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Date : 20220124


Dossier : IMM-5911-20

Référence : 2022 CF 6

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

PAULO M POPOOLA,

JOSEPH POPOOLA MENDES CUESTA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont un père et son fils. Le demandeur principal, M. Paulo Mendes Popoola, est citoyen du Nigéria. Son fils, M. Joseph Popoola Mendes Cuesta, est citoyen de l’Équateur. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 16 octobre 2020 [la décision] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] du 9 juillet 2019 selon laquelle ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] En ce qui concerne le père (le demandeur principal), la SPR et la SAR ont conclu qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] au Nigéria, notamment à Lagos et à Benin City.

[3] À l’égard du fils (le demandeur mineur), la SPR et la SAR ont conclu que le fait qu’il soit Afro‑Équatorien était insuffisant pour démontrer qu’il risquait sérieusement d’être persécuté pour un motif prévu par la Convention ou qu’il serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Équateur. En l’espèce, les demandeurs n’ont présenté aucun argument à l’égard du caractère raisonnable du rejet de la demande du demandeur mineur par la SAR.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[5] La demande du demandeur principal est fondée sur la menace que représenterait à son égard l’organisation musulmane Amadiyat [l’organisation Amadiyat], qui est basée à Ayetoro. Il soutient que son père, qui est décédé, était un important dirigeant de cette organisation.

[6] Le demandeur principal allègue qu’il s’est converti de l’islam au christianisme en 1992 contre la volonté de sa famille. Il affirme qu’en 1994, il a reçu des menaces de mort en raison de sa conversion, que des membres de l’organisation Amadiyat ont brûlé sa maison familiale et qu’il a été battu.

[7] Le demandeur principal a fui le Nigéria et a voyagé dans plusieurs pays pour ensuite se rendre en Équateur, où il a travaillé comme marchand dans l’industrie du vêtement. Il a rencontré sa conjointe de fait en Équateur et c’est là que le demandeur mineur est né.

[8] En 2013, le demandeur principal, sa conjointe de fait et le demandeur mineur ont fui aux États‑Unis, où ils ont demandé l’asile. Avant que les demandes soient mises au point, la conjointe de fait du demandeur principal a été expulsée vers l’Équateur, son pays d’origine. En 2018, craignant d’être renvoyé au Nigéria à la suite de l’expulsion de sa conjointe, le demandeur principal est venu au Canada avec le demandeur mineur et y a demandé l’asile en leurs noms.

[9] Le demandeur principal a demandé l’asile à titre de réfugié venant du Nigéria et le demandeur mineur a demandé l’asile à titre de réfugié venant de l’Équateur en se fondant sur les allégations de son père.

[10] La SPR a conclu que le demandeur principal disposait d’une PRI viable dans les villes de Lagos et de Benin City. Lorsqu’elle a examiné la demande du demandeur principal, la SPR a conclu que celui‑ci n’avait pas démontré comment l’organisation Amadiyat, un acteur non étatique, parviendrait à le trouver dans des villes habitées par des millions de personnes plus de deux décennies après son départ du Nigéria.

[11] Dans son formulaire de fondement de la demande d’asile, le demandeur a indiqué qu’il parle anglais, yoruba, français et espagnol, qu’il possède un diplôme d’études secondaires et qu’il a travaillé dans divers secteurs pendant plus de deux décennies et dans plusieurs pays. La SPR a conclu que ces facteurs lui permettraient de se trouver un emploi dans les endroits proposés comme PRI. Elle a également tenu compte du niveau de tolérance à l’égard des convertis au sein des communautés chrétiennes et musulmanes dans les endroits proposés comme PRI. Elle a finalement conclu que le demandeur principal n’avait pas établi qu’il serait déraisonnable ou excessivement difficile pour lui de déménager dans les villes proposées comme PRI.

[12] En ce qui concerne le demandeur mineur, le demandeur principal a informé la SPR qu’il a fondé la demande de son fils sur ses propres expériences en Équateur. La SPR a analysé les éléments soulevés dans le récit du demandeur principal au sujet de son séjour en Équateur. Dans son témoignage, le demandeur principal a affirmé qu’il a été attaqué à plusieurs reprises parce qu’il faisait partie d’une minorité visible. La SPR a signalé plusieurs omissions et contradictions entre les renseignements présentés dans le formulaire de fondement de la demande d’asile et le témoignage livré par le demandeur principal à l’audience. Elle a finalement conclu que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible. La SPR a rejeté la demande du demandeur mineur en raison du manque de crédibilité du demandeur principal et du caractère insuffisant de sa preuve objective.

A. La décision

[13] Devant la SAR, le demandeur principal a soutenu que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il disposait d’une PRI viable et qu’il manquait de crédibilité.

[14] À titre préliminaire, le demandeur principal a cherché à présenter de nouveaux éléments de preuve, notamment un rapport de police et des photos relatif à une attaque subie par le frère de la conjointe de fait du demandeur principal en 2018, ainsi qu’un article de journal concernant les enlèvements ayant cours au Nigéria. La SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles parce que le demandeur n’avait pas démontré qu’ils satisfaisaient aux exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR. En particulier, la SAR a conclu que les photos et les rapports de police concernaient des événements antérieurs au rejet de la demande d’asile par la SPR et que le demandeur principal n’avait pas expliqué pourquoi ceux‑ci n’avaient pu être obtenus plus tôt. La SAR a rejeté l’article de presse au motif qu’il était antérieur au rejet de la demande par la SPR.

[15] Le 18 juin 2020, la SAR a envoyé une lettre à l’avocat des demandeurs pour l’aviser qu’elle se fonderait sur la plus récente version du cartable national de documentation [CND] pour le Nigéria, datée du 9 avril 2020, et lui a fourni le lien pour le consulter. La lettre énonçait en outre que si les demandeurs souhaitaient présenter des observations « sur les onglets en question », ils devraient présenter des observations et une preuve à l’appui au plus tard le 20 juillet 2020.

[16] Dans une lettre fournie en réponse le 17 juillet 2020, les demandeurs ont présenté des arguments et des éléments de preuve supplémentaires. La lettre mentionnait que les événements relatés dans la preuve supplémentaire s’étaient produits après le dépôt du dossier du demandeur. La preuve supplémentaire ne concernait pas la version à jour du CND, mais comprenait plutôt : i) une copie du certificat de naissance d’Akeem Adenle, qui est décrit comme le frère du demandeur principal; ii) une copie du rapport de police du 18 décembre 2019, rempli par un voisin, qui rapportait une attaque perpétrée par [traduction] « des voyous musulmans » contre Akeem Adenle Popoola « dans son appartement » « pour des raisons familiales et religieuses »; iii) un article publié en ligne le 17 décembre 2019 dans le média SamsKoncept et intitulé [traduction] « Agression : des voyous musulmans s’introduisent par effraction dans une maison et agressent violemment l’occupant », qui précisait que des hommes en « tenue islamique » ont fait irruption dans l’appartement de M. Akeem Adenle Popoola pour l’interroger « au sujet de son frère qui a eu des problèmes avec l’organisation islamique de nombreuses années auparavant et qui est recherché depuis lors ». L’article mentionnait ensuite qu’« il a été traité sans pitié et grièvement blessé jusqu’à ce qu’un bon samaritain de sa communauté vole à son secours et chasse les voyous »; iv) un article publié en ligne le 20 décembre 2019 dans le média Tribune Point Weekly en tous points identique à l’article du SamsKoncept; v) l’affidavit de M. Lawal Akindele selon lequel il a été attaqué chez lui le 5 avril 2020 par des [traduction] « voyous identifiés comme des islamistes » qui cherchaient à connaître les allées et venues d’Akeem Adenle Popoola, qui était connu pour être un de ses amis.

[17] La SAR a signalé qu’aucune explication n’a été présentée à savoir pourquoi les demandeurs ont attendu jusqu’en juillet 2020, soit sept mois après les événements, pour présenter ces documents (à l’exception du document v)). De plus, la SAR a expliqué en détail ses préoccupations quant à la crédibilité des documents. Le 11 septembre 2020, la SAR a demandé les versions originales des documents. Après les avoir examinés, elle a signalé que le sceau figurant sur le rapport de police n’avait pas été apposé, mais plutôt photocopié sur le document. Elle a également signalé que certaines caractéristiques de sécurité faisaient défaut, en particulier le timbre du poste de police sur le rapport.

[18] En ce qui concerne les articles en ligne, la SAR a souligné, en se fondant sur le CND, que le journalisme à enveloppe brune, c’est‑à‑dire quand des citoyens paient des journalistes pour publier ou diffuser des histoires, est répandu au Nigéria. Après avoir examiné les articles, la SAR a exprimé de sérieux doutes quant à leur authenticité compte tenu du fait qu’ils étaient identiques tout en ayant été publiés dans deux médias différents, qu’ils contenaient beaucoup d’erreurs de grammaire et qu’ils présentaient un contraste frappant par rapport à d’autres articles publiés.

[19] Les irrégularités constatées dans les documents supplémentaires et le fait que ceux‑ci aient été déposés sans explication et seulement après que la SAR eut demandé des observations relatives à la version à jour du CND ont mené la SAR à conclure que les documents avaient été fabriqués. Par conséquent, elle a jugé que les nouveaux documents n’étaient pas admissibles compte tenu des exigences prévues au paragraphe 29(4) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [les Règles de la SAR] et au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[20] La SAR a conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur en rejetant certaines allégations présentées par le demandeur principal sur le fondement de la crédibilité.

[21] La SAR a réalisé sa propre analyse de la preuve et a convenu avec la SPR que le demandeur principal disposait d’une PRI viable à Lagos, une ville de 13,9 millions d’habitants, et à Benin City, une ville de 1,67 million d’habitants. La SAR a conclu que le demandeur principal n’avait pas démontré que l’organisation Amadiyat avait la capacité ou l’intérêt de le chercher à l’échelle du Nigéria plus de 26 ans après son départ du pays.

[22] La SAR a conclu que le demandeur principal serait en mesure de se trouver du travail compte tenu de ses compétences langagières et de ses expériences de travail. Elle a souligné que le demandeur principal est Yorouba et qu’il s’agit du groupe ethnique prédominant à Lagos et Benin City, des villes situées dans le sud‑ouest du Nigéria. De plus, le christianisme est la religion prédominante dans les États méridionaux du Nigéria. Par conséquent, la SAR a conclu qu’il n’était pas déraisonnable pour le demandeur principal de chercher refuge à Lagos ou Benin City.

[23] La SAR a souligné que la conclusion de la SPR à l’égard du demandeur mineur n’avait pas été contestée devant elle. De toute manière, elle a conclu que la conclusion de la SPR était juste.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[24] Les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions que je reformulerai de la façon suivante :

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre la nouvelle preuve du demandeur principal?

B. La conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur principal disposait d’une PRI viable au Nigéria était‑elle raisonnable?

C. Était‑il raisonnable pour la SAR de rejeter l’appel interjeté par le demandeur mineur?

[25] Les demandeurs soutiennent que le refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve après l’envoi de sa lettre du 18 juin 2020 constitue un manquement à l’équité procédurale. Le défendeur fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord avec le défendeur. Comme l’a énoncé mon collègue le juge Mosely, « la norme de contrôle à l’égard de la décision de la SAR d’admettre ou non de nouveaux éléments de preuve aux conditions prévues au paragraphe 29(4) des Règles de la SAR ainsi qu’au paragraphe 110(4) de la LIPR est celle de la décision raisonnable » (Shroub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 34 au para 17; voir aussi l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 29).

[26] La norme de la décision raisonnable s’applique donc à l’évaluation de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve par la SAR, à sa conclusion sur l’existence d’une PRI (Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1017 au para 14), ainsi qu’au rejet de la demande du demandeur mineur.

[27] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable commande la retenue, mais demeure rigoureux (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 12-13 [Vavilov]). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle‑ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). La cour de révision doit également s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et elle ne doit pas modifier ses conclusions de fait à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

IV. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre la nouvelle preuve du demandeur principal?

[28] En ce qui a trait au premier lot de nouveaux éléments de preuve décrits au paragraphe 14 du présent jugement, je conclus que la SAR a refusé à bon droit d’admettre la documentation parce qu’elle ne remplissait pas les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, c’est‑à‑dire que les éléments de preuve a) sont survenus depuis le rejet de la demande d’asile par la SPR, b) n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet par la SPR ou, s’ils l’étaient, c) n’auraient normalement pas été présentés, dans les circonstances, au moment du rejet par la SPR. Il incombait aux demandeurs d’expliquer pourquoi la documentation, qui était antérieure au rejet de la demande devant la SPR, n’était pas normalement accessible ou pourquoi ils n’auraient pas normalement pu la présenter, dans les circonstances, avant le rejet de leurs demandes par la SPR (Tiodunmo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1489 au para 17). Les demandeurs ne l’ont pas fait.

[29] En ce qui concerne le deuxième lot de nouveaux éléments de preuve décrits au paragraphe 16 du présent jugement, conformément au paragraphe 29(3) des Règles de la SAR, les demandeurs, lorsqu’ils ont présenté leur nouvelle preuve, devaient transmettre une explication des raisons pour lesquelles la preuve supplémentaire était conforme aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et des raisons pour lesquelles cette preuve était liée aux demandeurs. Les demandeurs n’ont donné aucune explication hormis d’affirmer, dans une lettre de présentation, que la preuve était survenue après le dépôt de leur dossier.

[30] Le paragraphe 29(4) des Règles de la SAR exige de celle‑ci qu’elle prenne en considération tout élément pertinent, notamment : la pertinence et la valeur probante du document; toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel; et la possibilité qu’aurait eue la personne en cause, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document plus tôt.

[31] Je conclus que la SAR a soigneusement examiné le second lot de nouveaux éléments de preuve en tenant compte des exigences énoncées au paragraphe 29(4) des Règles de la SAR et au paragraphe 110(4) de la LIPR. Compte tenu des irrégularités constatées par la SAR dans la documentation, du temps qui s’est écoulé avant son dépôt et de l’absence d’explications par les demandeurs, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que les documents (à l’exception du certificat de naissance) avaient été fabriqués et de refuser de les admettre en preuve.

[32] Les demandeurs font valoir que la SAR a agi de manière inéquitable en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve après les avoir invités à présenter une preuve supplémentaire dans sa lettre du 18 juin 2020. Je ne suis pas d’accord. Dans cette lettre, la SAR invitait clairement les demandeurs à présenter des observations concernant la version à jour du CND. À mon avis, il ne s’agissait pas d’une invitation ou d’un engagement garantissant que toute preuve serait admise indépendamment de savoir si elle remplissait les exigences prévues au paragraphe 29(4) des Règles de la SAR et au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[33] À l’audience, les demandeurs ont fait valoir que, selon la décision, le CND était à jour, que cette version leur avait été communiquée et qu’on les avait invités à présenter des observations supplémentaires sur la « question d’une PRI potentielle ». Selon l’observation des demandeurs, cette référence à la PRI plutôt qu’au CND dans la décision constitue un manquement à l’équité procédurale. Je ne suis pas d’accord. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada indique que la cour de révision ne devrait pas aborder la décision sous‑jacente avec l’intention de se lancer dans « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (au para 102), mais qu’elle devrait plutôt se demander si « la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (au para 15). La décision indique que la SAR, dans son examen de la question de la PRI, s’est fondée sur la version à jour du CND et a donné aux demandeurs l’occasion de présenter des commentaires à ce sujet. Dans l’ensemble, je conclus que le raisonnement de la SAR est transparent, intelligible et justifié. Il ne fait aucun doute que la SAR s’est fondée sur la version à jour du CND et que les demandeurs ont eu l’occasion de présenter des commentaires à cet égard dans le contexte de leurs observations relatives à la PRI.

[34] En résumé, je suis convaincue que l’évaluation des deux lots de nouveaux éléments de preuve qu’a réalisée la SAR était raisonnable dans les circonstances et je ne vois aucune raison d’intervenir.

B. La conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur principal disposait d’une PRI viable au Nigéria était‑elle raisonnable?

[35] Une PRI viable signifie que le demandeur principal pourrait chercher refuge dans une région du Nigéria autre que celle où il a été persécuté ou a été exposé à un risque de préjudice. Comme mon collège le juge Fothergill l’a récemment souligné, le critère applicable pour conclure à l’existence d’une PRI viable est bien établi : premièrement, le décideur doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI; deuxièmement, la situation dans cette partie du pays doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s’y réfugier (Ifaloye v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 1110 au para 14). Les deux volets du critère doivent être remplis. Il incombe au demandeur principal de réfuter l’un ou l’autre des volets (Chitsinde v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 1066 au para 21).

[36] Dans ses observations écrites et pendant l’audience, le demandeur principal a contesté l’analyse de la SAR en ce qui concerne le premier volet du critère relatif à la PRI. Il soutient que l’analyse de la SAR est déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de la preuve relative au risque présent dans tout le pays et de la preuve qu’il a présentée dans son témoignage au sujet du décès de son père.

[37] Le demandeur principal fait valoir que la SAR a reconnu que l’organisation Amadiyat était présente dans l’ensemble du pays et que son père a été tué par des membres de cette organisation parce que son fils c’était converti. Il soutient que le fait que la SAR a accepté cette preuve tout en concluant à l’existence d’une PRI viable rend sa décision déraisonnable. Le demandeur principal renvoie aux paragraphes 33 et 35 de la décision pour appuyer cet argument.

[38] L’observation du demandeur principal n’est pas fondée. Aux paragraphes 33 et 35 de la décision, la SAR décrit simplement les allégations du demandeur principal. Elle n’a pas accepté ces allégations. Au paragraphe 34, la SAR a affirmé que le demandeur principal ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer l’existence d’un risque prospectif dans les villes proposées. De même, au paragraphe 36 de la décision, la SAR a exposé les motifs pour lesquels elle convenait avec la SPR que l’allégation selon laquelle les agents de l’organisation Amadiyat étaient responsables de la mort du père du demandeur principal n’était pas crédible. La SAR a ensuite examiné en détail l’allégation selon laquelle la mort du père du demandeur principal en 2008, soit environ 15 ans après que celui‑ci eut quitté le pays, était liée à l’organisation Amadiyat et à la conversion du demandeur principal. Cette allégation n’avait pas été soulevée dans le formulaire de fondement de la demande d’asile. La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que cette omission était importante. La SAR a conclu que le témoignage du demandeur principal sur cette question était confus et vague.

[39] Le demandeur principal soutient qu’on ne devrait pas lui reprocher d’avoir omis les circonstances entourant la mort de son père dans son formulaire de fondement de la demande d’asile puisque les formulaires de ce genre sont souvent préparés à la hâte et avec l’aide d’un avocat. Le demandeur fait plutôt valoir que la SAR aurait dû tenir compte de son témoignage et de l’affidavit souscrit par l’ancien voisin, qui corroborait cette allégation.

[40] Dans les faits, le demandeur principal invite la Cour à soupeser la preuve à nouveau. Je refuse de le faire (Vavilov, au para 125). La SAR a tenu compte du témoignage et de l’affidavit de l’ancien voisin. Après avoir examiné l’affidavit du voisin, la SAR a conclu qu’il était très vague et ne corroborait pas l’allégation du demandeur principal.

[41] Contrairement aux observations du demandeur principal, je conclus que la SAR a dûment analysé la preuve dont elle disposait pour arriver à ses conclusions. Comme je l’ai déjà mentionné, il incombe au demandeur principal de montrer que la décision de la SAR souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Après avoir examiné le dossier, je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son analyse selon laquelle le demandeur principal ne risquerait pas sérieusement d’être persécuté à Lagos ou à Benin City.

C. Était‑il raisonnable pour la SAR de rejeter l’appel interjeté par le demandeur mineur?

[42] Comme je l’ai déjà mentionné, les demandeurs n’ont présenté aucun argument au sujet du caractère raisonnable du rejet de la demande du demandeur mineur par la SAR. Par conséquent, puisqu’il incombe aux demandeurs d’établir que la décision de la SAR était déraisonnable, je conclus que son évaluation de la demande du demandeur mineur ne contenait aucune erreur susceptible de contrôle.

V. Conclusion

[43] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5911-20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5911-20

INTITULÉ :

PAULO M POPOOLA, JOSEPH POPOOLA MENDES CUESTA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidéoconférence À OTTAWA (oNTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 OCTOBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

lE 24 JANVIER 2022

COMPARUTIONS :

Me François Kasenda Kabemba

POUR LES DEMANDEURS

Me Stéphanie Dion

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me François Kasenda Kabemba

Ottawa (Ontario)

pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le défendeur

 

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