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Date : 20220104


Dossier : IMM-3615-19

Référence : 2022 CF 2

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MUHAMMUD ABDUL WOHAB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur conteste le caractère raisonnable et équitable de la décision rendue le 13 mai 2019 par un agent d’immigration (l’agent) de la section des visas du haut-commissariat du Canada à Dhaka, au Bangladesh (la décision). L’agent a conclu que le demandeur et les six personnes à sa charge nommées dans la demande étaient interdits de territoire au Canada en tant que résidents permanents, en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour une période de cinq ans suivant la date de la lettre de décision.

[2] Je ne suis pas convaincue que la décision a été prise de manière déraisonnable ou que le processus suivi par l’agent était inéquitable sur le plan procédural.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

[4] Les dispositions législatives citées dans les présents motifs sont reproduites à l’annexe ci-jointe.

[5] En l’espèce, l’intitulé est modifié de manière à désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en tant que défendeur. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est le défendeur approprié dans le cas présent puisqu’il est chargé de l’application de la LIPR à l’égard de la décision visée par la demande de contrôle judiciaire (voir le paragraphe 4(1) de la LIPR et l’alinéa 5(2)b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22).

II. Le contexte factuel

[6] La demande présentée par le demandeur dans le cadre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan en vue d’occuper un poste de cuisinier à la chaîne chez Cora Déjeuners et dîners a été accueillie par la province de la Saskatchewan.

[7] Le demandeur et les six personnes à sa charge — son épouse, leurs trois filles et deux neveux — sont tous des citoyens du Bangladesh. Les deux neveux, qui étaient âgés de 15 ans et 10 mois et de 18 ans à l’époque, sont les enfants de la défunte sœur du demandeur. Le père biologique est toujours en vie.

[8] Dans sa demande, le demandeur a employé l’expression [traduction] « deux enfants adoptés » pour désigner ses deux neveux.

[9] Selon les documents au dossier, l’agent avait des réserves quant aux compétences du demandeur relativement au poste de cuisinier à la chaîne et il n’était pas convaincu que celui-ci occuperait vraiment cet emploi. Une lettre d’équité procédurale a été envoyée le 14 mars 2017 par courriel, lettre à laquelle l’avocat du demandeur a répondu le 11 avril 2017. En définitive, il a été déterminé que le demandeur avait la capacité de réussir son établissement économique au Canada et que les réserves soulevées n’avaient donc aucune incidence sur la décision.

[10] Le 16 août 2018, le demandeur a été informé qu’une entrevue était requise et que les demandes nécessitant une entrevue n’étaient pas visées par les normes habituelles de traitement.

[11] Le 29 août 2018, un courriel a été envoyé au demandeur pour l’informer que l’entrevue aurait lieu à Dhaka le 19 septembre 2018.

[12] Le 13 septembre 2018, un autre courriel a été envoyé au demandeur pour l’informer, d’une part, que les deux neveux désignés comme personnes à charge devraient aussi assister à l’entrevue du 19 septembre et, d’autre part, qu’il devrait, à ce moment-là, fournir le document d’adoption original accompagné d’une traduction anglaise/française certifiée.

[13] Lors de l’entrevue, qui s’est déroulée en personne et en bengali, l’agent a interrogé le demandeur, son épouse et M. Siam, le cadet des deux neveux à charge qui les accompagnaient. Il a interrogé chacun d’eux sur la nature de la relation qui existait entre les deux neveux et leur père biologique. Dans le but de résoudre les contradictions observées entre les témoignages, il a aussi interrogé le père biologique des neveux par téléphone.

[14] L’aîné des neveux, M. Shuvo, n’a pas été interrogé, car l’agent a estimé qu’il n’était pas en bonne santé physique et qu’il ne semblait pas avoir toutes ses facultés mentales.

III. La décision

[15] Selon la décision, le demandeur a fait une présentation erronée sur des faits importants quant à un objet pertinent, ou a fait preuve d’une réticence sur ces faits, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, à savoir si ses neveux pouvaient être inclus dans sa demande de résidence permanente en tant que personnes à charge de fait. Par conséquent, le demandeur et les personnes à sa charge ont été déclarés interdits de territoire au Canada pour une période de cinq ans, en application de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[16] Dans la décision, l’agent a mentionné qu’au cours de l’entrevue du 19 septembre 2018, le demandeur, son épouse et leur neveu ont été évasifs et non coopératifs. Ils ont fait une présentation erronée sur la nature et la fréquence des contacts entre les garçons et leur père biologique. Ils ont livré des versions contradictoires et inconciliables des faits pour tenter de cacher que les garçons maintenaient un contact régulier et continu avec leur père biologique.

[17] L’agent a souligné dans sa décision que M. Siam a admis avoir fait de fausses déclarations concernant la relation avec son père parce que celui-ci lui avait dit de le faire. Il a expliqué que cette instruction lui avait été donnée parce que s’il était découvert que son père possédait une entreprise et qu’il était marié, les autorités pourraient demander pourquoi celui-ci avait laissé la garde de ses enfants au demandeur.

[18] De plus, l’agent a indiqué dans la décision que le demandeur a admis avoir menti au sujet des occasions où le père biologique a rendu visite à la famille. En revanche, son épouse n’a pas admis avoir fait une présentation erronée et elle s’est cantonnée dans sa version inconciliable et non crédible des faits.

[19] Il a été conclu, dans la décision, que les personnes interrogées avaient fourni des renseignements inconciliables sur la capacité mentale du père biologique, sur son emploi et sur ses relations avec sa famille.

[20] Se fondant sur les réponses contradictoires et incohérentes obtenues lors des entrevues, l’agent a conclu qu’une présentation erronée avait été faite sur la relation existant entre les deux neveux et leur père biologique. L’agent était convaincu que le demandeur et M. Siam avaient fait une présentation erronée sur des faits importants quant à la relation existant entre M. Siam, M. Shuvo et leur père. Il a aussi conclu que l’épouse du demandeur n’avait pas admis avoir fait une présentation erronée et qu’elle s’était cantonnée dans sa version inconciliable et non crédible des faits.

[21] Étant donné qu’il n’y a pas d’adoption au Bangladesh, l’agent a estimé que les présentations erronées avaient pour but de présenter un dossier convaincant justifiant le fait que les neveux pouvaient être inclus comme personnes à charge de fait dans la demande de résidence permanente présentée par le demandeur.

[22] Outre la lettre de décision, les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) font aussi partie des motifs de la décision : Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793 au para 19. Il sera fait état de ces notes dans l’analyse des questions soulevées par le demandeur.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[23] Le demandeur soulève les deux questions suivantes :

A. La décision est-elle raisonnable?

[24] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable, d’une part, parce que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve documentaire présentés à l’appui de la demande et, d’autre part, parce que l’agent avait arrêté son opinion et écarté des éléments de preuve favorables, de sorte que ceux-ci n’ont fait l’objet d’aucune réelle appréciation.

[25] La norme de contrôle qui est désormais présumée s’appliquer aux décisions administratives, autres que celles portant sur un manquement à l’obligation d’équité procédurale, est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23.

[26] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision : Vavilov, au para 100.

B. La décision a-t-elle été rendue d’une manière inéquitable sur le plan procédural?

[27] Le demandeur allègue que la décision a été rendue d’une manière inéquitable sur le plan procédural puisque l’agent a interrogé M. Siam sans son consentement et sans que lui ou un autre parent ou ami de confiance soit présent.

[28] En outre, le demandeur affirme que l’agent s’est fondé à tort et injustement sur des éléments de preuve extrinsèques non divulgués pour parvenir à sa décision.

[29] Les questions d’équité procédurale ne font pas l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CFCP], le juge Rennie a passé en revue et confirmé les principes de base applicables au contrôle de décisions mettant en jeu l’équité procédurale. Il a déterminé que l’équité procédurale ne se prêtait pas à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. La question est plutôt de savoir si le demandeur « connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » : CFCP, aux para 55 et 56.

[30] Le demandeur admet que l’obligation d’équité qui incombe à un agent des visas est minimale. Toutefois, il affirme que la teneur de cette obligation varie selon les circonstances, notamment lorsqu’un agent choisit d’interroger un mineur. Il soutient que l’agent aurait dû, à tout le moins, les autoriser, lui ou son épouse, à assister à l’entrevue. Il ajoute que cette omission a rendu le processus inéquitable sur le plan procédural.

[31] Malgré l’admission du demandeur, il a été établi que, compte tenu des graves conséquences découlant d’une conclusion de fausses déclarations, à savoir l’inadmissibilité à présenter une demande d’entrée au Canada pendant cinq ans, un degré plus strict d’équité procédurale est requis pour veiller à ce que de telles conclusions ne soient tirées que lorsque les présentations erronées sont établies par une preuve claire et convaincante : Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 au para 26, et les décisions qui y sont citées.

[32] Pour les motifs exposés plus loin, je conclus que ce degré plus strict d’équité procédurale a été atteint en l’espèce puisqu’il existait une preuve claire et convaincante que plusieurs présentations erronées avaient été faites à l’agent lors des trois entrevues et de l’appel téléphonique avec le père des neveux.

V. La décision était raisonnable

A. Il n’existe aucune preuve que les neveux sont des personnes à charge de fait

[33] Le demandeur a désigné ses neveux comme étant des enfants adoptés. Cependant, comme il est mentionné dans la décision, il n’y a pas d’adoption au Bangladesh. Le dossier certifié du tribunal (le DCT) contient des éléments de preuve qui indiquent que le père des neveux avait nommé le demandeur tuteur de ses fils. Or, il s’est avéré que le père était toujours très présent dans la vie des garçons. La nature et la fréquence des contacts entre les deux garçons et leur père biologique ont été présentées de façon erronée par M. Siam, apparemment suivant les instructions de son père, pour tenter de cacher à la fois la nature et l’importance de ces contacts.

[34] Lorsque l’agent a questionné directement le demandeur au sujet de cette information, seul, et qu’il lui a demandé d’expliquer pourquoi il avait lui aussi menti, le demandeur a répondu que s’il avait su que le père (son beau-frère) vivait avec eux, il [traduction] « n’aurait pas fait droit à la demande ».

[35] L’agent a informé les personnes interrogées qu’il avait obtenu trois ou quatre versions différentes des faits qui le laissaient complètement perplexe quant aux motifs derrière l’ordonnance de tutelle et à la question de savoir si la demande avait été faite de bonne foi.

[36] À la fin de l’entrevue, l’agent a aussi informé les personnes interrogées que la demande pourrait être refusée pour fausses déclarations. Dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC, l’agent a indiqué ce qui suit : [traduction] « Les clients n’ont pas été francs au sujet de la nature de la relation avec le père biologique, de la situation du père biologique ni de divers autres points liées à la demande (p. ex., les études de M. Shuvo). »

[37] L’agent a ensuite demandé aux personnes interrogées si elles avaient quelque chose à ajouter. C’est à ce moment que M. Wohab a pris la parole. Dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC, l’agent a écrit ce qui suit : [traduction] « Monsieur, il me demande de penser avant tout aux garçons. S’ils vont au Canada, ils pourront avoir une meilleure vie et de meilleures possibilités. Il me supplie de ne pas rejeter la demande. » L’entrevue a ensuite pris fin.

[38] Dans un affidavit déposé dans le cadre de la présente instance, le demandeur nie avoir admis qu’il avait fait une présentation erronée à l’agent. En outre, il soutient qu’il n’a pas cherché à cacher le fait que les neveux avaient des contacts réguliers avec leur père. Il affirme qu’il a essayé d’expliquer qu’ils voyaient tous le père à des moments différents en raison de leur emploi du temps quotidien. Il affirme aussi qu’en adoptant ses neveux en bonne et due forme, les biens immobiliers qui leur revenaient lui auraient été transférés, et qu’il avait donc été décidé qu’il agirait en tant que leur tuteur légal.

[39] Les notes de l’agent sont détaillées et précises. Par ses dénégations, le demandeur exhorte la Cour à conclure que, pour une raison inconnue, l’agent a fabriqué des éléments de preuve afin d’empêcher que sa famille et lui soient autorisés à entrer au Canada pour qu’il puisse travailler chez Cora.

[40] Je ne juge pas nécessaire de résoudre les divergences soulevées entre les notes consignées par l’agent dans le SMGC et le récit des événements fait par le demandeur. Selon les réponses obtenues lors de l’entrevue collective, les conclusions de fait non contestées sont plus que suffisantes pour étayer la décision. Je souligne toutefois que les notes consignées dans le SMGC sont très détaillées, et que le demandeur n’a avancé aucune raison qui aurait pu pousser l’agent, un fonctionnaire professionnel au service du gouvernement du Canada, à falsifier les notes.

[41] Il semble que le demandeur ait tenté d’éviter de communiquer avec le père des neveux. Après avoir obtenu des réponses incohérentes de chacune des personnes interrogées, l’agent a demandé au demandeur s’il avait un numéro de téléphone pour joindre le père biologique. Le demandeur a récupéré son téléphone auprès du service de sécurité et a tenté d’appeler le père. Comme personne ne répondait, l’agent a demandé au demandeur s’il avait d’autres numéros. Le demandeur a répondu par la négative, mais l’interprète a affirmé qu’un autre numéro de téléphone était inscrit sous le nom du père. Lorsque ce numéro a été composé, l’homme qui a répondu s’est identifié comme étant le père des neveux. L’agent a expliqué qu’il appelait du haut-commissariat du Canada à Dhaka et il a demandé à l’homme s’il pouvait répondre à quelques questions sur ses fils. L’homme a accepté.

[42] Malheureusement, les réponses fournies par le père portant sur la fréquence de ses visites à ses fils et sur ses renseignements professionnels et personnels étaient en contradiction avec les trois réponses différentes déjà obtenues auprès du demandeur, de son épouse et de M. Siam. Ces divergences ont amené l’agent à conclure que les quatre personnes interrogées avaient toutes fait des récits très différents; le demandeur et M. Siam ont admis qu’ils avaient fourni des renseignements faux et trompeurs.

[43] Compte tenu de tout ce qui précède, l’agent n’a pas été en mesure de distinguer le vrai du faux.

[44] J’estime qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur avait fait une présentation erronée sur des faits importants quant à un objet pertinent, ou avait fait preuve d’une réticence sur ces faits, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, à savoir si ses neveux pouvaient être inclus dans sa demande de résidence permanente en tant que personnes à charge de fait.

VI. La décision était équitable sur le plan procédural

A. L’approche employée par l’agent lors des entrevues

[45] Avant de commencer les entrevues, l’agent s’est entretenu seul avec le demandeur. Suivant les notes consignées dans le SMGC à ce moment-là, l’agent a expliqué que l’entrevue avait pour but de vérifier l’admissibilité des personnes à charge et de confirmer les renseignements concernant l’expérience, les études, la langue, l’intention, etc.

[46] Lors des entrevues, l’agent a conseillé aux personnes interrogées de se détendre, de l’avertir si elles ne comprenaient pas quelque chose et de ne dire que la vérité. Il a souligné qu’il était important de communiquer de façon claire et de faire preuve d’honnêteté. Il a expliqué aux personnes interrogées qu’elles ne devaient pas hésiter à demander des précisions en cas de besoin et a ajouté que si elles ignoraient la réponse à une question, elles devaient le dire et ne rien inventer.

B. L’argument concernant un éventuel héritage

[47] Le demandeur a l’impression que l’agent doutait du fait que les neveux pourraient hériter de certains biens immobiliers lorsqu’ils auraient atteint l’âge requis.

[48] Il a avancé cet argument pour appuyer son affirmation selon laquelle la décision était déraisonnable, mais compte tenu de la nature des allégations, je suis d’avis qu’il s’agit plutôt d’une contestation de l’équité procédurale de la décision.

[49] Dans son mémoire, le demandeur a simplement affirmé que les neveux auraient droit à un héritage quelconque, mais que l’agent ne l’avait pas cru lorsqu’il a témoigné et qu’il n’avait pas eu la possibilité de présenter des éléments de preuve pour dissiper ces doutes.

[50] Le mémoire contient également une allégation selon laquelle le demandeur n’avait pas [traduction] « eu la possibilité de fournir des documents attestant que les garçons [auraient] droit à un héritage ni la possibilité de dissiper les doutes de l’agent au sujet de l’adoption » et que « l’agent [avait] arrêté son opinion » et qu’« aucune réelle appréciation » n’avait eu lieu.

[51] Je ne vois rien dans les notes du SMGC ou dans les documents figurant dans le dossier du demandeur concernant une déclaration ou une discussion au sujet d’un héritage. Le DCT contient une copie traduite d’un document appelé [traduction] « Certificat de succession », lequel indique qu’Hasina Banu, la mère des deux neveux, est décédée et qu’elle a laissé dans le deuil son mari et ses deux fils, qui sont tous nommés. Le certificat indique également que la défunte [traduction] « résidait dans l’union Kawaltia no 2 du quartier no 07 dans le village de South Salna, et que par suite de son décès, M. Shahadat Hossain, [...] a présenté une demande visant à le nommer héritier des biens mobiliers et immobiliers visés par l’acte notarié signé par Hasina Banu ». Le certificat nomme ensuite le mari et les deux enfants mineurs de la défunte en tant qu’héritiers.

[52] J’ai examiné les notes consignées dans le SMGC ainsi que le DCT à la recherche d’une mention d’un héritage ou de biens immobiliers autre que celle faite dans le certificat de succession. Dans le certificat, il est clairement indiqué que le père des neveux a présenté une demande afin de devenir l’héritier des biens immobiliers détenus par la mère. Il n’est dit nulle part que les neveux pourraient hériter de biens immobiliers, et il n’existe aucun élément de preuve concernant les lois du Bangladesh en matière de succession.

[53] Même s’il était fait mention d’un héritage éventuel quelque part dans les documents présentés à l’agent, rien n’indique en quoi un héritage futur pourrait avoir une incidence sur l’analyse de la demande faite par l’agent. Selon l’agent, le fait que chacune des personnes interrogées n’était pas disposée à dire la vérité concernant la relation existant entre les deux neveux et leur père était déterminant.

[54] Je conclus que le demandeur n’a pas établi que l’agent avait écarté des éléments de preuve documentaire, portant notamment sur un héritage éventuel, ni que son opinion était déjà faite. Il n’y a rien qui démontre l’existence d’un élément de preuve quelconque à apprécier concernant l’héritage.

[55] Je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré que l’existence ou l’absence d’un héritage futur pour les deux neveux avait joué ou aurait pu jouer un rôle dans le processus décisionnel de l’agent.

C. M. Siam a été interrogé seul

[56] Le demandeur soutient que M. Siam n’aurait pas dû être interrogé seul; avant les entrevues, il était préoccupé par l’état d’esprit de son neveu. Il affirme que M. Siam était bouleversé et effrayé et qu’il n’avait accepté d’assister à l’entrevue qu’après qu’il l’eut rassuré en lui disant qu’il (M. Siam) ne participerait pas activement à l’entrevue.

[57] Selon les notes consignées dans le SMGC, au moment de l’entrevue, l’agent a demandé au demandeur si M. Siam était en bonne santé et s’il comprenait l’anglais. Même si le demandeur lui avait assuré que M. Siam allait bien et qu’il maîtrisait passablement l’anglais, l’agent a pris la précaution d’interroger ce dernier dans la langue locale avec l’aide d’un interprète.

[58] Le demandeur soutient qu’il était inéquitable sur le plan procédural d’interroger M. Siam seul, [traduction] « d’autant plus que l’agent s’est fondé exclusivement sur les réponses de M. Siam aux questions sur les visites de son père biologique et sur d’autres points connexes ».

[59] L’agent ne s’est pas fondé exclusivement sur les réponses de M. Siam concernant les visites de son père.

[60] Dans sa lettre de décision, l’agent mentionne que [traduction]« [l]ors de l’entrevue du 19 septembre 2018, vous, M. Wohab, votre épouse, Mme Akter, et votre neveu, M. Siam, avez fait une présentation erronée sur des faits importants quant à un objet important, ou avez fait preuve de réticence sur ces faits, à savoir si vos neveux pouvaient être inclus dans votre demande en tant que personnes à charge de fait ».

[61] L’agent a posé des questions à chacune des personnes interrogées ainsi qu’au père sur la nature et la fréquence des interactions de celui-ci avec ses enfants et sur d’autres aspects de la vie de ce dernier. Les réponses obtenues étaient contradictoires, évasives et confuses. Comme il l’a expliqué plus tard, l’agent s’est par la suite entretenu avec le père biologique afin de tenter, sans succès, de concilier les réponses divergentes.

[62] En ce qui concerne la question de savoir s’il était inéquitable sur le plan procédural d’interroger M. Siam seul, le demandeur s’appuie sur un extrait du paragraphe 11 de la décision Jesuthasan c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CFPI 872 (Jesuthasan) :

Il est vrai que la Cour ne devrait pas entraver indûment la procédure et imposer aux agents des visas des restrictions qui les rendent moins efficaces, mais il y a, à mon avis, des exigences fondamentales qui doivent être respectées dans tous les cas où un enfant de moins de 18 ans est interrogé si l’on veut que la preuve [ait] une valeur. L’agent des visas doit à tout le moins s’assurer que l’enfant comprend la nature de la procédure et l’importance de dire la vérité et montre qu’il est disposé à dire la vérité. De plus, lorsque les questions se rapportent à une époque passée, l’agent doit s’assurer que l’enfant est capable de se souvenir de l’époque en question.

(Soulignement du demandeur.)

[63] Je suis d’avis que la partie précédente du paragraphe 11 est tout aussi importante :

[...] L’obligation d’agir équitablement imposée à un agent des visas qui choisit d’interroger un enfant dans le cadre d’une entrevue variera en fonction des circonstances. Il n’y a pas de règles précises qui peuvent s’appliquer puisque chaque situation sera différente. L’âge et le développement cognitif de l’enfant ainsi que sa capacité de communiquer constitueront des facteurs importants. Plus l’enfant est jeune, plus l’obligation sera rigoureuse.

(Mon soulignement.)

[64] Je souligne que l’enfant interrogé dans la décision Jesuthasan était âgé de 12 ans. Au moment de l’entrevue, il ne restait que deux mois avant le seizième anniversaire de M. Siam et celui-ci était en 10e année à l’école. Il aurait été en mesure de communiquer en anglais dans une moyenne mesure, mais il a été interrogé par l’agent dans sa langue maternelle avec l’aide d’un interprète.

[65] L’agent était au fait des précautions à prendre au moment d’interroger un mineur. Il s’est entretenu avec M. Siam et M. Shuvo avant de procéder à l’entrevue. À la suite de cet entretien, il a conclu que M. Shuvo semblait avoir des problèmes cognitifs et qu’il ne serait donc pas interrogé. Il a, en revanche, estimé que M. Siam pouvait être interrogé.

[66] Rien n’indiquait que M. Siam n’avait pas la capacité de se souvenir d’une période ou d’un événement antérieurs. Compte tenu de l’âge de M. Siam, de son éducation, de sa capacité à parler anglais et du fait qu’il a eu la possibilité de répondre aux questions dans sa langue maternelle grâce à un interprète, ainsi que de l’absence d’objection de la part du demandeur au moment de l’entrevue, j’estime que l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale en déterminant qu’il pouvait être interrogé sans la présence d’un adulte.

[67] Dans son affidavit joint à la présente demande, le demandeur atteste que, le jour de l’entrevue, M. Siam s’inquiétait de rater un élément important de son examen final et qu’il était intimidé et effrayé par l’entrevue. En outre, il affirme qu’il était préoccupé par l’état d’esprit de M. Siam parce que celui-ci était bouleversé et effrayé, et qu’il avait dû rassurer l’enfant pour qu’il accepte de participer à l’entrevue.

[68] Les déclarations contenues dans l’affidavit du demandeur sont en contradiction avec les notes consignées dans le SMGC.

[69] Les notes consignées dans le SMGC indiquent qu’avant d’interroger M. Siam, l’agent a demandé au demandeur si l’enfant allait [traduction] « bien », ce à quoi le demandeur a répondu « oui ». Ils ont ensuite parlé du fait que M. Siam était en 10e année et qu’il était en réussite sur le plan scolaire. Le demandeur n’a jamais mentionné, ni à ce moment-là ni plus tard, que M. Siam était inquiet, intimidé ou effrayé. Il est possible qu’il ait été inquiet ou effrayé après l’entrevue étant donné qu’il avait admis avoir menti au sujet de son père, mais rien dans les notes consignées dans le SMGC n’indique qu’il s’est montré inquiet ou effrayé durant l’entrevue.

[70] Rien dans les documents joints à la demande n’indiquait l’existence d’une relation continue avec le père biologique. Il n’était pas non plus possible de prévoir que le demandeur et les autres personnes interrogées mentiraient et donneraient des réponses contradictoires aux questions concernant le père biologique. Par conséquent, aucune lettre d’équité procédurale n’aurait pu être envoyée avant les entrevues.

[71] Compte tenu de tout ce qui précède, je suis convaincue qu’il n’était pas inéquitable sur le plan procédural d’interroger M. Siam seul.

D. Aucun élément de preuve extrinsèque n’a été invoqué

[72] Bien que le demandeur prétende que la décision reposait sur des éléments de preuve extrinsèques, aucun élément de preuve de ce type n’a été relevé et les notes consignées dans le SMGC n’en font pas mention.

[73] Si le demandeur fait allusion à l’appel téléphonique avec le père des neveux, il convient de souligner que cet appel et les renseignements obtenus lors de celui-ci ont été entièrement communiqués au demandeur, qui a d’ailleurs facilité l’appel en fournissant son téléphone cellulaire. Les contradictions supplémentaires soulevées par les réponses du père ont été portées à l’attention des parties, mais l’agent n’a pas reçu de réponses satisfaisantes pour les résoudre.

[74] Je conclus que le demandeur n’a pas établi que l’agent avait déraisonnablement écarté des éléments de preuve documentaire ni qu’il s’était appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques pour en arriver à sa décision.

E. Le demandeur a eu l’occasion de dissiper les doutes soulevés lors de l’entrevue

[75] Enfin, le demandeur allègue qu’il n’a pas été en mesure de participer de manière significative au processus et qu’il n’a pas eu l’occasion de dissiper les doutes soulevés par l’agent lors de l’entrevue puisque la décision a été rendue après l’entrevue.

[76] Le demandeur semble passer à côté du fait que l’agent a fait part de ses doutes à de multiples reprises au cours du processus d’entrevue. À chacune de ces occasions, il a eu la possibilité de répondre. Souvent, ses réponses n’ont fait qu’aggraver les choses, car il multipliait les versions contradictoires.

[77] Il ressort clairement des notes consignées dans le SMGC que l’agent a expliqué le but des entrevues, qu’il a insisté sur l’importance de donner des réponses véridiques et qu’il a précisé que le défaut de dire la vérité pouvait donner lieu à une conclusion de fausses déclarations.


VII. Conclusion

[78] Pour tous les motifs susmentionnés, la présente demande est rejetée.

[79] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et j’estime que les faits de l’espèce n’en soulèvent aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3615-19

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé est modifié de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné à titre de défendeur.

  2. La demande est rejetée.

  3. Les faits de l’espèce ne soulèvent aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

 


Annexe A

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced;


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3615-19

 

INTITULÉ :

MUHAMMUD ABDUL WOHAB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 13 mai 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

le 4 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Kolade Oladokun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marcia Jackson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A.R.E. Law

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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