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Date : 20050126

Dossier : IMM-1380-04

                                                                                                      Référence : 2005 CF 117

ENTRE :

                                                          PASHKO MALI,

                                                         AGLINE MALI et

                                                       KRESHNIK MALI,

                          représenté par son tuteur à l'instance, PASHKO MALI

                                                                                                                            demandeurs

ET :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la LIPR), l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 21 janvier 2004, par laquelle la Commission a refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger.


[2]                Le demandeur, Pashko Mali, de nationalité albanaise, est âgé de quarante-quatre ans.

[3]                Il dit craindre avec raison d'être persécuté aux mains du gouvernement socialiste et de la police en raison de ses opinions politiques en tant que sympathisant du Parti démocratique (le PD). Il dit aussi être une personne à protéger, parce qu'il serait exposé à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou à un risque de subir des traitements cruels et inusités en Albanie.

[4]                L'épouse et le fils mineur du demandeur fondent leurs demandes sur leur appartenance à un groupe social - la famille du demandeur - et ils prétendent être persécutés en raison des activités menées par le demandeur au nom du PD en Albanie.

[5]                Le demandeur dit que sa famille lutte de longue date contre le communisme. Son père a été longtemps détenu comme prisonnier politique sous le régime communiste. Le demandeur dit qu'il s'est joint au PD en 1991 et qu'il a été lourdement impliqué dans diverses activités au sein de ce parti, notamment des manifestations, des rassemblements et la distribution de tracts contre le Parti socialiste (le PS). Le demandeur affirme que, en janvier 1995, il a été nommé président du PD pour Torovic par le conseil du Parti à Lezhe et que, en novembre 1996, il a assisté en tant que délégué au congrès du Parti à Tirana.


[6]                Après les élections de 1997, le PS a usé de représailles contre ceux qui s'étaient opposés à lui. La circonscription du demandeur avait élu un membre du Parti démocratique, mais le Parti socialiste avait remporté les élections générales régionales. En 1997, le demandeur a été convoqué au commissariat de police, détenu, enfin sommé de cesser toute implication au sein du PD.

[7]                Le demandeur dit que, après l'assassinat du vice-président du PD, Azem Hadjari, le 12 septembre 1998, il s'est exprimé lors d'un service commémoratif à Torovic et a accusé le PS d'assassinat. Il a de nouveau été arrêté, passé à tabac et sommé de mettre fin à ses activités politiques au sein du PD.

[8]                Il a été nommé vice-président du centre de scrutin lors des élections locales d'octobre 2000. Le président du centre était membre du PS. Le PS l'a approché avant les élections et a tenté de l'acheter pour qu'il aide frauduleusement le PS à remporter les élections. Il a refusé et, le jour des élections, alors qu'il comptait les bulletins, les lumières ont été éteintes et il a de nouveau été battu, jeté dans une voiture de police et emmené vers un centre électoral, à Balldre, où les bulletins ont par la suite été comptés.


[9]                Le lendemain, 16 octobre 2000, le demandeur recevait un avis de rappel l'invitant à se présenter à la police de Lezhe. Il fut informé par le président du PD que, s'il se présentait à la police, il serait liquidé. Le président du PD lui a dit que le PS sévissait contre quiconque en savait trop sur les fraudes électorales du PS. Le demandeur savait que, s'il ne se présentait pas à la police, la police viendrait à lui et l'arrêterait.

[10]            Il a emmené son épouse et ses enfants et les a cachés à Hot, chez sa belle-famille.

[11]            Le père de son épouse, qui vivait à Détroit, aux États-Unis, décéda et l'épouse du demandeur a pu obtenir un visa de visiteur pour assister à ses obsèques.

[12]            Le 3 avril 2001, le demandeur réussissait à se procurer un faux visa américain de visiteur, pour lui-même et pour son fils. Il a quitté l'Albanie ce même jour. Le demandeur a présenté une demande d'asile aux États-Unis et il a obtenu une date d'audience, mais il a quitté les États-Unis avant de connaître l'issue de sa demande, puisqu'il s'est rendu au Canada, où il a demandé l'asile. Il croyait qu'il n'avait aucune chance d'obtenir l'asile aux États-Unis. Le demandeur, son épouse et son fils mineur ont présenté leurs demandes d'asile à Windsor (Ontario) le 2 janvier 2002.

[13]            Le demandeur affirme que, s'il doit retourner en Albanie, la police et le gouvernement socialiste le persécuteront, et il sera exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à des peines cruelles et inusitées. Il signale que le PS a été réélu en 2002 et qu'il est au pouvoir aujourd'hui.


[14]            La Commission a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, car il n'avait pas raison de craindre d'être persécuté en Albanie pour un motif prévu par la Convention, et qu'il n'était pas une personne à protéger, parce que son renvoi en Albanie ne l'exposerait pas personnellement à une menace pour sa vie, ni à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, ni à un risque de torture.

[15]            La décision de la Commission s'explique par le fait que la Commission n'a pas cru le demandeur. Elle a admis que le demandeur était membre du PD, mais, selon elle, il n'a pas produit de témoignages crédibles ou dignes de foi propres à prouver qu'il était sous le feu des projecteurs en tant que militant politique.

[16]            La Commission a écrit que, bien que le témoignage sous serment soit présumé véridique (voir l'arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (CAF), à la page 305), celui du demandeur contenait des contradictions, des incohérences et des omissions. Le demandeur a produit en preuve des attestations faisant état de sa position de président de la cellule locale du PD.


[17]            Le demandeur a témoigné que, en 1995, il a été nommé président de la section du PD pour Malecaj. Selon la Commission, les nombreuses attestations produites ne confirment pas ce fait. Elle juge invraisemblable que le demandeur ait en réalité occupé un poste important au sein du PD, celui de président de sa section locale. S'il avait occupé un tel poste, alors, d'après la Commission, le poste aurait été mentionné dans au moins une des lettres produites à l'appui.

[18]            Les attestations font état de la participation du demandeur à un rassemblement organisé à Shkoder, en 1992, où lui et de nombreux autres membres du PD auraient été battus. Cependant, les attestations ne disent rien de l'arrestation, de la détention et des violences que le demandeur prétend avoir subies en 1998, et rien non plus de la raclée qui lui aurait été administrée le 15 octobre 2000 au centre électoral. Les attestations sont silencieuses également sur l'avis de rappel envoyé par la police, avis que le demandeur affirme avoir reçu. Lorsque le demandeur a été prié de dire pourquoi ces renseignements n'apparaissaient pas dans les lettres d'attestation, il n'a donné aucune explication, affirmant qu'il leur avait simplement demandé [aux auteurs des lettres] un bref certificat.

[19]            La Commission estime que, puisque les lettres font état de la correction qu'il aurait subie en 1992, il serait raisonnable de croire que les corrections plus récentes, celles de 1998 et de 2000, seraient elles aussi mentionnées. La Commission a conclu que les corrections de 1998 et 2000 n'étaient pas mentionnées dans les lettres parce qu'elles n'avaient pas eu lieu.


[20]            La Commission croit que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n'était pas recherché par la police ou par les membres du PS et que telles allégations ne servaient qu'à renforcer sa demande. La Commission a donc estimé que le demandeur était membre du PD, mais un membre qui n'était pas susceptible de retenir l'attention du PS, ou de la police, comme il le prétend.

[21]            La Commission a examiné la preuve documentaire relative aux conditions qui ont cours en Albanie et elle a trouvé que les documents ne confirmaient pas les supposées violences dirigées vers les membres du PD, compte tenu du profil politique modeste du demandeur. La preuve documentaire retenue par la Commission révèle que le PS n'est pas actuellement préoccupé par la chasse à ses présumés opposants. Selon le professeur Austin, [traduction] « le PS est trop occupé à gouverner et à rendre des comptes à la communauté internationale pour consacrer du temps à harceler ses opposants politiques » . Néanmoins, la Commission accepte dans sa décision le point avancé par le professeur Fischer, pour qui, même si la violence politique est en baisse, elle demeure omniprésente en Albanie. Le professeur Austin signale aussi que la violence peut être le fait d'autorités de niveau inférieur.


[22]            La Commission a conclu que le point à décider était celui de savoir si le demandeur avait participé à des activités de nature à l'exposer à de telles violences; selon elle, le demandeur ne participait pas à des activités politiques de nature à l'exposer, comme il le prétendait, à des violences politiques. D'après la preuve documentaire, si le demandeur était renvoyé en Albanie, il n'y a aucune possibilité sérieuse qu'il soit persécuté du fait de ses opinions politiques.

[23]            Le demandeur soulève quatre points :

a) la Commission n'a pas tenu compte des déclarations de membres du PD selon lesquelles le demandeur était le président de sa section locale du PD;

b) la Commission a rendu une décision sans tenir compte de la preuve qu'elle avait devant elle, en se fondant sur de supposées lacunes dans les déclarations de membres du PD;

c) la Commission a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve se rapportant à la recherche du demandeur par la police après son départ en avril 2001;

d) la Commission a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve, en affirmant que le demandeur n'était exposé à aucun autre facteur de risque par suite de son appartenance au PD.

[24]            Selon le demandeur, les déclarations de ses collègues du PD confirment bel et bien qu'il était le président de sa section locale du PD. Les lettres de Xhemal Muho Malecaj, de Lek Lelcaj et de Lek Metohija montrent que le demandeur avait été élu président de la cellule locale du Parti démocratique (dossier de demande, pages 66, 70 et 74). Le demandeur fait valoir que la conclusion de la Commission, selon laquelle il n'a pas occupé le poste de président, est abusive.


[25]            Le demandeur affirme que, selon la Commission, le poste de président était un poste important. La Commission a trouvé aussi qu'une personne occupant un poste important au sein du PD courait un risque sérieux en Albanie. Selon le demandeur, l'erreur commise par la Commission, lorsqu'elle a dit qu'il n'occupait pas un poste important, celui de président, constitue une conclusion erronée de sa part, une conclusion qui entache sa décision.

[26]            Le demandeur relève que la Commission a accepté la documentation produite se rapportant à son appartenance au PD, que, en conséquence, la Commission n'avait « pas de raison de douter de l'authenticité de ces documents » et qu'elle a accepté que _ le demandeur [était] membre du PD » . Toutefois, la Commission a décidé de laisser de côté les documents. Elle dit dans ses motifs que les documents ne confirment pas le poste du demandeur en tant que président de sa section locale, ni ne mentionnent trois événements : les corrections et la garde à vue en 1998; les violences au cours des élections d'octobre 2000; enfin, le fait qu'il avait été convoqué par la police.

[27]            L'avocat du demandeur soutient que le demandeur occupait un poste important au sein du PD et que cela ne peut être contredit. Les lettres ne précisent pas qu'il a été violenté au cours des élections d'octobre 2000, mais il est clair qu'il a eu des ennuis à la suite des élections; selon la preuve, les conflits entre le PS et le PD se soldaient en général par des violences physiques. Il fait aussi observer que toutes les lettres confirment que la police avait recherché le demandeur après les élections d'octobre 2000.


[28]            Le demandeur dit aussi que le temps qui s'est écoulé entre son départ de l'Albanie et le moment où la police est venue le chercher n'a pas été bien compris. Selon la Commission, la police avait ignoré le demandeur durant dix-sept mois. Durant son témoignage, le demandeur a dit qu'il avait entendu parler de son frère dix-sept mois plus tard, mais que la police le recherchait, lui, depuis 2001. La conclusion tirée par la Commission n'était pas en accord avec les faits.

[29]            Enfin, selon le demandeur, son rôle de président donne à penser que le PS avait toutes les raisons de s'intéresser à lui, ce qui est corroboré par la preuve documentaire.

[30]            La décision de la Commission tient à la conclusion finale selon laquelle le demandeur n'avait pas au sein du PD un rôle significatif de nature à l'exposer à un risque. La Commission a écrit : « À mon avis, il n'est pas raisonnable que les attestations, qui auraient été écrites par d'autres membres qui connaissaient bien le demandeur, ne fassent pas mention de son poste important de président de sa section locale du PD, s'il occupait effectivement ce poste » .

[31]            Le demandeur s'est référé à la preuve documentaire selon laquelle les attestations corroborent bel et bien son statut de président de sa section locale du PD. La Commission a très mal interprété cette preuve et sa conclusion est viciée.


[32]            La Commission était convaincue qu'une personne occupant un poste important au sein du PD courait un risque en Albanie et que le poste de président de la section locale du PD était un poste important. À titre d'exemples, elle cite de la preuve documentaire les professeurs Austin et Fischer, dont voici un extrait :

[TRADUCTION]

[L]e PS est trop occupé à gouverner et à rendre des comptes à la communauté internationale pour consacrer du temps à harceler ses opposants politiques. [...]

[Renvoi omis.]

[33]            On trouve à la page 5 des motifs de la Commission un autre exemple de ses conclusions :

Le demandeur a présenté en preuve de nombreux documents corroborant son appartenance au PD. Je n'ai pas de raison de douter de l'authenticité de ces documents et j'accepte que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur est membre du PD.

[Renvoi omis.]

[34]            Un autre exemple de contradiction apparaît également dans la décision. Il se trouve aussi à la page 5 :

[...] Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu'en 1995, il a été nommé président de la section locale de Malecaj du PD. Les nombreuses attestations présentées en preuve ne corroborent pas ce fait. [...]


[35]            Il appert de la preuve documentaire, ainsi que des lettres d'attestation, que le demandeur occupait effectivement le poste de président de sa section locale du PD et il ne fait aucun doute qu'il a pu être un militant politique très en vue, exposé à la persécution. La Commission n'a tenu aucun compte de cette preuve, bien qu'elle ait accepté la véracité des documents produits. Elle a ainsi tiré une conclusion erronée, sans tenir compte de la preuve qu'elle avait devant elle.

[36]            La Cour ne devrait pas modifier la décision, à moins qu'une erreur manifeste n'ait été commise par la Commission (Orduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1421 (C.F. 1re inst.)). Je suis d'avis que la Commission a commis des erreurs manifestes, surtout parce qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve qui attestait le poste du demandeur, celui de président de sa section locale du PD, un fait qui était confirmé dans les attestations. Les militants politiques très en vue sont exposés à un risque en Albanie, et c'est là un fait qui est corroboré par la preuve documentaire et que la Commission a confirmé.

[37]            La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

                                                                                                                       « Paul Rouleau »                     

                                                                                                                                         Juge                             

OTTAWA (Ontario)

Le 26 janvier 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-1380-04

INTITULÉ :                                           PASHKO MALI, AGLINE MALI et KRESHNIK

MALI, représenté par son tuteur à l'instance, PASHKO MALI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 12 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                          LE 26 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell                                                             POUR LES DEMANDEURS

A. Leena Jaakkimainen                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann et Associés

Avocats

Toronto (Ontario)                                                          POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR


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