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Date : 20220114


Dossier : IMM-4463-20

Référence : 2022 CF 39

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

OWOYEMI SHARAFA SALAUDEEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Owoyemi Sharafa Salaudeen, est un citoyen du Nigéria. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision [la décision contestée] rendue en septembre 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle M. Salaudeen n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2011, c 27 [LIPR]. La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que M. Salaudeen disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] au Nigéria.

[2] M. Salaudeen soutient que la SPR et la SAR ont violé les principes de justice naturelle en omettant de protéger son droit de faire valoir sa cause, en ne lui garantissant pas un procès équitable et en n’agissant pas en conformité avec les objectifs énoncés au paragraphe 3(2) de la LIPR. Il affirme également que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant sa demande d’asile uniquement au motif qu’il ne pouvait pas fournir de preuve documentaire à l’appui de son témoignage crédible. M. Salaudeen demande à la Cour d’annuler la décision contestée et de renvoyer l’affaire à la SAR pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.

[3] Après avoir examiné la preuve dont disposait la SAR ainsi que le droit applicable, je ne trouve aucune raison d’infirmer la décision contestée. Je suis convaincu que la décision de la SAR de ne pas accorder l’asile à M. Salaudeen parce qu’il avait plusieurs PRI viables au Nigéria était raisonnable. En outre, je conclus que la SAR n’a violé aucun principe de justice naturelle lorsqu’elle a traité cette affaire. Aucun motif ne justifie l’intervention de la Cour, et je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Salaudeen.

II. Le contexte

A. Le contexte factuel

[4] M. Salaudeen est né en avril 1979 et résidait à Lagos, la plus grande ville du Nigéria. Il détient un diplôme universitaire en génie chimique.

[5] En avril 2017, M. Salaudeen s’est rendu dans son village, Ofa. Pendant qu’il était là-bas, il a été témoin des pratiques rituelles du peuple traditionaliste Egun Alagbo [Alagbos], un groupe qui pratiquerait des sacrifices humains pour se procurer du sang et des parties du corps. Le demandeur a refusé de participer à ces rituels et a décidé de quitter Ofa. Il est retourné à Lagos le lendemain de cet événement.

[6] En mai 2017, des membres des Alagbos se seraient présentés au domicile de M. Salaudeen à Lagos et auraient menacé de le tuer s’il ne retournait pas à Ofa. Le 2 juin 2017, M. Salaudeen a fui le Nigéria pour se rendre aux États‐Unis parce qu’il craignait les Alagbos. Il y est resté 66 jours, mais n’a pas demandé l’asile. En août 2017, M. Salaudeen est arrivé au Canada et a présenté une demande d’asile environ un mois plus tard. La SPR a instruit sa demande le 3 mai 2019 et l’a rejeté le 8 mai 2019. M. Salaudeen a interjeté appel du rejet de sa demande auprès de la SAR.

B. La décision contestée

[7] La SAR a rejeté l’appel de M. Salaudeen pour les motifs suivants : i) l’audience et la décision de la SPR n’ont donné lieu à aucune question d’équité procédurale; et ii) la SPR a eu raison de conclure que M. Salaudeen n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger puisqu’il avait des PRI viables au Nigéria.

[8] Devant la SAR, M. Salaudeen a soutenu que l’audience de la SPR avait été très courte et que cela était attribuable au fait que les demandeurs d’asile nigérians sont plus susceptibles de voir leur demande rejetée pour des raisons politiques. La SAR n’était pas d’accord et a conclu que M. Salaudeen n’avait simplement fourni aucune preuve à l’appui de sa demande et donc, qu’elle n’était pas fondée. Elle a reconnu que l’audience devant la SPR avait effectivement été relativement courte, mais que cette durée était proportionnelle au peu de détails fournis par M. Salaudeen dans son formulaire Fondement de la demande et à l’absence de complexité de son dossier. La SAR a également observé que le conseil de M. Salaudeen avait décidé de ne pas interroger son client lors de l’audience devant la SPR. Après avoir examiné le dossier de M. Salaudeen et l’enregistrement audio de l’audience de la SPR, elle n’a trouvé aucune preuve d’un manquement à l’équité procédurale.

[9] En ce qui concerne les PRI, la SAR a décrit en détail le critère à deux volets bien connu, établi dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF) [Rasaratnam], et a évalué la façon dont la SPR l’a appliqué à la situation de M. Salaudeen. Dans son analyse du premier volet du critère, la SAR a conclu que la SPR avait eu raison de conclure que M. Salaudeen n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les PRI proposées étaient des lieux où il risquait sérieusement d’être persécuté. M. Salaudeen a fait valoir que les Alagbos avaient la capacité de le suivre partout au Nigéria et qu’ils ne se désintéresseraient pas de lui avec le temps. Il a également justifié son manque de preuve sur les pratiques et l’influence des Alagbos au Nigéria en expliquant que le groupe n’était pas reconnu pour sa transparence. Cependant, la SAR a conclu que ce dernier facteur témoignait « de la nature localisée des Alagbos à Ofa ou dans l’État de Quara au Nigéria, ce qui fait qu’il est peu probable que ceux‐ci soient en mesure de retrouver [M. Salaudeen] dans les PRI proposées ». Elle a par ailleurs jugé que l’absence d’éléments de preuve sur l’influence et la capacité des Alagbos dans l’ensemble du Nigéria signifiait « qu’il n’y a pas de preuve » d’une telle influence et capacité. En bref, la SAR a déclaré que la preuve présentée par M. Salaudeen était insuffisante pour établir qu’il y avait une possibilité sérieuse que les Alagbos puissent le persécuter dans les endroits proposés en tant que PRI, et qu’il n’avait donc pas satisfait aux exigences du premier volet du critère relatif aux PRI.

[10] Par ailleurs, la SAR a conclu que la SPR avait bien analysé le deuxième volet du critère relatif aux PRI. M. Salaudeen n’a pas contesté le fait qu’il n’était pas objectivement déraisonnable ou trop difficile pour lui de se réinstaller dans les endroits proposés en tant que PRI, mais il a avancé que la SPR s’était fondée à tort sur son profil personnel et ses caractéristiques pour statuer sur sa demande d’asile. En effet, il a affirmé que « le statut, les moyens financiers, l’intelligence ou le niveau d’instruction d’un demandeur d’asile ne devraient jamais servir à refuser le statut de réfugié parce que cela montre qu’un demandeur d’asile qui est pauvre, peu instruit, analphabète et invalide a de meilleures chances d’être accepté comme réfugié ». La SAR n’était pas d’accord et a expliqué que la prise en compte du profil personnel et des caractéristiques d’un demandeur d’asile dans l’appréciation des PRI est bien établie dans la jurisprudence canadienne. Elle a conclu que M. Salaudeen ne satisfaisait pas aux exigences du deuxième volet du critère relatif aux PRI et que les endroits proposés en tant que PRI étaient viables.

C. La norme de contrôle

[11] Depuis l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le cadre d’analyse du contrôle judiciaire du fond d’une décision administrative repose désormais sur la présomption voulant que la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas (Vavilov au para 16). Cette présomption ne peut être réfutée que dans deux types de situations. La première est celle où le législateur a prescrit la norme de contrôle ou a prévu un droit d’appel de la décision administrative devant une cour de justice; la deuxième est celle où la question faisant l’objet du contrôle tombe dans l’une des catégories de questions à l’égard desquelles la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada] au para 27; Vavilov aux para 10, 17). Aucune des situations justifiant que l’on s’écarte de la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce.

[12] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle de la cour de révision est d’examiner les motifs donnés par le décideur administratif et d’établir si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et « est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85; Postes Canada aux para 2, 31). La cour de révision doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‐jacent à celle‐ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). Elle doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] aux para 47, 74 et Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13).

[13] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur « doit également, au moyen de ceux‐ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (Vavilov au para 86). Par conséquent, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tient dûment compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov au para 87). Je note que cette approche est conforme à l’arrêt Dunsmuir, où il a été établi que le contrôle judiciaire devait être axé à la fois sur le résultat et sur le processus (Dunsmuir aux para 27, 47–49). Cela dit, la cour de révision doit se concentrer sur la décision rendue par le décideur administratif, y compris sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait elle-même parvenue si elle avait été à la place du décideur.

[14] En ce qui concerne l’équité procédurale, l’arrêt Vavilov n’a pas abordé cette question directement, et l’approche à adopter à cet égard n’a donc pas été modifiée (Vavilov au para 23). Il est généralement reconnu que la norme de la décision correcte est celle qui s’applique à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale et des principes de justice fondamentale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd c Atlantic Towing Limited, 2021 CAF 26 au para 107).

[15] Cependant, la Cour d’appel fédérale a confirmé que les questions d’équité procédurale ne sont pas véritablement tranchées selon une norme de contrôle particulière. Il s’agit plutôt d’une question juridique pour les cours de révision, qui doivent être convaincues que l’équité procédurale a été respectée. Lorsque l’obligation d’agir équitablement d’un décideur administratif est remise en question ou qu’une violation des principes de justice fondamentale est invoquée, la cour de révision doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24 et 25; Pérez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CCP] au para 54). Pour répondre à cette question, elle doit examiner la liste non exhaustive de cinq facteurs que la Cour suprême a établie dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (Vavilov au para 77). Ces facteurs sont les suivants : i) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; ii) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; iii) l’importance de la décision pour les personnes visées; iv) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et v) les choix de procédure faits par l’organisme public, et la nature du respect qui est dû à l’organisme (Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48 au para 5; Baker aux para 23–28).

[16] Il appartient aux cours de révision de répondre à ces questions et, dans le cadre de cet exercice, elles sont appelées à se demander, « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (CCP au para 54). Par conséquent, la question ultime soulevée lorsque l’équité procédurale et une violation alléguée aux principes de justice fondamentale font l’objet d’une demande de contrôle judiciaire n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte »; c’est plutôt de savoir si, compte tenu de la situation, le processus suivi par le décideur était équitable et si l’on a accordé à la partie visée le droit d’être entendue et une possibilité complète et équitable de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre (CCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51–54). Aucune déférence n’est due aux décideurs administratifs en ce qui concerne les questions soulevant des préoccupations relatives à l’équité procédurale.

III. Analyse

A. Il n’y a pas de violation des principes de justice naturelle

[17] M. Salaudeen soutient que la SAR (et la SPR) a contrevenu aux principes de justice naturelle en profitant de sa situation. Il affirme qu’il était un demandeur d’asile vulnérable et mal informé, représenté par un avocat incompétent. Selon lui, la SAR aurait dû intervenir afin de protéger ses droits et elle a commis une erreur de droit en ne lui offrant pas un processus équitable et en n’agissant pas en conformité avec les objectifs énoncés au paragraphe 3(2) de la LIPR. M. Salaudeen soutient qu’à l’audience devant la SPR, son avocat ne parlait ni ne comprenait l’anglais alors que c’était la langue demandée dans son formulaire Fondement de la demande. Il ajoute que la courte durée de l’audience de la SPR était attribuable à l’incompétence de son avocat.

[18] M. Salaudeen prétend qu’en laissant une telle situation se produire sans intervenir, la SPR n’a pas respecté les objectifs énoncés au paragraphe 3(2) de la LIPR et que la SAR a fait la même chose en confirmant la décision de la SPR et en rejetant son appel. Il affirme que devant la SAR, son avocat n’a pas abordé la question de la [traduction] « représentation inadéquate » soulevée dans son mémoire.

[19] J’estime que les arguments de M. Salaudeen sont peu convaincants.

[20] Premièrement, je conviens avec le ministre que M. Salaudeen ne peut pas fonder sa demande de contrôle judiciaire sur des préoccupations relatives à l’équité procédurale, car ces préoccupations concernant l’audience devant la SPR n’ont pas été soulevées dans son appel devant la SAR. En règle générale, les cours de révision ne devraient pas entendre « les arguments visant à contester une décision de la SPR qui auraient pu être soulevés devant la SAR, mais qui ne l’ont pas été » (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1101 [Khan] au para 27; Oluwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 760 aux para 54, 59; Saint Paul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 493 au para 39). Cette règle va de pair avec la portée limitée du pouvoir d’une cour de révision et avec la déférence qu’elle doit accorder aux décideurs administratifs. Qui plus est, soumettre une question pour la première fois lors du contrôle judiciaire peut porter indûment préjudice au défendeur et empêcher la cour de révision d’apprécier des éléments de preuve qui ont été déposés et examinés par le décideur administratif (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22–26).

[21] Deuxièmement, M. Salaudeen n’a fourni aucune preuve qu’il avait avisé son ancien avocat de son allégation d’incompétence. Il est obligatoire de donner un tel avis pour pouvoir fonder une demande de contrôle judiciaire sur l’incompétence d’un avocat (Tapia Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 889 au para 22). Dans le même ordre d’idées, M. Salaudeen n’a pas suivi le protocole bien établi régissant les questions d’incompétence d’un avocat devant la Cour. Cette omission suffit pour rejeter sa demande d’annulation de la décision pour incompétence de l’avocat.

[22] J’ajouterais que les objectifs énoncés au paragraphe 3(2) de la LIPR n’imposent pas à la SPR ou à la SAR l’obligation d’aider et de conseiller le demandeur. Un décideur administratif n’est pas tenu d’agir comme avocat pour un plaideur, même si celui‐ci n’est pas représenté.

[23] Troisièmement, une cour de révision ne conclura à une violation des principes de justice naturelle fondée sur l’incompétence de l’avocat que dans des circonstances extraordinaires, et une telle violation nécessite un seuil de preuve élevé (Nagy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 640 au para 42; Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196 au para 3). Pour étayer son argument concernant une prétendue violation des principes de justice naturelle, M. Salaudeen devait prouver que son ancien avocat était incompétent et que cette incompétence a donné lieu à une erreur judiciaire (c.-à-d. un préjudice) (R c GDB, 2000 CSC 22 aux para 26–27). Il n’a pas été en mesure de fournir une preuve convaincante pour étayer l’un ou l’autre de ces deux éléments. Je souligne que la preuve au dossier n’appuie pas l’affirmation de M. Salaudeen selon laquelle son ancien avocat n’était pas en mesure de communiquer en anglais. Les échanges entre M. Salaudeen et son avocat tout au long du processus de demande d’asile démontrent plutôt le contraire. Bien que l’anglais n’était pas la langue maternelle de l’avocat de M. Salaudeen, on ne peut certainement pas dire qu’il ne savait ni lire ni écrire en anglais et qu’il était incapable de participer à l’audience devant la SPR.

B. Le fait de rejeter la demande d’asile parce qu’il existait des PRI ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle

[24] M. Salaudeen fait valoir que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse du premier volet du critère relatif aux PRI parce qu’elle a conclu que l’absence d’élément de preuve concernant l’influence et la capacité des Alagbos dans l’ensemble duNigéria équivalait à une preuve d’absence d’une telle influence et d’une telle capacité. Il soutient également qu’un demandeur d’asile n’est pas tenu de corroborer sa propre version des faits au moyen d’éléments de preuve documentaire et que la SAR a commis une erreur de droit en exigeant une corroboration. M. Salaudeen s’appuie sur le fait que la SAR avait précédemment confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle il avait témoigné de manière [traduction] « cohérente », c’est-à-dire qu’il avait donné un témoignage crédible qui ne nécessitait aucune corroboration.

[25] Je ne suis pas d’accord avec M. Salaudeen.

[26] Comme l’a mentionné la SAR dans sa décision, il est bien reconnu que selon le critère relatif aux PRI, le fardeau de la preuve incombait à M. Salaudeen (Khan au para 10; Akunwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1179 au para 5; Manzoor-Ul-Haq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1077 au para 24; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF) au para 5). Il est aussi bien établi en droit que le critère relatif aux PRI est l’une des nombreuses questions auxquelles il faut répondre dans le cadre d’une demande d’asile (Rasaratnam au para 8).

[27] En l’espèce, M. Salaudeen ne s’est tout simplement pas acquitté de son fardeau. Étant donné le peu d’éléments de preuve fournis par M. Salaudeen, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que les Alagbos n’avaient ni l’influence ni la capacité de le persécuter dans les endroits proposés comme PRI.

[28] Pour appuyer sa conclusion, la SAR s’est fondée sur le fait que M. Salaudeen n’a pas fourni de preuve concernant la prétendue portée des Alagbos, sur le fait que sa femme vit toujours au Nigéria et qu’elle n’a aucun contact avec les Alagbos, et sur le fait que les Alagbos n’ont démontré aucun intérêt à l’égard de M. Salaudeen. Compte tenu de la preuve documentaire, je suis convaincu qu’il était loisible à la SAR de juger que les Alagbos menaient leurs activités essentiellement dans certains petits villages et n’auraient pas les moyens, technologiques ou autres, de retrouver M. Salaudeen dans les endroits proposés comme PRI. M. Salaudeen avait le fardeau d’établir que les endroits proposés comme PRI par la SPR et la SAR n’étaient pas viables, mais il n’est pas parvenu à le faire. Il n’a pas été en mesure de prouver de manière convaincante qu’il serait à risque dans les endroits proposés comme PRI.

[29] En somme, M. Salaudeen est en désaccord avec la façon dont la SAR a apprécié et soupesé la preuve. Cela ne constitue toutefois pas un motif suffisant pour que la Cour intervienne. Ayant examiné la décision dans son ensemble et tenu compte de la totalité de la preuve, je ne suis pas convaincu que les conclusions de la SAR sur les PRI étaient déraisonnables.

IV. Conclusion

[30] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Salaudeen est rejetée. À mon avis, il n’y a rien d’irrationnel dans le processus décisionnel suivi par la SAR ni dans ses conclusions. Je suis plutôt d’avis que son analyse possède toutes les caractéristiques requises de transparence, de raisonnabilité et d’intelligibilité, et que la décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. À tous égards, on peut suivre le raisonnement de la SAR sans buter sur une faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique.

[31] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et je conviens qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-4463-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4463-20

 

INTITULÉ :

OWOYEMI SHARAFA SALAUDEEN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JANVIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mario Blanchard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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