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Date : 20041213

 

Dossier : IMM‑142‑04

 

Référence : 2004 CF 1730

 

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2004

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                   

 

 

ENTRE :

 

CHAMPIKA DESHAPRIYA NANOBI ARACHCHIGE DON et

DILIMINI DEEPTHI RANASINGHE ARACHCHIGE

 

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et                                        

 

 

                                                            LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                             défendeur

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, rendue en date du 4 décembre 2003, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger.   

 

 


LES FAITS

 

[2]               Le demandeur principal (le demandeur) est un citoyen du Sri Lanka âgé de 28 ans. Il prétend être une personne qui craint d’être persécutée par le Service central de renseignements (Service de renseignements) de la police sri‑lankaise qui le soupçonne à tort d’avoir été impliqué dans un attentat terroriste. L’épouse du demandeur, qui est également citoyenne du Sri Lanka, fonde sa demande de statut de réfugiée sur la demande d’asile de son époux.

 

[3]               Le demandeur affirme que pendant qu’il vivait au Sri Lanka il travaillait à titre de directeur de la sécurité pour la société Sri Lankan Airlines au Katunayake International Airport près de Colombo. Le 24 juillet 2001, le groupe militant les Tigres de libération de l’Eelam tamoul a commis un attentat à l’aéroport. Le demandeur, qui était en vacances en Suisse au moment de l’attentat, a été interrogé brièvement par la police à son retour. Le demandeur prétend que presque dix mois plus tard, le 28 avril 2002, il a été arrêté par le Service de renseignements et détenu pendant approximativement cinq heures. Il a été interrogé à l’égard de deux jeunes Tamouls qui vivaient dans sa pension de famille au moment de l’attentat à l’aéroport. Le 2 mai 2002, le demandeur a été arrêté de nouveau par le Service de renseignements et interrogé quant à la raison pour laquelle il avait quitté le Sri Lanka la veille de l’attentat à l’aéroport. Le demandeur prétend qu’on l’a battu, qu’on l’a torturé en fermant un tiroir sur ses organes génitaux et qu’on l’a placé en cellule pendant deux jours sans nourriture. Il a été libéré après le paiement d’un pot‑de‑vin.        

 

[4]               Le demandeur a reçu des soins médicaux pour ses blessures et il a par la suite vécu dans la clandestinité. Il a obtenu un visa de visiteur pour le Canada le 6 août 2002 et lui et son épouse ont quitté le pays pour venir au Canada le 25 septembre 2002.

 

LA DÉCISION

 

[5]               La Commission a rejeté la demande présentée par le demandeur en raison de préoccupations quant à la crédibilité. Elle a conclu que le témoignage du demandeur comportait de nombreuses incohérences et invraisemblances qui rendaient ce témoignage douteux. Au soutien de sa décision, la Commission s’appuyait sur les conclusions suivantes :

 

·                      il était invraisemblable que le demandeur ait été autorisé à demeurer dans son poste critique à l’aéroport si le Service de renseignements le soupçonnait d’être impliqué dans l’attentat à l’aéroport;

·                      il était invraisemblable que le demandeur ait pu obtenir l’autorisation de quitter le pays s’il était soupçonné d’être impliqué dans l’attentat à la bombe à l’aéroport;

·                      le délai de presque cinq mois entre le moment de la dernière arrestation du demandeur et le moment où les demandeurs ont quitté le pays pour venir au Canada était incompatible avec une crainte subjective de persécution;

·                      une lettre présentée par le médecin du demandeur mentionnait qu’il avait reçu des soins en mars 2002 plutôt qu’en mai 2002 (lorsque le demandeur prétend avoir été torturé). En outre, le rapport médical présenté par le demandeur ne mentionnait que des contusions sur tout le corps résultant d’un objet contondant et ne mentionnait pas des blessures aux organes génitaux.

 

 

[10]           La Commission a en outre décelé plusieurs contradictions mineures entre le formulaire sur les renseignements personnels (FRP) du demandeur et le témoignage de vive voix et la preuve documentaire présentés lors de l’audience.


 

QUESTION EN LITIGE

 

[11]           La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a apprécié la crédibilité du demandeur?

 

ANALYSE

 

[12]           Il est bien établi que les conclusions quant à la crédibilité, y compris celles se rapportant à la vraisemblance d’un témoignage, doivent faire l’objet d’une retenue considérable par la Cour et que cette dernière ne doit pas intervenir à moins que ces conclusions soient manifestement déraisonnables. Voir la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194, et l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

 

[13]           La Commission a décelé quatre « invraisemblances et incohérences » qui ne sont pas « crédibles ou dignes de foi ». Après analyse, la Cour estime que cette conclusion est manifestement déraisonnable. Notamment :

1.         il n’y a pas d’incohérences entre le FRP et le témoignage de vive voix du demandeur à l’égard du montant du pot‑de‑vin;

2.         il n’y a pas d’incohérences entre le FRP et la lettre de l’avocat;


3.         il n’y a pas d’incohérences entre le FRP et le témoignage de vive voix à l’égard du jour auquel le demandeur a quitté le pays pour se rendre en Suisse avant l’attentat à la bombe;

4.         il n’y a pas d’incohérences ou d’invraisemblances à l’égard du fait que le père et le frère du demandeur se sont enfuis en Italie alors que son beau‑frère, qui doit prétendument le reste du montant du pot‑de‑vin, est demeuré au Sri Lanka.

 

[14]           En outre, la décision de la Commission est erronée quant à trois autres aspects importants et les erreurs à cet égard peuvent être qualifiées d’erreurs manifestement déraisonnables.

 

[15]           Premièrement, la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve objective comme les rapports du Département d’État des États‑Unis sur les pratiques du pays en matière des droits de la personne au Sri Lanka pour 2002 selon lesquels les forces de sécurité du gouvernement et les forces paramilitaires y affiliées détiennent et torturent des individus sans les avoir officiellement arrêtés. C’est exactement ce que le demandeur a déclaré avoir subi. Si la Commission avait reconnu que le demandeur avait pu être détenu et torturé par certaines des forces de sécurité qui ne l’avaient pas officiellement arrêté, alors cela aurait expliqué pourquoi les forces de sécurité n’avaient pas émis un avis selon lequel le demandeur était soupçonné d’être un terroriste ayant un lien avec l’attentat à la bombe à l’aéroport. Cela explique également pourquoi les forces de sécurité n’ont pas informé l’employeur du demandeur, la société Sri Lankan Airlines, pourquoi le demandeur a continué à être employé par la société aérienne et pourquoi les demandeurs ont pu quitter le pays en franchissant tous les niveaux de sécurité à l’aéroport en utilisant leurs propres passeports.

 

[16]           Deuxièmement, la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle a écarté la preuve de l’avocat de Colombo, M. M. P. Fernando, présentée afin de corroborer les affirmations du demandeur. M. Fernando a écrit une lettre datée du 5 février 2003, dont l’exactitude pourrait facilement être vérifiée, qui corroborait le fait que le demandeur avait pris contact avec un avocat le 23 mai 2002 à l’égard de sa détention et de la torture par les forces de sécurité. Cette lettre corrobore le récit du demandeur. La Commission n’a pas expliqué pourquoi elle rejetait cet important élément de preuve.

 

[17]           Troisièmement, la Commission ne traite pas d’un rapport médical intitulé [TRADUCTION] « NOTE À L’ÉGARD DU DIAGNOSTIC » qui corrobore le fait que le demandeur a été hospitalisé pour des blessures multiples causées par un objet contondant, notamment pour des blessures à ses reins. Cet élément de preuve extrinsèque corrobore le fait que le demandeur a été torturé et qu’il a dû recevoir des soins médicaux et être hospitalisé. La Commission ne mentionne pas cet élément de preuve médicale.

 

[18]           Il y a une dernière portion de la décision qui est erronée. Le demandeur a expliqué en détail pourquoi il avait tardé à quitter le Sri Lanka après qu’il eut été libéré de sa détention en mai 2002. Premièrement, il était blessé et il avait besoin de temps pour se rétablir. Deuxièmement, il devait obtenir un visa de visiteur pour le Canada. Troisièmement, il avait besoin de ramasser de l’argent afin de pouvoir obtenir le visa et pour financer son voyage. Quatrièmement, le demandeur a vécu dans la clandestinité à l’extérieur de Colombo chez de la famille de son épouse afin d’éviter d’être de nouveau détenu par les forces de sécurité. La Commission affirme simplement ce qui suit :

« Le tribunal ne croit pas dans son explication, et ce laps de temps fait encore plus douter de sa crédibilité. »


 

La Commission n’expose pas de motifs pour lesquels elle ne croit pas son explication. À mon avis, l’explication est vraisemblable. Pendant que le demandeur prenait des dispositions pour quitter le Sri Lanka, il vivait dans la clandestinité à l’extérieur de Colombo, il se rétablissait après avoir été torturé, il obtenait les documents nécessaires auprès du Haut‑commissariat du Canada pour venir au Canada et il rassemblait l’argent nécessaire. Je comprends qu’un réfugié fuyant la persécution quitterait normalement le pays immédiatement. Dans le cas du demandeur, il a fourni une explication raisonnable quant aux raisons pour lesquelles il a attendu jusqu’en septembre 2002.

 

[19]           Pour les motifs énoncés, je suis convaincu que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

[20]           Le demandeur a proposé aux fins de la certification une question à laquelle le défendeur s’est opposé. Lors de l’audience, j’ai informé les parties que cette question n’est pas une nouvelle question pour laquelle une certification est nécessaire. La question était la suivante :

[TRADUCTION]

« Le décideur a‑t‑il une obligation de chercher et d’apprécier au moins un certain élément de preuve objective à l’égard des actions d’un agent de persécution nommé lorsqu’il tire des conclusions cruciales quant à ces actions en fonction des prétentions d’un demandeur d’asile particulier?»

 

 


La réponse est oui, la Commission doit apprécier la crédibilité du récit du demandeur en fonction de la preuve objective pour décider si le récit du demandeur est vraisemblable compte tenu de la situation pertinente à laquelle le demandeur est exposé dans son pays d’origine. Il ne s’agit pas d’une nouvelle question qui justifie une certification. Par conséquent, la Cour ne certifiera pas cette question.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission datée du 4 décembre 2003 est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission afin qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

 

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑142‑04

 

INTITULÉ :                                       CHAMPIKA DESHAPRIYA NANOBI ARACHCHIGE DON ET AL.

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

           

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 DÉCEMBRE 2004

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 DÉCEMBRE 2004

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert I. Blanshay

Avocat

49, rue St. Nicholas

Toronto (Ontario)  M4Y 1W6                          POUR LES DEMANDEURS

 

Neeta Logsetty

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest

Bureau 3400, case postale 36

Toronto (Ontario)  M5X 1K6                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert I. Blanshay

(416) 413‑4955                                                                       POUR LES DEMANDEURS

 

Neeta Logsetty

(416) 952‑6812                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 


                         COUR FÉDÉRALE

 

 

                                                         Date : 20041213

 

                                              Dossier : IMM‑142‑04

 

 

ENTRE :

 

 

CHAMPIKA DESHAPRIYA NANOBI ARACHCHIGE DON et DILMINI DEEPTHI RANASINGHE ARACHCHIGE

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

                                                    

 

 

MOTIFS DE LORDONNANCE

ET ORDONNANCE

 

                                                 

 

 

 

 

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