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Date : 20220126


Dossier : IMM-4044-21

Référence : 2022 CF 82

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

ROMAN IGOROVYCH PUYDA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Monsieur Roman Puyda a présenté une demande de permis de travail afin de pouvoir travailler pour Hybrid Elevator Inc (HEI) à Kelowna, en Colombie‑Britannique. La demande de permis de travail faisait mention d’une offre d’emploi comme concepteur de produits industriels chez HEI et était fondée sur une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) favorable délivrée à HEI pour ce poste. Un agent des visas a conclu que M. Puyda n’avait pas démontré qu’il satisfaisait aux exigences du poste, notamment qu’il avait les compétences nécessaires en anglais. L’agent a donc rejeté la demande.

[2] M. Puyda sollicite le contrôle judiciaire de ce rejet. Il fait valoir que l’agent des visas a agi déraisonnablement en ne tenant pas compte de la preuve relative à ses compétences linguistiques en anglais et n’a pas indiqué quel niveau de compétences serait jugé suffisant.

[3] Je conclus que la décision de l’agent des visas concernant l’exigence relative au niveau de compétences en anglais était raisonnable. Comme il s’agit d’un motif suffisant pour rejeter la demande, je n’ai pas besoin d’aborder les arguments des parties concernant la question de savoir s’il était aussi raisonnable de rejeter la demande sur le fondement des études ou du dossier de présentation du demandeur.

[4] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. La question en litige et la norme de contrôle

[5] La seule question soulevée par M. Puyda est de savoir si le rejet de sa demande de permis de travail était raisonnable. Les parties conviennent que la décision est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17, 23–25; Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 aux para 14–15.

III. Analyse

A. Le rejet de la demande de permis de travail par l’agent des visas

[6] L’agent des visas qui étudie une demande de permis de travail est tenu de la rejeter si le demandeur est « incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé » : Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 200(3)a). Il incombe au demandeur de démontrer qu’il respecte toutes les exigences de l’emploi : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 635 au para 15; Sangha, au para 42; Nwachukwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 122 au para 15; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 au para 10.

[7] L’offre d’emploi que M. Puyda a reçue de HEI pour un poste de concepteur de produits industriels énonce les fonctions du poste sous forme de liste à puces. Cette liste comprend l’utilisation d’équipement italien pour l’installation d’ascenseurs commerciaux légers, un domaine pour lequel M. Puyda semble qualifié vu son expérience de travail en Italie en tant qu’ingénieur/technicien de monte-charge. Selon les fonctions énumérées, M. Puyda serait également chargé de [traduction] « donner de la formation et de participer à la création de guides de référence sur l’installation d’ascenseurs résidentiels à l’intention du personnel actuel et de l’employeur ». L’EIMT qui a été délivrée en fonction de l’offre d’emploi mentionnait que la capacité de communiquer en anglais de vive voix et par écrit était obligatoire.

[8] L’agent des visas a noté que l’offre d’emploi indiquait que le titulaire devrait créer des documents de formation et a conclu que M. Puyda [traduction] « n’avait pas démontré qu’il possédait le niveau de compétences nécessaire en anglais pour le faire ». L’agent a également noté que l’EIMT exigeait une connaissance de l'anglais et qu’il n’était pas convaincu que M. Puyda satisfaisait à cette exigence. L’agent a donc rejeté la demande.

B. La décision était raisonnable

[9] M. Puyda avance deux arguments principaux concernant le caractère raisonnable de la décision de l’agent des visas. Premièrement, il soutient que l’agent des visas n’a pas tenu compte des éléments preuve pertinents concernant ses compétences linguistiques en anglais. Le défaut, par un décideur, de prendre en considération des éléments de preuve pertinents peut rendre sa décision déraisonnable : Vavilov, aux para 125–126. Deuxièmement, il affirme que l’agent des visas n’a pas précisé quel niveau de compétences en anglais serait suffisant. Il ne pouvait donc pas savoir quel niveau serait considéré comme étant acceptable.

[10] À l’appui de son premier argument, M. Puyda invoque deux éléments de preuve : le curriculum vitae qu’il a déposé, qui était rédigé en anglais et faisait état de sa [traduction] « connaissance intermédiaire de l’anglais », et l’offre d’emploi de HEI, qui, selon lui, montre implicitement que l’employeur était convaincu que son niveau d’anglais était suffisant pour lui permettre de faire le travail. L’agent des visas n’a pas tenu compte du curriculum vitae ni de l’offre d’emploi lorsqu’il a évalué le niveau d’anglais de M. Puyda.

[11] Je conclus qu’il était raisonnable de la part de l’agent des visas de rendre sa décision sans tenir compte du curriculum vitae en anglais. M. Puyda a joint à sa demande une lettre d’observation d’un conseiller en immigration, laquelle ne précisait pas que le curriculum vitae devait démontrer une maîtrise de la langue anglaise. Rien dans le curriculum vitae en soi ne confirme objectivement qu’il a été préparé par M. Puyda, sans aide. Ses compétences linguistiques à l’oral ne sont pas abordées non plus, mis à part une mention imprécise et non étayée d’une connaissance « intermédiaire » de l’anglais. À plusieurs reprises, la Cour a conclu qu’il « est raisonnable pour un agent de s’attendre à ce qu’un demandeur fournisse d’autres éléments de preuve qu’une demande et une lettre d’accompagnement présentées en anglais pour vérifier sa capacité de parler et d’écrire en anglais » : Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 935 au para 30, citant Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1548 au para 34; Virk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 150 aux para 5–6. Le même principe s’applique à un curriculum vitae en anglais. Il vaut peut‑être la peine de mentionner que le formulaire de demande de M. Puyda indiquait qu’il avait passé un test d’un organisme désigné pour évaluer ses compétences en anglais; toutefois, les résultats de ce test n’étaient pas inclus dans sa demande.

[12] En ce qui concerne l’offre d’emploi, M. Puyda invoque les décisions récentes Longa Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 538 et Ul Zaman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 268, rendues par notre Cour. Dans la décision Longa Diaz, le juge Shore a conclu qu’il était raisonnable qu’un agent des visas refuse un permis de travail au motif que le demandeur ne satisfait pas aux exigences du poste sans tenir compte du fait que l’employeur était convaincu que la demanderesse était qualifiée :

L’agent indique à ce sujet que la demanderesse n’a pu démontrer qu’elle répond adéquatement aux exigences de l’emploi envisagé. L’historique d’emploi de la demanderesse en comptabilité ou comme analyste n’ont pas fait appel à ses habilités en secrétariat, et ses études dans ce domaine datent d’il y a vingt ans. L’agent passe cependant sous silence qu’elle a reçu une offre d’emploi laquelle dénote qu’elle se qualifie pour le poste. Lorsque l’employeur est satisfait que la demanderesse se qualifie pour les exigences de son offre d’emploi, il est déraisonnable pour l’agent de prétendre le contraire sans explication sur cette contradiction.

[Non souligné dans l’original; renvoi omis; Longa Diaz, au para 8.]

[13] À mon avis, la décision Longa Diaz n'aide pas la cause de M. Puyada, et ce, pour deux raisons. Premièrement, il y a une différence entre les exigences en cause dans l’affaire Longa Diaz et celles en cause en l’espèce. Dans l’affaire Longa Diaz, la question était de savoir si les compétences approfondies et les études établies de la demanderesse étaient suffisamment récentes pour qu’elle puisse assumer adéquatement le rôle d’adjointe administrative juridique. Dans l’affaire qui nous occupe, il est toutefois question de savoir si M. Puyda possède les compétences linguistiques nécessaires pour le poste. Deuxièmement, l’offre d’emploi de HEI ne mentionne pas les compétences linguistiques de M. Puyda ni la possibilité ou la capacité de l’employeur de les évaluer. Les observations présentées par M. Puyda à l’appui de sa demande ne permettent pas d’établir que ses compétences en anglais ont été démontrées par le fait qu’il a reçu une offre d’emploi. Dans ce contexte, il était raisonnable pour l’agent de ne pas se fonder sur l’offre d’emploi à titre de preuve des compétences linguistiques de M. Puyda. Même si l’employeur a fait une déclaration explicite sur les compétences en anglais de M. Puyda, la Cour a conclu « qu’un agent des visas n’est pas lié par les déclarations d’un employeur au sujet des exigences linguistiques ou de la suffisance des compétences linguistiques d’un demandeur » : Sangha, au para 36.

[14] La décision Ul Zaman n’aide pas non plus la cause de M. Puyda. Dans cette affaire, l’employeur avait déclaré expressément que, même si l’EIMT indiquait qu’une connaissance de l’anglais était nécessaire, il était ouvert à la possibilité d’embaucher un employé parlant uniquement l’ourdou et qu’il n’était pas nécessaire que le demandeur parle couramment l’anglais : Ul Zaman, aux paras 8, 11, 14–15. Le juge Pamel a conclu qu’il était déraisonnable de ne pas aborder cet élément de preuve qui contredisait la conclusion de l’agent de visas selon laquelle une connaissance de l’anglais était une exigence du poste. Dans le cas qui nous occupe, aucune telle déclaration n’a été faite et rien n’indique que l’offre d’emploi contredit la mention dans l’EIMT selon laquelle la connaissance de l’anglais était une exigence du poste. Au contraire, l’agent des visas s’est raisonnablement fondé sur les fonctions énoncées dans l’offre d’emploi pour conclure que le poste nécessitait un certain niveau de compétences en anglais.

[15] La demande de permis de travail de M. Puyda n’inclut pas d’élément de preuve objectif démontrant qu’il possédait les compétences linguistiques nécessaires pour occuper le poste visé. Je ne peux pas conclure que le curriculum vitae en anglais ou l’offre d’emploi en soi peut être considéré comme un tel élément de preuve. Je conviens donc avec le ministre que la conclusion de l’agent des visas selon laquelle M. Puyda n’a pas démontré qu’il satisfait à l’exigence relative à la connaissance de l’anglais était raisonnable, même s’il n’a pas mentionné le curriculum vitae et n’a pas tenu compte de la question de savoir si l’offre d’emploi en soi démontrait que l’employeur était d’avis que sa connaissance de l’anglais était suffisante.

[16] Le deuxième argument principal de M. Puyda est que l’agent des visas a conclu qu’il ne possédait pas le niveau de compétences nécessaire en anglais pour exercer les fonctions du poste, mais il n’a pas précisé quel serait le niveau d’anglais jugé suffisant. M. Puyda fait valoir que cela montre un manque de transparence et d’intelligibilité dans le raisonnement de l’agent, ce qui le rend déraisonnable.

[17] Encore une fois, je ne souscris pas à cet argument. Le rôle de l’agent des visas était d’examiner la preuve déposée par M. Puyda et d’évaluer s’il avait démontré qu’il satisfaisait aux exigences du poste. L’agent a conclu que M. Puyda n’avait pas démontré qu’il possédait le niveau de compétences nécessaire en anglais pour créer des documents de formation sur l’installation d’équipement, comme l’exige l'offre d'emploi. Pour les motifs qui précèdent, cette conclusion était raisonnable vu le manque d’éléments de preuve objectifs démontrant l’existence de compétences en anglais. N’ayant pas déposé de telle preuve, M. Puyda ne peut pas reprocher à l’agent de ne pas avoir cherché plus loin, de ne pas avoir défini de niveau de compétences particulier en anglais qui était exigé pour le poste et d’avoir seulement tenu compte de ce que l’offre d’emploi mentionnait.

[18] Par conséquent, je suis d’avis que la conclusion de l’agent des visas selon laquelle M. Puyda n’a pas démontré qu’il possédait les compétences en anglais requises pour le poste était raisonnable. Comme il s’agit d’un fondement suffisant pour que l’agent rejette la demande de travail et pour que la Cour confirme ce rejet, je n’ai pas besoin d’aborder les arguments des parties concernant la question de savoir si l’agent a aussi rejeté la demande en raison des études de M. Puyda ou de l’absence de dossier de présentation.

IV. Conclusion

[19] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et je conviens que la présente affaire ne soulève aucune question satisfaisant au critère de certification.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4044-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4044-21

 

INTITULÉ :

ROMAN IGOROVYCH PUYDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

2022-01-17

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

2022-01-26

 

COMPARUTIONS :

Shepherd Moss

 

Pour le demandeur

 

Jessica Ko

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chand and Company Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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