai Kai et Wei Wai Kum. Les consultations avec les sept Premières Nations de la région des îles Discovery ont fourni des orientations importantes à la Ministre, et ont largement contribué à la décision prise. Cette approche s’aligne également sur l’engagement de la Province de la Colombie-Britannique en matière de régime foncier, selon lequel tous les permis d’aquaculture en date de juin 2022 doivent obtenir le consentement des Premières Nations locales.

[27] Le document d’information qui accompagne le communiqué de presse du 17 décembre 2020 donne des précisions concernant la délivrance des permis de transfert visés à l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) :

Pour mettre en œuvre l’approche, la délivrance des permis d’introduction et de transfert en vertu de l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) serait supprimée à l’avenir. Les exploitants aquacoles ont été informés que l’intention est de ne plus délivrer de permis en vertu de l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales), et que l’on s’attend à ce que les exploitations ne soient plus autorisées à fonctionner après le 30 juin 2022. La restriction de la délivrance de ces permis pour les 19 sites des îles Discovery résulterait en ce qu’il n’y ait plus de transfert de poissons dans les sites de pisciculture des îles Discovery. Pour l’instant, aucune modification des conditions d’octroi des permis n’est envisagée.

[...]

L’arrêt du transfert de poissons dans les sites de pisciculture pourrait entraîner des cas où les poissons actuellement élevés dans des écloseries ou des sites d’introduction de saumoneaux devraient être hébergés dans d’autres sites d’élevage ou volontairement abattus par l’exploitant.

[28] Le 19 décembre 2020, le MPO a délivré à Cermaq trois permis de pisciculture marine pour ses sites de l’île Raza, de l’île Brent et de Venture Points. Comme par le passé, ces permis ont été délivrés à la condition que Cermaq, la titulaire de permis, s’adresse au comité des introductions et des transferts afin d’obtenir un permis de transfert de poissons vivants.

[29] Le ou vers le 22 décembre 2020, Cermaq a reçu une lettre dans laquelle le MPO l’informait de la décision du ministre, réaffirmait son intention et indiquait qu’il travaillerait avec Cermaq à la préparation d’une transition équitable et ordonnée. Et, pour donner suite aux commentaires reçus des Premières Nations tout au long des consultations, le MPO disait qu’il veillerait à ce qu’à l’avenir, l’information soit communiquée aux Premières Nations.

[30] Le 18 janvier 2021, Cermaq (T-129-21), Mowi (T-127-21), Grieg (T-128-21) et 622335 BC Limited (T-132-21) ont déposé chacune une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le ministre de réduire progressivement les activités d’élevage du saumon dans les îles Discovery jusqu’à l’élimination complète des fermes salmonicoles au plus tard à la fin de juin 2022, et de limiter le transfert de poissons vivants entre les écloseries et les sites d’aquaculture marine pendant cette période d’élimination progressive.

[31] Entre-temps, le 6 janvier 2021, Mowi a présenté une demande de permis pour le transfert de 100 000 saumoneaux de l’Atlantique de son écloserie vers son site de pisciculture marine de Sonora Point [la demande visant Sonora Point]. Le 5 février 2021, le coordonnateur du comité des introductions et des transferts a répondu que [traduction] « [p]uisque la politique du gouvernement du Canada est d’interdire l’introduction de nouveaux poissons dans les installations des îles Discovery, nous souhaitons vous informer que nous envisageons la possibilité de refuser votre demande. Cela dit, sachez qu’afin d’assurer l’évaluation équitable de votre demande, nous étudierons tous les facteurs qui s’y rapportent, y compris la question de savoir s’il y a lieu de faire une exception à la politique gouvernementale » (Mowi, au para 33).

[32] Mowi a répondu à la lettre par des observations. Toutefois, le 26 février 2021, le ministre a refusé la demande visant Sonora Point. Le 16 février 2021, Mowi a également présenté deux autres demandes de permis de transfert. La première visait le transfert de 600 000 saumons de l’Atlantique de l’alevinière de Port Elizabeth vers le site aquacole marine de Phillips Arm, le 30 mars 2021 [la demande visant Phillips Arm], et la seconde, le transfert de 800 000 saumons de l’Atlantique de l’alevinière de l’île Larsen vers le site d’aquaculture marine d’Okisollo, également le 30 mars 2021 [la demande visant Okisollo].

[33] Le 24 février 2021, Mowi a reçu relativement aux demandes visant Phillips Arm et Okisollo des lettres semblables à celle reçue le 5 février 2021 au sujet de la demande visant Sonora Point. Mowi a fini par retirer la demande visant Okisollo et revoir dans la mesure du possible son plan de production : au final, 920 000 saumoneaux de l’Atlantique qui ne pouvaient être hébergés dans les autres installations ont dû être euthanasiés (Mowi, aux para 35 à 37).

[34] Le 6 mars 2021, Mowi a présenté de nouvelles observations concernant la demande visant Phillips Arm. Lors de l’instruction de sa requête en injonction, cette demande était toujours à l’étude. Mowi prévoyait aussi de présenter une demande de permis pour le transfert de près de 582 000 saumons de l’Atlantique de l’alevinière de Shelter Pass vers le site d’aquaculture marine de Hardwicke [la demande visant Hardwicke]. La requête en injonction dont a été saisi le juge Pamel portait sur les demandes visant Phillips Arm et Hardwicke ainsi que sur la demande de permis de transfert présentée par Saltstream (Mowi, aux para 38 à 40).

[35] Le juge Pamel décrit en ces termes la mesure recherchée par Mowi et Saltstream :

[traduction]

[49] Il me faut également préciser que Mowi et Saltstream ne cherchent pas à obtenir un résultat particulier, comme le soutient le ministre, ni la délivrance d’ordonnances de la nature d’un bref de mandamus pour obliger le ministre à délivrer les permis de transfert de poissons requis par l’article 56 du RPDG. Au contraire, elles demandent simplement à la Cour de suspendre, par ordonnance, l’application de la décision prise par le ministre à l’égard de trois demandes de permis de transfert, afin que ces demandes puissent être traitées conformément aux dispositions du RPDG et du Code et que la décision du ministre ne vienne pas entraver, ainsi qu’elles le prétendent, l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 56 de ce règlement.

[50] En somme, Mowi et Saltstream sollicitent une ordonnance préservant ce qu’elles prétendent être le statu quo par rapport aux trois demandes de permis de transfert.

[......]

[72] Ni Mowi ni Saltstream ne demande le contrôle judiciaire du refus du ministre de délivrer un permis de transfert : la question de savoir si le ministre a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 56 du RPDG ne se pose donc pas.

(Voir également les para 45, 67, 70, 87, 95 et 98.)

[36] Le 5 avril 2021, le juge Pamel a accordé les injonctions demandées et a ordonné que le volet de la décision du ministre interdisant le transfert de poisson vers des installations d’aquaculture autorisées ne soit pas appliqué relativement aux trois demandes de transfert en cause.

[37] Entre-temps, le 4 février 2021, Cermaq a écrit au MPO pour l’informer que son plan de production prévoyait le déplacement des poissons de l’île Cecil vers les sites de l’île Brent et de Venture Point. Comme Cermaq entendait présenter des demandes de permis à l’égard de ces transferts, elle voulait obtenir des précisions quant aux critères qui seraient appliqués à ces demandes.

[38] Le 16 avril 2021, Cermaq a présenté une demande de transfert des saumoneaux de l’Atlantique gardés à l’alevinière de l’île Cecil vers les sites de l’île Brent et de Venture Point pour permettre leur croissance jusqu’à ce qu’ils soient prêts pour la capture. Dans sa lettre d’accompagnement, Cermaq mentionnait qu’elle avait récemment conclu un accord avec la Première Nation des Wei Wai Kum [l’accord des WWK] et que la demande de permis de transfert était présentée avec le consentement et l’appui des Wei Wai Kum, dont l’essentiel du territoire comprend Venture Point et l’île Brent. La demande conjointe était également accompagnée d’une lettre d’appui et de consentement rédigée par le chef Roberts de la Première Nation des Wei Wai Kum. Enfin, dans sa lettre d’accompagnement, Cermaq énonçait les raisons pour lesquelles les Wei Wai Kum et elle étaient d’avis qu’il y avait lieu de soustraire la demande à la décision du ministre et de lui permettre d’empoissonner les sites de l’île Brent et de Venture Point à compter du 1er juillet 2021. Elle expliquait entre autres qu’en plus de favoriser la réconciliation, l’accord des WWK traçait la voie à suivre pour atténuer certains des effets de l’abandon des activités salmonicoles dans ces sites.

[39] Il convient de souligner que la province de la Colombie-Britannique est responsable de la délivrance des permis d’occupation des sites aquacoles, dont ceux de Cermaq. Le permis d’occupation de l’île Brent doit expirer en 2031 et celui de Venture Point, en 2034. Selon l’accord des WWK (et en présumant que le MPO lui délivre les permis de transfert), il est prévu que Cermaq transfère ces permis aux Wei Wai Kum. La Colombie-Britannique considérerait qu’il s’agit là d’une cession de permis d’occupation pour l’application de sa politique, qui oblige les exploitants aquacoles à conclure des accords avec les Premières Nations sur les territoires desquelles ils se proposent d’exploiter des installations, et ce, pour toutes les tenures consenties après juin 2022. Selon la preuve produite par le Canada, la province considère l’accord des WWK comme étant conforme à cette politique, bien qu’elle n’ait encore rendu aucune décision sur la question de l’approbation du transfert des permis d’occupation.

[40] Par courriel en date du 27 avril 2021, le MPO transmettait à Cermaq (ainsi qu’aux autres demanderesses) les plus récentes informations concernant l’approche qu’il avait décidé d’adopter au sujet des demandes de transfert de poissons dans les îles Discovery [le processus révisé] :

[traduction]

Madame,

Monsieur,

Pour faire suite à la récente décision judiciaire rendue au sujet de l’injonction relative aux demandes de transfert visant les îles Discovery, Pêches et Océans Canada (le MPO) souhaite vous faire part des plus récentes informations concernant l’approche que le ministère a choisi d’adopter pour le traitement des demandes de transfert de poissons dans les installations aquacoles de ces îles.

Il est crucial pour le MPO de bien saisir les points de vue des Premières Nations des îles Discovery quant aux éventuels transferts et notamment, de déterminer si ces transferts seraient acceptés du point de vue social et culturel. Par conséquent, le MPO entend engager des discussions avec les Premières Nations des îles Discovery au sujet de chaque demande de transfert. Il communiquera les détails de ces demandes de transfert aux Nations qu’elles sont susceptibles de toucher, comme le nom de la société qui a présenté la demande, les lieux visés par les transferts, les dates des transferts projetés (vers et hors de ces lieux, selon le cas) et les renseignements sur l’état de santé des poissons. Les Premières Nations disposeront de 15 jours ouvrables pour transmettre leurs commentaires sur chacune des demandes de transfert.

S’il ressort de ces commentaires que les Premières Nations ont des réserves quant à un transfert, notamment sur les plans social et culturel, le ministre en tiendra compte dans son examen de la demande. Le cas échéant, le demandeur sera informé des commentaires des Premières Nations et pourra, dans les (5) jours ouvrables suivants, présenter des observations expliquant pourquoi le transfert devrait être autorisé, compte tenu des perspectives des Premières Nations. Ces observations seront examinées avant qu’une décision sur le transfert soit prise.

Afin de permettre au MPO d’appliquer le processus exposé aux présentes, celui‑ci traitera dorénavant les demandes de transfert visant les îles Discovery selon une norme de service de 40 jours ouvrables.

Pour faciliter le traitement de ces demandes à l’intérieur de ce nouveau délai, et favoriser le respect des exigences opérationnelles liées à tout transfert éventuel, nous vous prions de faire savoir au MPO si votre société entend présenter des demandes de transfert dans les îles Discovery d’ici juin 2022. Veuillez également préciser l’origine et la destination prévues des poissons ainsi que le calendrier de transfert, si vous disposez de ces renseignements. Ceux-ci serviront à assurer le traitement efficace des demandes.

L’injonction décernée par la Cour ne modifie en rien la politique annoncée par le ministre en vue de l’élimination progressive des fermes piscicoles dans les îles Discovery d’ici juin 2022, et celle‑ci sera prise en compte dans le traitement de toute demande de transfert visant la région. Par conséquent, pour le cas où la demande de transfert serait approuvée, veuillez préciser la date à laquelle votre société compte faire en sorte que le lieu de destination du transfert soit exempt de poissons.

Si vous avez déjà présenté une demande de permis de transfert et que vous n’avez pas encore communiqué les renseignements susmentionnés, nous vous prions de nous les faire parvenir.

[......]

[41] Le 30 avril 2021, Cermaq a écrit au ministre pour demander que ses permis d’aquaculture pour l’île Brent et Venture Point soient prolongés une seule fois jusqu’au 28 février 2023, de façon à permettre la croissance et la capture des stocks. Elle expliquait que cette prolongation de 7 mois correspondait à son calendrier de production régulier pour ces deux sites et justifiait l’empoissonnement de ce site une fois terminée la période délicate de migration de sortie du saumon sauvage. La demande était accompagnée d’une lettre d’appui signée par le chef Roberts des Wei Wai Kum.

[42] Par courriel en date du 14 mai 2021, le MPO a informé Cermaq qu’il procéderait à l’étude simultanée des demandes de transfert et de prolongation et qu’il était en train de consulter les Premières Nations au sujet de ces demandes. Puis, dans une lettre en date du 27 mai 2021, le MPO a informé Cermaq qu’il consultait les Premières Nations des Homalco, des K’omoks, des Kwiakah, des Tla’amin, de We Wai Kum et de Wei Wai Kai, et qu’il avait obtenu de ces dernières des renseignements pertinents pour l’examen, par le ministre, des demandes qu’elle avait présentées. Les documents pertinents ont été mis à la disposition de Cermaq, qui a été priée d’y répondre dans un délai de cinq jours ouvrables. Cermaq a transmis sa réponse le 3 juin 2021.

[43] À l’issue des consultations, le sous-ministre a rédigé, en date du 14 juin 2021, un mémoire à l’intention du ministre pour lui demander de rendre une décision concernant la demande de transfert de saumons d’élevage vivants dans les îles Discovery et la prolongation des permis d’exploitation des installations de Cermaq Canada [le mémoire sur le transfert]. Voici le résumé de ce document :

[traduction]

Résumé

Le présent mémoire vise à obtenir une décision de votre part au sujet des demandes que Cermaq Canada Ltd. (Cermaq) a présentées afin d’être autorisée à transférer des poissons vivants vers deux sites des îles Discovery et d’obtenir la prolongation des permis de pisciculture marine pour ces deux sites.

Le 16 avril 2021, le comité des introductions et des transferts de la Colombie-Britannique a reçu une demande de Cermaq visant le transfert de 1 499 000 saumons de l’Atlantique depuis l’île Cecil (installation no 819) vers les installations de Venture Point (installation no 306) et de l’île Brent (installation no 1401). Le 30 avril 2021, Cermaq a demandé que les permis relatifs aux installations de Venture Point (permis d’aquaculture no 122921) et de l’île Brent (permis d’aquaculture no 12911) soient prolongés jusqu’au 28 février 2023. L’objet de la prolongation demandée est de permettre la pleine croissance des poissons visés par le transfert. Cermaq a expliqué que si le transfert des poissons était autorisé, leur capture aurait lieu au plus tard le 28 février 2023.

Après avoir examiné la demande de transfert au regard de l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales), le comité des introductions et des transferts de la Colombie‑Britannique a jugé qu’elle respectait chacune des trois conditions y prévues (a, b et c) et que le permis de transfert pouvait donc être accordé. Le MPO a examiné la demande de prolongation des permis pour ces installations et il a jugé qu’aucune raison liée à la santé des poissons sauvages ou d’élevage ne faisait obstacle à ces prolongations, et qu’elles pouvaient donc être accordées.

Le MPO a consulté les Premières Nations qui revendiquent le territoire sur lequel sont situés les sites de transfert, au sujet de la demande de transfert et de la demande de prolongation des permis; il a également demandé à Cermaq de répondre aux observations des Premières Nations et de tiers. Certains sont favorables aux demandes, et d’autres non. De l’avis du Ministère, il existe deux options :

Option 1 : approuver la demande de transfert de 1 499 000 saumons de l’Atlantique depuis l’île Cecil jusqu’aux installations de Venture Point et de l’île Brent, situées dans les îles Discovery, de même que la demande de prolongation de la durée des permis relatifs à ces installations jusqu’au 28 février 2023.

Option 2 : refuser les deux demandes.

Le Ministère est favorable à l’option 1. Vous être priée de rendre votre décision sur ces demandes au plus tard le 14 juin 2021.

[44] Le mémoire sur le transfert est détaillé et traite de questions scientifiques, des consultations avec les Premières Nations et des réserves exprimées par les autres parties intéressées. Sous la rubrique résumant l’avis du Ministère, on peut lire ce qui suit :

[traduction]

Selon la Direction des sciences du MPO, les observations présentées à l’occasion de l’examen de la demande de Cermaq ne comportent aucune information nouvelle ou inédite susceptible d’entraîner la modification du processus. Le comité des introductions et des transferts souscrit à la conclusion de la Direction des sciences selon laquelle les observations ne comportent aucune information nouvelle ou inédite qui aurait pour effet de modifier son processus d’examen. Le comité a examiné la demande de transfert au regard de l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) et il a jugé que la demande respectait chacune des trois conditions y prévues (a, b et c) et que le permis de transfert pouvait donc être accordé. Le MPO a examiné de la même façon la demande de prolongation de la durée des permis pour ces installations et il a jugé qu’aucune raison liée à la santé des poissons sauvages ou d’élevage ne faisait obstacle à ces prolongations.

Les collectivités des trois Premières Nations de Laichkwiltach, dont la Première Nation des Wei Wai Kum, sont celles qui sont situées le plus près des sites de Venture Point et de l’île Brent. Les Wei Wai Kum et les Wei Wai Kai sont favorables aux demandes, et les Kwiakah s’en remettent à l’avis des deux autres Nations. La Première Nation des Wei Wai Kum a conclu avec Cermaq un accord qui lui procurera certains avantages si les demandes sont accordées. Les Wei Wai Kum ont aussi fait remarquer que l’accord contribuerait à la réconciliation avec leur peuple. L’approbation des demandes devrait également générer des retombées économiques, c’est-à-dire des revenus pour les salariés et les entreprises locales.

[45] Une fois de plus, le ministre a refusé la recommandation du sous‑ministre et du MPO en annonçant qu’il rejetait les deux demandes.

[46] Par lettre en date du 14 juin 2021, le ministre informait Cermaq qu’il rejetait la demande de transfert [la décision sur le transfert]. Le ministre a écrit ceci :

[traduction]

Monsieur [Foulds],

La présente lettre fait suite à la demande que vous avez présentée le 16 avril 2021 afin d’être autorisé à transférer 1 499 000 saumons de l’Atlantique de l’île Cecil jusqu’à Venture Point et l’île Brent, et à la demande visant à ce que les permis de pisciculture marine de Venture Point et de l’île Brent soient prolongés jusqu’au 28 février 2023, que vous avez présentée le 30 avril 2021.

Pour évaluer ces demandes, j’ai tenu compte de plusieurs facteurs, dont les suivants :

- L’évaluation réalisée par le comité des introductions et des transferts au titre de l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales);

- La politique annoncée le 17 décembre 2020 concernant l’intention d’éliminer progressivement les activités d’aquaculture dans les îles Discovery d’ici juin 2022; j’ai toutefois fait abstraction du volet de cette politique qui a trait à l’intention de mettre fin au transfert de poissons dans les installations d’aquaculture autorisées des îles Discovery d’ici là;

- Les observations présentées par Cermaq Canada quant aux raisons pour lesquelles le permis de transfert et la prolongation de la durée des permis d’aquaculture devraient être accordés;

- Le point de vue des Premières Nations de Wei Wai Kum, de Wei Wai Kai, des Kwiakah, des K’ómoks, des Homalco et des Tla’amin, qui revendiquent toutes le territoire où sont les sites aquacoles.

Dans vos observations, vous donner des raisons expliquant pourquoi vos demandes de transfert et de prolongation de la durée des permis devraient être acceptées. Entre autres, vous dites être d’avis que l’accord signé avec la Première Nation des Wei Wai Kum pourrait servir de modèle de réconciliation et vous expliquez aussi en quoi cet accord et les autres que vous avez conclus peuvent constituer une réponse aux problèmes de conservation que suscitent les interactions avec le saumon sauvage en plus de contribuer au respect des titres et droits ancestraux des autochtones.

J’ai aussi pris acte de votre point de vue selon lequel les données scientifiques disponibles indiquent que la présence d’agents pathogènes comme l’orthoréovirus pisciaire, la bactérie Tenacibaculum maritimum et le pou du poisson ne pose qu’un risque faible pour les poissons sauvages et qu’à cet égard, vous affirmez avoir mis en place de nombreuses protections pour vous assurer que cela demeure vrai. Vous avez précisé que les demandes faisaient intervenir diverses considérations socioéconomiques, comme l’acceptabilité sociale de la salmoniculture dans certaines zones du nord de l’Île de Vancouver, les investissements annuels dans la collectivité et les initiatives philanthropiques.

J’ai examiné avec attention les informations que vous avez présentées. Même si je comprends votre point de vue, certaines des Premières Nations consultées continuent de s’opposer fermement à l’élevage du saumon dans la région et c’est ce qu’elles ont exprimé au cours des consultations, notamment pour des raisons liées à la conservation et à la protection des stocks de saumon sauvage de même que pour des raisons sociales et culturelles. À mon sens, l’acceptabilité sociale de la pisciculture commerciale dans la région des îles Discovery fait défaut. Or, il s’agit là d’un facteur socioculturel incontournable pour la gestion des pêches et j’estime qu’il revêt une importance particulière dans l’évaluation de vos demandes. Par conséquent, à la lumière de ces préoccupations et de l’absence d’acceptabilité sociale, je dois rejeter vos demandes.

[...]

[47] Dans sa requête, Cermaq affirme que le MPO a rétroactivement mis en œuvre cette nouvelle façon de traiter sa demande de transfert. Elle ajoute qu’avec son processus révisé, le MPO a tenté de mettre en œuvre la décision du ministre en remplaçant le processus cohérent et équitable que le comité des introductions et des transferts avait systématiquement suivi jusque-là pour l’examen des demandes de permis de transfert par un processus improvisé visant à atteindre un résultat particulier. Bref, elle affirme que le processus révisé vise à éviter les conséquences de l’injonction accordée dans l’affaire Mowi tout en parvenant aux fins recherchées par la décision du ministre.

Observations préliminaires

[48] Cermaq a déposé l’avis et le dossier de requête le 22 juin 2021. Le Canada et les autres parties devaient déposer leurs dossiers de requête au plus tard le vendredi 25 juin 2021, et l’audition de la requête a été fixée au 28 juin 2021. Par ailleurs, Cermaq a précisé qu’afin d’éviter un préjudice irréparable (l’élimination des poissons), la Cour devait rendre sa décision au plus tard le 30 juin 2021. Dans une directive donnée le 18 juin 2021, il était prévu que les requêtes pour autorisation d’intervenir devaient être signifiées et déposées au plus tard le vendredi 25 juin 2021; les dossiers de réponse à la requête devaient quant à eux être signifiés et déposés avant 14 h (heure de l’Est) le dimanche 27 juin 2021. La directive précisait également que les plaidoiries orales sur toute requête présentée par la Coalition de conservation en vue d’être autorisée à intervenir dans la requête en injonction auraient lieu lors de l’audition de cette requête en injonction.

[49] Pendant la conférence de gestion de l’instance que les parties ont demandée et qui s’est tenue le lundi 21 juin 2021, j’ai expliqué que, compte tenu des observations formulées au sujet de la requête en injonction dans la décision Mowi, de la longueur des décisions rendues par la protonotaire Aylen sur les requêtes en autorisation d’intervenir déposées dans le cadre de la requête en injonction (décisions rendues avant que ne soit tranchée cette requête en injonction) et de la décision rendue par le juge Pamel dans le dossier d’injonction (l’instruction a eu lieu les 24 et 25 mars et l’injonction a été décernée le 5 avril 2021), il serait contraire aux intérêts de la justice de s’attendre à ce qu’une décision sur la présente requête en injonction soit rendue en à peine une journée.

[50] Finalement, Cermaq a fait savoir qu’elle pouvait ajuster l’alimentation des poissons pour en ralentir la croissance, tout en précisant qu’un tel rationnement devait respecter un certain équilibre pour ne pas leur créer de stress inutile. Grâce à cette technique, la biomasse des poissons de l’alevinière atteindrait le niveau maximal viable vers le 9 juillet 2021, ce qui signifie que la Cour devait rendre sa décision au plus tard le 5 juillet 2021.

[51] Compte tenu du peu de temps qui m’est imparti pour rendre ma décision, je n’entends pas traiter de chaque observation, de chaque affidavit et des documents afférents que renferment les nombreux volumes formant les dossiers de requête des parties. En revanche, j’ai passé en revue l’ensemble des observations écrites et des affidavits et j’ai tenu compte des arguments présentés par les parties lorsqu’elles ont comparu devant moi.

Requête en autorisation d’intervenir – Coalition de conservation

[52] La question du statut d’intervenant a elle aussi été examinée auparavant par la Cour dans le contexte des présentes demandes conjointes. La juge responsable de la gestion de l’instance, la protonotaire Aylen, a été saisie de trois requêtes dont les auteurs cherchaient à obtenir le statut de parties intervenantes ou défenderesses dans les demandes conjointes ainsi que dans les requêtes en injonction présentées par Mowi. Alexandra Morton, la Fondation David Suzuki, la Georgia Strait Alliance, la Living Oceans Society et la Watershed Watch Salmon Society [collectivement, la Coalition de conservation] ont demandé, par voie de requête, l’autorisation d’intervenir dans les demandes conjointes et dans les requêtes en injonction présentées par Mowi. Les Premières Nations des Homalco et des Tla’amin [collectivement, les Nations Sœurs] ont quant à elle déposé une requête en vue d’obtenir le statut de défenderesses ou, subsidiairement, d’intervenantes dans les demandes conjointes et les requêtes en injonction. Enfin, la Nation des Wei Wai Kai, la Première Nation des Wei Wai Kum et la Première Nation des Kwiakah [collectivement, la Nation Laichkwiltach] ont demandé par voie de requête le statut d’intervenantes dans les demandes conjointes et les requêtes en injonction de Mowi.

[53] Dans sa décision (Mowi Canada West Inc. c Ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne (25 mars 2021) [Mowi, intervenante], la juge responsable de la gestion de l’instance a souligné, après avoir énoncé les exigences de l’alinéa 109(2)b) des Règles des Cours fédérales [Règles], qu’il ne s’agissait pas de se contenter d’une affirmation selon laquelle la participation de l’intervenante aiderait à la prise de décision, mais qu’il fallait aussi démontrer en quoi sa participation y aiderait (Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2013 CAF 236 au para 36). La juge responsable de la gestion de l’instance a expliqué que la Cour devait ensuite apprécier et soupeser ces observations à la lumière des facteurs d’application souple énumérés dans la décision Rothmans, Benson & Hedges Inc c Canada (Procureur général), [1990] 1 CF 84, conf par [1990] 1 CF 90 (CA). Elle a également renvoyé aux arrêts Sport Maska Inc c Bauer Hockey Corp, 2016 CAF 44, Gordillo c Canada (Procureur général), 2020 CAF 198, Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 102, Canada (Procureur général) c Canadian Doctors for Refugee Care, 2015 CAF 34 au para 19, de même qu’à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 13, dans lequel la Cour d’appel a reformulé le critère permettant d’accorder le statut d’intervenant (Mowi, intervenante, aux para 46 à 53).

[54] Appliquant ce cadre d’analyse aux questions dont elle était saisie, la juge responsable de la gestion de l’instance a conclu que l’intérêt de la justice incitait à faire droit à la requête de la Coalition de conservation en lui accordant le statut d’intervenante à la fois dans les demandes conjointes et dans les requêtes en injonction présentées par Mowi (Mowi, intervenante, aux para 66 et 67). Quant aux requêtes en autorisation d’intervenir des Nations Sœurs et de la Nation Laichkwiltach, la juge les a rejetées. La décision de la juge responsable de la gestion de l’instance a été confirmée à l’issue de l’appel interjeté par les Nations Sœurs (Mowi Canada West Inc c Ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, 2021 CF 548).

[55] Dans l’affaire qui nous occupe, la Coalition de conservation sollicite encore une fois l’autorisation d’intervenir dans la requête en injonction de Cermaq. Plus précisément, elle sollicite une ordonnance selon laquelle elle sera autorisée à déposer un dossier de réponse à la requête en la forme prévue à l’annexe A de son avis de requête; elle sera autorisée à présenter de vive voix des observations d’une durée maximale de 30 minutes lors de l’audition de la requête en injonction; et elle ne sera condamnée à aucuns dépens, quelle que soit l’issue de la requête en autorisation d’intervenir et de la requête en injonction (la demande d’autorisation d’invoquer l’affidavit de Kilian Stehfest a été abandonnée).

[56] Avant l’audition de la présente affaire, Cermaq a fait savoir, en réponse à une directive de la Cour, qu’elle ne prendrait pas position au sujet de la requête en autorisation d’intervenir de la Coalition de conservation si cette requête s’appuyait, comme on pouvait s’y attendre, sur le même fondement que celle que la Coalition a présentée relativement à la requête en injonction dans l’affaire Mowi. Lorsqu’elle a comparu devant moi, Cermaq a confirmé être convaincue que la requête actuelle de la Coalition de conservation reposait sur le même fondement que sa requête dans l’affaire Mowi. Cermaq n’a donc pas pris position relativement à cette requête.

[57] Le Canada a fait savoir qu’il n’entendait pas prendre position concernant la requête présentée par la Coalition de conservation en vue d’être autorisée à intervenir dans la demande d’injonction de Cermaq.

[58] Grieg a déposé un dossier de requête dans lequel elle a précisé qu’elle ne prenait pas non plus position sur la requête présentée par la Coalition de conservation en vue d’être autorisée à intervenir dans la demande d’injonction de Cermaq.

[59] Dans sa requête, la Coalition de conservation soutient que, si elle est autorisée à intervenir, ses observations aideront la Cour à juger de la prépondérance des inconvénients, l’un des volets du critère qui permet de statuer sur les demandes d’injonction. La Coalition de conservation présentera son point de vue sur ce qu’elle considère comme des mesures de conservation importantes du régime juridique applicable, et sur les conséquences que l’octroi de l’injonction sollicitée aurait pour les saumons sauvages et les écosystèmes, considéré sous l’angle de l’intérêt public.

[60] Eu égard aux observations de la Coalition de conservation et à la décision Mowi, intervenante, qui a notamment accordé à la Coalition de conservation le statut d’intervenante dans les demandes conjointes, je suis convaincue que l’intérêt de la justice incite à faire droit à la requête de la Coalition de conservation. J’accorderai donc à cette dernière le statut d’intervenante. Elle pourra ainsi présenter des observations sur la prépondérance des inconvénients, considérée sous l’angle de l’intérêt public.

Critère applicable à l’octroi d’une injonction

[61] Le critère applicable à l’octroi d’une injonction est bien établi et les parties conviennent qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR-MacDonald], puis confirmé dans l’arrêt R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 au para 12 [Société Radio‑Canada].

[62] Le critère consiste à se demander :

  1. s’il existe une question sérieuse à juger;

  2. si le refus d’accorder l’injonction causera un préjudice irréparable;

  3. si la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’injonction.

[63] Il s’agit d’un critère conjonctif : les trois volets qui le composent doivent être établis pour qu’une mesure interlocutoire puisse être accordée. C’est à la partie requérante qu’il incombe de démontrer que le critère est respecté (RJR MacDonald, aux pp 314 ‑ 315). Et dans tous les cas, la question est essentiellement de savoir si l’octroi d’une injonction est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire (Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 au para 25).

[64] L’injonction interlocutoire est une mesure extraordinaire qui relève de l’equity (Société Radio‑Canada, au para 27). Ainsi, des circonstances impérieuses sont nécessaires pour justifier l’intervention des tribunaux et l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire d’accorder la réparation (Première Nation Ahousaht c Ministre des Pêches et des Océans, 2019 CF 1116 au para 49 [Ahousaht 2019]).

Question préliminaire – la présente requête est-elle régulièrement formée?

[65] Le Canada fait principalement valoir dans la présente requête que Cermaq n’a pas droit à la réparation qu’elle cherche à obtenir parce qu’elle n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision sur le transfert. Si la Cour devait ne pas souscrire à cet argument, le Canada convient, comme il l’a fait dans l’affaire Mowi, que le volet du critère qui se rapporte à l’existence d’une question sérieuse est respecté. Le Canada n’a pas non plus contesté l’allégation de Cermaq sur la question du préjudice irréparable. C’est sur le troisième volet du critère que le Canada et la Coalition de conservation s’opposent à Cermaq, celui de la prépondérance des inconvénients.

La position de Cermaq

[66] Cermaq dit qu’elle ne conteste pas la décision sur le transfert et que l’injonction qu’elle demande ne vise pas cette décision.

[67] Au contraire, Cermaq cherche à restreindre l’application de la décision du ministre, dans la mesure où elle interdit le transfert de poissons vers les sites de l’île Brent et de Venture Point pendant la période de 18 mois prenant fin le 30 juin 2022, soit directement soit par la mise en œuvre du processus révisé, en attendant l’issue de sa demande sous‑jacente de contrôle judiciaire.

[68] Cermaq affirme qu’elle sollicite cette injonction pour s’assurer que sa demande de transfert fasse l’objet d’un examen équitable qui sera conforme à la façon dont les demandes de permis d’aquaculture dans les îles Discovery étaient tranchées avant la décision du ministre et dont elles sont encore tranchées ailleurs en Colombie-Britannique. Cermaq soutient que, si elle obtient l’injonction demandée, elle présentera une nouvelle demande de transfert au comité des introductions et des transferts. Cette nouvelle demande tiendra compte d’un changement de circonstances, soit la dissociation de la demande de transfert et de la demande de prolongation. Cermaq s’engagerait alors à retirer le poisson transféré vers les sites de l’île Brent et de Venture Point au plus tard le 30 juin 2022, à moins que cette date soit modifiée à l’issue du contrôle judiciaire ou par suite d’une décision du ministre.

[69] Cermaq soutient qu’elle sollicite une injonction afin de préserver le [traduction] « véritable statu quo » et d’éviter la destruction de ses biens jusqu’à ce qu’une décision sur le fond soit rendue relativement à sa demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre. Soulignant la distinction qui existe entre l’injonction mandatoire et le bref de mandamus, elle explique qu’elle ne sollicite pas une ordonnance de la nature d’un mandamus, car elle ne cherche pas à obliger le ministre à adopter une nouvelle ligne de conduite et ne demande pas non plus à la Cour d’obliger le ministre à lui délivrer un permis de transfert. Elle demande simplement à la Cour de maintenir le statu quo concernant les transferts habituels et à faible risque de poissons en santé, conformément à ce qui est prévu au Code national sur l’ITOA, que le MPO a systématiquement appliqué jusqu’ici.

[70] Cermaq soutient également que si elle était empêchée, du fait du processus révisé, de transférer les saumons juvéniles, elle n’aura plus aucun véritable recours au moment de l’audition de sa demande principale de contrôle judiciaire. Elle sera forcée d’éliminer 1,5 million de poissons et le ministre aura atteint l’objectif de sa décision tout en échappant à l’application des principes d’équité procédurale, du critère de la décision raisonnable et des pouvoirs de révision de la Cour. Concrètement, le ministre sera parvenu à annuler les permis d’aquaculture de Cermaq dans les îles Discovery en violation du paragraphe 9(2) de la Loi sur les pêches.

La position du Canada

[71] Le Canada rappelle que sa position était connue de Cermaq : celle-ci savait donc que pour contester la décision sur le transfert, elle devait d’abord en demander le contrôle judiciaire, puis fonder sa requête en injonction sur cette demande sous‑jacente. Cette façon de procéder aurait également permis le dépôt d’un dossier certifié du tribunal [DCT] connexe. Or, Cermaq a délibérément choisi de procéder autrement.

[72] Selon le Canada, la mesure demandée par Cermaq relativement à la décision sur le transfert, si elle était accordée, irait au-delà et différerait de ce qui est recherché dans la demande principale – le contrôle judiciaire sous-jacent –, qui porte uniquement sur la décision du ministre. De plus, la mesure demandée est de la nature d’un bref de mandamus, et non une injonction interlocutoire. Pour étayer ce qu’il affirme, le Canada cite la décision Ahousaht 2019, aux para 55 ‑56, et 58‑60.

[73] Le Canada soutient également que Cermaq cherche indûment à obtenir une ordonnance de mandamus et une injonction mandatoire. Il invoque le paragraphe 71 de la décision Ahousaht 2019, où le juge Gascon écrit que les demanderesses « ne demandent pas une injonction mandatoire réparatrice, mais plutôt une ordonnance obligeant le ministre à faire quelque chose qu’il n’a pas encore fait et à adopter une nouvelle ligne de conduite. Il ne s’agit pas d’une injonction interlocutoire. Ce qui est recherché relève de l’essence même des ordonnances de mandamus ». Aux dires du Canada, le statu quo consiste à interdire le transfert de poissons, sauf en vertu d’un permis délivré conformément à l’article 56, ajoutant que la demande de permis de transfert de Cermaq a été refusée. La décision sur le transfert ne fait l’objet d’aucune demande de contrôle judiciaire. À moins qu’un tribunal ne l’infirme, elle demeure valide et juridiquement contraignante. Cermaq ne peut dès lors pas solliciter d’ordonnance enjoignant au ministre de rendre une décision différente relativement au permis de transfert visé à l’article 56. Cela correspond à une demande d’ordonnance de mandamus, et non à un recours en injonction mandatoire.

[74] Le Canada affirme que la décision sur le transfert est une décision administrative qui ne concerne que le Canada et Cermaq. Si Cermaq avait déposé une demande de contrôle judiciaire distincte, le Canada pourrait alors se concentrer comme il se doit sur la défense de cette décision au lieu de devoir assurer dans le cadre d’une même requête la défense de la décision du ministre et la décision sur le transfert. À cet égard, le Canada ajoute que, selon l’article 302 des Règles, Cermaq peut demander réparation uniquement pour la décision du ministre. Elle ne devrait donc pas être autorisée à solliciter d’autres ordonnances qui constituent une attaque indirecte contre la décision sur le transfert, laquelle est valide et n’est pas visée par la demande principale de contrôle judiciaire.

Analyse

i. La nature de la réparation demandée

[75] Le Canada affirme que, parce que la décision sur le transfert n’a pas été contestée, Cermaq n’a pas droit à la mesure de réparation qu’elle demande. Le Canada et Cermaq sont en total désaccord sur la portée et l’intention de la décision rendue par le juge Pamel dans l’affaire Mowi et, en particulier, sur la définition de statu quo.

[76] Le Canada soutient que la mesure de réparation demandée par Cermaq va au‑delà et diffère de ce qu’elle cherche à obtenir dans la demande principale de contrôle judiciaire. Il faut donc commencer par examiner cette mesure.

[77] Dans son avis de requête, Cermaq décrit en ces termes l’ordonnance qu’elle sollicite :

[traduction]

LA REQUÊTE VISE À OBTENIR :

1. Une ordonnance interlocutoire :

a) interdisant au ministre de mettre en œuvre la décision, directement ou par l’application du nouveau processus ou de tout autre processus, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire présentée en l’espèce, dans la mesure où la décision en question interdit le transfert de poissons vers les sites de l’île Brent et de Venture Point pendant la période de 18 mois prenant fin le 30 juin 2022;

b) enjoignant au ministre ou à son délégué de rendre une décision concernant la nouvelle demande de transfert, en ne prenant en considération que les facteurs normalement appliqués aux permis de transfert avant décembre 2020;

c) enjoignant au ministre ou à son délégué de rendre une décision concernant la nouvelle demande de transfert dans les deux jours suivants la réception de cette demande;

d) relevant Cermaq de l’obligation de s’engager au paiement de dommages-intérêts si l’injonction est accordée.

2. [......]

[78] Dans l’avis de demande qu’elle a déposé le 18 janvier 2021, Cermaq donne la description suivante de sa demande et de la réparation qu’elle sollicite :

[traduction]

DEMANDE

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant les faits suivants :

1. Le 17 décembre 2020, le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne (le ministre) a annoncé que, suivant la décision qu’il avait prise :

a) Les permis d’aquaculture des îles Discovery seraient renouvelés le lendemain pour une durée de 18 mois, et ce renouvellement serait le « dernier » à être accordé dans ces îles;

b) Malgré le renouvellement de ces permis, aucun autre poisson, quelle que soit sa taille, ne pourra être introduit dans les installations des îles Discovery;

c) Les élevages ne devront plus compter de poissons au 30 juin 2022 (la décision contraignante)

2. Le 18 décembre 2020, le ministre ou son délégué a délivré à Cermaq Canada Ltd. (Cermaq), pour ses trois sites aquacoles des îles Discovery, trois permis d’aquaculture (permis) qui expireront le 30 juin 2022 (la décision sur les permis).

3. La décision contraignante a pour effet de limiter l’usage que Cermaq Canada Ltd. (Cermaq) peut faire de ses permis, de l’empêcher de se livrer à ses activités normales dans ses sites des îles Discovery en interdisant le transfert de poissons vers ces sites et enfin, de contrecarrer la production de Cermaq dans ces sites pour 2023, alors que sa planification et sa programmation ont commencé en 2017 et 2018.

RÉPARATION DEMANDÉE

La demanderesse demande :

1. Un jugement déclarant que la décision contraignante est déraisonnable, ou illégale et déraisonnable à la fois.

2. À titre subsidiaire, si la décision sur les permis et la décision contraignante devaient être considérées comme une seule décision, un jugement déclarant que le volet de la décision contraignante relative au renouvellement unique des permis est déraisonnable, ou illégal et déraisonnable à la fois.

3. Un jugement déclarant que la décision contraignante a été prise d’une manière qui enfreint les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

4. À titre subsidiaire, si la décision sur les permis et la décision contraignante devaient être considérées comme une seule décision, un jugement déclarant que la décision a été prise d’une manière qui enfreint les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

5. Une ordonnance infirmant ou annulant la décision contraignante.

6. Une injonction provisoire et interlocutoire interdisant que la décision contraignante soit appliquée jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande de contrôle judiciaire.

7. Les dépens.

[...]

[79] Dans la décision Ahousaht 2019, le juge Gascon s’est intéressé à la nature de la réparation demandée dans la requête en injonction dont il était saisi. Dans cette affaire, la demanderesse, une Première Nation, sollicitait, par voie de requête en injonction interlocutoire, une ordonnance interdisant au ministre d’ouvrir la pêche commerciale ou récréative au quinnat CFAG, ou d’en poursuivre l’ouverture, sans permettre à la Première Nation de continuer la pêche commerciale pour 5 000 saumons supplémentaires. Le juge Gascon estimait que le recours présentait une double dimension : une injonction prohibitive liée à une demande exigeant une ligne de conduite précise du ministre (para 55). Il a conclu ce qui suit :

[56] Telle qu’elle est formulée, la requête en injonction des cinq Nations soulève deux problèmes fondamentaux qui, à la lumière de la nature foncièrement exceptionnelle des injonctions interlocutoires, constituent des motifs suffisants justifiant que je m’abstienne d’exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur des cinq Nations et que je rejette la requête. Premièrement, la requête en injonction va au-delà et diverge de ce que demandent les cinq Nations dans leur demande de contrôle judiciaire sous-jacente quant à la réparation recherchée et le « droit ancestral établi » qu’elles ont invoqué. Deuxièmement, la principale réparation demandée est une réparation de la nature d’une ordonnance de mandamus, et non une injonction interlocutoire.

[...]

[58] Il ne faut pas perdre de vue la nature fondamentale des injonctions et leur lien avec une cause d’action ou une demande. Le droit d’obtenir une injonction interlocutoire est simplement subordonné et accessoire à une cause d’action ou à une demande préexistante. Une injonction n’a pas sa propre vie indépendante; il s’agit plutôt d’un recours lié à une action ou à une demande sous‑jacente. Comme la Cour suprême l’a rappelé dans l’arrêt CBC, en général, une injonction est « une réparation qui est subordonnée à une cause d’action » [souligné dans l’original] (SRC au para 24, citant Amchem Products Inc c Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 RCS 897 à la p 930). Le juge Sharpe (dans un ouvrage de doctrine) a fait écho à ce principe lorsqu’il a déclaré que [traduction] « [l]es injonctions interlocutoires sont ‘une mesure prophylactique directement associée à l’affaire en cours’ tandis que ‘les injonctions permanentes sont d’un différent ordre et s’assimilent à une décision finale sur les droits’ » (Robert Sharpe J., Injunctions and Specific Performance, 4e éd (Toronto, Canada Law Book, 2012) [Sharpe] aux para 1.40 et 1.60). Autrement dit, une injonction interlocutoire est une mesure conservatoire et préventive intimement liée à une instance en cours, qu’il s’agisse d’une action ou d’une demande.

[59] Étant donné la nature accessoire des injonctions interlocutoires et le lien direct qu’elles doivent avoir avec une action ou une demande sous‑jacente, les tribunaux hésiteront à exercer leur pouvoir discrétionnaire pour accorder une telle réparation exceptionnelle lorsque la partie requérante demande, au moyen d’une injonction interlocutoire, une réparation et des mesures plus importantes que ce qu’elle demande dans l’action ou la demande sous‑jacente. Autrement dit, il ne serait ni juste ni équitable qu’un tribunal accorde une injonction interlocutoire si la partie requérante réclame, en réalité, plus comme réparation interlocutoire que ce qu’elle demande à la Cour dans le cadre de son action ou de sa demande sous-jacente.

[60] C’est ce que les cinq Nations tentent d’obtenir au moyen de la présente requête en injonction. La principale réparation obligatoire qu’elles demandent (l’allocation de 5 000 quinnats GFAG supplémentaires) n’est pas envisagée dans leur demande de contrôle judiciaire sous‑jacente. De plus, à l’appui de cette réparation élargie, elles invoquent un droit qui, vu sa teneur, diverge des droits ancestraux mentionnés dans leur demande sous‑jacente et est plus étendu que ceux-ci.

[61] Les cinq Nations n’ont pas de conclusions à caractère impératif dans leur demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Elles ne cherchent pas à obtenir des conclusions qui obligeraient le ministre à leur permettre de continuer la pêche commerciale pour au moins une certaine quantité supplémentaire de quinnats GFAG, ni, en réalité, pour aucune espèce particulière de poisson. Elles ne demandent pas non plus à la Cour de modifier le Plan de gestion des pêches ou de le modifier afin d’obtenir des allocations ou des quantités précises de poisson. Je constate également que les cinq Nations ne sollicitent pas le contrôle judiciaire de la décision rendue à la fin de juillet 2019 par laquelle le MPO a refusé leur demande précise visant l’obtention d’une nouvelle allocation de 5 000 quinnats GFAG au milieu de la saison.

[62] Dans leur demande de contrôle judiciaire, les cinq Nations demandent seulement à la Cour de déclarer que le Plan de gestion des pêches ou certaines parties de celui-ci ne leur offrent pas la possibilité d’exercer leurs droits ancestraux d’une manière qui remédie à une partie ou à l’ensemble des violations injustifiées ou qui est autrement compatible avec le jugement Humphries. Elles demandent également une injonction interdisant au ministre de leur imposer une partie ou l’ensemble du Plan de gestion des pêches ou d’autoriser ou d’ouvrir d’autres pêches (récréatives, commerciales générales ou les deux) qui sont incompatibles avec leurs droits ancestraux ou qui ont priorité sur ceux-ci. Toutefois, en aucun temps elles n’ont demandé à la Cour d’obliger le ministre à faire ce qu’elles cherchent à obtenir à l’étape interlocutoire.

[80] Selon moi, il n’est pas aussi évident de déterminer si la réparation demandée par Cermaq dans la présente requête va au-delà et diffère de ce qu’elle demande dans sa demande de contrôle judiciaire sous‑jacente que lorsqu’une demande de réparation supplémentaire, par exemple l’autorisation de capturer 5 000 saumons supplémentaires, vient se greffer à la demande principale, comme c’était le cas dans l’affaire Ahousaht.

[81] Dans sa demande de contrôle judiciaire, Cermaq affirme que la décision du ministre, qui prévoit l’interdiction totale de procéder au transfert de poissons entre le 18 décembre 2020 (date de renouvellement des permis) et le 30 juin 2022, a pour effet de limiter l’usage qu’elle peut faire de ses permis et de l’empêcher de se livrer à ses activités normales dans ses sites des îles Discovery [traduction] « en interdisant le transfert de poissons vers ces sites ». Elle cherche aussi à obtenir réparation par voie d’injonction provisoire et interlocutoire [traduction] « interdisant l’application de la décision contraignante » jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande de contrôle judiciaire.

[82] Dans sa requête en injonction, Cermaq déclare qu’elle cherche à faire interdire la mise en œuvre de la décision du ministre, directement ou par l’application du nouveau processus ou de tout autre processus, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire présentée par elle en l’espèce – dans la mesure où la décision en question interdit le transfert de poissons vers les sites de l’île Brent et de Venture Point pendant la période de 18 mois prenant fin le 30 juin 2022.

[83] Le Canada ne nie pas que le transfert de poissons est une étape normale, nécessaire et régulière de l’élevage du saumon (voir aussi la décision Mowi, aux para 14 et 45). À l’évidence, si les permis de transfert sont refusés, les titulaires des permis d’aquaculture comme Cermaq ne pourront, dans les faits, exploiter leurs installations d’aquaculture autorisées. C’est dans cette situation que Cermaq se trouve désormais par rapport au transfert de poissons depuis l’alevinière de l’île Cecil jusqu’aux sites de grossissement de l’île Brent et de Venture Point.

[84] Il convient par ailleurs de souligner qu’au moment de déposer sa demande de contrôle judiciaire, Cermaq n’avait pas présenté sa demande de transfert et le ministre n’avait pas rendu sa décision sur le transfert. Or, il ne fait aucun doute que ces transferts étaient attendus et qu’ils ont été pris en compte dans la décision du ministre, décision qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente. Ainsi, d’un point de vue général, la réparation demandée dans la demande de contrôle judiciaire et celle visée par la présente requête ont des points communs en ce sens qu’elles se rapportent l’une et l’autre aux permis de transfert.

[85] Cela dit, pour déterminer la nature de la réparation demandée au titre de la présente requête et savoir si la demande sous‑jacente englobe cette réparation ou si cette dernière peut être autrement obtenue, il est nécessaire de considérer deux éléments. Il faut d’une part déterminer si, ainsi que l’affirme Cermaq, de par son esprit et son objet, la décision Mowi a rétabli le statu quo en matière d’évaluation des demandes de permis de transfert, c’est-à-dire le processus qui était suivi avant la décision du ministre, et si elle a posé des limites à la révision de ce processus. D’autre part, il faut aussi déterminer si le nouveau processus et, par le fait même la décision sur le transfert, procède d’une application directe ou indirecte de la décision du ministre, allant à l’encontre des conclusions du juge Pamel à cet égard.

ii. La portée de la décision rendue par le juge Pamel dans l’affaire Mowi

[86] Cermaq soutient qu’elle cherche essentiellement à obtenir la même mesure de réparation que celle que Mowi a demandée et que le juge Pamel lui a consentie. Le Canada s’oppose fortement à cette affirmation.

[87] Dans l’affaire Mowi, l’injonction a été accordée alors que les trois demandes de permis de transfert en cause étaient en cours d’examen. Dans son analyse de la mesure de réparation demandée, le juge Pamel a conclu que les requêtes à l’étude visaient à limiter la mise en œuvre de la décision du ministre (l’interdiction d’introduire de nouveaux poissons, quelle que soit leur taille, dans les installations des îles Discovery pendant la période d’élimination progressive), mais uniquement dans la mesure où cette décision faisait obstacle à la délivrance des permis (au para 45). Puis, il a ajouté ceci :

[traduction]

[49] Il me faut également préciser que Mowi et Saltstream ne cherchent pas à obtenir un résultat particulier, comme le soutient le ministre, ni la délivrance d’ordonnances de la nature d’un bref de mandamus pour obliger le ministre à délivrer les permis de transfert de poissons requis par l’article 56 du RPDG. Au contraire, elles demandent simplement à la Cour de suspendre, par ordonnance, l’application de la décision prise par le ministre à l’égard de trois demandes de permis de transfert, afin que ces demandes puissent être traitées conformément aux dispositions du RPDG et du Code et que la décision du ministre ne vienne pas entraver, ainsi qu’elles le prétendent, l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 56 de ce règlement.

[......]

[69] Je ne suis pas non plus convaincu que la réparation demandée par Mowi et Saltstream dans les présentes requêtes va au-delà de ce qu’elles sollicitent par voie de demande de contrôle judiciaire. Au contraire, la mesure s’accorde très bien avec les conclusions recherchées dans leur demande sous‑jacente.

[70] De plus, je ne puis me ranger à l’avis du ministre, selon qui Mowi et Saltstream cherchent à obtenir une injonction mandatoire. En effet, elles ne demandent pas l’imposition de quelque condition que ce soit par rapport au processus réglementaire inhérent de délivrance de permis de transfert prévu à l’article 56 du RPDG, si ce n’est la levée de l’application de la décision du ministre. Elles cherchent essentiellement à remonter le temps jusqu’à l’instant précédant la décision du ministre pour ce qui concerne la procédure réglementaire et les critères décisionnels applicables à la délivrance de tels permis, et ce, uniquement pour les trois demandes de permis de transfert susmentionnées.

[...]

[87] Je suis conscient que la délivrance de permis de transfert relève d’un processus réglementaire distinct en vertu du RPA, mais l’argument de Mowi et Saltstream consiste à dire que le volet de la décision du ministre prévoyant la fin de la délivrance de permis de transfert procède de l’exercice d’un pouvoir d’origine législative et que le ministre a pris cette décision particulière alors qu’il n’était saisi d’aucune demande de permis de transfert; la décision du ministre visait non seulement les demandes de permis de remplacement pour l’aquaculture – une question qu’il était appelé à trancher –, mais également les futures demandes de permis de transfert. Mowi et Saltstream font valoir qu’en procédant ainsi, le ministre a entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 56 du RPDG relativement aux futures demandes de permis de transfert.

(Non souligné dans l’original.)

[88] Mowi et Saltstream demandaient à la Cour de rendre une ordonnance suspendant l’application de la décision du ministre, en particulier l’interdiction visant le transfert du poisson, à leurs demandes de permis de transfert qui étaient à l’étude. Mowi et Saltstream souhaitaient que leurs demandes de permis de transfert soient traitées conformément au régime prévu dans le Règlement de pêche (dispositions générales) et le Code national sur l’ITOA – sans qu’il y ait entrave à l’exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 56 du fait de l’interdiction totale frappant les transferts par suite de la décision du ministre. À cet égard, le juge Pamel a conclu que Mowi et Saltstream demandaient que soit ordonné le maintien du statu quo (para 50).

[89] Le juge Pamel a conclu que la preuve établissait que Mowi et Saltstream subiraient un préjudice irréparable si elles ne pouvaient obtenir les permis de transfert demandés. Par ailleurs, il a souligné que ces pertes pouvaient survenir malgré l’octroi de l’injonction si le ministre décidait néanmoins de refuser de délivrer les permis de transfert en vertu de son pouvoir légal sans tenir compte de sa décision. À mon sens, il est révélateur que le juge Pamel ait dit que l’injonction ne pouvait servir qu’à éliminer les effets de la décision du ministre sur le processus décisionnel de l’article 56 (para 114).

[90] Par conséquent, l’ordonnance rendue par le juge Pamel dans l’affaire Mowi a eu pour effet d’obliger le ministre à examiner les trois demandes de permis de transfert présentées en vertu de l’article 56 sans tenir compte du volet de sa décision interdisant les transferts.

[91] Or, Cermaq affirme que la décision Mowi va plus loin, de par son esprit et son objet du moins. Plus précisément, Cermaq soutient que la décision a ramené le statu quo, en ce qui concerne le processus d’examen des demandes de permis de transfert, en restaurant le processus qui était appliqué avant la décision du ministre, et que le ministre ne pouvait donc pas mettre en œuvre un nouveau processus ou un processus modifié pour l’examen des permis de transfert.

[92] À cet égard, Cermaq insiste sur la conclusion du juge Pamel selon laquelle Mowi et Saltstream demandaient essentiellement, dans leur requête en injonction, à [traduction] « remonter le temps » jusqu’à l’instant précédant la décision du ministre pour ce qui concerne la procédure réglementaire et les critères décisionnels applicables à la délivrance de permis de transfert. Cermaq soutient que, de par son esprit et son objet, la conclusion du juge Pamel est que l’on doit appliquer aux futures demandes de permis de transfert le processus normal d’évaluation et d’approbation, c’est-à-dire celui qui existait avant l’annonce de la décision du ministre.

[93] Cermaq affirme que, contrairement à l’esprit de la décision Mowi, le ministre a modifié par la suite le processus d’examen des demandes de permis de transfert – quoiqu’uniquement pour les îles Discovery – et a appliqué rétroactivement le processus révisé à la demande de Cermaq. Selon elle, le processus révisé correspond à une tentative du MPO d’éviter les conséquences de l’injonction accordée dans l’affaire Mowi tout en parvenant aux fins recherchées par la décision du ministre.

[94] Autrement dit, au lieu de procéder à l’évaluation des demandes de permis de transfert au moyen de la méthode normale et établie, que Cermaq considère comme étant le statu quo qui a été rétabli dans la décision Mowi, le MPO a modifié cette méthode en y ajoutant une toute nouvelle étape. Le ministre s’est ensuite servi du processus révisé pour asseoir son refus d’approuver les demandes de transfert de poissons de Cermaq, refus qui constitue la décision sur le transfert.

[95] Or, de son côté, le Canada affirme qu’il existe une différence fondamentale entre ces circonstances et celles de l’affaire Mowi, en ce sens que Cermaq a présenté une demande de transfert qui a été refusée par le ministre dans la décision sur le transfert. Telle est la situation. Le Canada ajoute que la Cour ne peut intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en matière de délivrance de permis.

[96] Il convient selon moi de rappeler que, devant le juge Pamel, Mowi et Saltstream ont fait valoir que le ministre avait entravé l’exercice de ce pouvoir. Elles estimaient que ce dernier avait entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis de transfert conféré par l’article 56 en frappant ces permis d’interdiction totale. Ainsi, c’est dans ce contexte que le juge Pamel a parlé d’un retour en arrière. Désormais, lors de l’évaluation des demandes de transfert, le ministre devait ignorer l’interdiction visant les transferts et appliquer le processus habituel d’approbation des demandes.

[97] Je ne crois pas que le juge Pamel ait statué que le ministre était tenu de suivre le processus d’approbation des permis de transfert qui existait à l’époque (ce qui aurait supposé que le comité des introductions et des transferts examine la demande en appliquant le Code national sur l’ITOA et qu’un permis de transfert soit délivré si le directeur régional adoptait la recommandation du comité) et qu’il ait implicitement interdit au ministre d’apporter des changements à ce processus, dans l’hypothèse où celui-ci aurait estimé que de plus amples consultations ou d’autres mesures étaient nécessaires afin d’évaluer les aspects sociaux, économiques, culturels ou autres liés aux demandes de transfert. Ça ne correspond pas à l’ordonnance du juge Pamel : celui‑ci dit simplement que le volet de la décision du ministre prévoyant l’interdiction totale de tout transfert de poissons ne doit pas être appliqué relativement aux trois demandes de transfert en cause. D’ailleurs, il n’avait aucune raison de s’intéresser à cette question, compte tenu des circonstances qui lui étaient présentées. Il ne pouvait pas prévoir qu’en réponse à sa décision dans l’affaire Mowi, le ministre mettrait en place le processus révisé.

[98] À mon avis, la mise en œuvre du processus révisé ne contrevient pas à ce qui a été décidé dans l’affaire Mowi, à savoir que le volet de la décision du ministre selon lequel aucun transfert ne serait autorisé – l’interdiction visant les transferts – ne pouvait être pris en compte pour l’examen des trois demandes de transfert en cause sous le régime de l’article 56.

[99] De plus, le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire absolu en matière de délivrance de permis, et il n’est lié ni par le processus précédent, ni par le Code national sur l’ITOA (Canada (Procureur général) c Robinson, 2021 CAF 39 au para 27; Campbell c Canada (Procureur général), 2006 CF 510 aux para 18 et 19). En outre, comme je l’ai dit plus haut, les articles 2.2 et 2.3 de la Loi sur les pêches obligent le ministre à tenir compte des effets préjudiciables que ses décisions peuvent avoir sur les droits des peuples autochtones. Aux termes de l’alinéa 2.5g), le ministre peut prendre en considération les facteurs sociaux, économiques et culturels dans la gestion des pêches. Qui plus est, le Code national sur l’ITOA reconnaît que l’autorité décisionnelle habilitée par l’article 56 peut prendre en compte des facteurs socioéconomiques et des considérations liées aux peuples autochtones lorsqu’elle cherche à établir si les risques sont ou non acceptables.

[100] Le juge Pamel a reconnu implicitement ce pouvoir discrétionnaire du ministre en déclarant que les pertes de Mowi (le préjudice irréparable) pouvaient survenir malgré l’octroi de l’injonction si le ministre décidait néanmoins de refuser de délivrer les permis de transfert en vertu de son pouvoir légal sans tenir compte de sa décision. Le juge Pamel a également établit les limites de sa décision en déclarant que l’injonction ne pouvait servir qu’à éliminer les effets de la décision du ministre – l’interdiction visant les transferts – sur le processus décisionnel de l’article 56 (para 114).

[101] Sur le plan de la réparation, ce que demande Cermaq dans sa requête est une ordonnance enjoignant au ministre de rendre une décision au sujet de la nouvelle demande de transfert [traduction] « en ne prenant en considération que les facteurs normalement appliqués aux permis de transfert avant décembre 2020 ». D’après ce que j’en comprends, cette mesure vise à tenir compte du fait qu’avant décembre 2020, les demandes de permis de transfert n’étaient pas soumises à un processus de consultation et donc, à empêcher la tenue de consultations dans le cadre du processus d’approbation postérieur à la décision du ministre. Par ailleurs, dans la décision sur le transfert, le ministre a conclu que [traduction] « l’acceptabilité sociale » de la pisciculture commerciale dans les îles Discovery faisait défaut et qu’il s’agissait d’un facteur socioculturel incontournable pour la gestion des pêches. Le ministre s’est appuyé sur cette conclusion liée à l’acceptabilité sociale pour refuser le permis de transfert. Cermaq soutient qu’il s’agit d’une conclusion inédite. Par conséquent, l’ordonnance qu’elle souhaite obtenir devrait aussi empêcher le ministre, en termes généraux, de tenir compte de « l’acceptabilité sociale » qui, selon elle, ne faisait pas partie des [traduction] « considérations habituelles » avant décembre 2020.

[102] Ainsi, dans les faits, Cermaq demande à la Cour d’ordonner au ministre de limiter la portée de son examen de la nouvelle demande de permis de transfert et de ne pas tenir compte des consultations, actuelles ou autres, portant sur les demandes de transfert. Cermaq estime qu’il s’agit d’une mesure de réparation admissible, mais cette conception repose sur sa thèse selon laquelle la décision Mowi a pour effet d’exclure le processus révisé. Pour les motifs exposés précédemment, je ne suis pas de cet avis. Il n’y a rien dans la décision Mowi qui empêche le ministre de mettre en œuvre le processus révisé.

[103] À cet égard, la réparation que Cermaq cherche à obtenir diffère également de celle demandée dans l’affaire Mowi. Dans sa décision, le juge Pamel a conclu qu’à titre de réparation, Mowi et Saltstream sollicitaient une ordonnance visant à suspendre l’application de la décision du ministre aux trois demandes de permis de transfert en cause, ce qui cadrait avec la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire; il a ajouté qu’elles ne demandaient pas d’injonction mandatoire. En l’espèce, la réparation demandée par Cermaq déborde le cadre de leur demande sous‑jacente de contrôle judiciaire, laquelle, s’agissant de l’allusion générale qui est faite à une mesure d’injonction interlocutoire, vise l’applicabilité de la décision du ministre. Dans la décision Mowi, le juge Pamel a conclu que Mowi et Saltstream ne demandaient pas [traduction] « l’imposition de quelque condition que ce soit par rapport au processus réglementaire inhérent de délivrance de permis de transfert » (au para 70). Toutefois, si on devait retenir l’argument de Cermaq fondé sur « l’esprit et l’objet » de la décision du juge Pamel, il faudrait en conclure que cette décision impose au ministre des conditions qui restreignent l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider s’il doit approuver ou non les nouvelles demandes de permis de transfert. En effet, la réparation que Cermaq cherche à obtenir va au-delà de ce qu’elle demande dans la demande sous-jacente de contrôle judiciaire et de la réparation accordée dans la décision Mowi.

[104] Je remarque également qu’en l’espèce, contrairement à la situation qui prévalait dans l’affaire Mowi, le ministre a déjà rendu une décision sur les demandes de permis de transfert en cause. Comme le souligne le Canada, la décision sur le transfert n’a pas été contestée, de sorte qu’elle demeure valide et exécutoire.

[105] Même si la décision Mowi s’applique uniquement aux demandes en cause dans cette affaire, il appert du dossier dont je dispose que, selon l’idée qu’il se fait de l’incidence de cette décision, le ministre pense qu’il ne lui est désormais plus permis de tenir compte du volet de sa décision interdisant les transferts lorsqu’il est appelé à trancher une demande de permis de transfert. Comme je l’ai mentionné plus haut, dans la décision sur le transfert, le ministre a déclaré explicitement qu’il ne l’avait pas fait lors de l’évaluation de la demande de Cermaq.

[106] Par conséquent, vu la réparation particulière que sollicite Cermaq dans sa requête, j’estime que, bien qu’il me soit permis d’ordonner que le volet de la décision du ministre interdisant les transferts ne s’applique pas à la nouvelle demande que Cermaq se propose de soumettre, une telle ordonnance n’aurait aucune utilité pratique.

[107] Par ailleurs, Cermaq affirme ne pas chercher à contraindre le ministre à lui délivrer les permis de transfert. Elle souhaite plutôt soumettre sa nouvelle demande de transfert au comité des introductions et des transferts en la dissociant de sa demande de prolongation. Cermaq prétend qu’il s’agit là d’un changement de circonstances, car elle reconnaît désormais que les poissons devront avoir été retirés le 30 juin 2022, sauf si elle obtient gain de cause dans la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire ou que le ministre modifie la date limite du retrait. Cermaq soutient que cela se répercute sur l’évaluation des risques, car les poissons ne pourront rester dans les parcs que jusqu’à l’échéance fixée par le ministre, alors qu’elle avait demandé au départ une période supplémentaire de 7 mois.

[108] Le Canada convient que Cermaq peut présenter une nouvelle demande conformément au Code national sur l’ITOA et souligne qu’elle n’a pas besoin d’une ordonnance de la Cour pour le faire. C’est vrai. Toutefois, Cermaq doit également composer avec une échéance très serrée, sans quoi elle devra commencer à éliminer ses poissons. C’est pour cette raison, affirme-t-elle, qu’elle demande aussi une ordonnance enjoignant au ministre de statuer sur la nouvelle demande dans un délai de deux jours.

[109] Le mémoire sur le transfert montre que le comité des introductions et des transferts a examiné la demande de permis de transfert de Cermaq conformément à l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) et qu’il a conclu que la demande remplissait les conditions préalables des alinéas 56a), b) et c) et que le permis de transfert pouvait donc être délivré. Le comité a en outre conclu que le MPO avait examiné la demande présentée par Cermaq pour obtenir la prolongation de la durée des permis d’aquaculture des sites de l’île Brent et de Venture Point et avait jugé qu’aucune raison liée à la santé des poissons sauvages ou d’élevage ne faisait obstacle à ces prolongations et que celles-ci pouvaient être accordées. Par conséquent, la présentation d’une nouvelle demande au comité ne servirait vraisemblablement à rien, si ce n’est qu’à obtenir le même résultat. Et le MPO a déjà recommandé d’approuver la prolongation demandée par Cermaq.

[110] En dernier ressort, toutefois, même si Cermaq présente sa nouvelle demande de transfert, ce qu’elle demande à la Cour, à titre de réparation, consiste à ordonner que le ministre rende une décision au sujet des nouvelles demandes de transfert [traduction] « en ne prenant en considération que les facteurs normalement appliqués aux permis de transfert avant décembre 2020 ». Comme je l’ai expliqué plus haut, la réparation demandée vise à imposer des limites à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Elle diffère en cela de la réparation accordée dans la décision Mowi et va au-delà et diffère de la réparation demandée dans la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire.

iii. La décision sur le transfert constitue-t-elle une application directe ou indirecte de l’interdiction visant les transferts?

[111] Cermaq affirme aussi que le processus révisé est une tentative, directe ou indirecte, de mettre en œuvre la décision du ministre. Autrement dit, elle soutient que le nouveau processus d’approbation des demandes de permis de transfert de poissons autorise le ministre à faire indirectement ce qu’il ne peut faire directement, c’est-à-dire appliquer l’interdiction sur les transferts.

[112] Cermaq porte à l’attention de la Cour un certain nombre d’éléments factuels qui, selon elle, étayent ses dires. Elle fait notamment valoir que le résultat de sa demande de transfert rappelle la décision, en date du 26 février 2021, par laquelle la demande présentée par Mowi relativement à Sonora Point avant la mise en place du processus révisé a été rejetée, et où la décision du ministre a été expressément prise en compte. Le ministre a tranché les demandes de Mowi et de Cermaq selon un critère que cette dernière estime inédit, c’est-à-dire [traduction] « l’acceptabilité sociale ». En outre, Cermaq soutient que la mise en œuvre du processus révisé constitue une réponse à l’injonction accordée dans l’affaire Mowi et que le processus s’applique uniquement aux îles Discovery. De plus, comme en témoigne le fait que le processus révisé prévoit la tenue de consultations avec les Première Nations, dont le ministre savait qu’elles n’étaient pas favorables à l’aquaculture, les changements apportés au processus visaient un résultat particulier, censé donner effet à la décision du ministre.

[113] Dans la présente requête en injonction, Mowi a présenté des observations à l’appui de la position de Cermaq. Mowi craint elle aussi que le processus révisé ait été conçu pour contourner l’esprit de l’injonction accordée dans la décision Mowi. Selon elle, cette crainte n’est pas sans fondement. Elle affirme qu’à l’issue de l’audience présidée par le juge Pamel, à laquelle le Canada a participé, mais avant que le juge ne fasse connaître sa décision, le ministre a rejeté la demande de permis de transfert de Mowi au motif que [traduction] « l’acceptabilité sociale [...] fai[sai]t défaut ». Lorsque la décision Mowi a été rendue et l’injonction accordée, le processus révisé a été appliqué rétroactivement à la nouvelle demande que Mowi a présentée et qui portait sur ce même transfert. Mowi affirme que le processus révisé a retardé la décision relative à ce transfert, ce qui l’a forcée à modifier ses activités, à déplacer les poissons marins et à éliminer les 600 000 poissons d’eau douce par ailleurs sains que l’injonction demandée dans l’affaire Mowi visait à sauver. Mowi continuer de redouter que le processus révisé soit appliqué à sa plus récente demande de transfert de 525 000 poissons et déplore qu’il ait ouvert la voie à un résultat destiné à cadrer avec la décision du ministre.

[114] Sur la question de l’application directe de l’interdiction, le ministre prétend s’être conformé à la décision du juge Pamel pour statuer sur la demande de transfert de Cermaq. Dans la décision sur le transfert, le ministre déclare expressément avoir tenu compte de sa décision (la décision du ministre) d’éliminer progressivement les activités d’aquaculture dans les îles Discovery, ajoutant [traduction] « [avoir] toutefois fait abstraction du volet de cette politique qui a trait à l’intention de mettre fin au transfert de poissons dans les installations d’aquaculture autorisées des îles Discovery d’ici là ».

[115] Je ne dispose d’aucune preuve qui contredise directement cette déclaration. De plus, dans la mesure où Cermaq (à l’instar de Mowi) prétend que le ministre a, dans les faits, agi de mauvaise foi en mettant en œuvre le processus révisé, il s’agit d’une question dont il convient de débattre en attaquant directement la décision sur le transfert pour ce motif. Contester cette décision dans le cadre actuel revient à la contester indirectement.

[116] S’agissant de son allégation selon laquelle le ministre a indirectement appliqué le volet de la décision du ministre interdisant les transferts, Cermaq s’interroge quant aux motivations du ministre et au moment qu’il a choisi pour mettre en œuvre le processus révisé.

[117] Le Canada reconnaît que, par suite de la décision du ministre, le MPO a apporté [traduction] « deux ajustements » à son processus d’approbation des demandes de permis de transfert pour les îles Discovery.

[118] Sur ce point, le Canada a produit un affidavit souscrit le 24 juin 2021 par Mme Tracey Sandgathe, directrice de la gestion de l’aquaculture au MPO [l’affidavit Sandgathe], auquel des pièces sont annexées. L’affidavit Sandgathe décrit les [traduction] « ajustements » apportés au processus de délivrance des permis de transfert de poissons. Est annexé comme pièce à cet affidavit un mémoire adressé au ministre en date du 23 avril 2021. Intitulé Memorandum for the Minister, Consultation Approach for Requests to Transfer Marine Finfish into Discovery Islands (FOR INFORMATION), le document a été en partie caviardé. Dans le résumé du document, il est précisé que le mémoire vise à informer le ministre du mode de consultation adopté pour les demandes de transfert de poissons dans les sites de pisciculture marine des îles Discovery. Y sont ensuite décrits les effets de l’injonction décernée dans l’affaire Mowi sur la décision du ministre (empêcher l’application du volet de la décision du ministre interdisant tout nouveau transfert de poissons). Bien que le mémoire ait pour auteurs les sous-ministre et sous-ministre adjoint, son résumé contient une section caviardée qui est accompagnée de la mention [traduction] « protégé par le secret professionnel de l’avocat ». À la suite de la section caviardée vient la déclaration suivante :

[traduction]

Par conséquent, en raison des demandes de transfert déjà reçues et de celles qui sont attendues, nous avons élaboré un plan pour la gestion des demandes et la consultation des Premières Nations des îles Discovery, ainsi qu’un calendrier prévoyant l’approbation ministérielle et les protocoles pour la tenue des dossiers.

[119] Le mémoire traite de la question des demandes de transfert à venir : d’après les auteurs, le MPO peut s’attendre à recevoir jusqu’à 10 demandes dans les prochains mois. Trois d’entre elles avaient déjà été présentées, dont une provenant de Cermaq. Le reste de la section est une fois de plus caviardé, apparemment au nom du secret professionnel de l’avocat. La section suivante porte sur l’approche adoptée pour le traitement des demandes de transfert :

[traduction]

Compte tenu de la décision rendue par la Cour relativement à l’injonction (CAVIARDÉ) et des demandes de transfert déjà reçues et de celles qui sont attendues, le Ministère modifie sa façon d’aborder l’examen des demandes de transfert en y ajoutant des consultations auprès des sept Premières Nations revendiquant des territoires qui chevauchent les îles Discovery. Dans sa décision, la Cour fédérale a souligné qu’elle ne disposait d’aucune preuve établissant que des consultations sérieuses avaient été menées auprès des Premières Nations quant au volet de votre décision portant sur l’interdiction des transferts (CAVIARDÉ).

(Non souligné dans l’original.)

[120] Le mémoire traite ensuite des consultations : ses auteurs signalent qu’il s’agit d’une nouvelle composante du processus d’évaluation des permis d’introduction et de transfert d’espèces. Ils précisent qu’un plan pour la gestion des demandes et la consultation des Premières Nations est annexé au mémoire, que l’approche en question ne s’applique qu’aux transferts visant les îles Discovery et que, du fait de l’ajout de ces nouvelles étapes, la norme de service, qui prévoyait jusque-là un délai de 20 jours ouvrables entre la présentation de la demande et la décision, a été portée à 40 jours ouvrables. Après un nouveau passage caviardé, les auteurs du mémoire précisent que deux des Premières Nations ont déjà fait valoir qu’elles n’avaient pas été consultées au sujet d’un nouvel effet défavorable causé par un agent pathogène (le plan annexé au mémoire renvoie à trois lettres datées des 1er, 6 et 8 avril 2021, qui ont été reçues des avocats de ces deux Premières Nations). Le passage qui suit est également caviardé.

[121] Sur les raisons de l’adoption du processus révisé, l’affidavit Sandgathe explique que, dès l’annonce de la décision du ministre, le MPO a aménagé le processus de façon à ce que les décisions finales ayant trait aux demandes de permis de transfert relèvent directement du ministre, et non du directeur régional de la gestion des pêches (cette mesure faisait suite à la décision du ministre de rejeter la recommandation du sous-ministre, exposée précédemment, et d’y substituer la décision du ministre). Puis, en avril 2020, le MPO a ajouté des consultations avec les Premières Nations ainsi que de nouvelles consultations avec les auteurs de demandes de permis visés à l’article 56 en vue du transfert de poissons dans les îles Discovery (ce qui renvoie au mémoire susmentionné portant sur les consultations). Mme Sandgathe explique que ce second « ajustement » a été motivé par deux événements. D’abord, trois lettres (datées des 1er, 6 et 8 avril 2021) ont été reçues des avocats des Premières Nations des Homalco et des Tla’mins, qui affirmaient qu’en raison d’un nouvel effet défavorable sur le saumon sauvage, attribuable à un agent pathogène (Tenacibaculum, une bactérie causant la pourriture de la bouche), ces Premières Nations devaient être consultées quant à toute demande de permis de transfert dans les îles Discovery. Selon Mme Sandgathe, le deuxième événement expliquant le réaménagement tient au fait que [TRADUCTION] « le 5 avril 2021, la Cour fédérale a statué sur la requête en injonction de Mowi et Saltstream. Dans sa décision, la Cour fédérale a souligné qu’elle ne disposait d’aucune preuve établissant que des consultations sérieuses avaient été menées auprès des Premières Nations quant au volet de votre décision portant sur l’interdiction des transferts dans les îles Discovery ».

[122] Ni le mémoire ni Mme Sandgathe ne précise le passage de la décision Mowi où se trouve l’observation du juge Pamel censée avoir provoqué la modification d’un processus bien établi d’évaluation des demandes de permis de transfert visés à l’article 56, parce que le juge y soulignerait l’absence de consultations sérieuses.

[123] En revanche, je remarque que, dans son analyse du volet du critère relatif à l’octroi d’une injonction qui concerne l’existence d’une question sérieuse, lorsqu’il traite d’une affirmation de Mowi et Saltstream selon laquelle le dossier présenté au ministre ne contenait aucun élément susceptible d’éclairer sa décision d’interdire les permis de transfert, le juge Pamel conclut que les parties intéressées, y compris les Premières Nations, ont été consultées au sujet des impératifs d’ordre politique supérieurs liés à l’avenir de l’élevage salmonicole dans les îles Discovery. Cela dit, il souligne que la preuve faisant état des préoccupations suscitées par le maintien de la délivrance de permis de transfert de poissons se résume à une seule déclaration (Mowi, au para 82). Le juge Pamel cite ensuite un extrait d’un affidavit produit par le Canada, dont on pouvait déduire, aux dires du Canada, que les Premières Nations consultées ne voulaient plus d’autres transferts. À cela, le juge Pamel répond : [traduction] « [U]ne autre interprétation de la preuve permet de penser que ce ne sont pas les communautés des Premières Nations qui ont été les premières à s’inquiéter de la possibilité que la délivrance de permis de transfert se poursuive pendant la période d’élimination progressive, et que ces inquiétudes émanaient plutôt d’une allusion faite par le ministre » (Mowi, aux para 81 à 84).

[124] De même, dans son analyse portant sur le troisième volet du critère relatif à l’octroi d’une injonction qui est consacré à la prépondérance des inconvénients, le juge Pamel souligne que, selon l’argument invoqué par le Canada, le fait de surseoir à l’application de cette partie de la décision du ministre qui porte sur les permis de transfert nuirait aux efforts de réconciliation avec les Premières Nations. Reconnaissant l’importance des efforts de réconciliation, le juge Pamel ajoute que, bien qu’il s’agisse d’un facteur s’opposant à la délivrance d’une injonction, il lui est difficile de conclure, d’après la preuve dont il dispose, que des consultations sérieuses ont été menées auprès des Premières Nations concernant la possibilité d’interdire la délivrance de permis de transfert (au para 122).

[125] Dans son affidavit, Mme Sandgathe affirme que les consultations menées au cours du processus révisé [traduction] « visaient à permettre au MPO de s’acquitter de toute obligation de consulter les Premières Nations qui pouvait lui incomber en lien avec les demandes de permis de transfert visés à l’article 56, et de fournir au ministre l’information utile à la prise de décisions sur les transferts à destination des îles Discovery » (para 44).

[126] À mon avis, le juge Pamel n’a pas conclu qu’il y avait eu manquement à l’obligation de consulter en ce qui concerne l’octroi ou le refus des permis de transfert. Il n’était pas appelé à trancher cette question. Il a plutôt conclu que la thèse avancée par le Canada, selon laquelle les Premières Nations auraient été favorables à la décision du ministre d’interdire complètement la délivrance de tout nouveau permis de transfert pendant la période d’élimination progressive, n’était pas étayée par le dossier dont disposait le ministre lorsqu’il a pris sa décision.

[127] Cermaq se dit sceptique concernant les raisons qui ont motivé l’adoption du processus révisé. Si je me réfère aux observations du juge Pamel citées plus haut, je conviens que le passage du mémoire sur les consultations où l’on peut lire que le magistrat aurait [TRADUCTION] « souligné » qu’il ne disposait d’aucune preuve de consultations sérieuses représente une interprétation douteuse de son raisonnement et une incitation tout aussi douteuse à mettre en œuvre un volet de consultations entièrement nouveau. Comme le remarque Cermaq, il n’a jamais été question par le passé de mener des consultations au sujet des demandes de permis de transfert et le processus révisé ne s’applique d’ailleurs qu’à l’égard des îles Discovery. Selon Cermaq, la pratique normale veut que l’analyse fondée sur l’article 56 soit réalisée par le comité des introductions et des transferts et que, si la santé des poissons n’est pas en cause, le permis de transfert soit automatiquement délivré, une affirmation que ne conteste pas le Canada.

[128] Quant aux lettres dans lesquelles les avocats des Premières Nations des Homalco et des Tla’amin affirment qu’un agent pathogène ayant un nouvel effet défavorable sur le saumon sauvage dans les îles Discovery obligeait le MPO à les consulter au sujet des demandes de permis de transfert et qu’il ne l’a pas fait, je signale au passage que l’obligation de consulter en cas d’allégation quant à l’apparition d’un nouvel effet défavorable a déjà été débattue dans le cadre d’autres litiges (Morton c Canada (Pêches et Océans), 2019 CF 143; Première Nation des Namgis c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière canadienne), 2020 CAF 122). À mon sens, si le MPO était d’avis que cette préoccupation justifiait la tenue de consultations distinctes, il était libre d’y procéder. Toutefois, le mémoire sur les consultations ne fait qu’une brève allusion à la question et il ne semble pas que cela ait été un facteur déterminant dans la décision d’adopter le processus révisé.

[129] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que Cermaq n’a pas tort d’affirmer que le processus révisé a été mis en œuvre en réponse à l’injonction accordée dans l’affaire Mowi. Pourtant, ce constat ne lui est d’aucune aide dans la présente requête. Pour reprendre la conclusion à laquelle je suis déjà arrivée, la décision Mowi n’empêche pas le ministre de mettre en œuvre le processus révisé.

[130] Cermaq affirme aussi que le processus révisé qui a été appliqué à sa demande de permis de transfert constituait une mise en œuvre indirecte de l’interdiction visant les transferts.

[131] Les faits à l’origine de cette affirmation ont pour point de départ le 27 avril 2021, date à laquelle le MPO a écrit aux sept Premières Nations. Cette lettre renvoie à la lettre de Mme Sandgathe du 16 avril 2020 concernant l’injonction accordée à Mowi et les mesures prises par le MPO vis‑à‑vis des demandes de transfert qu’il recevait. Le MPO y explique que, puisqu’il continue de recevoir des demandes de transfert de poissons, il est essentiel qu’il comprenne la perspective des Premières Nations et qu’il sache si les transferts seraient acceptés du point de vue social et culturel. Il ajoute que les consultations précédentes, y compris celles du 17 septembre et du 10 décembre 2020, ont notamment porté sur la question de la santé des poissons, [traduction] « facteur sous‑jacent associé aux demandes de transfert ». Lors des nouvelles consultations, le MPO donnerait un préavis concernant tout projet de transfert et y joindrait les renseignements produits par l’auteur de la demande de transfert ainsi que l’information en la possession du ministère sur les risques éventuels liés au transfert. Les Premières Nations devaient disposer de 15 jours pour informer le MPO des réserves qu’elles avaient par rapport au projet et qui n’avaient pas été étudiées lors des précédentes consultations, le MPO s’engageant à tenir compte de ces réserves pour rendre une décision sur le transfert de poissons.

[132] Le 29 avril 2021, le MPO a écrit aux sept Premières Nations pour les informer de la demande de transfert de Cermaq. Une fois de plus, il mentionne que les consultations précédentes, y compris celles du 17 septembre et du 10 décembre 2020 ayant trait à la décision relative aux permis d’aquaculture des exploitations salmonicoles des îles Discovery, avaient notamment porté sur la question de la santé des poissons, [traduction] « facteur sous‑jacent associé aux demandes de transfert ». Il explique qu’au cours des consultations sur le renouvellement des permis, le MPO avait communiqué des renseignements — dont des données scientifiques et d’autres sur la santé des poissons — qu’il avait présentés une fois de plus, accompagnés d’information concernant la demande de transfert de Cermaq. Les Premières Nations étaient ensuite invitées à faire connaître au MPO les réserves qu’elles avaient relativement au projet de transfert des poissons et qui n’avaient pas été abordées lors des consultations précédentes. Dans la lettre adressée aux Premières Nations des Hamalco et des Tla’min, le MPO ajoutait qu’il tiendrait compte des lettres des 1er, 6 et 8 avril 2021 rédigées par leurs avocats. Une lettre distincte a été envoyée à ces Premières Nations concernant la demande de prolongation de la durée des permis d’aquaculture de Cermaq. Les réponses et les notes prises lors d’une rencontre réunissant le ministre, des représentants du MPO et les Premières Nations sont jointes en tant que pièces à l’affidavit Sandgathe et sont décrites dans le mémoire sur le transfert.

[133] Cermaq a eu la possibilité d’examiner les observations des Premières Nations et d’y répondre.

[134] Vu le dossier qui m’a été présenté, je partage l’avis de Cermaq : les réponses aux consultations et les notes relatives aux consultations auxquelles ont assisté le ministre et le MPO ne portent pas particulièrement sur le transfert des poissons visés par la demande de Cermaq, c’est-à-dire sur la question de savoir en quoi ces poissons particuliers dont Cermaq souhaitait le transfert présentaient un risque inacceptable. Même dans la décision sur le transfert il est mentionné que, lors des consultations relatives aux permis de transfert, certaines Premières Nations continuaient de s’opposer fermement à l’élevage du saumon dans les îles Discovery. Une fois de plus, il s’agit d’une allusion générale à l’aquaculture qui ne vise pas spécifiquement la demande de permis de transfert de Cermaq, laquelle a fait l’objet de nouvelles consultations au cours du processus révisé.

[135] Le MPO a examiné les résultats des consultations, l’évaluation du comité des introductions et des transferts et d’autres documents et en a résumé la teneur dans le mémoire sur le transfert. Rappelons que dans ce mémoire, il était recommandé que le ministre approuve la demande de transfert de Cermaq et accepte de prolonger de sept mois la durée de ses permis d’aquaculture.

[136] Le ministre a rejeté cette recommandation. Dans la décision sur le transfert, il explique que certaines Premières Nations continuent de manifester leur ferme opposition à l’aquaculture du saumon dans les îles Discovery, ce qui l’avait amené à conclure que « l’acceptabilité sociale » de la pisciculture commerciale dans la région faisait défaut et par conséquent, à refuser les permis de transfert et la prolongation demandés.

[137] Or, le mémoire sur le transfert montre que le MPO a tenu compte des consultations effectuées au titre du processus révisé et qu’il a tout de même recommandé que les demandes de transfert et de prolongation de la durée des permis soient approuvées. Il s’ensuit que le processus révisé ne garantissait pas à lui seul une certaine issue. Considéré sous cet angle, il ne s’agissait pas d’une application indirecte de la décision du ministre. La décision sur le transfert est plutôt la conséquence du rejet de la recommandation du MPO par le ministre et de son évaluation des consultations complémentaires.

[138] S’il est vrai qu’il y a peut-être lieu de remettre en question le caractère raisonnable de l’évaluation du ministre eu égard au dossier dont il disposait, et que Cermaq réprouve sa conclusion quant à « l’acceptabilité sociale », qu’elle juge inédite, ainsi que l’application rétroactive de la politique révisée à sa demande de permis de transfert, il reste que ce sont toutes des questions qui touchent au fond de la décision sur le transfert, qui n’a pas été contestée et qui n’est pas visée par le contrôle judiciaire qui sous‑tend la présente requête.

Conclusion

[139] En conclusion, la requête en injonction de Cermaq repose sur la prémisse selon laquelle la décision Mowi a établi que le processus d’examen des demandes de permis de transfert normalement suivi avant la décision du ministre représentait le statu quo et que, de par l’esprit et l’objet de la décision Mowi, le ministre n’était pas autorisé à apporter des changements à ce processus. Or, comme je l’ai mentionné plus haut, je ne suis pas d’avis que la décision Mowi visait à empêcher le ministre de mettre en place le processus révisé.

[140] Il s’ensuit que la réparation demandée par Cermaq, laquelle vise à faire interdire la mise en œuvre de la décision du ministre, directement ou par l’application du nouveau processus ou de tout autre processus, ne peut lui être accordée. La même conclusion vaut pour la réparation visant à enjoindre au ministre de rendre une décision concernant la nouvelle demande de transfert [traduction] « en ne prenant en considération que les facteurs normalement appliqués aux permis de transfert avant décembre 2020 ». Compte tenu du dossier qui m’a été présenté, je ne suis pas non plus convaincue que le processus révisé ait eu pour but de garantir un certain résultat, de façon à mettre indirectement en œuvre le volet de la décision du ministre interdisant les transferts.

[141] La réparation demandée par Cermaq – limiter l’action du ministre pendant le processus d’examen des demandes de permis de transfert – va également au-delà et diffère de la réparation sollicitée dans sa demande sous‑jacente de contrôle judiciaire qui vise à empêcher l’application de la décision du ministre jusqu’à l’audition du contrôle judiciaire. La réparation sollicitée dans la demande de contrôle judiciaire ne concerne que la décision du ministre, alors que celle demandée dans la présente requête vise la manière dont la demande de permis de transfert de Cermaq a été évaluée et sera évaluée lorsqu’elle sera présentée à nouveau.

[142] Cette conclusion est décisive quant à l’issue de la requête.


ORDONNANCE dans les dossiers T-129-21, T-127-21, T-128-21 et T-132-21

LA REQUÊTE EN AUTORISATION D’INTERVENIR

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête présentée par Alexandra Morton, la Fondation David Suzuki, la Georgia Strait Alliance, la Living Oceans Society et la Watershed Watch Salmon Society [collectivement, la Coalition de conservation] en vue d’obtenir l’autorisation d’intervenir dans la requête de Cermaq Canada Ltd est accueillie;
  2. La Coalition de conservation est autorisée à déposer un dossier de réponse à la requête en la forme prévue à l’annexe A de son avis de requête et à présenter de vive voix des observations d’une durée maximale de 30 minutes lors de l’audition de la requête en injonction;
  3. Aucuns dépens ne sont adjugés à la Coalition de conservation ou contre elle.

LA REQUÊTE EN INJONCTION

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête présentée par Cermaq Canada Ltd. en vue d’obtenir une injonction interlocutoire est rejetée;
  2. Les dépens suivront l’issue des demandes conjointes et sous‑jacentes de contrôle judiciaire.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-129-21, T-127-21, T-128-21 et T-132-21

 

INTITULÉ :

MOWI CANADA WEST INC., CERMAQ CANADA LTD., GRIEG SEAFOOD B.C. LTD. ET 622335 BRITISH COLUMBIA LTD. c LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE et ALEXANDRA MORTON, FONDATION DAVID SUZUKI, GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LIVING OCEANS SOCIETY ET WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JUIN 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JUILLET 2021

 

COMPARUTIONS :

Aubin Calvert

POUR LA DEMANDERESSE

622335 British Columbia Ltd.

 

Roy W. Millen

Rochelle L. Collette

POUR LA DEMANDERESSE

Mowi Canada West Inc.

 

Kevin O’Callaghan

Dani Bryant

David MacLean

POUR LA DEMANDERESSE

Cermaq Canada Ltd.

 

Keith Bergner

Michelle Casey

POUR LA DEMANDERESSE

Grieg Seafood BC Ltd.

 

Jennifer Chow

Michelle Charles

James Rendell

Alicia Blimkie

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Margot Venton

Kegan Pepper-Smith

POUR LA

Coalition de conservation

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hunter Litigation Chambers Law Corp.

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

622335 British Columbia Ltd.

 

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mowi Canada West Inc.

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Cermaq Canada Ltd.

 

Lawson Lundell LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Grieg Seafood BC Ltd.

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Ecojustice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA

Coalition de conservation

 

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